Kitabı oku: «La petite comtesse», sayfa 7
IX
LE MARQUIS DE MALOUET A M. PAUL B… A PARIS
Château de Malouet, 20 octobre.
Monsieur, c'est pour moi un devoir aussi impérieux que pénible de vous retracer les faits qui ont amené le malheur suprême dont une voie plus prompte vous a porté la nouvelle avec tous les ménagements qui nous ont été permis, malheur qui achève d'accabler nos âmes, déjà si cruellement éprouvées. Vous le savez, monsieur, quelques semaines, quelques jours nous avaient suffi, à madame de Malouet et à moi, pour connaître, pour apprécier votre ami, pour lui vouer une éternelle affection, qui devait se changer trop tôt en un éternel regret.
Je en vous parlerai point, monsieur, des tristes circonstances qui ont précédé cette dernière catastrophe. Vous n'ignorez, je le sais, aucun trait de la fatale passion qu'avaient inspirée à une malheureuse jeune femme les mérites et les qualités que nous sommes réduits à pleurer aujourd'hui. Je ne vous dirai rien des scènes de deuil qui ont suivi la mort de madame de Palme. Un autre deuil les recouvre déjà dans notre souvenir.
La conduite de M. George durant ces tristes journées, la sensibilité profonde et en même temps l'élévation morale dont il ne cessa de nous donner le spectacle, avaient achevé de lui gagner nos coeurs. J'aurais voulu vous le renvoyer aussitôt, monsieur; je voulais l'éloigner de ce lieu désolé, je voulais le conduire moi-même dans vos bras, puisqu'une préoccupation douloureuse vous retenait à Paris; mais il s'était imposé le devoir de ne pas abandonner si promptement ce qui restait de l'infortunée.
Nous l'avions recueilli près de nous; nous l'entourions de nos soins. Il ne sortait du château que pour faire chaque jour à deux pas un pieux pèlerinage. Sa santé cependant s'altérait visiblement. Avant-hier, dans la matinée, madame de Malouet le pressa de nous accompagner, M. de Breuilly et moi, dans une promenade à cheval. Il y consentit, quoique avec peine. Nous partîmes. Chemin faisant, il se prêta de tout son courage aux efforts que nous tentions pour l'engager dans notre entretien, et le tirer de son accablement. Je le vis sourire pour la première fois depuis bien des heures, et je commençais à espérer que le temps, la force d'âme, les soins de l'amitié pourraient rendre un peu de calme à son souvenir, quand, au détour de la route, un hasard déplorable nous mit face à face avec M. de Mauterne.
Ce jeune homme était à cheval: deux amis et deux dames l'accompagnaient. Nous suivions le même direction de promenade; mais son allure était plus rapide que la nôtre: il nous dépassa en nous saluant, et je ne remarquai pour moi dans son air rien qui pût attirer l'attention. Je fus donc fort surpris d'entendre M. de Breuilly, l'instant d'après, murmurer entre ses dents:
– Ceci est une infâme lâcheté!
M. George, qui, au moment de la rencontre, avait pâli et détourné légèrement la tête, regarda vivement M. de Breuilly:
– Quoi donc, monsieur? de quoi parlez-vous?
– De l'insolence de ce fat!
J'interpellai M. de Breuilly avec force, lui reprochant sa manie querelleuse, et affirmant qu'il n'y avait eu trace de provocation ni dans l'attitude ni sur les traits de M. de Mauterne, lorsqu'il avait passé près de nous.
– Allons, mon ami, reprit M. de Breuilly, vous avez fermé les yeux – ou vous avez dû voir, comme je l'ai vu, que le misérable a ricané en regardant monsieur! Je ne sais pas pourquoi vous voulez que monsieur supporte une insulte que ni vous ni moi ne supporterions!
Cette malheureuse phrase n'était pas achevée, que M. George avait mis son cheval au galop.
– Es-tu fou? dis-je à Breuilly, qui essayait de me retenir, – et que signifie cette invention-là?
– Mon ami, me répondit-il, il fallait distraire cet enfant à tout prix.
Je haussai les épaules, je me dégageai, et je m'élançai sur les pas de M. George; mais, étant mieux monté que moi, il avait pris une avance considérable. J'étais encore à une centaine de pas, quand il joignit M. de Mauterne, qui s'était arrêté en l'entendant venir. Il me sembla qu'ils échangeaient quelques paroles, et je vis presque aussitôt la cravache de M. George fouetter à plusieurs reprises et avec une sorte d'acharnement le visage de M. de Mauterne. Nous arrivâmes seulement à temps, M. de Breuilly et moi, pour empêcher que cette scène ne prît un odieux caractère.
Une rencontre étant malheureusement devenue inévitable entre ces deux messieurs, nous dûmes emmener avec nous les deux amis qui accompagnaient Mauterne, MM. de Quiroy et Astley, ce dernier Anglais. M. George nous précéda au château. Le choix des armes appartenait, sans aucun doute possible, à notre adversaire. Cependant, ayant remarqué que ses deux témoins semblaient hésiter, avec une sorte d'indifférence ou de circonspection, entre l'épée et le pistolet, je pensai que nous pourrions, avec un peu d'adresse, faire pencher leur décision dans le sens qui nous serait le moins défavorable. Nous prîmes donc préalablement, M. de Breuilly et moi, l'avis de M. George. Il se prononça immédiatement pour l'épée.
– Mais, lui fit observer M. de Breuilly, vous tirez fort bien le pistolet: je vous au vu à l'oeuvre. Etes-vous sûr d'être plus habile à l'épée? Ne vous y trompez pour Dieu pas, ceci est un combat à mort!
– J'en suis convaincu, répondit-il en souriant; mais je tiens beaucoup à l'épée, autant que cela sera possible.
Sur l'expression d'un désir si formel, nous ne pouvions que nous croire heureux d'obtenir le choix de cette arme. Il fut effectivement résolu, et la rencontre fixée au lendemain neuf heures.
Pendant le reste de la journée, M. George montra une liberté d'esprit et même par intervalles une gaieté dont nous fûmes tout surpris, et que madame de Malouet en particulier ne savait comment s'expliquer. Ma pauvre femme ignorait, bien entendu, ces derniers événements.
A dix heures, il se retira, et je vis encore de la lumière chez lui deux heures plus tard. Poussé par ma vive affection et par je ne sais quelle inquiétude vague dont j'étais poursuivi, j'entrai vers minuit dans sa chambre; je le trouvai fort tranquille: il venait d'écrire et apposait son cachet sur quelques enveloppes.
– Voilà! me dit-il en me mettant ces papiers dans la main. A présent, le plus fort est fait, ajouta-t-il, et je vais dormir comme un bienheureux.
Je crus devoir lui donner encore quelques conseils techniques sur le jeu de l'arme dont il devait bientôt se servir. Il m'écouta avec distraction; puis, avançant son bras tout à coup :
– Voyez mon pouls, dit-il.
Je lui obéis, et je m'assurai que son calme et son animation n'avaient rien d'affecté ni de fébrile.
– Avec cela, reprit-il, on n'est tué que quand on le veut bien. Bonsoir, cher monsieur.
Je l'embrassai et je le quittai.
Hier, à huit heures et demie, nous étions rendus, M. George, M. de Breuilly et moi, dans un chemin écarté, situé à égale distance de Malouet et de Mauterne, et qui avait été désigné pour lieu du duel. Notre adversaire arriva presque aussitôt, accompagné de MM. de Quiroy et Astley. Le caractère de l'insulte n'admettait aucune tentative de conciliation. On dut procéder immédiatement au combat.
A peine M. George s'était-il mis en garde, que nous ne pûmes douter de sa complète inexpérience au maniement de l'épée. M. de Breuilly me jeta un regard de stupeur. Toutefois, quand les lames se furent croisées, il y eut une apparence de combat et de défense: mais, dès la troisième passe, M. George tomba, la poitrine traversée.
Je me précipitai sur lui: la mort le prenait déjà. Cependant, il me serra faiblement la main, sourit encore, puis m'exprima d'un dernier souffle sa dernière pensée, qui fut pour vous, monsieur:
– Dites à Paul que je l'aime, que je lui défends la vengeance, que je meurs… heureux.
Il expira.
Je n'ajouterai rien, monsieur, à ce récit. Il n'a été que trop long, il m'a coûté beaucoup; mais je vous devais ce compte fidèle et douloureux. J'ai dû croire en outre que votre amitié voudrait suivre jusqu'au dernier instant cette existence qui vous fut si chère, et à si juste titre. Maintenant, vous savez tout, vous avez tout compris, même son silence.
Il repose près d'elle. Vous viendrez sans doute, monsieur. Nous vous attendons. Nous pleurerons avec vous ces deux êtres bien-aimés, tous deux bons et charmants, foudroyés tous deux par la passion, et saisis par la mort avec une rapidité poignante au milieu des plus douces fêtes de la vie.