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Kitabı oku: «Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles», sayfa 13

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CHAPITRE VII
1782

Mariage de la comtesse de Reichenberg avec le marquis de Louvois. – Fêtes à Paris. – Angélique a la jaunisse. – Les bals des Gardes du corps. – Changements diplomatiques. – Mort de Madame Sophie. – Présentation de la marquise de Louvois. – Mme des Deux-Ponts. – La comtesse Diane intervient auprès de la Reine. – Mme de Bombelles est reçue par Marie-Antoinette. – Notes sur le marquis de Bombelles présentées à la Reine. – Démarches d'Angélique. – Voyage du marquis à Munich. – Audience de Pie VI. – Retour de M. de Bombelles à Versailles. – Le comte et la comtesse du Nord. – Fêtes données en leur honneur. – Opinions diverses. – Lettre de Mlle de Condé. – Faillite des Rohan-Guéménée.

L'année 1782 s'ouvre par l'annonce officielle du mariage de Mme de Reichenberg et du marquis de Louvois. Toutes difficultés sont vaincues, Mme de Reichenberg le mande à son frère, et sans être aucunement éprise, elle se dit satisfaite de l'esprit et du cœur de son futur mari; il est galant, de jolie tournure, généreux, et a su respecter «la situation scabreuse d'une veuve en tête à tête depuis six mois». Son frère aîné, le comte de Bombelles, le marquis d'Ossun173 et M. de Louvois ont été demander l'agrément du Roi, qui a signé le contrat le 30 décembre. Des maréchaux de France, des ducs et pairs, quelques parents ont assisté à cette cérémonie. Le mariage aura lieu à Saint-Sulpice le 15 janvier, juste trois ans après son premier mariage.

Mme de Bombelles a fait sa cour la veille du jour de l'an, et la manière dont la Reine l'a traitée l'a de nouveau tranquillisée. Sa Majesté lui a posé plusieurs questions «avec l'air de l'intérêt» et ne semble pas lui savoir mauvais gré de son voyage à Chantilly. Mme de Vergennes a fort bien reçu la marquise qui, elle-même, a eu deux visites inattendues, celle de la douairière des Deux-Ponts fort aimable, et celle du prince de Condé qui l'a accablée de compliments. La comtesse d'Artois est tout à fait remise, on s'occupe des fêtes qui auront lieu à la fin du mois. «Il y aura incessamment appartement, bal, etc., et mon habit et ma robe brilleront», ajoute naïvement Mme de Bombelles.

Une soirée intime chez Madame Élisabeth pour tirer le gâteau des Rois, des folies dites pour dissiper la petite princesse dont la vie est si monotone, les préparatifs du mariage Louvois, la nomination étrange, et qui fait rire, de Mme de Genlis comme «gouverneur» des enfants du duc de Chartres, la prise de Saint-Eustache où Arthur Dillon s'est couvert de gloire, voilà les événements grands et petits contés par Mme de Bombelles.

Le 15 janvier, elle est abasourdie: «Je suis arrivée hier soir à Paris, mon petit chat, et j'y ai appris avec la plus grande surprise que ta sœur s'était mariée le matin même dans le plus grand incognito, ayant seulement pour témoin le baron de Bombelles. En sortant de la messe, elle est arrivée chez la petite Travanet, s'y est fait annoncer Mme de Louvois, et a eu toutes les peines du monde à lui persuader que ce n'était pas une plaisanterie. La pauvre femme est dans un état pitoyable: elle a la jaunisse, des maux d'entrailles, d'estomac affreux; tu ne peux t'imaginer à quel point elle est changée, elle est d'une maigreur horrible. Elle est venue souper hier avec son mari chez la petite Travanet; ils étaient tous de la plus grande gaieté. J'ai tâché de faire comme eux, mais je ne puis te rendre à quel point j'avais le cœur serré. M. de Louvois a été fort aimable, plein d'attentions pour sa femme, quoiqu'elle soit jaune et maigre; il en est réellement amoureux… et lui en a donné des preuves… Mais il a encore sur la physionomie une teinte de mauvaise tête qui m'a fait trembler. Enfin ta sœur est au comble du bonheur, elle ne trouve rien de parfait dans le monde comme M. de Louvois. Ainsi je suis bien bonne de me tourmenter, je veux espérer son bonheur comme les autres…

«Il y a enfin eu «appartement» dimanche, et j'ai mis mon bel habit. Tout le monde l'a trouvé charmant; j'étais coiffée à merveille, j'avais des diamants, enfin on m'a jugée fort belle. Je ne peux pas te rendre cependant le désespoir où j'étais que tu ne fusses pas ici, je suis sûre que je t'aurais plu; cela m'aurait fait grand plaisir, au lieu qu'il m'est égal de plaire aux autres. Madame Élisabeth a été charmante, elle s'est beaucoup occupée de ma toilette et elle était ravie quand on vantait mon habit. Je le remettrai encore lundi pour l'entrée de la Reine à Paris. On dit que l'Hôtel de Ville sera décoré magnifiquement, que cela sera superbe; mais je suis fâchée qu'on fasse tant de dépenses pendant la guerre.»

Mme de Bombelles part, le 17, pour Villiers où sa belle-sœur et son beau-frère la reçoivent, elle et Bombon, «avec mille caresses». Elle y trouve Mme de Louvois venue de son côté avec son mari, Mme de Souvré, Mme de Sailly, sœur du nouveau marié, M. et Mme de la Roche-Dragon…

«Tout le monde a été dans l'enchantement de la maison de ton frère qui est véritablement charmante, écrit Mme de Bombelles le 19. Son salon surtout est arrangé en perfection, il est tout en colonnes et sculpté parfaitement; le dîner était excellent, servi à merveille… Après le dîner on a fait la conversation, et puis Mme de Louvois qui a la jaunisse plus que jamais et qui n'en pouvait plus s'en est allée aux Bergeries avec toute sa nouvelle parenté. Le grand monde parti, nous avons fait venir Bombon à qui Mme de Bombelles a donné des joujoux, et dont les singeries ont très bien réussi.»

Le lendemain, dîner chez Mme de Souvré aux Bergeries, «maison horrible et sale qui tombe de tous côtés… La jaunisse de Mme de Louvois ne fait qu'augmenter.»

A force de parler de la jaunisse des autres Mme de Bombelles est malade à son tour.

«Tout le monde est à Paris, écrit-elle le 21 janvier, et moi j'ai été obligée de revenir hier au soir ici, j'ai décidément la jaunisse… Madame Élisabeth n'était pas partie hier quand je suis arrivée, je l'ai été voir tout de suite, tu ne peux pas t'imaginer avec quelle bonté elle m'a parlé. Elle a chargé Loustaneau sans que je le susse de lui donner tous les jours de mes nouvelles. Elle m'a fait mille caresses pour me consoler de n'être pas à «l'Entrée», enfin elle a été charmante…»

Étant retenue à Versailles, la marquise ne peut, et c'est dommage, sur les fêtes populaires, sur le festin de l'Hôtel de Ville dans la cour couverte décorée de colonnes corinthiennes, nous apporter sa note personnelle. De ces journées mémorables les récits ne manquent pas, officiels ou privés. Rien ne vaut, pour en fixer le souvenir, que cette histoire par l'image dont les échevins de Paris confièrent le soin à Moreau le Jeune. Le choix était heureux, et rarement le graveur devenu célèbre, et déjà favorisé par Marie-Antoinette a mieux rendu et le fourmillement de la foule et le resplendissement sous l'éclat des lustres des habits de Cour. Les plus belles fêtes données par la ville de Paris174, sous l'ancien régime, ont trouvé leur historien consciencieux et élégant; la collection de planches auxquelles Moreau le Jeune apporta des soins si minutieux est un des plus beaux spécimens de la gravure française175.

La marquise de Bombelles n'assista pas au repas de soixante-dix couverts où le Roi était servi par Lefebre de Caumartin, prévôt des marchands, qui lui présenta la serviette, et la Reine par Mme de la Porte, nièce de Caumartin; elle n'entendit ni la musique ni les harangues, elle ne souligna pas la fatigue des uns et des autres du cortège royal – partis vers midi de la Muette pour n'y rentrer qu'après minuit; – elle n'eut pas à noter le feu d'artifice représentant le temple de l'Hymen, les exclamations de la foule affairée et curieuse, l'embrasement des eaux et des cascades; elle ne sut pas qu'en se levant de table au bout d'une heure et demie le Roi avait laissé bien des estomacs non satisfaits176, elle ignora qu'au retour par la rue Saint-Honoré, Marie-Antoinette tint à s'arrêter un instant devant l'hôtel de Noailles où se trouvait le marquis de La Fayette récemment débarqué d'Amérique, que la Reine permit au jeune général couvert de lauriers de venir lui baiser la main…; elle n'assista pas non plus au bal du 23 où la foule était si considérable que l'ordre n'en fut pas irréprochable177

Il restait encore des joies mondaines à connaître178, et à ces galas de Versailles, Mme de Bombelles put assister et montrer son bel habit.

La fête donnée par les Gardes du corps eut lieu le 30 janvier dans la grande salle de spectacle du Palais de Versailles; elle commença par un bal paré et se termina par un bal masqué. La Reine ouvrit le bal par un menuet qu'elle dansa avec M. de Prisy, un des majors de corps, puis, pour bien honorer le régiment, elle dansa une contredanse avec un simple garde179 nommé par le corps, et auquel le Roi accorda le bâton d'exempt.

«Ma jaunisse, écrit Mme de Bombelles le 3 février, a été assez aimable pour ne pas m'empêcher d'aller au bal paré, et cela m'a fait un grand plaisir, car c'était la plus agréable chose qu'on ait jamais vue; on prétend qu'il s'en fallait bien que les bals qu'on y a donnés pour le mariage des princes approchassent de la magnificence de celui-ci, parce qu'il y avait un tiers de bougies de plus qu'au dernier; toutes les loges étaient remplies de femmes extrêmement parées; la Cour était de la plus grande magnificence, enfin c'était superbe, et j'étais au désespoir que tu ne fusses pas ici… Ma robe a joué son rôle, elle est superbe… Le bal a commencé à six heures et a fini à neuf. A minuit Madame Élisabeth a été avec Mlle de Condé et plusieurs de ses dames dans une loge au bal masqué; elle m'a proposé d'y venir et, comme je croyais qu'elle n'y passerait qu'une demi-heure, j'ai accepté. Point du tout: elle s'y est amusée comme une reine et y est restée jusqu'à trois heures et demie, de manière qu'il en était quatre lorsque je me suis mise au lit… A la sortie d'une jaunisse cela n'était pas très raisonnable… La Reine m'a traitée à merveille. Elle m'a demandé comment je me portais, s'il était bien prudent de sortir déjà. Elle m'a dit à demi-voix: «Irez-vous au bal masqué?» – Je lui ai répondu en souriant que je n'en savais rien. – Elle a repris: «Oh! l'enfant! Véritablement on ne mérite pas d'être chaperon quand on va au bal, venant d'avoir la jaunisse.» Comme ma petite belle-sœur était avec moi et était entrée chez la Reine sans en avoir le droit, je lui ai dit que je craignais d'avoir fait une grande sottise en faisant entrer ma sœur chez elle; elle m'a répondu que cela ne faisait rien et qu'elle était ravie de la voir. J'ai été charmée que cela se soit passé ainsi, car je craignais vraiment d'avoir fait quelque chose de très mal. Le Roi m'a aussi parlé au bal, il m'a demandé si je trouvais le bal beau… Ensuite il m'a demandé des nouvelles de ma sœur180, de maman, de ma tante181. Il m'a dit: C'est une épidémie, toutes les sous-gouvernantes sont malades. – Je lui ai dit: «Oui, sire, il ne reste que Mme d'Aumale182.» – Il m'a répondu en riant: «Oh! c'est un beau renfort…»

La petite Travanet devait venir voir le bal avec sa belle-sœur: «Je lui avais fait préparer un joli petit souper, j'en ai été pour mes frais, car elle n'est pas venue. Elle est restée près de son mari qui a été dans le plus grand chagrin, parce que Mlle Saint-Ouen, son ancienne maîtresse, est morte. Je n'ai pu partager son chagrin là-dessus, car cette créature inquiétait ta sœur, parce que son mari l'allait voir quelquefois. Mais elle a fort bien fait de ne pas venir et de donner dans cette occasion-là des marques d'attachement à son mari. Ce que je ne conçois pas, c'est la profonde douleur de M. de Travanet. Qu'il en soit un peu fâché, passe, mais de l'être tant, je trouve cela malhonnête pour sa femme…»

C'est à ce bal qui fit tant de bruit que fut inauguré la mode de porter des Dauphins en or ornés de brillants. Les cheveux de la Reine étaient tombés à la suite de ses couches; elle dut adopter une coiffure basse, dite «à l'enfant», qui fut bientôt en vogue183.

A cette époque aussi vint l'usage du catogan jusque-là porté par les hommes et que lançaient la Reine et la duchesse de Bourbon. Cette coiffure cavalière relevée de rubans ne manquait pas de piquant, mais elle semblait masculine et ne plaisait pas à tout le monde. Le Roi s'en moquait. Un jour il entra chez la Reine avec un chignon. Comme Marie-Antoinette riait: «C'est tout simple… puisque les femmes ont pris nos modes…» La leçon porta, et les modes masculines disparurent.

Les fêtes n'ont pas fait oublier à Mme de Bombelles la carrière de son mari. La mort imminente de M. d'Usson, ministre de France à Stockholm, allait créer un mouvement diplomatique. Aussitôt la jeune femme court chez Madame Élisabeth et la prie de dire à la Reine que, si M. de Pons allait à Stockholm, elle désirerait bien voir son mari à Berlin. Madame Élisabeth remplit courageusement sa mission périlleuse. La Reine répond vivement et d'assez mauvaise humeur «que cela ne se pouvait pas» sans en dire la raison.

«Tu juges la peine que m'a fait une telle réponse, écrit la marquise le 10 février. J'ai fait chercher le lendemain le comte d'Esterhazy à qui j'ai conté ce qui venait de se passer. Il m'a répondu qu'il n'en était pas étonné, que la peur de déplaire à 91 (?) en était la seule raison. Qu'au reste il fallait que je fisse le lendemain la demande à M. de Vergennes. Je lui ai répondu: «Si la Reine est décidée à barrer à M. de Bombelles dans toutes ses entreprises, il est inutile qu'il reste seulement où il est. J'ai la mort dans le cœur, vous pouvez le dire à la Reine, je ne croyais pas que ma conduite et mon attachement pour elle méritait une telle aversion.» Il m'a répondu: «Soyez sûre que la Reine a la meilleure opinion de vous. Elle vous aime même.»

« – J'ai repris: «Si cela est, dites-lui, je vous en prie, l'état où vous m'avez vue, et que le seul moyen de me consoler serait l'assurance de Constantinople quand M. de Saint-Priest le quitterait.»

M. d'Esterhazy a promis de parler à la Reine tout de suite après les Jours Gras, mais, sans doute, il avait tenu à lui exposer dès le jour même la douleur de la jeune marquise, car le soir il y a bal, et, dès que la Reine a aperçu Mme de Bombelles qui accompagne Madame Élisabeth, elle vient s'asseoir devant elle d'un air un peu embarrassé, et, «voulant lui marquer de la bonté », s'est mise à parler de choses et d'autres. «J'ai tâché de n'avoir pas l'air de mauvaise humeur, mais j'avais une telle palpitation de cœur que j'ai pensé me trouver mal.»

Mme de Bombelles continue démarches sur démarches; elle court chez M. de Rayneval qui ne lui cache pas qu'elle n'obtiendra pas facilement le poste de Berlin, elle va dîner chez Mme de Vergennes qui lui promet son appui, elle écrit à M. de Vergennes qui lui donne enfin une audience. Le ministre la reçoit bien, lui dit qu'en effet son mari avait été la première personne à qui il avait pensé pour le poste de Berlin, mais que «c'eût été l'exposer à toute l'animosité de l'Empereur, peut-être à celle de la Reine, et «en un mot lui casser le col». Il ajoutait que le Roi et lui étaient fort satisfaits des services de M. de Bombelles, «qu'avec ses talents diplomatiques il n'était pas nécessaire d'aller échelon par échelon pour parvenir à une place importante, qu'on avait des vues sur lui, plus élevées que Berlin ou Copenhague, «que cela serait aussi plus loin». Le ministre n'en voulut pas dire davantage, et Mme de Bombelles en est réduite aux conjectures: Constantinople ou Saint-Pétersbourg. Ce dernier poste l'effraierait, vu leur peu de fortune, et elle se reprend de nouveau à espérer que Constantinople pourrait, dans un temps donné, leur être dévolu. Elle a été malade d'émotion depuis trois jours… puis, encore une fois elle se berce d'illusions.

Le 13 février, elle sait à quoi s'en tenir sur le présent, et l'avenir est toujours aussi vague. «Hé bien! mon petit chat, écrit-elle à son mari, c'est M. d'Éterno qui va à Berlin, M. de Sainte-Croix à Liège, et M. de Pons à Stockholm. Qui aurait dit il y a dix mois que M. d'Éterno ferait un si grand saut!» Chez Mme de Vergennes elle s'est trouvée en quatrième entre Mme de Pons, Mme d'Éterno et Mme de Sainte-Croix. «Ces trois dames avaient l'air d'être enchantées, pour moi, je ne l'étais nullement, et je me disais en moi-même: «Voilà ce qui s'appelle boire le calice jusqu'à la lie.»

M. et Mme de Vergennes ont été parfaitement aimables pour Angélique; la femme du ministre affectait de regretter que M. de Bombelles ne fût pas nommé à Berlin et assurait qu'on saurait l'en dédommager. La jeune femme a supporté tout cet entretien avec courage; mais, lorsqu'elle est revenue chez Mme de Mackau, elle étouffait et se mit à pleurer… A la fin de la lettre elle se dit remontée, car le comte d'Esterhazy est «chaud ami» et servira certainement les intérêts de M. de Bombelles. Pauvre petite femme de diplomate ambitieux, comme elle prend au sérieux des promesses vagues qui n'engageaient à rien! Certaine phrase de M. de Vergennes aurait dû pourtant lui faire comprendre que d'ici quelque temps il ne saurait être question de son mari: cette phrase qu'elle rapporte dans une lettre postérieure et qui «l'a fait mourir de rire», la voici: «Comme elle insistait, disant qu'elle allait demander pour son mari le poste de Berlin: «Patience, patience, répondit le ministre. Il n'y a encore que sept ans que M. de Bombelles est à Ratisbonne et MM. de Flavigny et de Barbentane sont depuis vingt-cinq ans en Italie!» Comme Mme de Bombelles insistait pour qu'aucune comparaison ne pût être établie entre ces différents messieurs, M. de Vergennes reprit: «Je conviens que M. de Bombelles est du bois dont on fait les flûtes, mais je n'en crains pas moins, etc…» Assimiler les grands postes diplomatiques à des flûtes avait eu le don d'exciter le rire de Mme de Bombelles… Ce qui est plus rassurant c'est que M. de Vergennes, au dire de M. de Rayneval s'occupe réellement de l'avenir de M. de Bombelles, mais il ne se pressera pas. D'un mot il a défini la situation à Mme de Mackau: «Quand, à quarante ans, M. de Bombelles sera ambassadeur, il n'aura pas à se plaindre.»

Il n'y avait pas en effet tant de temps de perdu, quoi qu'en dît Mme de Bombelles et, même parmi les favoris, les ambassadeurs de moins de quarante ans étaient des exceptions.

M. de Bombelles d'ailleurs est beaucoup plus raisonnable. Il trouve toutes naturelles les nominations faites surtout celle de M. d'Éterno à Berlin184.

Un deuil se préparait à la Cour. Le 27 février, Mme de Bombelles annonçait à son mari en même temps que Madame Sophie était très malade et que la fille du Roi venait d'avoir des convulsions et était en grand danger. L'enfant, qui devint Madame Royale, fut sauvée. Mais la tante du Roi mourait dans la nuit du 2 au 3 mars.

«Elle a tourné à la mort le 2 au matin. On croyait que les souffrances venaient de l'effet des remèdes, et on était si persuadé qu'elle ne mourrait pas encore que, le soir même, il y avait spectacle au château. En sortant, on est venu avertir le Roi et la Reine que Madame Sophie était très mal. Ils y ont été ainsi que Monsieur, M. le comte d'Artois et Madame Élisabeth, et ils y sont restés jusqu'à son dernier moment. Cette pauvre princesse a eu toute sa connaissance jusqu'à une demi-heure avant sa mort. C'est son hydropisie qui a remonté dans la poitrine et s'est jetée sur le cœur qui l'a tuée. Elle est morte étouffée de la même mort à peu près que l'Impératrice. Elle est partie ce soir pour Saint-Denis. Elle a demandé, en mourant, de n'être pas ouverte et d'être enterrée sans cérémonies185. Madame Élisabeth est extrêmement affligée et frappée de l'horrible spectacle de la mort de Madame sa tante. Je ne l'ai presque pas quittée depuis ce moment, et je t'écris de chez elle. Elle a beaucoup pleuré aujourd'hui, elle est plus calme, et, quoiqu'indisposée depuis plusieurs jours, elle n'a pas eu de contre-coup de cette mort, mais elle est très triste. Elle veut absolument faire son testament, elle n'est occupée que de la mort. Il n'est pas étonnant qu'avec la tête aussi vive elle soit aussi frappée; mais j'espère que d'ici à quelques jours son esprit se tranquillisera, et qu'elle n'aura l'idée de la mort qu'autant qu'elle nous est nécessaire pour bien vivre. Mesdames sont dans un état affreux, elles sont véritablement bien à plaindre186. M. de Montmorin est au désespoir, ainsi que toutes les femmes qui appartenaient à cette pauvre princesse et dont elle était adorée. Elle a fait par son testament Mesdames ses légataires universelles. Elle a donné une partie de ses diamants à Mme de Montmorin, sa bibliothèque à Mme de Riantz et plusieurs de ses bijoux à différentes de ses dames187. Le deuil est de trois semaines… Mme de Louvois qui est venue samedi dernier pour être présentée n'a pas pu l'être, comme tu imagines bien, ce qui l'a avec raison fort contrariée…»

Si regrettée dans son entourage que fût Madame Sophie, sa mort ne devait pas interrompre longtemps le mouvement de la Cour et de la société. Mme de Bombelles est occupée à répéter à Paris la tragédie qui doit être jouée le 10 mars, chez Mme de La Vaupalière. Le même jour, elle assistait à Versailles à la présentation de Mme de Louvois. «Elle était mise à merveille, elle a fort bien fait ses révérences, mais elle avait si peur que cela lui faisait faire la grimace de quelqu'un qui va pleurer et rendait son maintien un peu roide. La Reine m'a dit qu'elle avait un peu de la tournure allemande, mais qu'il était impossible d'avoir l'air plus noble, et il me paraît qu'en général sa belle taille et son port ont fait beaucoup d'effet.»

Ayant été dîner chez la douairière des Deux-Ponts, Mme de Bombelles croit convenable de lui parler de ses projets et lui demander conseil. Mme des Deux-Ponts a approuvé ce qui a été fait pour obtenir l'appui de la Reine. Elle m'a conseillé, de plus, de parler à la comtesse Diane, d'avoir l'air de lui demander son avis sur la démarche que j'avais envie de faire, de tâcher de l'intéresser en cette faveur, afin que la Reine, après m'avoir entendue, soit entretenue par les personnes de sa société dans sa bonne volonté. Je t'avouerai que, quoique je sente l'importance de cette démarche, elle me coûte beaucoup, car il est humiliant pour moi et Madame Élisabeth d'être obligée de recourir à d'autres voies qu'à la sienne pour parvenir à la fortune. Je l'ai dit à Mme des Deux-Ponts, elle m'a répondu: «Que voulez-vous? Il faut prendre les gens comme ils sont, et, puisque vous avez besoin de la Reine, il faut faire ce qui peut lui être agréable.» Elle ira encore à Versailles, elle m'a promis de préparer les personnes à m'entendre, de faire ton éloge, et enfin de prendre tous les moyens possibles pour t'être de quelque utilité. Elle m'a répété son conseil sur la comtesse Diane, m'a fait le canevas de ce que je lui dirais. Elle m'a dit qu'il était inutile d'en instruire Madame Élisabeth; mais, mon petit chat, pour rien dans le monde je ne la tromperai… Je ne lui cacherai certainement pas que je parlerai à la comtesse Diane, et c'est justement parce que je ne l'aime pas que je serais fausse si j'allais lui parler à son insu. Je retourne à Versailles, j'entrerai de semaine, je parlerai à Madame Élisabeth et à la comtesse Diane, et ensuite à la Reine.

«La tragédie s'est jouée le 14 avec l'approbation de tous les spectateurs. Les petites de la Vaupalière ont été étonnantes; Mme de Travanet a joué à merveille, moi point mal, et l'ensemble a été parfait.»

Le 20, de Versailles, Mme de Bombelles rend compte à son mari des démarches qu'elle a pu faire en sa faveur. D'abord M. de Vergennes lui a accordé de bonne grâce un congé que M. de Bombelles viendra passer en France. Le ministre n'a pas spécifié la longueur de ce congé qu'on espère faire durer le plus longtemps possible… peut-être jusqu'à vacance d'ambassade.

Fort satisfaite de ce premier succès, Mme de Bombelles s'est rendue chez Madame Élisabeth à qui elle a conté toute son affaire. «Je lui ai dit que pour rien au monde je ne ferais ces démarches (auprès de la comtesse Diane) que si elle-même me les conseillait et que je sois bien sûre de ne pas lui déplaire. Elle m'a répondu qu'elle croyait que je ne pouvais rien faire de mieux, que cela ne lui causerait aucune peine; son amour-propre céderait toujours au désir extrême qu'elle avait de te voir avancer.

«En conséquence, j'ai demandé avant-hier un moment d'entretien à la comtesse Diane et je l'ai vue hier matin. J'ai commencé par lui dire le chagrin que j'avais eu de n'avoir pu obtenir Berlin pour toi, la cause que je craignais du refus qui m'en avait été fait et tout ce qui s'est passé alors: les tracasseries injustes qu'on t'avait faites, il y a trois ans, ta conduite alors, ta parfaite innocence et le renvoi de la personne qui t'avait fait le plus de tort par ses mensonges188, le désir que j'aurais d'obtenir une audience de la Reine pour te disculper à ses yeux et tâcher d'intéresser ses bontés, afin qu'elle nous prête son appui dans le moment où nous en aurons besoin… Je lui ai alors montré ma petite note à ce sujet, elle l'a lue deux fois et l'a trouvée parfaite. Elle m'a dit qu'elle se chargeait de demander pour moi une audience à la Reine, qu'il fallait que j'eusse le courage de lui répéter tout ce que je venais de lui dire à elle-même, que je lui remisse une note, qu'elle ne croyait pas qu'elle eût d'engagement pour Constantinople et qu'elle me promettait de son côté de lui en parler avec la plus grande chaleur. Elle me prévenait que la Reine ne prendrait pas d'engagements avec moi, mais que cependant, sans me le dire, elle aurait sûrement égard à ma demande et qu'il était essentiel que je la fisse plus tôt que plus tard, qu'elle se concerterait avec le comte d'Esterhazy pour entretenir la Reine dans l'intérêt que sûrement je lui inspirerais.»

Ces bonnes paroles ont contenté Mme de Bombelles. Puisqu'elle s'est décidée à se servir de l'influence des Polignac, – en bonne politique elle aurait dû le faire plus tôt, – elle va pouvoir attendre sans trop d'agitation le moment où la Reine va lui donner audience. Quand ce sera fait, elle a bien la résolution de se tenir tranquille jusqu'au moment décisif.

M. de Bombelles ne partage pas les illusions qu'on a su insuffler à sa femme, et son espoir dans le résultat des démarches conseillées est médiocre. «La personne à qui tu dois t'adresser, écrit-il dans sa lettre du 21 mars, m'a classé parmi ces êtres qui peuvent bien servir le Roi, mais qu'il faut ranger ou comme des ennuyeux ou comme de petits ouvriers incomplets. S'ils se permettent une volonté, d'ailleurs en supposant qu'on eût marché sur une herbe favorable, avec quelle légèreté ne s'emploiera-t-on pour moi! A la plus faible objection on quittera la partie et mon jeu deviendra pire.»

Pendant ce temps la comtesse Diane a été vite en besogne; elle a obtenu sans trop de peine une audience de la Reine pour Mme de Bombelles.

«La Reine m'a reçue avant-hier, écrit la marquise le 24; elle m'a paru encore pénétrée des préventions qu'on lui a données contre toi. Le comte d'Esterhazy et la comtesse Diane avaient eu une grande conversation la veille avec elle à ce sujet-là, et ils l'avaient trouvée si entêtée dans son opinion sur ton sujet qu'ils avaient été au moment de m'empêcher d'y aller parce que, connaissant sa timidité, ils craignaient que je ne pusse pas lui répondre à ce qu'elle me dirait. Mais, comme elle avait déjà donné son heure à Madame Élisabeth, cela n'a pas pu changer. Heureusement, car, malgré ma peur, je lui ai dit tout ce que je voulais dire. J'ai été assez heureuse pour la toucher, et elle a dit à la comtesse Diane que, surtout lorsque je lui avais parlé de mon enfant, je l'avais intéressée au possible. Mais, pour en revenir au commencement, je te dirai donc que je suis arrivée chez la Reine avec une colique enragée. Elle m'a dit: «Eh! bien, Madame, on dit que je vous fais peur. Asseyez-vous et dites-moi avec confiance ce que vous voulez. Je lui ai dit: «Le désir que j'ai de justifier M. de Bombelles aux yeux de Votre Majesté m'a encouragée à prendre la liberté de lui demander une audience. Ayant toujours compté sur ses bontés, je m'étais flattée, lorsque le poste de Berlin est devenu vacant qu'Elle voudrait bien le faire donner à M. de Bombelles. Mais Votre Majesté s'y étant refusée, je lui avouerai que j'ai craint que les préventions que je sais que la Cour de Vienne lui a données contre M. de Bombelles en eussent été cause. Et cette raison m'a bien plus affligée que la chose en elle-même. Je puis protester à Votre Majesté que jamais M. de Bombelles ne s'est permis le plus petit propos au sujet de l'Empereur. Je ne puis pas donner un argument plus fort à Votre Majesté en faveur de l'innocence de M. de Bombelles que de lui représenter que le comte de Neipperg, qui a été celui qui lui a fait le plus de tracasseries a été renvoyé par l'Empereur en raison de ses mensonges perpétuels, et que son successeur a rendu à M. de Bombelles toute la justice qu'il devait à son honnêteté et à sa franchisse. D'ailleurs, si Sa Majesté voulait bien peser combien il aurait été gauche à lui d'offenser la Reine, de laquelle il attend sa fortune et son avancement, en la personne de l'Empereur, en se permettant de lui manquer de respect. Que tu n'avais point cherché d'armes à opposer à la calomnie, espérant qu'elle se détruirait d'elle-même; mais que je ne pouvais me permettre de demander une grâce que je désirais vivement à Sa Majesté. – La Reine m'a répondu: «Je crois bien qu'il a eu moins de torts qu'on ne lui en a donnés. Mandez à M. de Bombelles d'engager M. de Trautsmansdorf à le justifier aux yeux de mon frère, donnez-moi une note bien détaillée de sa conduite, et je serai charmée d'être convaincue d'avoir été trompée.» Je lui ai présenté ma petite note au sujet de Constantinople. Après l'avoir lue, elle m'a dit: «Constantinople me paraît une chose bien difficile, il y a beaucoup de concurrents, et Madame Sophie m'a légué, en mourant, M. de Saluces, qui la demande.»

Avant d'apprendre par Mme de Bombelles ce que fut la fin de son audience, n'est-on pas tenté de s'arrêter un instant et de formuler quelques critiques. Ainsi cette aversion de la Reine pour M. de Bombelles, aversion qu'elle n'a jamais avouée, mais qu'elle laisse deviner en ce jour, vient du rôle joué par notre ministre en 1779. C'est en prenant les intérêts de la France contre l'Empereur – qui à cette époque, et en cela très énergiquement secondé par la Reine, voulait faire intervenir le Roi dans son conflit avec la Prusse – c'est en faisant son devoir d'agent diplomatique français que M. de Bombelles a si fort mécontenté la Reine qu'elle n'a su l'oublier. Restent des formules de respect dont le marquis, contre toute apparence, car ses formes étaient empreintes d'une parfaite courtoisie, se serait départi à l'égard de l'Empereur. On est enclin à croire avec Mme de Bombelles que tout avait été travesti dans le but de nuire à son mari, que le comte Neipperg avait menti, mais que la Reine, volontiers rancunière, en était restée à sa première impression qui satisfaisait son regret de n'avoir pas réussi à entraîner la France contre Frédéric II.

173.Ancien ambassadeur en Portugal, beau-père de Geneviève de Gramont, comtesse d'Ossun, qui sera dame d'atours de la Reine.
174.Mémoires secrets, t. XX: – Hippeau, le Gouvernement de Normandie, t. IV; —Supplément à la «Gazette de France» du 29 janvier 1782; —Journal de Hardy, t. V; —Mémoires de Weber. Jamais fêtes ne donnèrent lieu, à l'avance, à autant de pronostics fâcheux, à autant d'amères critiques. On mettait en avant la carte à payer, les accidents à prévoir; on s'effrayait des précautions prises pour empêcher le retour de catastrophes. Un certain nombre de personnes furent mises à la Bastille pour des écrits ou des propos répandus contre la Reine. Au sujet de la fête du 21 janvier, il y eut de sinistres placards faisant allusion à l'usage pratiqué pour les condamnés à mort: on disait que le Roi et la Reine, conduits sous bonne escorte à la place de Grève, «iraient à l'Hôtel de Ville confesser leurs crimes et qu'ensuite ils monteraient sur un échafaud pour y expier leurs crimes.» Le 21 janvier! Hardy, (V, 88). – Le même narrateur ajoute: «Les précautions prises pour ces fêtes sont effrayantes. On s'attend à quelque malheur» (V, 94).
175.Voir P. de Nolhac, la Reine Marie-Antoinette.
176.En dehors de la table royale servie dans la Galerie, il y avait une table de cent quarante couverts aménagée dans l'hôtel même. Pour les autres invités des couverts étaient placés un peu partout. Un grand retard fut apporté au service de certaines tables et, comme on devait les lever toutes à la fois, lorsque le Roi quitta les siennes, certains courtisans entamaient à peine les relevés.
177.L'affluence était extrême. On se pressait, on s'étouffait tout en criant: Vive le Roi!.. Le Roi, ne pouvant plus avancer, finit par s'écrier: «Si vous voulez qu'il vive, ne l'étouffez donc pas.»
178.Voir les Souvenirs de Belleval et les Mémoires de la baronne d'Oberkirch.
179.Dumoret, de Tarbes, de la compagnie de Noailles, fut le garde du corps désigné pour danser avec la Reine. «Il était transfiguré de joie, dit Belleval, et ses camarades eurent bien de la peine à ne pas crier: «Vive le Roi!» tant ils sentaient combien cet honneur fait à un rejaillissait sur tout le corps.»
180.La marquise de Soucy, née Mackau, sous-gouvernante depuis 1781.
181.La comtesse de Soucy, belle-mère de la précédente et belle-sœur de la baronne de Mackau, sous-gouvernante depuis 1775.
182.La vicomtesse d'Aumale, troisième sous-gouvernante.
183.Mémoires de la baronne d'Oberkirch.
184.Dans cette promotion les Polignac n'étaient pas parvenus à placer leur cousin le baron d'Andlau, et la Reine elle-même n'avait pu faire donner encore une ambassade au comte d'Adhémar, ministre à Bruxelles. Il est vrai qu'il sera bientôt dédommagé par l'ambassade de Londres.
185.Sophie-Philippine-Elisabeth-Justine de France, née le 27 juillet 1734, morte le 3 mars 1782. Appelée d'abord Madame cinquième et, à partir de 1745, Madame Sophie. Louis XV lui avait donné le surnom de Graille. Elle était fort aimée de ceux qui l'entouraient.
186.«Il eût été impossible, écrit la baronne de Mackau à Madame Clotilde, le 11 mars, de n'avoir pas le cœur percé de douleur en voyant le cruel état de Mesdames ses sœurs; nous tremblions toutes pour leur santé.» (Archives royales de Turin.)
187.Son testament a été publié en entier par M. de Beauchesne. Madame Elisabeth, t. I; appendices.
188.Voir chapitre III, 1779. Il s'agit du comte de Neipperg.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
381 s. 2 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
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