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Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 25

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– Votre Majesté veut parler de ces cris?..

– Précisément.

– Qu'elle se rassure, l'accident n'aura pas de suites… de suites fâcheuses, du moins, se reprit-il en clignant de l'œil vers le cardinal.

– Un accident?

– Oui, madame. Votre Majesté a peut-être aperçu un tourbillon de chasseurs où se trouvaient madame la duchesse de Chevreuse, M. de Châteauneuf, leur inséparable ami le chevalier de Jars et mademoiselle de Lafayette?

– En effet… j'ai même vu le roi prendre la même direction.

– Une cavalcade échevelée, désordonnée, dont j'ai voulu être, et qui a failli rendre tous nos chevaux fourbus… La duchesse et Châteauneuf étaient surtout emportés par deux bêtes intrépides, qui les entraînaient côte à côte en avant, à travers buissons et halliers, si bien que nous les perdions de vue la moitié du temps.

Cette révélation fit froncer le sourcil haineux et jaloux du cardinal, et amena un sourire imperceptible aux lèvres de la reine.

Boisenval feignit de ne rien apercevoir.

– Ce fut dans un de ces instants que le roi apparut au milieu de nous, bondissant par longs élans, comme le plus fort écuyer du royaume… Ah! Sa Majesté était magnifique à voir… insinua l'hypocrite; l'œil animé, le teint coloré, le maintien plein d'ardeur, telle qu'elle devait être à la bataille de Royan, où elle affronta trois fois les boulets ennemis.

– Nous connaissons l'histoire, dit avec un peu d'ironie Anne d'Autriche.

– C'est pour expliquer à Votre Majesté, reprit le narrateur, qui avait son but, que l'on eût juré que le roi allait livrer un nouvel assaut à une place très forte… J'abrège, puisque Votre Majesté le désire. Sa cavale vint s'arrêter juste auprès de celle de mademoiselle de Lafayette… et chacun d'applaudir à la précision de cet arrêt, au milieu d'un pareil élan. «Le roi était radieux.»

– Vous l'avez déjà dit, fit observer la reine.

– Il adressa un sourire plein de grâce à la belle amazone, un peu intimidée par cette surprise flatteuse, et s'étonna de ne pas trouver la duchesse près d'elle. En apprenant qu'elle venait de disparaître derrière un taillis. – «Eh bien, mademoiselle, dit-il, allons la rejoindre.»

«Et sur ce mot, le voilà reprenant son temps de galop, mais en compagnie de la jeune écuyère, avec laquelle il ne tarda pas à se dérober à nous, absolument comme la duchesse et Châteauneuf.»

– C'est d'une inconvenance… gronda sourdement le cardinal.

Mais il n'acheva pas, il venait de remarquer le sourire provoqué par son dépit sur les traits de la reine.

– Ils filaient d'un tel train, poursuivit Boisenval que personne ne s'avisa de les suivre; d'ailleurs, ils ne nous en avaient pas priés.

– Un tête-à-tête! murmura très bas le cardinal.

– Mais tout à coup un grand cri nous arrive; nous faisons halte, et nous pénétrons dans une allée inextricable, un vrai labyrinthe, où nous trouvons le roi qui avait mis pied à terre, soutenant mademoiselle de Lafayette, qu'un faux pas de son cheval avait jetée sur le talus.

– Blessée? demanda la reine.

– Contusionnée à peine… fit le narrateur avec son sourire à deux tranchants.

– Ah! soupira la reine comme soulagée d'une grande appréhension; cette pauvre Louise!.. vous m'avez fait une peur!..

– Que Votre Majesté se rassure; le roi est si bon, si bienveillant! Il en a eu soin comme un frère. Il n'a pas voulu remonter à cheval; voyant qu'elle boitait légèrement, il a exigé qu'elle s'appuyât sur son bras, et c'est lui qui la ramène ainsi, doucement, très doucement, vers cette avenue, où il compte trouver une voiture pour la mettre…

– Eh mais, il a raison, et voici la mienne. A la chasse, l'étiquette perd ses droits, n'est-il pas vrai, Éminence?

Richelieu s'inclina avec une grimace que la reine feignit de prendre pour un assentiment.

Il fallut qu'il en passât par là, et partageât sa place dans le carrosse royal avec celle qu'il regardait déjà comme sa rivale dans la faveur du maître.

La position était rude pour un homme de sa trempe; les ambitieux croient aisément les autres travaillés de leur mal.

On juge comment il acheva la promenade, et de quelle façon il passa le reste de cette maudite journée, qui avait, à sa barbe, rapproché Châteauneuf de la duchesse, et le roi de Louise.

Il rentra le lendemain au Louvre la tête perdue, et faillit se fâcher contre son fidèle conseiller, le père Joseph, qui prenait cette confidence avec un calme imperturbable, sinon même un peu sardonique.

– Quoi! s'écria-t-il, toi aussi, tu me trahis!..

– Vous n'en pensez rien, répliqua avec assurance le franciscain; je m'étonne simplement qu'un grand esprit comme le vôtre se tourmente si fort pour une petite fille.

– Une petite fille qui peut devenir notre tyran à tous.

– Je n'en crois rien.

– Si le roi l'aime, enfin!.. et il l'aime!..

– C'est possible, mais elle, aime-t-elle le roi?

– On aime toujours un roi!..

– Oh! oh! c'est selon; les ministres, oui; les courtisans, sans aucun doute; les grandes dames blasées, c'est certain; mais une fillette de dix-huit ans, qui se plaît à rêver aux étoiles…

– Aimerait-elle ailleurs, enfin?

– Peut-être oui, peut-être non!.. Qui sait ce que pense la plus naïve?

– Tu me fais mourir, avec tes énigmes!

Il se leva brusquement de son siège et se mit à arpenter à grands pas sa chambre, se parlant tout haut à lui-même, comme il lui arrivait dans ses heures de perplexité.

– Quelle situation!.. quel tracas!.. Partout des ennemis; partout des pièges!.. Cette duchesse qui me brave avec son amour!.. cette petite coquette dont le roi s'amourache… ce tourment intime que je porte en moi… Ah! c'est pour l'heure que j'aurais besoin des lumières d'un prophète!..

– Le prophète est là… lui dit froidement le père Joseph, saisissant cette parole au vol.

– Tu dis?

– Ce visionnaire…

– Il n'est pas reparti?

– Monseigneur, j'ai beaucoup observé ce jeune homme. Inspiré, adepte d'une science inconnue, ou faux prophète, il porte avec lui une autorité qui impose… Quand on tient de tels hommes, on ne les lâche pas.

– Ah! je te reconnais là, mon fidèle! lui dit le cardinal avec admiration; mais pour que tu aies agi ainsi, il faut que cet homme vaille mieux et puisse plus que je n'avais pensé… Je veux le consulter une seconde fois… Qu'on l'amène!

VIII
UN ROMAN COMPLIQUÉ

Lorsque le père Joseph revint avec frère Jean Labadie, la chambre du cardinal était déserte; sa barrette rouge, abandonnée sur sa table, indiquait son absence.

Le pâle jeune homme se laissa conduire sans interroger.

Il promena lentement son regard verdâtre autour de cette pièce somptueuse, et le ramena sur la barrette, où il s'arrêta pensif.

– Nous sommes arrivés, frère Jean, lui dit son guide, dont l'œil soupçonneux saisissait tous ses mouvements.

– Que veut-on de moi, mon père? demanda-t-il sans détacher son attention de la coiffure habituelle du cardinal.

– L'autre fois, c'est monseigneur qui vous a consulté; aujourd'hui, c'est moi qui souhaite user de vos lumières.

– A quoi bon, puisque vous n'y croyez pas?

– Qu'en savez-vous?

– Au fait, depuis une semaine vous me retenez prisonnier dans cette cellule, dont vous vous êtes constitué le gardien… dans quel but, si vous me considérez comme un insensé ou un menteur?

– Votre première épreuve n'a pas convaincu le cardinal, mais peut-être, plus faible d'esprit que lui, j'en ai été ébranlé. Rien n'est impossible à Dieu, et je souhaite m'assurer qu'il vous inspire, comme disent ceux qui vous connaissent.

– Et vous commencez par m'emprisonner? prononça froidement le jeune homme.

– Une prison bien douce, convenez-en, auprès de celle que la Chambre ardente et le Parlement imposent aux nécromans, aux astrologues sacrilèges et aux démoniaques.

Une sorte de sourire, pâle comme son visage, mystérieux comme l'étrange reflet de ses prunelles, glissa sur ses lèvres.

– J'accomplis une mission, dit-il, et je sais qu'à l'heure où celui qui m'envoie l'ordonnera ainsi, ni les tortures, ni les bûchers ne m'atteindront, car les portes de vos cachots les plus sûrs s'ouvriront d'elles-mêmes, comme s'ouvrirent jadis les souterrains de Rome à la voix de l'archange qui délivra l'apôtre.

«Mais à cette heure, je suis en votre pouvoir par la volonté des chefs auxquels j'ai promis soumission. Ils m'ont ordonné de vous obéir comme à eux-mêmes: commandez.»

Et, sans s'émouvoir, il s'assit dans le fauteuil qu'occupait d'ordinaire le ministre, et parut attendre.

Le confident sans foi ni loi, l'âme damnée de Richelieu, sentait en lui un trouble indéfinissable en présence de cette gravité et de cette parole solennelle dans son calme.

Il comprenait que ce n'était point là le maintien ni le ton d'un homme vulgaire, et il s'expliquait l'influence exercée par lui, même sur les intelligences austères de ses supérieurs.

C'était un faux apôtre, sans doute, mais c'était un apôtre; et le père Joseph se demanda un instant, comme devaient le faire plus tard les docteurs sévères, imbus des traditions et des disputations théologiques en vogue alors, si ce novateur n'était pas l'Antechrist.

Ne nous moquons point de ce doute ni de cette hésitation. Reportons-nous seulement à cette époque de démoralisation et de superstition tout ensemble. Rappelons-nous que Richelieu faisait brûler les sorciers et les magnétiseurs, et, consultant l'histoire, constatons ce qu'avait de surnaturel, de mystérieux et d'étrange ce jeune homme, qui commandait à l'extase et qui osait déjà poser les bases d'une religion nouvelle.

Il est présumable aussi, pour rentrer dans le cadre de notre histoire, que les premières expériences du jardin de la reine-mère avaient éclairé comme des révélations certains doutes de l'Éminence grise sur les accès de tristesse ou de remords de son patron.

– Ne croyez point, dit-il, que je prétende abuser de votre soumission. Je vous ai confiné dans mon propre logement pour vous tenir à l'abri des curieux et des importuns. Je ne dédaigne pas vos facultés, puisque j'y ai recours, et quand vous retournerez vers vos pères d'Amiens, je veux que vous y retourniez content.

Cette déclaration fallacieuse n'abusa pas le jeune apôtre, qui répondit avec simplicité:

– Faites venir cette jeune fille que vous m'avez montrée, je suis prêt à l'interroger.

Le franciscain avait tout prévu, et Desnoyers, le valet de chambre du cardinal, introduisait en ce moment même Henriette Duchesne, qu'il était allé chercher sous un prétexte quelconque.

A la vue seule de frère Jean, elle ressentit une commotion singulière; elle hésita sur le seuil et porta la main à son front, pour ressaisir ses idées.

– Venez, ma belle enfant, lui dit le père Joseph, en lui prenant la main et en l'attirant.

Ce contact lui causa une impression désagréable, mais ayant regardé le jeune homme, elle prit confiance dans son sourire amical et doux, et se laissa conduire au fauteuil qu'il venait de quitter.

Pendant qu'elle échangeait quelques mots avec le père Joseph, il passa derrière son siège, et son front s'imprégnant tout à coup d'une ardeur profonde, son œil s'irradiant en un rayonnement prestigieux, il étendit ses deux mains au-dessus de sa tête.

Le résultat fut bien plus rapide que la première fois.

Le mot commencé expira sur ses lèvres, ses paupières se fermèrent sans effort, et un long soupir annonça qu'elle entrait dans le sommeil extatique.

A partir de cette expérience, frère Jean pouvait désormais, quelle que fût la distance, quels que fussent les obstacles, commander à cette nature assouplie, et provoquer en elle, où qu'elle se trouvât, les phénomènes du somnambulisme et de la vision.

– Que souhaitez-vous lui demander? dit-il au capucin.

Celui-ci avait évidemment son thème arrêté d'avance.

– Peut-elle s'expliquer sur le compte d'une dame dont la conduite politique occupe Son Éminence?

– N'exigez pas cela! répondit-elle en s'agitant. Ce n'est pas une, ce sont deux femmes que le cardinal poursuit… et ces femmes, je les vois, ce sont mes amies… Louise surtout… Ah! ce cardinal, il fera le malheur de tout ce que j'aime!

– Qu'elle parle encore, ordonna le père Joseph.

– Il les perdra! dit-elle, obéissant avec une espèce de rage intérieure à la pression exercée sur sa volonté, mais elles le haïssent trop pour l'aimer jamais ni l'une ni l'autre.

Ici, une des draperies qui retombaient sur les portes, celle de l'escalier dérobé, s'agita.

Mais ni frère Jean ni le franciscain ne s'en aperçurent, et celui-ci reprit:

– Pourquoi cette haine de la première de ces femmes?

– La première, répliqua la jeune fille avec un accès de désespoir, c'est la duchesse de Chevreuse, qui s'entretient en ce moment, avec monseigneur de Châteauneuf, de l'amour du cardinal.

Le père Joseph devint livide, et tourna machinalement un regard inquiet sur la tenture, dont les plis étaient redevenus immobiles.

– Mon père, implora frère Jean, ceci ne vous suffit-il pas? Voyez, cette enfant souffre d'étranges tortures à cet interrogatoire.

– Si vous voulez me convaincre, répondit l'implacable moine, il faut aller jusqu'au bout… Que fait la seconde de ces femmes, et qui aime-t-elle?

La poitrine de Henriette se souleva, houleuse comme l'océan battu par la tempête; ses bras se tordirent convulsivement, de grosses larmes descendirent le long de ses joues, et d'un accent qui navrait l'âme:

– Louise! s'écria-t-elle, oh! non, je vois mal!.. Maître, arrachez-moi à cette apparition odieuse… maître, je vous en supplie, faites cesser ce supplice… Louise!.. mon amie la plus chère… Philippe!.. Philippe!.. Philippe!..

Et ce nom jeté trois fois comme un appel suprême, elle retomba anéantie, à ce point que le père Joseph même en demeura tout haletant.

– C'est assez, n'est-ce pas, mon père; je vais la réveiller?

– Plus qu'un mot.

– Quoi!.. vous exigez encore…

– Qu'elle explique pourquoi, dans son extase, elle éprouve tant de répulsion pour monseigneur le cardinal, qu'elle voit avec plaisir quand elle est éveillée.

Frère Jean prit sur la table la barrette, et la faisant toucher à la visionnaire:

– Parlez, continua-t-il.

Elle se dressa tout debout, ainsi qu'un cataleptique ou un cadavre, en une seule pièce, et étendant sa main raidie vers la tenture:

– L'homme rouge, dit-elle, notre ennemi à tous, il est là!..

Et en effet, un long bras rouge écarta la draperie, et Richelieu, pâle et sombre, se démasqua de la retraite où il avait voulu tout observer sans être vu…

La jeune fille était retombée sur le fauteuil, comme un arc détendu après un effort terrible.

Il considéra d'un air pensif ce tableau, et s'adressant à l'opérateur:

– Ceci fini, elle ne se rappelle rien?..

– Rien, monseigneur, heureusement! Si elle se rappelait, ne croyez-vous pas, comme moi, qu'elle aurait horreur d'elle-même; car, si j'ai bien compris, elle a trahi ses alliés les meilleurs… Peut-être pis encore, peut-être a-t-elle vu des traîtres dans ses amis!

– Et comment expliquez-vous cette vision et cet oubli?

– Comme une anticipation sur la vie immatérielle, qui sépare notre âme de notre corps. Si notre âme, ainsi que l'ont avancé quelques philosophes, a déjà passé par une ou plusieurs existences antérieures, cette vision est un retour sur cette période écoulée, saisissable seulement quand l'engourdissement de nos sens laisse la liberté à leur captive. Dès que les sens renaissent, l'idéalité s'évanouit, et de cette existence factice et subtile il ne reste rien, pas même la mémoire.

– Hum! murmura le cardinal, vous êtes ténébreux comme un oracle, et je ne sais jusqu'à quel point tout ceci concorde avec l'orthodoxie… Mais cette faculté de provoquer l'extase et la vision, pouvez-vous la transmettre, est-ce une science qui s'apprenne?

– C'est un don d'en haut, monseigneur, Dieu seul le dispense.

Richelieu réfléchit une seconde, puis s'adressant à l'évocateur:

– Réveillez cette enfant; c'est assez pour aujourd'hui.

Frère Jean souffla imperceptiblement sur le front d'Henriette, qui s'éveilla, comme l'autre fois, toute confuse et toute étonnée.

Le cardinal la chargea d'une commission artistique pour son père.

Le père Joseph reconduisit le jeune homme à sa cellule, sans que celui-ci manifestât aucune résistance. Seulement, sur le point de voir la porte aux panneaux ferrés se verrouiller sur lui:

– Mon père, dit-il, souvenez-vous de mes paroles: lorsqu'il conviendra au maître que je sers de me tirer de ce lieu, les serrures et les grilles s'écarteront d'elles-mêmes… Le cardinal, préoccupé d'autres soins, n'a rien compris au cri parti du fond des entrailles de cette jeune fille, mais vous avez tressailli, vous… car vous avez saisi le secret de votre maître, et, plus avancé que lui, vous possédez le mot qu'il use sa vie à chercher. Cela ne vous suffit-il pas? Pourquoi cette prison où vous me confinez?

– Frère Jean, répondit doucereusement le capucin, vous oubliez toujours que vous êtes ici, non pas un captif, mais un hôte. Seulement vous êtes un hôte précieux, et ce qui est précieux, on le cache.

Sur ce beau raisonnement, il tourna la clef et remonta près du cardinal, qu'il trouva dans une agitation extrême.

– Il y a quelque chose, dit-il aussitôt qu'il l'aperçut. Ce jeune homme possède une puissance occulte qu'il serait inutile de méconnaître. Cette consultation confirme mes doutes. Je suis entouré d'ennemis. Des gens hardis conspirent contre moi. Le nieras-tu?

– Non, certes, Éminence. Mais que craignez-vous? Vous êtes sur la voie, et vous détenez la force.

– Cette orgueilleuse et indomptable duchesse! gronda-t-il les dents serrées de dépit et d'envie; ce beau garde des sceaux! Une femme que j'ai placée près de la jeune reine; un homme qui me doit sa position!.. Je saurai le fond des choses. Si cette petite rêveuse a dit vrai, malheur à eux!

– J'ai déjà détaché Boisenval à leurs trousses. Avant peu nous connaîtrons la vérité.

– Cette duchesse! répéta Richelieu, s'animant dans sa colère; sais-tu qu'hier, pas plus tard, animé pour elle-même d'une sympathie insensée, je lui ai fait tenir une lettre!

– Mauvaise inspiration que vous n'eussiez pas exécutée si vous eussiez pris mon sentiment.

– Sermonne à ton aise, la sottise est faite.

– Vous lui parliez en tendre cavalier, et lui demandiez une entrevue?

– Je lui donnais à comprendre que ses ennemis cherchaient à la desservir, à l'entraîner en de méchantes affaires, et que tous ses intérêts devaient la rapprocher du seul homme qui l'aimât véritablement.

– Toujours la tête et les passions de vingt ans! Il faut ravoir cette lettre… à tout prix… Nous l'aurons.

– Si pourtant, fit le cardinal avec une de ces hésitations familières aux amoureux, – si nous nous trompions… si elle allait me répondre… venir peut-être?..

– Y songez-vous?

– Rien n'est perdu; ne précipite rien.

– Je le disais bien, grommela le confident, toujours vingt ans!

– Une autre chose presse.

– Laquelle?

– N'as-tu pas été frappé comme moi de l'accent dont cette jeune fille prononce à tout propos, et surtout à propos de mes affaires, le nom de ce Philippe?

– Et je vous en ai expliqué clairement la raison, répondit avec une précipitation singulière le père Joseph. Ces fillettes ont toujours un garçon en tête, et celle-ci mêle à ses rêves le nom de celui qui lui plaît.

– C'est possible, c'est vraisemblable; mais je veux voir ce jeune homme.

– Vous, monseigneur? A quel propos?

– Je le veux.

– Ce ne sera pas pour aujourd'hui, du moins, car il n'est pas venu à l'atelier du Louvre; maître Duchesne le retient en ce moment au Luxembourg.

– Et demain?

– S'il n'est pas ici, on peut le mander; quoique, en conscience, ce soit attacher à ce mince barbouilleur une importance…

– Moindre qu'il ne la mérite peut-être. Tu me reproches d'être trop jeune… dois-je te reprocher de vieillir? N'as-tu pas remarqué comme son nom s'est trouvé mêlé à celui de Lafayette et de tous mes ennemis?

– Sur ce point, du moins, affirma le capucin, tranquillisez-vous; je connais ce jeune homme, la politique est le dernier de ses soins; il n'a qu'une ambition, celle de devenir le premier de son art.

Richelieu entrevit une vague réticence dans ce langage et cette conduite de son confident. Il fixa sur lui son œil interrogateur.

– Tu me caches quelque chose. D'où vient ta répugnance à me laisser voir ce jeune homme?

– C'est, reprit le franciscain, habile à fabriquer des prétextes et cherchant, par extraordinaire, à tromper son patron, c'est que, s'il ne conspire pas, il est cependant indigne de vous intéresser.

– Qu'en sais-tu?

– Son maître ne fait nul cas de lui, et malgré ses belles paroles sur l'amour de l'art, je lui soupçonne un vif amour pour la créature; car ayant voulu l'encourager et lui faciliter le voyage d'Italie, sans lequel il n'y a pas de véritable peintre, je n'ai essuyé qu'un refus obstiné, qui m'a mis fort mal avec lui.

– Eh mais! fit le cardinal, tu le connais décidément… Il suffit.

Le père Joseph vit bien qu'il n'y avait rien à gagner, et malgré sa répugnance inexplicable à laisser s'opérer cette rencontre et ses efforts à éloigner Philippe de la cour, il se retira sans soulever des objections nouvelles, qui n'eussent fait qu'exciter la méfiance du maître.

Tandis que ceci se passait dans une des ailes du Louvre, il se tenait dans une autre, au fond des appartements de la reine-mère, un conclave qui n'eût pas manqué de causer bien du souci au cardinal et à son confident s'ils eussent pu le soupçonner.

Les membres qui le composaient étaient Marie de Médicis, implacable dans ses rancunes contre l'ingrat Richelieu; le duc Gaston, frère du roi, qui passait les trois quarts de sa vie en exil et le reste en rapports irritants avec Louis XIII et le premier ministre; puis la duchesse de Chevreuse, Châteauneuf, de Jars, Bassompierre et les deux Marillac, Michel et Louis, l'un magistrat, l'autre maréchal de France: c'est-à-dire l'élite des adversaires de Richelieu.

En sortant de cette réunion, où l'on n'avait pas travaillé dans l'intérêt du ministre omnipotent, on peut le croire, la duchesse eut la fantaisie de faire un tour, en compagnie de ses deux cavaliers, dans l'atelier de Duchesne.

Une jeune fille s'y trouvait seule, qui ne les entendit pas tout d'abord, ce qui leur permit de la considérer à loisir.

Debout devant le chevalet, sur lequel se montrait la nymphe de Philippe, elle contemplait cette peinture avec une attention admirative.

Cette jeune fille n'était pas Louise de Lafayette, mais Henriette Duchesne, son amie. Elle s'était glissée là en revenant de chez le cardinal.

– Eh! bonjour, chère enfant, lui dit la duchesse; que faites-vous ici toute seule?

– Un acte d'indiscrétion, répondit-elle en rougissant; en l'absence de mon père et de ses élèves, je visitais l'atelier.

– Oh! oh! interrompit Châteauneuf, voici une toile qui a pris forme. Notre jeune peintre a fort travaillé depuis quelques jours. C'est un garçon de talent, sur ma foi!

– N'est-ce pas, monseigneur? dit Henriette avec précipitation.

– Par la mordieu! exclama de Jars, voilà qui est bien plus intéressant… Pardon, mademoiselle, laissez-moi vous considérer un peu… là… de trois quarts… Eh mais! c'est parfait!.. Vous avez posé, je gage, pour ce tableau.

– Moi, monseigneur? Je vous assure…

– Pourquoi vous excuser, ma chère petite? fit la duchesse en passant amicalement son bras autour du sien; M. Philippe aurait pu prendre un modèle moins charmant.

Le fait est que la peinture rappelait de la manière la plus gracieuse l'expression de physionomie de la jeune fille.

– Duchesse, fit le chevalier quand il se vit hors de portée de l'oreille du gentil modèle, volontaire ou non, vous souvenez-vous de ce que je vous disais l'autre jour à propos de ce tableau?

– Sans doute: vous vous faisiez fort de désigner l'objet des amours du peintre quand il aurait éclairé les yeux de son image. Eh bien?

– Eh bien, les mains sont toujours celles de mademoiselle Louise, mais les yeux sont ceux d'Henriette. Et le plus piquant, c'est que nous trouvons aujourd'hui cette petite en admiration près du chevalet, comme l'autre y était ce jour-là… Quel est votre avis sur tout ceci?

– Ah! pardon, c'est le vôtre que nous attendons.

– Le mien? Eh bien, c'est que ces deux demoiselles à la fois sont amoureuses de ce garçon, et… qu'il les aime toutes les deux.

– Un beau roman! dit Châteauneuf en riant.

– Et qui peut servir entre des mains habiles, prononça sur un ton beaucoup plus sérieux la duchesse.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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