Читайте только на Литрес

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 38

Yazı tipi:

XXVIII
COURSE AU CLOCHER

Nous avions laissé nos deux voyageurs occupés du bruit de l'escouade, qui venait s'adonner juste à cette auberge du Soleil levant, où ils se disposaient à achever un repas bien gagné par de rudes fatigues.

– Pourquoi diable aussi, dit le chevalier moitié riant moitié soucieux à la duchesse, pourquoi vous êtes-vous avisée de donner dans la prunelle à madame Madelon, pour rendre son mari jaloux!

– Eh! vous en parlez bien à votre aise, cher ami, répondit-elle, avec une promptitude de riposte qui témoignait que pas plus que lui elle n'avait perdu sa bonne humeur dans le danger; il vous fallait alors prévoir ce qui arrive; à la place de ces hauts-de-chausses masculins, j'eusse mis ma robe de cour, et, au lieu de séduire madame Gignoux, j'eusse énamouré son époux.

– Oui, mais en attendant, vous avez rendu le mari stupide…

– Oh! je n'ai pas eu grand'peine à l'achever…

– Et si la femme découvre que nous nous sommes joués d'elle, il y a probabilité qu'elle va se mettre de son côté…

– Vous parlez comme un professeur de logique à la Sorbonne; et votre conclusion?..

– C'est qu'il faut brûler la politesse à tous ces marauds, et que, ne pouvant sortir par la porte…

– Il faut descendre par la croisée.

– C'est donc aussi votre avis?

– Absolument.

– Alors aidez-moi.

– Elle alla résolument tirer les draps de l'un des lits.

– Que faites-vous?

– Eh quoi! vous, un prisonnier émérite de la Bastille, vous le demandez? Une corde pour descendre; vous ne voulez pas, peut-être, que nous nous rompions le cou à exécuter un saut périlleux d'ici en bas?

– Vous mériteriez de porter à tout jamais ce costume; je ne connais pas d'homme qui en soit plus digne.

– Flatteur! vous ne m'avez vue qu'à cheval; mais si vous me voyiez à tous les exercices gymnastiques, la chasse, la pêche, la rame, et la natation surtout!.. Ah! c'est que j'ai reçu une éducation complète…

Tout en causant, ils ne perdaient pas une minute. A l'aide d'un couteau, ils taillaient le drap en bandes, pour les nouer l'une à l'autre, lorsque leur hôtesse, qu'ils oubliaient, reparut tout à coup.

– Voilà de belle besogne!.. fit-elle en saisissant un bout de l'échelle improvisée.

– Madame… commença à implorer la duchesse, reprenant son rôle galantin.

Mais l'hôtelière la repoussa, sans trop de brusquerie pourtant, et la menaçant du doigt:

– Ah! l'on s'est raillé de moi!.. et de mon mari! Mais je sais tout, et je vais me venger!..

– Si jolie, vous ne pouvez pas être méchante! dit la duchesse.

– Ta! ta! ta! à d'autres, vos drôleries! On vous connaît, vous dis-je!

– Vous n'avez donc pas d'entrailles! lui dit le chevalier.

– Vous vouliez partir par la croisée, mes beaux amis, et avec un escalier de cette espèce?..

– On sort comme on peut; si vous étiez à notre place…

– Je ferais comme vous, c'est possible. Mais je n'y suis pas, et, ma foi, il ne fallait pas vous laisser prendre.

– Voyons, reprit le chevalier, en portant la main à sa poche, est-ce qu'il n'y a pas moyen d'arranger cela?..

– Fi donc! pour qui me prenez-vous? mon mari vient de se faire payer pour vous livrer.

– Eh bien, recevez ces quelques louis pour nous laisser partir, vous aurez fait chacun votre journée!

– Je suis une honnête femme!

– Sangdieu! jura de Jars, je donnerais bien tout ce que je possède pour que vous fussiez un homme, même malhonnête! quel bonheur j'aurais à vous bâillonner…

– A la bonne heure! vous vous fâchez!.. Eh bien! non, fit-elle en menaçant de nouveau la duchesse, je ne suis pas si méchante que cela! Mon mari est en train de vous vendre, moi je vous sauverai.

– En vérité!

– Ai-je donc l'air de mentir!.. Vous ne me faites pas l'effet de deux malfaiteurs bien dangereux… deux amoureux qui se sauvent? Hein, n'est-ce pas cela? Et l'on veut vous remettre à quelque époux féroce! Pas du tout! pas du tout! Vous m'intéressez; les amoureux m'intéressent toujours! Mais de la prudence!

Ce n'était pas le cas d'expliquer à l'excellente femme qu'elle se trompait sur la nature du délit reproché aux fugitifs. Celui qu'elle leur prêtait les rendait bien plus charmants à ses yeux.

– Je ne veux pas que vous vous serviez de ça, fit-elle en montrant avec dédain le drap de lit. Je vais aller dans la cour mettre une vraie échelle à la croisée que voici. Tenez-vous prêts, car il n'y a pas de temps à perdre.

Un instant après, grâce à ce secours inespéré, ils descendaient tranquillement de leur prison.

Mais il fallait partir: nouvel embarras, leurs chevaux ne tenaient pas debout!

Le chevalier eut bien vite trouvé un expédient. Il pénétra dans l'écurie, harnacha les deux meilleures bêtes de l'escouade, aida sa compagne à se mettre en selle, et, avant de s'y mettre lui-même, visita d'une façon assez singulière les arçons des selles restantes.

Ce qu'il y fit, nous ne saurions le dire encore; mais il est certain qu'en le voyant, madame Gignoux riait à gorge déployée.

Il voulut enfin la forcer d'accepter un gage de leur reconnaissance; mais, renonçant à vaincre ses refus, il la prit à bras-le-corps et l'embrassa sur les deux joues; puis, il s'élança sur son cheval.

Elle ouvrit alors discrètement la porte charretière; une minute après, ils adressaient à leurs ennemis les adieux que nous connaissons.

– A cheval!.. aux armes!.. vociférèrent ensemble Boisenval et son second.

Ce fut à qui se précipiterait dans l'écurie; mais on ne tarda pas à constater l'enlèvement des deux bons chevaux et la substitution de malheureuses bêtes que tous les coups de cravache ne parvinrent pas à faire tenir debout.

L'escouade, forcément réduite du tiers de son effectif, se trouva néanmoins assez vite en mesure, et se lança à bride abattue, à travers une obscurité presque complète, dans la direction où les fugitifs venaient de disparaître.

De part et d'autre, dans le silence profond de la nuit, on ne tarda pas à distinguer le bruit des chevaux, et chacun redoubla d'ardeur, les uns pour gagner du champ, les autres pour les atteindre.

Si des paysans attardés aperçurent ces deux cavalcades furieuses, bondissant à travers la campagne, franchissant les haies, brûlant les chemins, incendiant du fer de leurs chevaux les cailloux des sentiers raboteux, avec un cliquetis d'acier, des imprécations sauvages, ils durent se croire témoins d'une de ces chasses fantastiques, que leurs vieilles traditions font courir, dans les ténèbres de certaines nuits maudites, au sein des guérets picards.

Sur ces entrefaites, la lune, curieuse sans doute de cette joute désespérée, triompha des nuages qui la voilaient, pour éclairer la scène, ses rayons descendirent pâles, mais limpides, sur la campagne, et les poursuivants purent distinguer, à quelques milliers de pas en avant, la silhouette des fuyards.

De part et d'autre, on ne galopait plus, on dévorait l'espace sous des cascades exaspérées. Le flanc des chevaux ruisselait de sang; chaque coup d'éperon ne leur mordait plus la peau, il leur enlevait des lambeaux de chair. Leurs mors étaient couverts d'une écume également teinte de sang. Les généreuses bêtes allaient toujours, comme le héros qui marche à la mort par des miracles de vaillance.

Mais, tout à coup, ce ne fut plus la campagne, ce ne fut plus la terre qui s'offrit aux regards épouvantés de la duchesse et de son compagnon. Le sol manquait sous leurs pieds, – c'était une nappe immense, large comme une mer, resplendissante comme une plaine d'argent sous les rayons de la lune.

Ils étaient arrivés au fleuve débordé.

Sans échanger un mot, ils regardèrent autour d'eux: partout cet océan roulait ses flots chargés de débris de meubles, de maisons, d'arbres déracinés sur ses rives. L'endroit où ils se trouvaient formait comme un golfe sinueux; devant eux, à leur droite, à leur gauche, c'était l'eau; derrière eux, Boisenval et ses acolytes accourant, et ne leur laissant pas une échappée de terrain.

– En, avant! en avant! cria l'intrépide duchesse; plutôt mourir ici que tomber en leurs mains!

– En avant! répéta le brave de Jars.

– Ils renouvelèrent leurs attaques aux flancs de leurs montures, mais celles-ci, effrayées par cette immensité lumineuse et mouvante, refusèrent absolument de s'y hasarder.

Chaque seconde rapprochait l'ennemi.

– Mourons en combattant! dit le chevalier; donnant l'exemple, il prit un pistolet et fit volte-face.

– Au nom du roi!.. rendez-vous!.. cria Boisenval.

– Jamais!.. répondirent les deux fugitifs, et, se voyant à portée, ils lâchèrent la détente de leurs armes.

Un des archers tomba.

– Au nom du roi!.. répéta l'agent du cardinal.

Et sans s'inquiéter du blessé, il poussa en avant avec ses deux compagnons.

– Suivez-moi!.. dit la duchesse au chevalier.

Soudain, elle se laissa glisser de cheval et s'élança, sans hésitation, au milieu du fleuve débordé.

– Je vous suis! répondit de Jars en l'imitant.

– Revenez; arrêtez!.. criaient Boisenval et son second, qui avaient aussi tenté, sans succès, de mettre leurs chevaux à l'eau.

– Ils vont se noyer!.. fit le lieutenant.

– Ou nous échapper!.. dit Boisenval.

Alors, furieux, démoralisé, il tenta un dernier effort.

– Revenez ou je fais feu!..

Cette menace ne reçut pas de réponse, si ce n'est que les nageurs activèrent leurs mouvements.

– Vous l'aurez voulu!.. cria-t-il pour la dernière fois.

Déjà ses compagnons et lui avaient le pistolet au poing.

– Feu!.. commanda-t-il.

Le chien s'abattit, la pierre fit luire une étincelle, mais aucun des trois coups ne partit, et l'écho du rivage apporta, comme un défi, l'éclat de rire des nageurs. Avant de quitter l'écurie du Soleil levant, le chevalier avait versé une cruche d'eau dans les fontes de l'ennemi. Toutes les amorces étaient mouillées.

Boisenval poussa un blasphème épouvantable.

– Mettons-nous à la rivière! dit-il; il faut les rejoindre à tout prix, à tout prix!

– Comment faire? répliqua le lieutenant; ces damnés chevaux se feraient hacher plutôt que de se mouiller le ventre, et je ne sais pas nager…

– Ni moi! ajouta le seul de leurs soldats qui fût valide.

– Alors, c'est fait de nous et de notre fortune.

– Que diable! à l'impossible nul n'est tenu.

– Mais ils nous échappent, ils nous échappent!.. répétait avec frénésie l'agent infortuné du ministre.

– A moins qu'ils ne se noient! fit observer philosophiquement le lieutenant aux gardes du cardinal.

– Plût à Dieu!.. Mais non, cette duchesse damnée a fait pacte avec l'enfer… Tenez, ils nagent toujours…

En effet, la tête des deux fugitifs apparaissait encore par intervalles, et leurs forces, à en juger par la rapidité de leurs brassées, luttaient avec avantage contre la violence du flot.

Boisenval ne se décida à quitter la place que quand il ne fut plus possible de les distinguer.

– Par la mordieu!.. fit le lieutenant émerveillé, c'est égal, monseigneur de Richelieu en dira ce qu'il voudra, c'eût été grand dommage de loger une balle dans la tête d'une pareille amazone!..

– Que les cataractes de la Géhenne vous engloutissent, riposta Boisenval, voilà de l'admiration bien placée!.. Çà! qu'allons-nous devenir céans?

– M'est avis, cher monsieur, que ne pouvant passer la rivière de la même façon que ces deux gaillards, il n'y aurait aucune chance de les joindre, tant que nous demeurerons de ce côté-ci; le plus pressé est de gagner un pont.

– Le plus proche est Amiens! La belle avance!

– Si vous trouvez quelque chose de mieux…

– Allons, soit, tâchons de nous orienter… Qu'est-ce encore?

C'était un gémissement du soldat blessé, qui revenait de son évanouissement. Il fallait, bon gré, mal gré, lui venir en aide, et nous abandonnerons Boisenval et ses compagnons au milieu de cette tâche.

Quant à la duchesse de Chevreuse, dont l'histoire a consacré la fuite héroïque, elle parvint saine et sauve avec son compagnon sur la rive opposée. Puis, grâce à l'argent dont ils étaient munis, ils ne tardèrent pas à mettre, cette fois, une distance plus rassurante entre eux et les rancunes de Richelieu.

XXIX
HENRIETTE ET PHILIPPE

C'étaient donc encore deux ennemis qui glissaient entre les mains du cardinal. Mais son but essentiel n'était-il pas atteint? Sa voie ne se déblayait-elle pas de tous ceux qui lui portaient ombrage? C'était un vide sinistre, peut-être, car il était marqué par autant de sentences de prison perpétuelle, d'exil ou d'échafaud; mais qu'importait au tyran, pour peu qu'il jouît sans compétition de cette puissance si péniblement conquise!

Comptons bien, voyons ce qu'il restait des membres de cette cour, que nous avons connue autour des deux reines, et qui comprenaient leurs seuls amis sincères:

La duchesse de Chevreuse et de Jars avaient réussi à gagner l'Angleterre et la Flandre, où ils passèrent successivement les longues années de leur exil.

La douce et tendre Lafayette se réfugia dans un cloître, d'où elle ne sortit plus.

Bassompierre alla rejoindre Châteauneuf à la Bastille, et si les exigences de notre récit nous ont forcé à un léger anachronisme en ce qui concerne ce dernier des deux Marillac, leurs malheurs, aux uns comme aux autres, n'en sont pas moins des faits trop réels pour l'honneur de Richelieu.

Nous ne parlons pas des exécutions plus ou moins publiques qui abattirent la tête de tant d'autres: on sait les noms de Puylaurens, d'Ornano, de Vendôme, égorgés entre les murs de Vincennes, et dont l'impitoyable cardinal osait prononcer l'oraison funèbre en ces mots:

– Voilà un air bien merveilleux que celui du bois de Vincennes, qui fait mourir les gens de la même façon!

Nous n'insisterons donc pas davantage sur le sort des Marillac: Michel mourut en prison, et le maréchal s'entendit condamner à mort.

On put espérer qu'il en serait de lui comme du chevalier de Jars, et que sa grâce arriverait au dernier moment; mais Richelieu ne laissait pas ainsi échapper deux fois ses victimes, et puis il ne restait plus, auprès de Louis XIII, un ange de générosité pour réclamer en faveur du sang innocent.

Marillac monta sur l'échafaud avec le courage d'un martyr et la fermeté d'un soldat qui va à la mitraille. Sa belle contenance toucha jusqu'au chevalier du guet chargé de veiller à la funèbre opération. Lorsque ce militaire vit l'exécuteur lier les mains du héros:

– Sur ma foi, lui dit-il, j'ai très grand regret, monsieur, de vous voir en cet état.

Mais le maréchal, le regardant avec fermeté:

– Ayez-en regret pour le roi, et non pour moi, répondit-il.

Quelques secondes après, sa tête tombait sous la hache.

Cet assassinat juridique inspira au cardinal un mot qui fait le pendant de celui que nous citions tout à l'heure, à propos des victimes de Vincennes. Les juges qu'il avait poussés à rendre cette sentence odieuse étant venus lui en apprendre l'exécution, il le reçut avec un sourire moqueur:

– Il faut avouer, leur dit-il, que Dieu donne aux juges des lumières qu'il n'accorde pas aux autres hommes, puisque vous avez condamné le maréchal à mort! Pour moi, je ne croyais pas que ces actions méritassent un si rude châtiment.

Non, certes, elles ne le méritaient pas; car, après la mort de son persécuteur, la mémoire du maréchal fut réhabilitée en forme solennelle, par le Parlement.

Mais ce sont là des détails historiques si connus que nous nous bornons à les indiquer, ainsi que l'exil de la reine-mère et du duc d'Orléans, Gaston, à Bruxelles.

Cette ville devint bientôt le foyer d'une nouvelle cour, où tous ceux qui avaient échappé au bourreau de Richelieu se réunirent autour de Marie de Médicis.

Dévoué entre tous, Philippe de Champaigne, dont l'âme généreuse n'oubliait aucun bienfait, se fit remarquer par son assiduité auprès de la princesse. Il devint alors à double titre son maître peintre; car Duchesne, qui n'avait pas imité son abnégation, et qui tenait plus à la fortune qu'à la gloire, mourut avec tranquillité dans l'appartement du Luxembourg qu'il devait à la reine exilée, et que le cardinal lui avait continué pour ses services récents.

Richelieu était donc le maître, tout seul, sans rivaux. Il dirigeait à son caprice son royal esclave, refoulant la reine Anne d'Autriche au rang le plus humble, écartant toutes les favorites en perspective, et choisissant même les confesseurs destinés aux confidences royales.

Était-il heureux, enfin? – Qu'on se garde de le croire!

Un mal cruel avait pénétré son âme. Cette lassitude, dont nous l'avons plusieurs fois montré atteint, avait repris son empire; des humeurs noires le rongeaient. Il avait réalisé ses plus beaux rêves, il était arrivé à tout; – à tout, hormis au bonheur!

Effrayant retour des choses humaines! Cet esprit dominateur, altier, impitoyable, éprouvait un vide que rien ne pouvait remplir.

Ni les efforts de ses serviteurs intimes, Desroches, Desnoyers, Lavalette, ni les cajoleries de ses poètes, ni le dévouement éprouvé du père Joseph, ni l'affection démonstrative de ses parents ne lui donnaient satisfaction. – Richelieu, puissant, redouté, invincible, ne sentait pas près de lui un cœur qui l'aimât.

Longtemps, le plus éclairé de ses affidés lutta contre cette situation, qu'il avait entrevue du premier coup d'œil. Il lui fallut reconnaître à la fin que le temps aigrissait le mal au lieu de l'amoindrir. Le maître retombait dans un marasme plus inquiétant qu'aucun de ceux dont il l'eût encore tiré.

Depuis l'explication qui suivit la fuite de Philippe, le nom du jeune peintre n'avait pas été prononcé entre eux; le franciscain n'avait pas davantage fait allusion au secret dont il était devenu maître, et le silence de son patron à cet égard n'était pas moins absolu.

Mais, plusieurs fois, pénétrant chez lui à l'improviste, il l'avait surpris, le regard attaché sur un objet qu'il serrait dans sa main et qu'il dissimulait aussitôt.

Ce soin était de trop. Le franciscain connaissait cette relique, que le cardinal tenait de lui, et qui indiquait d'où venait son ennui. Ce fut donc par là qu'il résolut d'aborder la question.

– Votre Éminence, lui dit-il, paraît avoir du goût pour les miniatures…

Richelieu bondit sur son siège et lui lança un regard qui eût mis tout autre en fuite.

– Qu'est-ce à dire?.. est-ce un sarcasme?..

– Que Votre Éminence ne se courrouce point. Ce n'est point une ironie; c'est une simple observation.

– Où voulez-vous en venir, s'il vous plaît?

– A dire à Votre Éminence que je m'étonne, qu'ayant un faible si particulier pour les portraits…

– Encore!..

– Elle ne songe pas à faire achever le sien propre.

– Vous n'ignorez pas que c'est impossible; nul de nos peintres n'est digne de finir une œuvre commencée par Philippe de Champaigne.

– Alors, il n'y a qu'un moyen, monseigneur, c'est d'inviter Philippe de Champaigne à la venir terminer lui-même.

Un rayon illumina les longs traits amaigris de Richelieu; mais il s'éclipsa aussitôt sous un nuage plus épais:

– Le rappeler!.. Non, ce serait peine perdue!..

Le cardinal soupira profondément.

– Qui sait, monseigneur? insista son confident.

– Non, reprit-il avec un mouvement de tête découragé. Tu sais mieux que personne comme j'étais disposé en faveur de ce jeune homme, combien j'eusse été heureux de faire sa fortune, de me l'attacher par quelques liens d'affection… Hélas! je suis arrivé à contenter toutes mes ambitions, excepté celle-là!.. Ce jeune homme m'a fui comme on fuit un ennemi mortel; il s'est attaché au service de la personne qui me hait le plus au monde; rien ne serait capable de l'en détacher à ma faveur…

Le franciscain secoua à son tour sa tête grisonnante, mais avec ce sourire énigmatique si connu du cardinal.

– Tu connaîtrais un moyen? demanda vivement celui-ci.

– Peut-être.

– Faut-il donc te l'avouer? A ton insu j'ai tenté, par des agents fidèles, plusieurs démarches auprès de lui.

– Je le savais.

– Et tu ne m'as rien dit?

– J'attendais que Votre Éminence daignât m'initier à ses desseins. Toutes ces instances d'ailleurs ont échoué.

– Avec une noblesse de caractère admirable, il a répondu aux offres les plus brillantes: «Je suis le courtisan du malheur; je n'abandonnerai pas dans leur mauvaise fortune ceux qui m'ont soutenu dans leur prospérité.»

– Oui, c'est une grande nature; ce jeune homme a dans les veines un sang qui n'est pas vulgaire.

Richelieu devint aussi rouge que la pourpre de sa robe.

– Jamais un mot là-dessus! fit-il avec vivacité, mais sans colère.

– Oui, monseigneur. Je sais un moyen de décider Philippe de Champaigne à rentrer en France, à Paris, au Louvre. Mais si j'emploie ce moyen, si j'opère ce miracle, j'exige le serment solennel de Votre Éminence que jamais ce jeune homme ne connaîtra rien du passé, et qu'il ne verra en vous qu'un protecteur, un ami de son talent.

– Je ne souhaite, je n'ai pas droit de souhaiter plus, fit tristement Richelieu. Va, je t'engage ma foi; sa présence, sa reconnaissance, que je veux conquérir, me suffiront. Que faut-il faire?

– Vous en remettre à moi seul.

– Agis à ta guise, sans contrôle.

– C'est bien, Éminence. Vous ne regretterez pas ces pleins pouvoirs.

Sur ces mots, le confident s'éloigna afin d'arriver sans perte de temps à l'exécution de son projet.

Il était beaucoup plus simple que Richelieu ne le supposait, mais il reposait sur cette étude intime du cœur humain et des petits secrets de la cour, dont le père Joseph s'appliquait sans cesse à tenir tous les fils.

Sa conduite étrange vis-à-vis de Philippe était elle-même une des conséquences rigoureuses de sa logique. Il avait craint que le cardinal, attiré vers ce jeune homme par une sympathie mystérieuse, ne voulût faire de lui son confident exclusif. Il n'avait vu en lui qu'un rival, qui pouvait lui disputer les bonnes grâces du maître. Car il était aussi jaloux de la faveur du cardinal que le cardinal de celle du roi.

Il n'avait pas voulu que la tête de ce jeune homme tombât sur la promesse de Richelieu au monarque, c'eût été par trop monstrueux.

Le retour de Philippe pouvait opérer cette résurrection; il avait décidé que ce retour aurait lieu.

Il était rassuré d'ailleurs sur le caractère de ce jeune homme; c'était un cœur trop droit et trop indépendant pour faire un intrigant ou un ambitieux.

Mais quel moyen avait-il donc trouvé?

Depuis la mort de son père, Henriette Duchesne avait été adoptée par la reine Anne d'Autriche, comme elle l'avait été naguère par Marie de Médicis. La pauvre enfant était tombée dans une grande mélancolie.

Ce fut à elle que le père Joseph s'adressa. Il lui parla peu de son père mort, mais beaucoup de son amant exilé. Habile négociateur, il fit plus, il mit à profit l'intérêt de la jeune reine pour la jolie orpheline; il manœuvra si bien, en un mot, qu'un jour un billet parti du Louvre arriva à Bruxelles, à l'adresse de Philippe de Champaigne:

«Ami, lui disait Henriette, vous savez de quel surcroît de douleur le sort m'a frappée. Mon père n'est plus. Sa mort m'a rendue libre, et ses dernières paroles m'ont enjoint de réparer les torts qu'il aurait pu commettre. Il en eut de grands envers vous.

«Ami, me voici seule comme vous, sur la terre. Ne vous reverrai-je plus?..»

Un tel doute était un ordre. Au reçu de ce message, Philippe, autorisé par sa bienfaitrice, dont il voulut encore prendre l'aveu, quitta Bruxelles, et revint à Paris sans perdre une heure en route.

Son empressement trouva sa récompense.

A son arrivée à Paris, il fut reçu par un secrétaire de Richelieu, qui l'amena sur-le-champ au Louvre, où il était attendu avec impatience.

– Vous voilà donc, monsieur l'enfant prodigue? s'écria le cardinal, qui voulut l'embrasser, quoiqu'il se défendît d'un tel honneur.

Et comme il demeurait confus, fort empêché de répondre à cet accueil chaleureux:

– Vous ne nous échapperez plus, reprit son nouveau protecteur, car nous savons comment vous retenir… Voici quelqu'un qui nous y aidera.

En même temps, il souleva une draperie et attira Henriette, tout émue, dont il prit la main pour la mettre dans celle de l'artiste.

– O monseigneur! s'écrièrent-ils d'une seule voix en tombant à ses pieds.

Mais il les força de se relever et les pressa tous les deux entre ses bras; puis, s'adressant au père Joseph:

– Enfin! dit-il, je ne mourrai pas sans avoir connu le bonheur!

Ce fut lui qui présida au mariage, que l'on considéra, eu égard aux anciens rapports de Duchesne et de Philippe de Champaigne, comme une réconciliation posthume, et ce fut lui aussi qui fournit la dot de l'épousée.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Ortalama puan 4,7, 360 oylamaya göre
Ses
Ortalama puan 4,2, 752 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,9, 124 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,7, 28 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 5, 71 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre