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Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 8

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IX
LE SOUCI D'OR

Le chancelier ne doutait pas que son séide, Triboulet, ne l'attendît dans son appartement, car il lui tardait d'obtenir des renseignements sur le prisonnier de la Grosse-Tour.

Cependant il s'assura bientôt qu'aucun des huissiers ne l'avait vu, et qu'il n'était pas davantage entré par la porte secrète de sa chambre. Sa contrariété retomba en sévérités sur ses gens et sur ses secrétaires. Il allait aussi leur donner l'ordre de se mettre à la recherche du bouffon et de le lui amener, lorsqu'il s'avisa que cette absence n'était peut-être bien causée que par les nécessités de son service, auquel cas il serait dangereux de déranger son confident, et surtout de s'exposer à faire tomber leurs manœuvres communes en des mains indiscrètes.

Il se résigna donc à attendre, tout en ajoutant aux décrets en élaboration sur sa table de travail quelques nouvelles clauses où s'épanchait, en violences contre les novateurs et les écrivains, l'acrimonie dont tout son être débordait.

Son rival heureux était un lettré et un érudit; il traça ainsi de sa plume fiévreuse le plan de cet édit qui abolissait l'imprimerie, défendait l'impression d'aucun livre dans le royaume, stipulant pour quiconque enfreindrait cette défense la peine de la hart. Cette mesure fut, en effet, plus tard, promulguée avec l'approbation du roi, c'est-à-dire de ce François Ier que ses courtisans appelaient le restaurateur des lettres, et que bien des gens considèrent comme ayant mérité ce titre.

Puis, toujours de cette encre qui coulait sous ses doigts comme un venin inépuisable, il entassait par-dessus ce décret celui qui défendait, au nom du pape, aux professeurs de l'Université l'interprétation française des livres saints: «Est fait à eux défense et inhibition de lire et interpréter aucun livre de la sainte Écriture en langue hébraïque ou grecque.» (Registres manuscrits du Parlement, au 14 janvier 1533.)

Cette ordonnance ne laissa pas de subir quelques difficultés, car les professeurs dont il était question, et qu'on appelait les liseurs du roi en l'Université, avaient précisément été institués par François Ier, avec l'obligation d'interpréter les livres hébraïques, – et l'on sait que les seuls livres existant dans cette langue sont les livres religieux. Les professeurs résistèrent, mais à la longue le roi lui-même céda, et les pauvres savants, dénoncés au procureur du roi comme suspects d'hérésie, n'eurent que la ressource de s'abstenir, pour ne pas être brûlés vifs.

Duprat se mirait dans son œuvre, et commençait à reprendre un à un les articles de l'établissement d'une inquisition, quand son confident interrompit cette louable besogne. C'était grand dommage, il se sentait en verve, et les feuillets ne fussent pas sortis de ses griffes sans recevoir d'honnêtes additions au chapitre des supplices et tortures.

Cette besogne lui offrait un âcre contentement; il lui semblait, en accumulant les rigueurs contre les réformistes et les lettrés, qu'il entendait gémir ses victimes et assistait déjà à l'exécution de la plus exécrée de toutes.

Le bouffon était le seul auquel ce jour-là il parlât sans humeur.

– Tu as tardé, ami Triboulet, lui dit-il avec bienveillance.

– Je n'ai pas pourtant perdu mon temps, monseigneur.

– Je m'en doute; tu m'apportes du nouveau?

– Les oreilles ont dû vous tinter, comme si mademoiselle du Carillon se fût agitée dans votre cervelle, car on a beaucoup parlé de vous, là-bas…

– Chez la duchesse?

– Les femmes sont si bavardes, vous savez!.. Foi de gentilhomme! comme jure notre sire le roi, j'ignore quels moyens vous employez pour qu'on vous aime, mais jusqu'ici vous pouvez vous vanter qu'ils n'ont réussi qu'à vous faire exécrer.

Le bouffon ricanait, le chancelier était livide; ce n'était plus du sang, c'était de la bile qui injectait ses yeux.

– Propos de femmes, en effet, murmura-t-il d'un accent guttural; et toi qui te piques de philosophie, ignores-tu que ces dames ne sont jamais plus près de nous céder que quand elles se récrient le plus fort?

– Dans ce cas, la princesse ne tardera guère à être à Votre Révérence, car je jure Dieu qu'elle vous a en même antipathie que Satanas.

– Si c'est à écouter ces sornettes que tu as passé deux heures, fit Duprat, piqué à la fin, tu eusses mieux fait de revenir plus vite. Il faudrait plutôt m'expliquer comment tu as découvert le nom de cet homme…

– Comme il vous plaira, messire, allons au plus pressé, si c'est là votre avis; je vous apprendrai tantôt des choses qui me remettront en bonne odeur dans votre estime.

– Oui, d'abord, parle-moi de ce misérable.

– A l'aménité de ce langage, je vois qu'en effet il a l'honneur de provoquer votre intérêt.

– C'est bien cet enragé écrivailleur, Jacobus de Pavanes, le disciple de messire Guillaume Brinçonnet, qui a su gagner le cœur de la princesse?

– Aussi vrai que ceci est une marotte, et ceci un édit pour faire brûler les hérétiques.

Triboulet agita ses grelots et montra le dernier feuillet tracé par Duprat.

– Si tu t'étais trompé, ce serait grave.

Le bouffon, sans perdre le rire sarcastique incrusté sur son visage, balança avec complaisance sa grosse tête sur ses épaules.

– Je tiens à vous convaincre, Excellence, que si je suis fou de par le roi, je ne suis pas aveugle ni borgne de par Dieu. Une promenade aux prisons est un exercice salutaire et récréatif, après le travail auquel vous venez de vous livrer; il est agréable, pour peu qu'on ait des entrailles, de connaître le facies des gens qu'on destine à la hart ou au rôtissoire… Daignez venir avec moi, et si vous doutez encore après, brisez-moi ma marotte sur l'occiput.

– Au fait, gronda sourdement le chancelier, il faut que je le voie cet homme!

– Ah! ricana Triboulet pour soustraire à son attention le trouble où cette pensée le plongeait lui-même, ces fiers amoureux!.. Impénétrables, croient-ils!.. Plus sots que moi, sang-dieu! Il leur faut des confidents; moi, je ne dis même pas aux oreilles d'âne de mon bonnet ce que je ne veux pas qu'on sache…

Ici, le rire factice de sa face disparut, sa voix devint plus posée:

– Car, poursuivit-il, j'ai mes secrets aussi, messire.

– Oh! je le crois, répondit Duprat avec une complaisance dédaigneuse.

– J'ai mes amours, acheva le bouffon avec un éclat de rire qui se termina par un hoquet nerveux, comme si le mot l'étranglait au passage.

– Eh! je n'en fais pas de doute! comment donc! tes amours avec quelque fille des cuisines, n'est-ce pas?

Triboulet n'essaya même plus de rire, son gros œil éraillé lança sur son patron un éclair fauve; puis une larme silencieuse vint éteindre ce feu sombre et roula sur son pourpoint bariolé.

Il fit taire jusqu'aux grelots de sa marotte, et se rangeant derrière Duprat, il le suivit tout pensif, à travers la cour carrée, jusqu'à la Grosse-Tour, dont les entrées s'ouvrirent toutes grandes à l'approche du premier ministre.

– Où faut-il conduire monseigneur le grand-chancelier? demanda le geôlier en chef, armé d'une lampe et de ses clefs.

– Remettez ceci à Triboulet, ordonna Duprat; si nous avons besoin de vous, nous vous appellerons.

Le bouffon, en recevant le trousseau rouillé et le luminaire, s'aperçut de l'étonnement causé par sa gravité inaccoutumée, non seulement aux gardiens, mais au chancelier lui-même.

– Holà! fit-il en agitant les clefs, voilà un carillon qui ne vaut pas celui de ma camarade aux grelots… Et peut-être bien, si je me servais de ces joujoux pour vous enfermer tous céans, il y aurait dans le Louvre et dans la ville plus d'une voix pour me proclamer le roi des sages, tandis qu'on me gage comme celui des fous… Rassurez-vous, bonnes gens, fou je fus, fou je suis, fou je mourrai; mais moins fou encore que le fou dont messire le grand-chancelier va constater tout à l'heure la folie.

Prenant alors les devants, il guida son patron à travers les escaliers, les galeries, les souterrains, jusqu'aux fosses, où il s'arrêta juste à la porte de Jacobus.

– C'est ici, dit-il, et je crois que notre beau galant va recevoir là une visite qui lui sera moins agréable que celle du fantôme noir du Louvre. Décidément, je me range à votre avis: il n'y a qu'un hérétique capable de préférer la vue d'un spectre à celle de créatures vivantes, et surtout celle d'un premier ministre.

Tout en grimaçant ces sarcasmes, il avait fini par démêler dans le trousseau la clef de la cellule.

Le prisonnier crut sans doute que c'était une ronde des geôliers; il était accoudé sur sa table, lisant la Bible, et ne leva pas la tête.

Triboulet, s'avançant sur la pointe des pieds derrière lui, vint faire résonner sa marotte à son oreille.

– Eh quoi! dit sans aigreur le chevalier, c'est encore vous, maître bouffon. Deux visites en un jour? je vous semble donc un personnage bien gai?

– Si gai, mon beau gentilhomme, que mes joyeusetés ne parvenant pas à dérider le plus grave personnage de ce beau royaume de France, j'ai songé à vous pour me suppléer et le divertir…

– En vérité?

– C'est si vrai que je l'ai amené, et que je vous le présente.

Le prisonnier, suivant la main du bouffon, aperçut la silhouette menaçante du chancelier, immobile dans sa robe noire bordée d'hermine et le mortier en tête, sur le seuil de la cellule.

– Je ne te croyais que fou, dit froidement Jacobus au bouffon, mais tu es méchant.

Et sans s'émouvoir davantage, il regarda le chancelier sans forfanterie, mais sans humilité, attendant qu'il lui adressât le premier la parole.

– Je vous trouve bien fier pour un hérétique, fit Triboulet dissimulant le coup de cette apostrophe.

Et s'emparant du livre que le chevalier n'essaya pas de lui disputer:

– Voyez plutôt, monseigneur, ajouta-t-il en l'ouvrant devant Duprat.

– Quel est ce volume? demanda celui-ci.

– Une Bible hébraïque, mais dont les marges sont couvertes d'annotations françaises.

– Conserve-la, pour me la remettre plus tard, et souviens-toi présentement pour quel objet nous sommes ici.

Jacobus s'était levé, mû par un secret ressort, en se voyant enlever le livre où il puisait la force et la résignation. Mais ce fut la seule marque d'émotion que son persécuteur parvint à lui arracher.

Son attitude imposante, la calme inspiration qui régnait sur son front pâle, la grâce recueillie de ses traits encore adolescents, apparaissaient dans le rayonnement vague de la lampe, comme nageant dans l'auréole anticipée de l'immortalité et du martyre.

Triboulet, accoutumé à honnir tout ce qui était noble et beau, furetait autour de lui, jusque sous la paille de sa couche, pour lui susciter quelque basse persécution.

Duprat, le front crispé, le considérait avec une rage concentrée, croyant surprendre encore sur ce visage la trace des baisers de Marguerite et forcé de s'avouer qu'il n'en était pas indigne.

– Me connaissez-vous? demanda-t-il, se décidant à rompre le silence et faisant un pas dans la cellule.

– C'est-à-dire que je vous eusse reconnu bien plus vite, monseigneur, si je n'eusse hésité, en voyant le premier dignitaire du royaume se faire accompagner d'un jongleur.

– Pas mal, murmura tout bas Triboulet; mais le jongleur va te montrer un tour auquel tu ne t'attends guère.

– Vous avez le ton bien rogue, pour un homme sur lequel planent deux accusations capitales.

– Votre Excellence excusera mon ton, si je lui réponds que c'est peut-être celui d'un prévenu, mais à coup sûr celui d'un innocent. Les hommes peuvent m'accuser, ma conscience m'absout.

– Moi ministre, maître Jacobus de Pavanes, sachez que les juges ne condamnent que sur des preuves.

– En ce cas, monseigneur, qu'on me conduise au prétoire, je ne crains rien.

– Ne viens-je pas de vous dire que deux accusations planent sur vous.

– Celle d'hérésie et celle de lèse-majesté? Qu'on les prouve donc.

– L'hérésie, c'est la traduction et les commentaires des livres saints; le Saint-Père, la Sorbonne et le Parlement l'ont ainsi reconnu. – L'attentat à la majesté royale, c'est offense envers le souverain et les membres de sa famille, qui ne sauraient être atteints dans leur honneur sans qu'il en rejaillisse un affront sur lui. N'est-ce pas votre avis?

– Je ne saurais méconnaître que c'est du moins le vôtre.

– Or, reprit Duprat en distillant le poison de chaque syllabe, la preuve du crime d'hérésie par traduction et commentaires, la voici!..

– Cette Bible! s'écria Jacobus au comble de l'étonnement.

– Quand à la preuve de l'offense envers une personne de sang royal…

– La voila!.. exclama le bouffon en approchant la flamme de la lampe d'un certain endroit du mur.

– Malheur!.. s'écria Jacobus.

Et il retomba sur sa chaise dans une attitude désolée, cette pierre venait de vendre le plus cher de ses secrets à ses persécuteurs.

Dans les heures mortelles de sa captivité, rêvant sans cesse de Marguerite, il avait gravé sur le mur l'emblème et la devise adoptés par elle, un souci d'or regardant le soleil, et ces trois mots dans un cartouche: Non inferiora secutus.

Quel autre qu'un amant passionné eût jamais eu l'idée de placer là ce chiffre? En fallait-il plus pour convaincre le chancelier? La preuve, comme il disait en jargon judiciaire, n'était-elle pas complète?

– Je te fais compliment, dit-il en posant la main sur l'épaule de Triboulet, tu as la clairvoyance d'Argus. Tu serais un fameux pourvoyeur pour l'inquisition que nous allons établir.

– Ma foi, riposta cyniquement le bouffon, j'aime mieux demeurer à la cour; c'est aussi lucratif, et l'on y voit des fous plus amusants, sans me compter.

Mais Duprat ne l'écoutait guère. Les sourcils rapprochés, les lèvres relevées par la colère comme celles d'un chacal, dont il laissait voir en ce moment les dents aiguës, il se dressa en face du prisonnier.

– Eh bien, dit-il, vous ne niez plus, je crois! Votre bonne conscience se tait, et les témoignages de vos crimes vous écrasent… Jacobus de Pavanes, orgueilleux puritain auquel il faut une religion pour lui seul, et des princesses pour amantes, – Jacobus de Pavanes, impie et félon, c'est avec tes larmes et ton sang que j'effacerai cette devise.

– Le captif se courba, accablé, non pas sous cette menace, mais sous le désespoir d'avoir laissé tomber à la connaissance de cet infâme le sentiment le plus profond et le plus parfait qu'il fût possible à un cœur humain de ressentir.

Si encore ce secret eût appartenu à lui seul; mais que n'allaient-ils pas faire, ces deux tigres, de l'honneur de Marguerite!

Muni de ces armes, Duprat regagna l'entrée des prisons, la cour du Louvre et son appartement, emporté d'une telle vitesse, que son acolyte avait peine à le suivre et tenta plusieurs fois de le retenir par des lazzis dont il retrouvait inévitablement le don quand il voyait souffrir quelqu'un, fût-ce son chef, ou plutôt si c'était son chef.

– Ouf! soupira-t-il en voyant enfin celui-ci s'asseoir à sa table de travail. Nous allons donc pouvoir souffler, nous reposer et causer.

– Plus tard… tout à l'heure…

Et il saisissait les papiers épars devant lui avec une avidité furieuse, comme s'il eût craint de les voir lui échapper.

– Le projet d'inquisition?.. murmurait-il; bon, le voici… N'y manque-t-il rien?

– Oui, messire, intervint Triboulet, il y manque bien sûr cette proposition que vous fait le révérend père franciscain Roma. Il a imaginé un petit supplice qu'il ne faut pas dédaigner, et dont cette lettre, que je me suis chargé de vous communiquer, renferme les détails.

– Un supplice!.. répéta le chancelier; oh! je doute qu'il en existe un assez terrible…

– Mon Dieu! il ne faut désespérer de rien. Ce père Roma est un homme fort ingénieux. Il propose qu'on oblige les mécréants mal sentants de la foi à chausser des bottes remplies de suif bouillant.

Ce religieux sera membre de l'inquisition, fit Duprat en prenant note de cette effroyable torture5.

Puis il saisit le dernier feuillet, auquel sa signature faisait encore défaut, et quand il l'eut mise et accompagnée de l'apposition du sceau royal dont il était dépositaire:

– Enfin! dit-il, je sais pour qui j'ai travaillé…

Et, se renversant complaisamment dans son fauteuil:

– Nous pouvons causer maintenant, maître Triboulet; nous avons fait de bonne besogne.

– Hum! messire, la plus forte n'est pourtant pas finie.

X
LA PIERRE QUI TOURNE

Jacobus, anéanti, s'était, par un instinct purement machinal, traîné jusqu'à sa couche, sur le bord de laquelle il s'était assis, sans même s'y étendre.

Les dernières paroles du chancelier, le strident et sauvage éclat de rire du bouffon, le tintement irritant et railleur de ses grelots retentissaient toujours dans son cerveau, formant un bourdonnement lugubre comme un écho infernal.

Un feu volcanique battait ses tempes brûlantes; son œil, dévoré par cette lave intérieure, ne pouvait fuir la devise fatale, objet de son adoration et de son effroi.

Les lueurs mourantes de sa lampe, s'irradiant et se restreignant tour à tour, allaient parfois lécher les murs et éclairer cette inscription d'amour, qui se détachait sous leurs zones rougeâtres comme l'épitaphe d'un tombeau.

Son âme navrée se repaissait de cette contemplation, qui le fascinait et l'attirait, en ajoutant une âpre saveur à l'amertume de ses pensées.

Dormait-il, veillait-il, était-il encore seulement de ce monde?

Illusion, évocation ou sommeil, dans son état de stupeur, il n'eût pu le définir, un phénomène s'opéra devant lui.

L'organe de la vue, quand il est fatigué, éprouve de ces aberrations: ce chiffre sembla s'animer; la pierre inerte sur laquelle il l'avait incrusté s'agita sous une impulsion mystérieuse… elle se mouvait, et à mesure qu'il se rejetait en arrière, sous l'effroi de ce prodige, elle s'avançait vers lui!..

La pupille dilatée, les lèvres entr'ouvertes, pâle, haletant, il n'osait bouger, et ses reins se recourbaient nerveusement pour fuir ce rêve.

Il eût voulu crier, pour s'assurer qu'il était bien vivant, le bruit de sa propre voix l'eût tranquillisé, mais l'émotion étranglait les sons au passage, et le cauchemar de pierre approchait toujours, dans une marche lente, sans doute pour ne s'arrêter que sur sa poitrine étouffée.

Le chancelier l'avait dit: «Ton sang effacera cet emblème!»

Cet homme avait-il le don de prophétie ou de miracle? les éléments, la matière obéissaient-ils à ses anathèmes?

Oui, en vérité, car cette pierre se détachait avec un bloc de maçonnerie de la paroi séculaire, et, formant un angle avec la partie de celle-ci à laquelle elle adhérait encore, s'arrêtait en battant sourdement contre le pied de la couche de bois.

Le prisonnier, les cheveux dressés, réunit enfin ses forces et il étendit les mains en avant, pour opposer ce faible obstacle à la masse rocheuse que ses jambes paralysées ne pouvaient fuir.

Dans ces circonstances suprêmes, les secondes se prolongent autant que des heures. Jacobus ne savait plus d'ailleurs calculer le temps; il attendait que la muraille s'écoulât sur lui, mais elle restait immobile dans l'étrange révolution qu'elle venait d'accomplir, et, en réalité, ce déplacement ne durait pas depuis un quart de minute, qu'une vive lueur envahissant la cellule, éclipsait le lumignon suspendu à la voûte.

Puis, de cette auréole, surgit une forme gracieuse dans sa gravité, une vision, sans doute, celle de l'ange consolateur qui assiste nos dernières angoisses, et qui doit ainsi, intermédiaire entre les souvenirs terrestres et les béatitudes divines, revêtir l'apparence de l'être que nous aimâmes et qui nous aima le plus.

Cette apparition, quels autres traits pouvait-elle offrir aux regards de Jacobus de Pavanes que ceux de Marguerite de Valois?..

Alors, le regard rasséréné par ce charme, le sein apaisé par cette joie, le cerveau détendu par ce prestige irrésistible, il sourit et attendit que le séraphin détachât son âme de ce séjour funeste, pour l'emporter dans celui du calme et des félicités éternelles.

Il n'essaya donc pas un mouvement pour le hâter, pas un pour aller au-devant d'elle; il éprouvait une si grande félicité à retrouver là ces traits adorés qu'il n'avait plus espéré revoir, qu'il se gardait de tout ce qui eût pu les faire évanouir. Il tenait absolument, par sa docilité, à monter au ciel sur les ailes invisibles de cet ange.

Ce fut donc elle qui vint jusqu'à lui, et son sourire, où la passion la plus tendre se confondait avec un ineffable et céleste sentiment de pitié, était bien le sourire miséricordieux d'un être surhumain, plaignant nos misères.

Elle s'arrêta près de lui, si près, que les plis de sa longue robe noire touchaient ceux de son pourpoint.

Et il ne bougeait pas, et elle le contemplait en silence.

Elle s'agita enfin avec une de ces inflexions qui n'appartenaient qu'à Marguerite ou à un ange, et sa main vint se poser sur son front.

Il tressaillit du même élan que l'être encore inanimé qui sent arriver en lui le souffle divin de l'existence. Ce contact était pour lui ce souffle vivifiant; pour la seconde fois, une impulsion divine le tirait du chaos, pour la seconde fois il existait.

Ce n'était ni un songe, ni une ombre: Marguerite était près de lui; réalisant un miracle, traversant les murailles, déjouant les geôliers, les verrous, les bourreaux, pour se rapprocher de lui.

Elle se pencha, jouissant de son ravissement, plus heureuse que lui-même de sa félicité inespérée, et de ses lèvres pleines de délices:

– Jacobus, lui dit-elle d'une voix plus mélodieuse que la harpe paradisienne, pensais-tu que je t'eusse abandonné?.. Non, hérétique, proscrit, condamné, je t'aime…

– Prends donc ma vie, murmura-t-il fou d'ivresse, emporte avec toi mon âme, puisqu'il n'y a pas de mots dans la langue humaine pour t'exprimer ce que je ressens pour toi.

– Ne m'aimes-tu pas aussi? reprit-elle en embrassant les boucles de ses cheveux; l'amour se paye par l'amour, tu ne me dois rien.

Puis elle se mit à le regarder avec l'attention d'une mère qui interroge les traits de son enfant en danger, et comme son rayonnement actuel ne comblait pas les sillons creusés par ses tortures précédentes:

– Comme tu as souffert!.. lui dit-elle.

– C'est vrai, j'ai cru mourir, et de quelle mort!..

Il frissonna rien qu'à ce souvenir; elle se serra contre lui.

– Il me semblait, poursuivit-il ranimé par ce contact, que ces parois sinistres me menaçaient et allaient s'écrouler sur moi. J'attendais le supplice; Dieu soit béni, c'est le bonheur qui est venu.

– Je comprends, le mystère de ce pan de muraille t'a surpris… C'est la porte de la vie et du salut, ami. – Messire Antoine Duprat est un persécuteur habile, mais il ne saurait tout prévoir ni tout connaître. Il a cru empêcher notre réunion en substituant ses esclaves aux serviteurs qui gardaient cette prison. Il aura favorisé ce qu'il voulait détruire.

– Que dites-vous?

– Ma compagne dévouée, Hélène de Tournon, est parvenue à joindre le chef de ces gardiens évincés, leur doyen, celui-là même qui m'avait enseigné le passage de l'arche de Charles V. Ce vieillard est le génie de ce donjon; il en possède tous les détours, toutes les issues dérobées. Son dévouement est à nous, je ne l'ai pas marchandé. Aujourd'hui, il m'a ouvert ce bloc impénétrable à l'œil de nos ennemis; avant peu, si d'autres projets n'ont pas abouti, il nous secondera dans une combinaison qui te sauvera aussi.

– Mais qu'ai-je donc fait pour mériter tant d'amour? Comment parviendrai-je à le justifier jamais?.. Ah! misérable, s'écria-t-il en rencontrant la devise gravée sur le mur, misérable, maudit! Pendant que tu ne songeais qu'à mon salut, je travaillais à ta perte!..

– Jacobus, mon ami, ta raison s'égare!..

– Non! non! elle est pleine et entière!.. Marguerite, va-t'en, laisse-moi, renie-moi; j'ai fait ta honte!.. Ah! tu doutes; tiens, vois donc, là! sur cette même pierre qui t'a livré passage pour m'apporter tes consolations, tes baisers, ton amour, – insensé, j'ai gravé le témoignage irrécusable de cet amour…

– Ah! c'est bien, cela, fit-elle avec ravissement, c'est bien! Tu répétais ma devise; tu dessinais mon emblème pour avoir toujours auprès de toi quelque chose qui émanât de ta Marguerite et qui te la rappelât… Et tu prétends que je t'aime trop! Oh! jamais je ne t'aimerai, je ne te le prouverai assez!

– Mais tu ne sais pas, cette devise, cet emblème, Triboulet les a découverts, les a dénoncés au chancelier… et le démon qui est entre eux leur a révélé que c'était là un gage d'amour… d'amour partagé.

– N'est-ce que cela! fit-elle en relevant comme une reine sa tête dédaigneuse, laisse siffler les serpents: Dieu est grand et le bon droit est fort.

– Ainsi, tu me pardonnes mon imprudence… tu ne m'en veux pas d'avoir trahi notre secret?..

– Trahi!.. répéta Marguerite en souriant. Cet amour est pour moi si cher et si glorieux, que je l'ai dit à ma propre mère! Si je devais mourir ici, sur l'heure, mais à Dieu lui-même je ne demanderais pas d'autre paradis que toi!

– C'est le vœu que j'ai déjà fait, et nous avons assez souffert en commun pour que le père miséricordieux nous l'accordât…

– Quoi! toi aussi…

– Oh! moi surtout, car je n'ai pas été élevé absolument dans le courant des idées du vulgaire. Mon père, je te l'ai dit, a consacré une existence séculaire à étudier, à approfondir les arcanes des mondes inconnus. Il a pénétré très avant dans les sphères abstraites de la métaphysique, de la théogonie et de la génération des êtres.

A peine ma jeune intelligence fut-elle en état de le comprendre, qu'il m'initia à ses calculs. C'est là sans doute l'origine de ma propension vers les novateurs, qui veulent nous ramener à la religion simple et pure. C'est là assurément la source de ces inclinations à la rêverie et à la mélancolie, que vous remarquâtes, qui vous attirèrent vers moi, ma bien-aimée, alors que les autres femmes, plus légères, moins amies de l'étude, me dédaignaient.

– Que t'enseignait donc ton père?

– Oh! des choses étranges, mais que je me suis plu souvent à tenir pour certaines, principalement quand l'adversité est venue m'atteindre. Quelques-unes de ses leçons restent gravées dans ma mémoire:

«Enfant, me disait-il, il faut convenir que nos docteurs sont de bien grands orgueilleux, avec leur prétention de tout expliquer et leur dédain pour la sagesse des autres âges. L'homme impartial qui étudie et approfondit est moins tranchant et plus humble: il ne croit pas surtout que le monde ait vécu un nombre inconnu de siècles plongé dans les ténèbres de l'esprit, et que la vérité soit toute moderne. En quoi valons-nous donc mieux que les habitants de ces empires immenses, dont il ne reste que de rares débris, qui écrasent pourtant nos œuvres de pygmées?

«Il ne faut pas rire de la théologie de ces peuples antiques, car ils étaient plus près de Dieu que nous. Leurs mystérieuses doctrines sur la migration, sur la transmission des âmes n'étaient-elles que mensonge? La même âme ne saurait-elle, en dépit de nos docteurs, servir successivement à animer plusieurs corps? D'où viennent les similitudes merveilleuses que l'histoire elle-même consacre dans les caractères des hommes et les événements qui en résultent, en quelque sorte dans un cercle fatal, s'il n'existe aucune relation entre le souffle qui nous anime et celui qui fut l'âme de nos devanciers?

«Je ne te dirai jamais, avec les pyrrhoniens: Doute de tout; mais, si tu es sage, tu ne dédaigneras rien des religions ni des croyances antiques. Crois-tu donc, quand il plaît à Dieu d'animer la matière, qu'il crée une âme nouvelle pour chaque homme qui naît? Cette essence qui échappe à notre tact, à notre analyse, se perd-elle dans l'espace, retourne-t-elle se confondre dans le grand tout de l'immensité au sortir de notre misérable corps?.. Avant de conclure avec nos prétendus savants, enfant, médite et réfléchis…»

Voilà ce que me répétait mon père, voilà pourquoi, chère Marguerite, convaincu de l'immortalité de la partie la plus noble de mon être, j'ai aspiré souvent après une seconde existence, qui sera, – puisque Dieu est la justice même, – la compensation de celle-ci.

La princesse l'avait écouté avec recueillement; occupée elle-même d'études théologiques, lancée à la poursuite de la vérité ou de la nouveauté, parce que les enseignements de la Sorbonne ne satisfaisaient ni son impatience ni sa raison, elle suivait avec intérêt ces doctrines, qui semblaient la séduire.

Son œil rêveur erra longtemps sous la voûte du cachot, indiquant les efforts de son imagination pour saisir la substance de ces enseignements.

– Oui, dit-elle enfin, de cet air inspiré qui lui valut, la première en France, le titre de dixième muse, quelque chose se prononce en moi pour m'assurer que ce ne sont pas là de pures fantasmagories… Notre âme ne meurt point, et cette immortalité, en la perpétuant sous divers aspects, réalise ce dogme de la récompense ou du châtiment divin. Il est impossible, quand on s'est tant aimé dans la douleur, qu'une juste providence ne nous rapproche pas un jour dans la joie…

Les paroles de ton père, Jacobus, étaient une révolution, une prophétie. Si la fatalité, liguée contre nous, déjouait nos desseins, j'ai la foi que, renaissant un jour, fût-ce dans un siècle, en des conditions meilleures, notre étoile nous remettrait en présence l'un de l'autre, et nous réunirait.

– C'est ma confiance et ma consolation aussi!..

– Oh! oui, poursuivit Marguerite avec une sorte d'illumination, les âmes se transmettent! Sans cela, d'où viendraient ces attractions singulières qui sont la manifestation de l'amour… L'amour! mais il est plein de réminiscences mystérieuses!.. Quand on s'aime bien, ne semble-t-il pas que cette béatitude ne soit que la continuation d'une vie antérieure?.. On se connaît du premier instant qu'on se rencontre; la sympathie s'établit sans qu'on y songe, et tandis que vous restez en constant éloignement avec certains êtres, vous êtes porté par une voix intérieure, vers d'autres, comme s'ils s'étaient déjà identifiés à vous-même!..

– Adorée Marguerite! que n'est-il donné à mon père de vous voir et de vous entendre! Combien il serait fier de rencontrer un disciple qui interprète et devance si éloquemment les visées de sa philosophie!..

– Moi aussi, ami, j'eusse voulu connaître ce sage patriarche. Hélas! mon vieux serviteur, Michel Gerbier, mon père de nourrice, est de retour depuis hier, ayant tout mis en œuvre sans retrouver sa trace.

5.Ce fut seulement sous Henri II qu'on abolit ce supplice.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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