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Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 23

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– Oh! dit-elle en lui tendant le cristal pour le lui rendre, ce médaillon me fait peur… gardez-le… je n'en veux pas. Que ma destinée s'accomplisse… je ne veux pas tenter Dieu!

– Il est à vous, et vous serez toujours libre de n'en pas faire usage. Moi, j'accomplis un devoir en vous l'abandonnant…

Et comme le franciscain arrivait à la porte verdoyante du berceau:

– Silence!.. fit-il en posant d'un air impératif son doigt sur ses lèvres.

– Qui donc êtes-vous et de quel nom vous appelle-t-on? ajouta-t-elle, cependant, en glissant l'amulette dans son corsage.

– Frère Jean, murmura le père Joseph d'un ton traînard, je vous attends.

– Frère Jean!.. répéta tout bas Henriette.

– Me voici, mon père, tout à vos ordres.

Le franciscain les enveloppa tous les deux de son regard inquisitorial, et suivant le mouvement de la jeune fille pour cacher le médaillon.

– Vous souvenez-vous de ce qui vient de se passer? lui demanda-t-il.

Elle le regarda avec une surprise trop sincère pour ne pas le convaincre.

– Que s'est-il passé?..

– Avec le sommeil on perd la mémoire, dit l'évocateur au père Joseph; de même que le somnambule ne se rappelle ni ses actes, ni ses paroles, de même le visionnaire, sorti de son extase, ne garde aucune connaissance de ce qu'il a vu.

– Que parlez-vous d'extase et de vision, messieurs? fit la jeune fille avec anxiété. S'agit-il de moi?.. Je me suis endormie sous ce berceau je ne sais comment; je croyais mademoiselle de Lafayette auprès de moi, et c'est vous que j'y aperçois… Ai-je donc parlé dans mon sommeil? Qu'ai-je pu dire?

– Ne vous inquiétez pas, mademoiselle, intervint de sa parole posée, mais pénétrante, Labadie; votre sommeil était celui de l'innocence, et si vous ne vous rappelez rien, nous non plus n'avons rien entendu.

– Rien! insista d'un ton étrange le franciscain.

Mais Henriette éprouvait en elle un trouble, une perturbation exceptionnelle; elle se sentait circonvenue par un mystère. L'expression diabolique des traits du capucin, la gravité attristée du jeune homme, le contact de cette amulette glissée dans son corsage, lui causaient des éblouissements, des secousses vertigineuses, bien naturelles en un jeune cerveau de dix-sept ans, soumis à une épreuve de ce genre.

Le père Joseph hésitait à s'éloigner, il y avait en lui un désir secret de renouveler, en l'absence de son maître, l'expérience d'illuminisme. Mais, possesseur de lui-même, il refréna ce souhait indiscret, dangereux peut-être en ce moment.

Il adressa à Henriette un sourire aussi aimable qu'il le put.

– Ma belle enfant, lui dit-il, nous sommes au désespoir d'avoir troublé votre repos dans notre promenade aventureuse. Excusez-nous.

Puis, prenant le bras de Labadie:

– Frère Jean, c'est l'heure de nous rendre à l'oratoire.

Celui-ci se détourna une dernière fois vers la jeune fille, pour lui adresser un signe de discrétion.

Elle les regarda s'éloigner, gagner le petit parc, disparaître dans le palais, et s'étant assurée qu'elle était bien seule, elle tira avec une curiosité craintive le médaillon, qu'elle tourna et retourna dans ses doigts, toute songeuse.

– Ce morceau de cristal est un talisman, murmura-t-elle. Il l'a dit… et une voix secrète m'assure que cet homme mérite confiance… Avec ceci, je puis pénétrer l'intention la plus cachée, lire dans le cœur le plus fermé… discerner ce qu'on pense de ce qu'on dit…

Elle revint s'asseoir à la place où l'extase l'avait surprise, et demeura longtemps l'œil arrêté sur les roses effeuillées à ses pieds. Elle poursuivait une idée fixe, une aspiration naissante qui soulevait sa jeune poitrine et donnait de vagues contemplations à son œil d'azur.

Mais en elle tout était trouble et sensibilité excessive, ses idées ne se reliaient pas et elle avait peur de les approfondir. On lui avait parlé d'ennemis, de dangers, de songes révélateurs, à elle qui ne haïssait personne, qui vivait heureuse et innocente comme les libellules dont les essaims se miraient dans la pièce d'eau voisine.

Reportant alors son attention sur le morceau de cristal:

– Ainsi, reprit-elle en lui parlant, avec toi je peux connaître si l'on me hait… et si l'on m'aime!..

Elle articula ce dernier mot si bas, si bas, que le talisman même ne dût pas l'entendre.

– Ah! si j'osais!.. soupira-t-elle.

V
L'ATELIER DU LOUVRE

Nous avons expliqué par suite de quelles circonstances la reine-mère habitait alors le Louvre avec le reste de la cour, de préférence à ses autres hôtels ou palais. Celui-ci obtint, du reste, toujours une bienveillance signalée de sa part, et malgré les épreuves cruelles qu'elle eut à y subir, elle contribua puissamment à en déterminer la splendeur, puisque le nom de Marie de Médicis est devenu indispensable du souvenir de ses embellissements.

Installée d'une manière considérable dans l'aile joignant la galerie des peintres ou des tableaux, elle avait autour d'elle toute sa maison, fort importante encore à cette époque; c'est-à-dire, non seulement ses dames et demoiselles d'honneur, les femmes et les gens de son service, mais cet entourage de lettrés et d'artistes qu'elle aimait à soutenir.

Entre ceux-ci, le plus favorisé était son peintre en titre, Duchesne, artiste médiocre cependant, mais qui jouissait alors d'une vogue dont le temps a fait bonne et complète justice.

Non seulement elle l'avait chargé en chef de la décoration de son palais du Luxembourg, où elle lui avait accordé un logement, mais elle avait voulu qu'il eût un atelier près d'elle, dans le Louvre, et les combles de l'aile qu'elle habitait avaient été largement disposés pour cette destination.

Enfin, accumulant faveur sur faveur, elle avait adopté sa fille Henriette, l'avait attachée à sa personne, et la traitait avec une tendresse maternelle.

C'est dans cet atelier du Louvre que nous allons nous transporter.

Le maître peintre, retenu au Luxembourg, n'y était pas venu ce jour-là. Il ne s'y trouvait pour l'heure qu'un de ses élèves.

Une vraie et belle physionomie d'artiste: vingt-quatre ans, la taille haute et pleine, les cheveux et les yeux noirs; les uns soyeux et bouclés sans art, les derniers doux parfois, intelligents toujours, brillants d'inspiration à l'occasion.

Son maintien sérieux indiquait une gravité précoce; sur son front élargi, on lisait une conscience droite, et dans ses contours harmonieux une invariable bienveillance et la modestie du talent.

Nous ne faisons pas un portrait de fantaisie; l'image de ce jeune homme, qui va devenir le héros principal de notre récit, se trouve dans nos musées, et nous nous bornons, quant à ses qualités physiques et morales, à copier le chroniqueur Félibien.

Ami de Poussin, qui entrait comme lui dans la carrière, il était le premier, le plus habile élève de Duchesne, sous lequel il travaillait depuis bientôt cinq ans.

Il était né dans les Flandres, à Bruxelles, et après avoir eu pour maître Feuquières, le paysagiste, il était venu, vers l'âge de dix-neuf ans, se perfectionner en France, où, sans abandonner entièrement la spécialité de son premier professeur, il se livrait volontiers à l'histoire et au portrait.

Son premier protecteur avait été messire Maugis, abbé de Saint-Ambroise, intendant des bâtiments de Marie de Médicis, homme capable, et qui avait, dans les ébauches de l'élève, deviné le grand artiste.

Son œuvre actuelle était une nymphe commandée pour le Luxembourg.

L'ébauche était finie, les détails commencés. Les mains et les pieds se détachaient déjà avec une perfection rare, car ce devait être un des premiers mérites de ce maître à venir.

Cependant, au moment d'achever la main droite, négligemment posée sur une branche d'arbre, tandis que la gauche retenait les plis d'une écharpe emportée par le vent, il s'était arrêté pris d'embarras et d'hésitation.

Quittant son siège, la palette et les brosses d'une main, se faisant un garde-vue de l'autre, il s'était reculé de plusieurs pas, étudiant ses effets et cherchant les lignes qui manquaient à son idéal.

Le peintre, en cet état, est comme le poète absorbé à la poursuite d'une inspiration, isolé de ce qui l'entoure, hommes ou choses.

Le nôtre ne s'aperçut pas que quelqu'un entrait et furetait autour de lui.

Cet atelier, d'ailleurs, était une sorte de lieu de rendez-vous, un salon banal où les beaux seigneurs et les belles dames de la cour venaient volontiers passer quelques instants.

Les tableaux, les statues, les curiosités que Duchesne et ses élèves aimaient à y entasser, en faisaient une exposition permanente. Et puis les princes, le cardinal même, montrant un goût particulier pour l'art de la peinture, il était du meilleur ton de se régler sur eux.

Il était encore très matin, et les visites commençaient d'habitude plus tard.

Il était convenu, d'ailleurs, d'une manière tacite, tout au moins, que les artistes ne devaient jamais se déranger pour ces amateurs; tout au plus quittaient-ils leurs sièges pour recevoir le roi, qui, comme on sait, estimait assez leur métier pour tenter parfois de manier lui-même les pinceaux.

Certes, il serait curieux d'installer aujourd'hui, dans le musée des souverains, le portrait qu'il fit de son premier ministre Richelieu, dans un de ses accès d'affection pour celui-ci; mais, si nous ne nous trompons, les archéologues les plus opiniâtres ont perdu la trace de cette curiosité.

Cette digression à la seule fin de faire bien comprendre les immunités accordées aux peintres dans le Louvre du commencement du dix-septième siècle.

Le visiteur matinal paraissait moins attiré par le désir de voir les tableaux que le personnel de l'atelier.

Son attention se dirigea uniquement sur le jeune artiste, dont il se rapprocha à pas comptés.

Arrivé tout à côté de lui, il profita de sa préoccupation pour le regarder avec une expression singulière, moitié doucereuse, moitié inquiète.

Puis entamant l'entretien:

– Déjà à l'ouvrage, monsieur Philippe? lui dit-il.

– Sa révérence le père Joseph!.. fit celui-ci, tiré de sa méditation. Excusez-moi, mon père, je ne vous avais pas entendu venir, et je ne vous voyais pas.

– Il n'y a pas de mal; ce serait à moi de m'excuser plutôt de vous troubler si matin… Il est six heures à peine.

– En voici deux que je travaille, répondit avec simplicité l'artiste.

– Vous irez loin, si vous continuez cette vie active.

– Mon Dieu, je ne sais, mon père; mais c'est une règle que je me suis imposée de me mettre à la besogne chaque jour dès quatre heures.

– Chaque jour?

– Ah! le dimanche excepté.

– Excellentes dispositions, mon jeune ami; je n'en obtiens pas plus de mes capucins de la rue Saint-Honoré. Si vous n'étiez déjà un habile peintre, vous auriez pu faire un excellent moine.

Le franciscain poussa un petit éclat de rire, peu familier à sa nature, mais le jeune homme répondit avec une gravité singulière:

– Qui sait? je le deviendrai peut-être.

Et il se rapprocha de sa toile, sur laquelle il affecta d'appliquer quelques touches importantes, pour dissimuler le nuage qui venait de monter sur son beau front.

Le franciscain l'observait trop bien, pour être dupe de cet expédient.

Il laissa passer une minute de silence, et se rapprochant du chevalet par un mouvement calculé comme toutes ses allures:

– Voici une figure qui ne témoigne pas d'une grande vocation mystique, reprit-il avec un sourire, à moins qu'il ne faille traverser l'Olympe pour atteindre au paradis…

L'habit que portait l'auteur de cette légère critique l'expliquait sans doute, cependant le jeune homme en éprouva quelque embarras, dont il s'aperçut.

– Eh quoi! reprit-il, vous formaliseriez-vous pour si peu! Oh! je le sais, les amours-propres d'artistes, chose sensible! Mais rassurez-vous, ce n'est pas un blâme que je vous adresse. Je suis, au contraire, un des appréciateurs de votre talent, et je me plais à reconnaître que vous donnez un remarquable aspect de chasteté aux sujets les plus profanes: témoin cette nymphe…

– Mon talent!.. mon père! le talent d'un élève, d'un écolier!.. c'est un trop beau mot pour une si mince affaire.

– Non pas, non pas, fit-il, patelin et insinuant; encore quelques efforts, et vous figurerez au rang des maîtres…

– Vous allez me rendre honteux de mon insuffisance.

– Mon jeune ami, l'excès de modestie est un mal aussi dangereux que l'excès de vanité; vous n'êtes pas entaché de celui-ci, mais défiez-vous de celui-là. Je ne suis qu'un humble capucin, peu expert en beaux-arts, mais la voix publique, qui s'y connaît davantage, s'exprime avec éloge sur votre compte. J'ai admiré ce paysage que vous donnâtes dernièrement à votre ami Nicolas Poussin, et j'ai entendu, à ce propos, quelqu'un dire, à mes oreilles, qu'il ne vous manquait pour vous perfectionner qu'un séjour de quelques années en Italie.

Le paysage offert par l'artiste à son collègue le Poussin était, en effet, une œuvre si remarquable, qu'elle est restée célèbre, et figure parmi les événements de sa carrière, quoiqu'il fût bien jeune lorsqu'il l'exécuta.

Que cette toile eût été distinguée par les connaisseurs, il n'y avait là rien que de naturel; ce qui l'était moins, c'était cette longue conférence du conseiller intime de Richelieu avec ce pauvre petit peintre auquel il n'avait daigné adresser, en toute sa vie le quart des phrases élogieuses qu'il lui prodiguait en ce moment.

Le jeune homme, avec sa franchise innée, ne put s'empêcher de lui en témoigner sa surprise:

– Vous me rendez confus, mon père, et de la part d'une personne telle que vous, occupée d'intérêts si hauts, conseiller d'un premier ministre et d'un roi, cette bienveillance…

– Vous étonne?

– C'est vrai; je crains qu'étant venu ici pour rencontrer maître Duchesne, vous ne songiez à passer le temps…

– En me raillant de son élève!.. Non, certes, fit très gravement le capucin. C'était bien vous, monsieur Philippe de Champaigne, que je tenais à voir.

– En ce cas, mon père, daignez m'expliquer le motif…

– Je viens de vous en toucher un mot. Je ne suis que le dernier des serviteurs de Son Éminence, et mon devoir est de me conformer en tout à ses intentions…

– Son Éminence me connaît!.. exclama l'artiste avec plus d'anxiété que de désir.

Il est présumable qu'élève du peintre de Marie de Médicis, accueilli par la bonté de cette princesse, appartenant par ce côté à sa maison, le jeune Philippe de Champaigne partageait jusqu'à un certain point les idées de sa protectrice pour le cardinal, et craignait tout ce qui venait de lui, fût-ce l'apparence d'un bienfait.

Le franciscain, diplomate incarné, possédait surtout le talent de rendre sa physionomie muette, ou de ne lui faire dire que ce qu'il voulait. La gêne et la méfiance de son interlocuteur n'y produisirent aucune altération.

– Je n'ai pas dit précisément, répondit-il, que monseigneur vous connût, mais que son intention étant de protéger les jeunes talents, je tiens à m'y conformer, en vous aidant en une entreprise chère à tous ceux de votre art.

– Le voyage d'Italie?.. fit le jeune homme en le considérant avec une sorte d'émoi.

Le rusé franciscain affecta de se méprendre sur ce sentiment, et de son sourire le plus paternel:

– Vous l'avez dit, le voyage d'Italie!

– Mon Dieu, pardonnez-moi, je m'abuse sans doute, je comprends mal.

– Vous comprenez fort bien, au contraire. Je souhaite vous faciliter les moyens d'un voyage et d'un séjour de quelques années dans la patrie des beaux-arts et des grands peintres.

L'artiste pâlit à ces mots, et considéra, sans oser répondre, son interlocuteur, dont le sourire, loin de le rassurer, accroissait son tourment.

De telles paroles dans sa bouche équivalaient à une éclatante faveur ou à un ordre d'exil.

Mais la physionomie de cet homme était celle d'un sphynx, sur laquelle un observateur de profession, tel qu'était le jeune peintre, parvenait même rarement à lire.

Dans cette cour soupçonneuse, comme toutes celles où le pouvoir tombe aux mains d'un intrigant ambitieux, les esprits les plus droits, les consciences les plus fermes, ne sont jamais sûres du lendemain. Les manœuvres les enlacent sans qu'ils s'en doutent; on interprète leur abstention, on soupçonne la haine sous leur silence; pour peu qu'ils aient des ennemis, – et le mérite n'en manque pas, – ils ne sauraient se soustraire au sort commun.

Cependant Philippe était bien fort de sa conscience, et comme la paix, ou du moins l'armistice continuait de régner entre le premier ministre et la reine-mère, il ne croyait pas possible qu'on interprétât à mal sa reconnaissance pour cette princesse.

– Mon père, répondit-il, avec cette douceur un peu triste qui était le fond de son caractère, je ne vous ai rien fait. Je suis un humble apprenti en peinture, étranger à toute question de palais ou politique. J'honore la personne et le rang de monseigneur le cardinal, et si les bienfaits de Sa Majesté la reine-mère m'attachent à son service, chacun sait avec quel soin je me suis toujours tenu en dehors de toute intrigue.

– Rassurez-vous, je sais tout cela, et je n'ai rien dit, ce me semble, qui motive une si chaude justification.

– C'est vrai; mais je suis timide, un peu sauvage, si vous voulez; j'ai peur de l'inconnu. L'éloignement m'alarme. Je vis solitaire, inaperçu dans ce Louvre. Sans vous, je n'aurais pas soupçonné que monseigneur le cardinal connût seulement mon nom obscur.

«Mon père, vous êtes tout-puissant, eh bien, reportez sur quelqu'un de plus digne la faveur que vous m'offrez; quant à moi, faites seulement qu'on ne s'aperçoive pas de ma présence ici.

«Vos paroles et votre regard expriment l'intérêt; ne me refusez pas cela; vous ne sauriez être mon ennemi, enfin?»

– Votre ennemi! non certes, je ne le suis pas.

Ici la voix du franciscain prit une inflexion plus nette et plus imposante.

– Vous vous méprenez sur mes desseins comme sur mon influence. Mon jeune maître, n'oubliez jamais ceci: Si un jour quelque danger suprême vous menaçait, je serais là, au-dessus du cardinal, au-dessus du roi, pour vous protéger peut-être.

L'artiste le regarda avec une stupeur extrême, car cette fois il n'y avait pas à mettre en doute sa sincérité; le moine patelin avait disparu pour une minute.

– Oui, poursuivit-il, frappant un dernier coup pour déterminer la confiance de son interlocuteur, – moi qui ne suis, qui ne peux rien, en cette unique circonstance j'aurais quelque crédit peut-être… Eh bien! par cette protection que je vous atteste, croyez-moi, partez pour l'Italie… ce sol ne vaut rien pour vous.

– Je crois à votre intérêt, à votre sincérité, mon père, et cependant l'obéissance m'est difficile, impossible!

– Impossible!..

– Ceci est un des intimes secrets de mon âme. Lorsque mourut ma mère, elle m'attira vers elle sur le lit d'agonie, où ses forces épuisées lui permettaient à peine d'articuler quelques mots, et je n'oublierai pas les derniers qu'elle prononça:

«Va, me dit-elle, va, mon fils, vers la France… Toutes les douleurs, tous les regrets de ta mère sont là… Si Dieu est juste, c'est là aussi qu'il te tiendra compte de ce triste héritage, et qu'il te paiera en bonheur et en gloire…»

– Que voulait dire votre mère, par ces mots pleins de réticences? demanda le père Joseph, en interrogeant le jeune peintre.

– Je ne pus le savoir; comme elle achevait cette confidence, un dernier hoquet contracta sa poitrine, ses lèvres s'agitèrent sans articuler aucun son, son regard s'éteignit… elle était morte!

A ce souvenir, Philippe couvrit son visage de ses mains; mais, chose étrange, l'œil du franciscain lança un éclair, et sa poitrine poussa un soupir de soulagement.

– Remettez-vous de ces impressions pénibles… fit-il, revenant par nature à son ton cauteleux et insinuant.

– Vous voyez bien qu'il faut que je reste en France, reprit l'artiste; c'est un devoir… Ma mère ne peut pas avoir menti; car ma mère était une sainte…

Et tirant de son pourpoint un médaillon, il le baisa avec ferveur.

La prunelle du franciscain acheva de s'allumer sous ses sourcils grisonnants.

– Ce médaillon, prononça-t-il, c'est un portrait?

– Le sien.

– Son portrait!.. Eh bien, écoutez, j'y consens, vous resterez, je vous protégerai; mais ce médaillon, il me le faut.

Philippe le pressa dans sa main, comme si l'on tentait de lui enlever un trésor.

– Le portrait de ma mère!

– Il me le faut, vous dis-je!

– Jamais!

– Enfant, prenez garde!.. Ne me croyez-vous plus votre ami?

– Si vous êtes mon ami, laissez-moi mon bien! Qu'en feriez-vous, d'ailleurs?

Le père Joseph hésita avant que de répondre; puis, d'un ton d'aigreur qui eût troublé l'âme d'un familier de la cour plus au fait que l'artiste de son influence et de son esprit de rancune:

– Soit! répondit-il, conservez-le, c'est d'un bon fils; mais, sur votre tête, prenez garde qu'il tombe jamais sous les yeux d'un autre que moi!

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain