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Kitabı oku: «Le Bossu Volume 2», sayfa 6

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XI
– Où le bossu se fait inviter au bal de la cour. —

Gonzague demeura un instant immobile à regarder sa femme qui traversait la galerie pour rentrer dans son appartement.

– C'est une résurrection! pensa-t-il; j'ai pourtant bien joué cette grande partie! pourquoi l'ai-je perdue?.. Évidemment, elle avait un dessous de cartes… Gonzague! vous n'avez pas tout vu!.. Il y a là quelque chose qui vous échappe!

Il se prit à parcourir la chambre à grands pas.

– En tout cas, poursuivit-il, nous n'avons pas une minute à perdre!.. Que va-t-elle faire au bal du Palais-Royal?.. parler à M. le régent?.. Évidemment, elle sait où est sa fille!..

– Et moi aussi, je le sais! s'interrompit-il en ouvrant ses tablettes; en ceci, du moins, le hasard m'a servi!

Il frappa sur un timbre et dit au domestique qui accourut:

– M. de Peyrolles!.. qu'on m'envoie sur-le-champ M. de Peyrolles.

Le domestique sortit. Gonzague reprit sa promenade solitaire, et revenant à sa première pensée, il dit:

– Elle a un auxiliaire nouveau… Quelqu'un est caché derrière la toile!..

– Prince! s'écria Peyrolles en entrant, je puis enfin vous parler!.. Mauvaises nouvelles… En s'en allant, le cardinal de Lorraine disait aux commissaires royaux: il y a là-dessous quelque mystère d'iniquité!..

– Laissez dire le cardinal, fit Gonzague.

– Dona Cruz est en pleine révolte!.. On lui a fait jouer un rôle indigne! Elle veut quitter Paris.

– Laisse faire dona Cruz… et tâche de m'écouter.

– Pas avant de vous avoir appris ce qui se passe… Lagardère est à Paris.

– Bah!.. je m'en doutais!.. Depuis quand?

– Depuis hier pour le moins.

– La princesse a dû le voir! pensa Gonzague.

Puis il ajouta:

– Comment sais-tu cela?

Peyrolles baissa la voix et répondit:

– Saldagne et Faënza sont morts.

Manifestement, M. de Gonzague ne s'attendait point à cela. Les muscles de sa face tressaillirent et il eut comme un éblouissement.

Ce fut l'affaire d'une seconde. Quand Peyrolles releva les yeux sur lui, il était remis déjà.

– Deux d'un coup! fit-il; c'est le diable que cet homme-là!

Peyrolles tremblait.

– Et où a-t-on retrouvé leurs cadavres? demanda Gonzague?

– Dans la ruelle qui longe le jardin de votre petite maison.

– Ensemble?

– Saldagne contre la porte… Faënza à quinze pas de là… Saldagne est mort d'un coup de pointe…

– Là, n'est-ce pas? fit Gonzague en plaçant son doigt entre ses deux sourcils.

Peyrolles fit le même geste et reprit:

– Là!.. Faënza est tombé frappé à la même place et du même coup.

– Et pas d'autre blessure?

– Pas d'autre… La botte de Nevers est toujours mortelle.

Gonzague disposa ses dentelles à son jabot devant une glace.

– C'est bien, dit-il; M. le chevalier de Lagardère s'est fait inscrire deux fois à ma porte… Je suis content qu'il soit à Paris… Nous allons le faire pendre!

– La corde qui étranglera celui-là… commença Peyrolles…

– N'est pas encore filée, n'est-ce pas?.. Je crois que si… Tudieu! pense donc, ami Peyrolles. Il est grand temps! nous ne sommes plus que quatre.

– Oui, fit le factotum en frissonnant, il est grand temps.

– Deux bouchées! reprit Gonzague en rebouclant son ceinturon; nous deux d'un coup… de l'autre ces deux pauvres diables…

– Cocardasse et Passepoil?.. interrompit Peyrolles; ils ont peur de Lagardère!

– Ils sont donc comme toi!.. C'est égal; nous n'avons pas le choix… Va me les chercher! va!

M. de Peyrolles se dirigea vers l'office.

Gonzague pensait.

– Je disais bien qu'il fallait agir… agir tout de suite… Corps de Christ! voici une nuit qui verra d'étranges choses!

– Eh! vite!.. dit Peyrolles en arrivant à l'office; monseigneur a besoin de vous!

Cocardasse et Passepoil avaient dîné depuis midi jusqu'à la brune. C'étaient deux héroïques estomacs. Cocardasse était rouge comme le restant du vin, oublié dans son verre; Passepoil avait le teint tout blême.

La bouteille produit ce double résultat, suivant le tempérament des preneurs.

Mais au point de vue des oreilles, le vin n'a pas deux manières d'agir. Cocardasse et Passepoil n'étaient pas plus endurant l'un que l'autre après boire.

D'ailleurs, le temps d'être humbles était passé. On les avait habillés de neuf de la tête aux pieds. Ils avaient de superbes bottes de rencontre et des feutres qui n'avaient été retapés chacun que trois fois.

Les chausses et les pourpoints étaient dignes de ces brillants accessoires.

– Dis donc, mon bon, fit Cocardasse; je crois que ce maraud, c'est à nous qu'il s'adresse.

– Si je pensais que ce faquin!.. riposta le tendre Amable en saisissant une cruche à deux mains.

– Sois calme, mon caillou, reprit le Gascon; je te le donne… Mais, bagasse! ne casse pas la faïence!

Il avait pris M. de Peyrolles par une oreille et l'avait envoyé pirouettant à Passepoil.

Passepoil le saisit par l'autre oreille et le renvoya à son ancien patron.

M. de Peyrolles fit ainsi deux ou trois fois le voyage, puis Cocardasse junior lui dit avec cette belle gravité des casseurs d'assiettes:

– Mon doux ami, vous avez oublié un instant que vous aviez affaire à des gentilshommes: tâchez dorénavant de vous en souvenir!

– Voilà! appuya le Normand, selon son ancienne habitude.

Puis, tous deux se levèrent tandis que M. de Peyrolles réparait de son mieux le désordre de sa toilette.

– Les deux coquins sont ivres! grommela-t-il.

– Hé! donc! fit Cocardasse; je crois que le pécaïre a parlé?

– J'en ai comme une vague idée, repartit Passepoil.

Ils s'avancèrent tous deux, l'un à droite, l'autre à gauche, pour appréhender de nouveau le factotum aux oreilles, mais celui-ci prit la fuite prudemment et rejoignit Gonzague, sans se vanter de sa mésaventure.

Gonzague lui ordonna de ne point parler à nos braves amis de la fin malheureuse de Saldagne et de Faënza. Ceci était superflu; M. de Peyrolles n'avait désormais aucune envie de lier conversation avec Cocardasse et Passepoil.

On les vit arriver l'instant d'après, annoncés par un terrible bruit de ferraille. Ils avaient le feutre à la diable, les chausses débraillées, du vin tout le long de la chemise; bref, une belle et bonne tenue de coupe-jarrets.

Ils entrèrent en se pavanant, le manteau retroussé par l'épée: Cocardasse toujours superbe, Passepoil toujours gauche et irréprochable de laideur.

– Salue, mon bon, dit le Gascon, et remercie monseigneur…

– Assez! fit Gonzague en les regardant de travers.

Ils restèrent aussitôt immobiles.

Avec ces vaillants, l'homme qui paye peut tout se permettre.

– Êtes-vous fermes sur vos jambes? demanda Gonzague.

– J'ai bu seulement un verre de vin à la santé de monseigneur, repartit effrontément Cocardasse; capédébiou! pour la sobriété, je ne connais pas mon pareil…

– Il dit vrai, monseigneur, prononça timidement Passepoil; car je le surpasse… je n'ai bu que de l'eau rougie!

– Mon bon, fit Cocardasse en le regardant sévèrement, tu as bu comme moi, ni plus ni moins… A pa pur! je t'engage à ne jamais fausser la vérité devant moi… Le mensonge, il me rend malade!

– Vos rapières sont-elles toujours bonnes? demanda encore Gonzague.

– Meilleures, repartit le Gascon.

– Et bien au service de monseigneur, ajouta le Normand, qui fit la révérence.

– C'est bon, dit Gonzague.

Et il tourna le dos, tandis que nos deux amis le saluèrent profondément par derrière.

– C'ta couquin, murmura Cocardasse, il sait parler aux hommes d'épée!

Gonzague avait fait signe à Peyrolles d'approcher. Tous deux étaient remontés jusqu'au fond de la salle, près de la porte de sortie. Gonzague venait de déchirer la page de ses tablettes où il avait inscrit les renseignements donnés par dona Cruz.

Au moment où il remettait ce papier au factotum, le visage hétéroclite du bossu se montra derrière les battants de la porte entre-bâillée. Personne ne le voyait et il le savait bien, car ses yeux brillaient d'une intelligence extraordinaire. Toute sa physionomie avait changé d'aspect.

A la vue de Gonzague et de son âme damnée, causant à deux pas de lui, le bossu se rejeta vivement en arrière, puis il mit son oreille à l'ouverture de la porte.

Voici ce que d'abord il entendit.

Peyrolles épelait péniblement les mots tracés au crayon par son maître.

– Rue du Chantre… disait-il; – une jeune fille, nommée Aurore…

Vous eussiez été effrayé à l'expression que prit le visage du bossu. Un feu sombre s'alluma dans ses yeux.

– Il sait cela! fit-il; – comment sait-il cela?..

– Vous comprenez? dit Gonzague.

– Oui… je comprends, répondit Peyrolles; – c'est de la chance!

– Les gens de ma sorte ont leur étoile! reprit M. de Gonzague.

– Où mettra-t-on la jeune fille?

– Au pavillon de dona Cruz.

Le bossu se toucha le front.

– La gitanita!.. murmura-t-il; – mais elle-même… comment a-t-elle pu savoir?

– Il faudra tout simplement l'enlever?.. disait en ce moment Peyrolles.

– Pas d'éclat! repartit Gonzague; – nous ne sommes pas en position de nous faire des affaires… De la ruse… de l'adresse!.. c'est ton fort, ami Peyrolles! Je ne m'adresserais pas à toi s'il y avait des coups à donner ou à recevoir… notre homme doit habiter cette maison, j'en ferais la gageure.

– Lagardère! murmura le factotum avec un visible effroi.

– Tu ne l'affronterais pas, le matamore!.. La première chose, c'est de savoir s'il est absent… et je parierais bien qu'il est absent à cette heure.

– Il aimait à boire autrefois.

– S'il est absent, voici un plan tout simple: Tu vas prendre cette carte.

Gonzague mit dans la main de son factotum une des deux cartes d'invitation au bal du régent, réservées pour Saldagne et Faënza.

– Tu te procureras, poursuivit-il, une toilette de deuil fraîche et galante… pareille à celle que j'ai commandée pour dona Cruz… tu auras une litière toute prête dans la rue du Chantre… et tu te présenteras chez la jeune fille au nom de Lagardère lui-même…

– C'est jouer sa vie à pair ou non! dit M. de Peyrolles.

– Allons donc!.. rien que la vue de la robe et des bijoux la rendra folle!.. Tu n'auras qu'un mot à dire: Lagardère vous envoie ceci et vous attend.

– La jeune fille ne bougera pas!.. dit une voix aigrelette entre eux deux.

Peyrolles sauta de côté. Gonzague mit la main à son épée.

– A pa pur, fit de loin Cocardasse, vois donc, frère Passepoil!.. vois donc ce petit homme!

– Ah! répondit Passepoil, si la nature m'avait disgracié ainsi, et qu'il fallût renoncer à l'espoir de plaire aux belles, j'attenterais à mes propres jours!

Peyrolles se prit à rire, comme tous les poltrons qui ont eu grand'peur.

– Esope II, dit Jonas, s'écria-t-il.

– Encore cette créature! fit Gonzague avec humeur; – en louant la niche de mon chien, crois-tu avoir acheté le droit de parcourir mon hôtel?.. Que viens-tu faire ici?

– Et vous? demanda le bossu en ricanant, qu'allez-vous faire là-bas?

C'était là un adversaire selon le cœur de Peyrolles.

– Mons Esope! dit-il en se campant; nous allons vous apprendre, séance tenante, le danger que l'on court en se mêlant des affaires d'autrui.

Gonzague regardait déjà du côté des deux braves. – Tant pis pour Esope II, dit Jonas, s'il s'était avisé d'écouter aux portes!

Mais à ce moment, l'attention de Gonzague fut détournée par la conduite bizarre et vraiment audacieuse du petit homme qui prit sans façon des mains de Peyrolles la carte d'invitation qu'on venait de lui remettre.

– Que fais-tu? drôle, s'écria Gonzague.

– Le bossu tirait paisiblement de sa poche sa plume et son écritoire.

– Il est fou, dit Peyrolles.

– Pas tant!.. pas tant!.. fit Esope II, qui mit un genou en terre et s'installa le plus commodément qu'il put pour écrire.

Il traça rapidement quelques mots au dos de la carte d'invitation.

– Lisez, fit-il d'un air de triomphe, en se relevant.

Il tendit le papier à Gonzague. Celui-ci lut:

«Chère enfant, ces parures viennent de moi: j'ai voulu vous faire une surprise. Faites vous belle. Une litière et deux laquais viendront de ma part pour vous conduire au bal où je vous attendrais.

»Henri de Lagardère.»

Cocardasse junior et frère Passepoil suivaient de loin cette scène et n'y comprenaient rien.

– Sandiéou! dit le Gascon, monseigneur a l'air d'un homme qui a la berlue.

– Mais ce petit bossu, repartit le Normand, regarde donc sa figure… j'ai vu ces yeux-là quelque part!

Cocardasse haussa les épaules.

– Je ne m'occupe, répondit-il, que des hommes au-dessus de cinq pieds quatre pouces!

– Je n'ai que trois pouces, fit observer Passepoil avec reproche.

Cocardasse junior lui tendit la main et prononça ces bienveillantes paroles:

– Une fois pour toutes, monsieur Caillou, souviens-toi, que tu es en dehors… L'amitié, capédébiou! il est un prisme de cristal à travers lequel je te vois tout blanc, tout rose et plus doux que Cupidon, fils unique de Vénus, sortant du sein de l'onde!

Passepoil, reconnaissant, serra la main qu'on lui tendait.

C'était bien vrai. Gonzague avait l'air d'un homme frappé de stupéfaction. Il regardait Esope II, dit Jonas, avec une sorte d'effroi.

– Que veut dire cela? murmura-t-il.

– Cela veut dire, répliqua le bossu bonnement, qu'avec ce mot d'écrit, la jeune fille aura confiance.

– Tu as donc deviné notre dessein?

– J'ai compris que vous vouliez avoir la jeune fille.

– Et sais-tu ce qu'on risque à surprendre certains secrets.

– On risque de gagner gros, répondit le bossu, qui se frotta les mains.

Gonzague et Peyrolles échangèrent un regard.

– Mais… fit Gonzague à voix basse, cette écriture…

– J'ai mes petits talents, repartit Esope II; – je vous garantis l'imitation parfaite… quand une fois je connais l'écriture d'un homme…

– Oui-dà?.. cela peut te mener loin… Et l'homme?..

– Ah! l'homme! interrompit le bossu en riant; il est trop grand et je suis trop petit: je ne peux pas le contrefaire.

– Le connais-tu?

– Assez bien.

– Comment le connais-tu?

– Relations d'affaires…

– Peux-tu nous donner quelques renseignements?..

– Un seul… Il a frappé hier deux coups… il en frappera deux demain!

Peyrolles frissonna de la tête aux pieds. Gonzague dit:

– Il y a de bonnes prisons dans les caveaux de mon hôtel.

Le bossu ne prit point garde à son air menaçant et répondit:

– Terrain perdu!.. faites-y des caves et vous les louerez aux marchands de vins.

– J'ai idée que tu es un espion…

– Pauvre idée!.. L'homme en question est pauvre et vous êtes riche… voulez-vous que je vous le livre?

Gonzague ouvrit de grands yeux.

– Donnez-moi cette carte, reprit Esope II en montrant la dernière invitation que Gonzague tenait encore à la main.

– Qu'en ferais-tu?

– J'en ferais bon usage… Je la donnerais à l'homme… et l'homme tiendrait la promesse que je vous fais ici en son nom… Il irait au bal de M. le régent.

– Vive Dieu! l'ami, s'écrie Gonzague, – tu dois être un infernal coquin!

– Oh! oh! fit le bossu d'un air modeste, il y a plus coquin que moi.

– Pourquoi cette chaleur à me servir?

– Je suis comme cela… très-dévoué à ceux qui me plaisent.

– Et nous avons l'heur de te plaire?

– Beaucoup.

– Et c'est pour nous témoigner de plus près ton dévouement que tu as payé dix mille écus?..

– La niche? interrompit le bossu, – pas s'il vous plaît! spéculation! affaire d'or!

Puis il ajouta en ricanant:

– Le bossu était mort: vive le bossu!.. Esope Ier a gagné un million et demi sous un vieux parapluie… moi du moins, j'ai mon étude!

Gonzague fit signe à Cocardasse et à Passepoil qui s'approchèrent en sonnant le vieux fer.

– Qui sont ceux-là? demanda Jonas.

– Des gens qui vont te suivre si j'accepte tes services.

Le bossu salua cérémonieusement.

– Serviteur! serviteur! dit-il; alors, refusez mes services…

– Mes bons messieurs, ajouta-t-il en s'adressant aux deux braves; ne prenez pas la peine de déménager vos bric-à-brac… nous ne nous en irons point de compagnie.

– Cependant… fit Gonzague d'un air de menace.

– Il n'y a point de cependant! Diable! vous connaissez le personnage aussi bien que moi… Il est brusque… excessivement brusque… on pourrait même dire brutal!.. s'il voyait derrière moi ces tournures de gibier de potence…

– Pécaïre! fit Cocardasse indigné.

– Peut-on manquer ainsi de politesse! ajouta frère Passepoil.

– Je prétends agir seul ou ne pas agir du tout! acheva Esope II d'un ton péremptoire.

Gonzague et Peyrolles se consultaient.

– Tu tiens donc à ton dos? fit le premier en raillant.

Le bossu salua et répondit:

– Comme ces braves à leurs rouillardes… c'est mon gagne-pain.

– Il me répond de toi! prononça Gonzague en le regardant fixement; – tu m'entends… sers-moi fidèlement et tu seras récompensé… au cas contraire…

Il n'acheva pas et lui présenta la carte. Le bossu la prit et se dirigea vers la porte à reculons.

Il saluait de trois pas en trois pas et disait:

– La confiance de monseigneur m'honore… Cette nuit, monseigneur entendra parler de moi.

Et comme, sur un signe sournois de Gonzague, Cocardasse et Passepoil allaient l'accompagner!

– Doucement! fit-il, doucement!.. Et nos conventions!..

Il écarta Cocardasse et Passepoil d'une main qu'ils n'eussent certes point cru si vigoureuse, salua une dernière fois profondément et passa le seuil.

Cocardasse et Passepoil voulurent le suivre, il leur jeta la porte sur le nez.

Quand ils se remirent à sa poursuite, le corridor était vide.

– Et vite! fit M. de Gonzague en s'adressant à Peyrolles; que la maison de la rue du Chantre soit cernée dans une demi-heure… et le reste comme il a été convenu!

Dans la rue Quincampoix, déserte à cette heure, le bossu s'en allait trottinant.

– Les fonds étaient en baisse!.. murmurait-il; – du diable si je savais où prendre nos cartes d'entrée et la toilette de bal!..

LES MÉMOIRES D'AURORE

I
– La maison aux deux entrées. —

C'était dans cette étroite et vieille rue du Chantre qui naguère salissait encore les abords du Palais-Royal. Elles étaient trois, ces ruelles qui allaient de la rue Saint-Honoré à la montagne du Louvre: la rue Pierre-Lescot, la rue de la Bibliothèque et la rue du Chantre; toutes les trois noires, humides, mal hantées, toutes les trois insultant aux splendeurs de ce Paris central, étonné de ne pouvoir guérir cette lèpre honteuse qui lui faisait une tache en plein visage.

De temps en temps, de nos jours surtout, on entendait dire: «Un crime s'est commis là-bas,» dans les profondeurs de cette nuit que le soleil lui-même ne perçait qu'aux beaux jours de l'été.

Tantôt c'était une prêtresse de la Vénus boueuse, assommée par des brigands en goguette.

Tantôt c'était quelque pauvre bourgeois de province dont le cadavre nu se retrouvait, scellé dans un vieux mur.

Cela faisait horreur et dégoût. L'odeur ignoble de ces tripots venait jusque sous les fenêtres de ce charmant palais, demeure des cardinaux, des princes et des rois. – Mais la pudeur du Palais-Royal lui-même date-t-elle de si loin? – Et nos pères ne nous ont-ils pas dit ce qui se passait dans les galeries de bois et dans les galeries de pierre?

Maintenant, le Palais-Royal est un bien honnête carré de pierres. Les galeries de bois ne sont plus. Les autres galeries forment la promenade la plus sage et la plus ennuyeuse du monde entier.

Paris n'y vient jamais. Tous les parapluies des départements s'y donnent rendez-vous.

Mais dans les restaurants à prix fixe qui foisonnent aux étages supérieurs, les oncles de Quimper ou de Carpentras se plaisent encore à rappeler les étranges mœurs du Palais-Royal de l'Empire et de la Restauration. – L'eau leur vient à la bouche, à ces oncles, tandis que les nièces timides dévorent le somptueux festin à deux francs, en faisant mine de ne point écouter.

Maintenant, à la place même où coulaient ces trois ruisseaux fangeux du Chantre, de Pierre-Lescot et de la Bibliothèque, un immense hôtel, conviant l'Europe à sa table de mille couverts, étale ses quatre façades sur la place du Palais-Royal, sur la rue Saint-Honoré alignée, sur la rue du Coq élargie, sur la rue de Rivoli allongée.

Des fenêtres de cet hôtel, on voit le Louvre neuf, fils légitime et ressemblant du vieux Louvre. La lumière et l'air s'épandent partout librement. La boue s'en est allée on ne sait où, les tripots ont disparu: la lèpre hideuse, soudainement guérie, n'a pas même laissé de cicatrice.

Mais où donc demeurent à présent les brigands et leurs dames?

Au XVIIIe siècle, ces trois rues que nous venons de flétrir si dédaigneusement étaient déjà fort laides; mais elles n'étaient pas beaucoup plus étroites ni plus souillées que la grande rue Saint-Honoré, leur voisine.

Il y avait sur leurs voies mal pavées quelques beaux portails: des hôtels nobles, çà et là parmi les masures.

Les habitants de ces rues étaient tous pareils aux habitants des carrefours voisins: en général des petits bourgeois, merciers, revendeurs ou tailleurs de soupe. – Il se rencontrait dans Paris de beaucoup plus vilains endroits.

A l'angle de la rue du Chantre et de la rue Saint-Honoré, s'élevait une maison de modeste apparence, proprette et presque neuve. L'entrée était par la rue du Chantre: une petite porte cintrée au seuil de laquelle on arrivait par un perron de trois marches.

Depuis quelques jours seulement, cette maison était occupée par une jeune famille dont les allures intriguaient passablement le voisinage curieux.

C'était un homme, un jeune homme, du moins si l'on s'en rapportait à la beauté toute juvénile de son visage, au feu de son regard, à la richesse de sa chevelure blonde encadrant un front ouvert et pur. – Il s'appelait maître Louis et ciselait des gardes d'épée.

Avec lui demeurait une toute jeune fille, belle et douce comme les anges, dont personne ne savait le nom.

On les avait entendus se parler. Ils ne se tutoyaient point et ne vivaient pas en époux.

Ils avaient pour serviteurs une vieille femme qui ne causait jamais, et un garçonnet de seize à dix-sept ans qui faisait bien ce qu'il pouvait pour être discret.

La jeune personne ne sortait jamais, – au grand jamais! – si bien qu'on aurait pu la croire prisonnière, si à toute heure on n'avait entendu sa voix fraîche et jolie qui chantait des cantiques ou des chansons.

Maître Louis sortait, au contraire, fort souvent et rentrait même assez tard dans la nuit. – En ces occasions, il ne passait point par la porte du perron. La maison avait deux entrées: la seconde était par l'escalier de la propriété voisine.

C'était par là que maître Louis revenait en son logis.

Depuis qu'ils étaient habitants de la maison, aucun étranger n'en avait passé le seuil, – sauf un petit bossu à figure douce et sérieuse, qui entrait et sortait sans mot dire à personne, toujours par l'escalier, jamais par le perron.

C'était une connaissance particulière à maître Louis sans doute; – les curieux ne l'avaient jamais aperçu dans la salle basse où se tenait la jeune fille avec la vieille femme et le garçonnet.

Avant l'arrivée de maître Louis et de sa famille, personne ne se souvenait d'avoir rencontré le bossu dans le quartier. – Aussi intriguait-il la curiosité générale, presque autant que maître Louis lui-même, le beau et taciturne ciseleur.

Le soir, quand les petits bourgeois du voisinage bavardaient au pas de leurs portes, après la tâche finie, on était bien sûr que le bossu et les nouveaux habitants de la maison faisaient les frais de l'entretien.

Qui étaient-ils? d'où venaient-ils? et à quelle heure mystérieuse ce maître Louis, qui avait les mains si blanches, taillait-il ses gardes d'épées?

La maison était ainsi aménagée: une grande salle basse avec la petite cuisine à droite, sur la cour, et la chambre de la jeune fille ouvrant sa croisée sur la rue Saint-Honoré: dans la cuisine deux soupentes, une pour la vieille Françoise Berrichon, l'autre pour Jean-Marie Berrichon, son petit-fils.

Tout ce rez-de-chaussée n'avait qu'une sortie: la porte du perron.

Mais au fond de la salle basse, tout contre la cuisine, était adossé un escalier à vis qui montait à l'étage supérieur.

L'étage supérieur était composé de deux chambres: celle de maître Louis, qui s'ouvrait sur l'escalier, et une autre qui n'avait ni issue ni destination connue.

Cette deuxième chambre était constamment fermée à clef. Ni la vieille Françoise, ni Berrichon, ni même la charmante jeune fille n'avaient pu obtenir permission d'y entrer.

A cet égard, maître Louis, le plus doux des hommes, était d'une rigueur inflexible.

La jeune fille, cependant, eût bien voulu savoir ce qu'il y avait derrière cette porte close; Françoise Berrichon en mourait d'envie, bien que ce fût une femme discrète et prudente. – Quant au petit Jean-Marie, il aurait donné deux doigts de sa main pour mettre seulement son œil à la serrure.

Mais la serrure avait par derrière une plaque qui interceptait le regard.

Une seule créature humaine partageait, au sujet de cette chambre, le secret si bien gardé de maître Louis. C'était le bossu.

On avait vu le bossu entrer dans la chambre et en sortir.

Mais, comme si tout ce qui se rapportait à ce mystère devait être inexplicable et bizarre, chaque fois que le bossu rentrait dans la chambre, on en voyait bientôt sortir maître Louis. Réciproquement, après l'entrée de maître Louis, le bossu sortait parfois tout à coup.

Jamais personne n'avait vu réunis ces deux amis inséparables.

Parmi les voisins curieux était un poëte, habitant naturellement le dernier étage de la maison; ce poëte, après avoir mis son esprit à la torture, expliqua aux commères de la rue du Chantre qu'à Rome les prêtresses de Vesta, Ops, Rhée ou Cybèle, la Bonne Déesse, fille du Ciel et de la Terre, femme de Saturne et mère des dieux, étaient chargées d'entretenir un feu sacré qui jamais ne devait s'éteindre. En conséquence, au dire du poëte, ces demoiselles se relayaient: quand l'une veillait au feu, l'autre allait à ses affaires.

Le bossu et maître Louis devaient très-certainement avoir fait entre eux quelque pacte analogue. Il y avait là-haut quelque chose qu'on ne pouvait quitter d'une seconde: maître Louis et le bossu montaient la garde à tour de rôle auprès de ce quelque chose-là.

C'étaient deux façons de vestales, sauf le sexe et le baptême.

La version du poëte ne fut pas sans avoir du succès. Il passait pour être un peu fou; désormais, on le regarda comme un parfait idiot.

Mais on ne trouva point d'explication meilleure que la sienne.

Le jour même où avait eu lieu en l'hôtel de M. le prince de Gonzague cette solennelle assemblée de famille, vers la brune, la jeune fille qui tenait la maison de maître Louis était seule dans sa chambrette.

C'était une jolie petite pièce toute simple, mais où chaque objet avait son élégance et sa propreté recherchée… Le lit en bois de merisier s'entourait de rideaux de percale, éclatants de blancheur. Dans la ruelle, un petit bénitier pendait, couronné d'un double rameau de buis; – quelques livres pieux sur des rayons attenant à la boiserie, un métier à broder, des chaises, – une guitare sur l'une d'elles, – à la fenêtre un oiseau mignon dans une cage, tels étaient les objets meublant ou ornant cet humble et gracieux réduit.

Nous oublions pourtant une table ronde et sur la table quelques feuilles de papier éparses.

La jeune fille était en train d'écrire.

Vous savez comme elles abusent de leurs yeux, les jeunes folles! laissant courir leur aiguille ou leur plume bien longtemps après le jour tombé.

On n'y voyait presque plus et la jeune fille écrivait encore.

Les derniers rayons du jour arrivant par la fenêtre dont les rideaux venaient d'être relevés, éclairaient en plein son visage et nous pouvons vous dire du moins comme elle était faite.

C'était une rieuse, une de ces douces filles dont la gaieté rayonne si bien, qu'elle suffit toute seule à la joie d'une famille. Chacun de ses traits semblait fait pour le plaisir: son front d'enfant, son nez aux belles narines roses, sa bouche dont le sourire montrait la parure nacrée.

Mais ses yeux rêvaient: de grands yeux d'un bleu sombre dont les cils semblaient une longue frange de soie.

Sans le regard pensif de ces beaux yeux, à peine lui eussiez-vous donné l'âge d'aimer.

Elle était grande; sa taille était un peu trop frêle: quand nul ne l'observait, ses poses avaient de chastes et délicieuses langueurs.

L'expression générale de sa figure était la douceur; mais il y avait dans sa prunelle, brillant sous l'arc de ses sourcils noirs, dessinés hardiment, une fierté calme et vaillante. Ses cheveux, noirs aussi, à chauds reflets d'or fauve, ses cheveux longs et riches, si lourds qu'on eût dit parfois que sa tête s'inclinait sous leur poids, ondulaient en masses larges sur son cou et sur ses épaules, faisant à son adorable beauté un cadre et une auréole.

Il y en a qui doivent être aimées ardemment, mais un seul jour; – il y en a d'autres qu'on chérit longtemps d'une tranquille tendresse.

Celle-ci devait être aimée passionnément et toujours.

Elle était ange, mais surtout femme.

Son nom, que les voisins ignoraient et que dame Françoise et Jean-Marie Berrichon avaient défense de prononcer depuis l'arrivée à Paris, était Aurore.

Nom prétentieux et sot pour une belle demoiselle des salons, nom grotesque pour une fille à mains rouges et pour ma tante dont la voix chevrote, – nom ravissant pour celles qui peuvent l'enlacer comme une fleur de plus à leur diadème de chère poésie.

Les noms sont comme les parures qui écrasent les unes et que les autres rehaussent.

Elle était là toute seule. – Quand l'ombre du crépuscule lui cacha le bout de sa plume, elle cessa d'écrire et se mit à rêver.

Les mille bruits de la rue arrivaient jusqu'à elle et ne l'éveillaient point.

Sa belle main blanche était dans ses cheveux; sa tête s'inclinait; ses yeux regardaient le ciel.

C'était comme une muette prière. Elle souriait à Dieu.

Puis, parmi son sourire, une larme vint, – une perle qui un moment trembla au bord de sa paupière, pour rouler ensuite lentement sur le satin de sa joue.

– Comme il tarde!.. murmura-t-elle.

Elle rassembla les pages éparses sur la table et les serra dans une petite cassette qu'elle poussa derrière le chevet de son lit.

– A demain! dit-elle, comme si elle eût pris congé d'un compagnon de chaque jour.

Puis elle ferma sa fenêtre et prit sa guitare, dont elle tira quelques accords au hasard.

Elle attendait.

Aujourd'hui, elle avait relu toutes ces pages enfermées maintenant dans la cassette.

Hélas! elle avait le temps de lire.

Ces pages contenaient son histoire, – ce qu'elle savait de son histoire.

L'histoire de ses impressions, de ses sentiments, de son cœur.

Pour qui avait-elle écrit cela? Les premières lignes du manuscrit répondaient à cette question.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
130 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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