Kitabı oku: «Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles», sayfa 16
Mais les événements sombres alternaient avec les événements heureux. Parmi les habitantes de Montreuil, chacune put s'émouvoir du bruit fait autour des représentations du Mariage de Figaro au Théâtre-Français, comédie qui fut, a-t-on pu dire, «une sorte de levier qui contribua à faire sauter l'ancien régime227»; elles s'étonnèrent de voir le Barbier de Séville à Trianon, elles purent trembler en pensant aux suites d'un événement plus immédiatement grave.
Quand la Reine montait sur le petit théâtre de Trianon pour y jouer un peu bien inconsidérément le rôle de Rosine, un coup de tonnerre venait d'éclater: en août 1785, on était en plein procès du Collier. Sur ce dramatique épisode dont le retentissement devait être si considérable et les conséquences si funestes pour la monarchie, on regrette de ne posséder aucune impression des Bombelles; l'histoire en elle-même de ce triste prologue de la Révolution a été définitivement établie, et il ne saurait y avoir lieu d'insister228.
Dans l'été de 1786229, Mme de Bombelles a l'occasion d'accompagner la princesse aux fêtes données en l'honneur des archiducs Ferdinand et Maximilien, puis du duc et de la duchesse de Saxe-Teschen. La duchesse Marie-Christine est la plus jeune sœur de la Reine, celle avec qui Marie-Antoinette, – qui préfère Marie-Caroline de Naples, – entretient la moindre intimité. Le séjour des princes allemands s'inaugura assez tièdement; au bout de quelques jours, ils étaient gagnés par l'affabilité de la Reine. L'Empereur Joseph II leur a indiqué ce qu'ils devaient voir dans Paris, «ce séjour des plaisirs et des inconséquences230». Peut-être y ont-ils entendu les murmures de la calomnie que, depuis le Mariage de Figaro et l'affaire du Collier, on n'épargne pas à Marie-Antoinette en attendant qu'on la surnomme Madame Déficit… Ont-ils pressenti, comme quelques autres, les premiers grondements de l'orage?
Certes notre aimable héroïne n'est pas de ceux qui constatent le rembrunissement de l'horizon. Dans l'atmosphère optimiste de Montreuil nulle disposition à voir les choses au sombre. Il n'en est pas de même du marquis: malade de l'estomac, l'attente d'une ambassade jointe aux inquiétudes politiques l'a jeté dans une mélancolie profonde, dont ne le tirent guère que de fréquents voyages, une fois que son état de santé le lui a de nouveau permis. La touchante tendresse d'Angélique, mère et épouse adorable, s'offre toujours comme le sourire aimable de sa vie sérieuse. Quant à Madame Élisabeth, elle continue à marquer à son amie une affection si profonde et sincère, et toujours de plus en plus vive, que l'on doit supposer qu'une nouvelle longue séparation d'avec Mme de Bombelles lui semblera très pénible. Elle a trop désiré pourtant que le marquis reçoive effectivement enfin l'ambassade dès longtemps promise, qu'elle sait refouler ses larmes quand Angélique termine ses apprêts pour suivre son mari à Lisbonne où, définitivement, il va remplacer M. O'Dune.
CHAPITRE IX
1786-1788
Départ pour Lisbonne. – La marquise de Travanet. – Lettres de Madame Élisabeth. – Projet de mariage entre le duc de Cadaval et la princesse Charlotte de Rohan-Rochefort. – Correspondance entre la comtesse de Marsan et les Bombelles. – Longues négociations. – Rupture, reprise et seconde rupture des pourparlers. – Les Bombelles rentrent en France.
Ce ne fut qu'à la fin d'octobre 1786231 que le marquis de Bombelles partit pour Lisbonne. Il emmenait avec lui sa femme, ses trois enfants âgés de six ans, de trois ans et de dix mois, et sa sœur, la marquise de Travanet, qui vivait alors séparée de son mari.
Tout ce qu'on pouvait craindre au début de cette union peu rassurante s'était réalisé; le marquis n'avait pas su renoncer à sa passion du jeu: de là des brêches importantes faites à sa fortune, le repos du ménage tout à fait compromis, et la jeune délaissée obligée encore une fois de chercher aide et protection auprès de son frère.
Les deux belles-sœurs éprouvaient l'une pour l'autre une solide affection – les lettres déjà citées et d'autres, postérieures, le prouvent abondamment, – mais leurs caractères ne battaient pas au même unisson que leurs cœurs: à certaines réticences ou tout bonnement à de franches récriminations on devine aisément que ces deux femmes sensibles et un peu tyranniques dans l'attachement – amoureux ou tendre – dont elles enlaçaient le marquis, étaient jalouses l'une de l'autre. Cette jalousie amène querelles et scènes, on se déteste et on se hait en paroles, qui n'ont rien du classique «tendrement»; mais ce ne sont là que courts orages, le doux et trop aimé Bombelles ramène au plus vite l'arc-en-ciel sur ces jolis fronts courroucés.
Ce séjour de deux ans des Bombelles en Portugal, alors que les époux ne se quittèrent point, pouvait nous menacer d'une bien longue et fâcheuse lacune dans l'histoire d'Angélique, si, d'une part, quelques lettres de Madame Élisabeth ne reliaient le fil interrompu entre Lisbonne et Versailles, si, de l'autre, des projets de mariage entre le duc de Cadaval, appartenant à une des branches de la maison de Bragance, et la princesse Charlotte de Rohan-Rochefort232 n'avaient donné lieu à une correspondance assez curieuse entre le marquis et la marquise de Bombelles et la comtesse de Marsan, tante de Mlle de Rohan.
Mme de Bombelles a été fort bien accueillie à la Cour de la Reine233 et dans la société. Gentiment elle a conté à la princesse les attentions flatteuses dont elle a été l'objet. Il n'est femme – si peu coquette qu'elle soit – qui ne se réjouisse de semer un peu d'admiration sur sa route. Madame Élisabeth, loin de gronder son amie de ce petit grain de vanité, se montre joyeuse d'avoir à la féliciter. «Je suis convaincue de ce que tu me mandes de tes succès, écrit-elle le 27 novembre, tu es faite pour en avoir. Si en France on a le mauvais goût de ne pas admirer ta grâce, au moins tu as la consolation de savoir que l'on t'aime pour de meilleures raisons.»
On reconnaît la princesse à de petites taquineries: «Je ne serais pas fâchée que la nécessité de faire des frais et de te rendre aimable te donne un peu plus d'habitude du monde, quoique tu aies ce qu'il faut pour y être bien, et qu'en effet tu y sois très joliment. Un peu plus d'habitude ne te fera pas de mal. Je suis bien insolente ou bien mondaine, n'est-il pas vrai, mon cœur? Tu me pardonnes, j'espère, le premier, et tu ne crois pas au second. Ne va pourtant pas prendre les manières portugaises. Elles peuvent être parfaites, mais j'aime que tu ne te formes pas sur elles. Tu es bien bête d'avoir eu peur à ces audiences. Puisque ton compliment était fait, je trouve qu'il n'est embarrassant de parler que lorsque l'on ne s'est pas fait un discours. Était-il de toi?..»
Suivaient de petites nouvelles de la Cour et de Montreuil: «Il fait un temps charmant, je me suis promenée avec R(aigecourt) pendant une heure trois quarts. Lastic est restée avec Amédée qui est grandie et embellie que c'est incroyable234… La duchesse de Duras que j'ai vue hier (et avec qui je suis comme un bijou) est un peu fâchée contre ton mari. Il lui avait promis des instructions pour son fils, devait les lui porter, ensuite les lui envoyer de Brest; mais il en a été comme de mon voyage, il est parti sans les lui donner. Elle m'en a parlé d'une manière qui t'aurait touchée, sans aucune aigreur; mais les larmes lui sont venues aux yeux en pensant que c'était un moyen de moins pour préserver son fils des dangers auxquels il va être exposé. Que ton mari répare bien vite avec toute la grâce dont il est capable…»
Avec Mme de Travanet dont le caractère est très vif, nous le savons, il y a parfois des discussions. D'où le conseil donné par Madame Élisabeth de tenir bon: «Si tu cédais une fois, tu serais perdue, et deux ans sont bien longs à passer ensemble.»
Le 5 mars (1787), Madame Élisabeth écrit une longue lettre pleine d'entrain et d'humour à son amie. Récemment mise au jour et inconnue du plus grand nombre, cette lettre235 mérite d'être citée presque tout entière, moins pour l'importance des faits qu'elle relate que pour l'originalité du style et de l'allure. Grâce à M. Léonce Pingaud, très respectueux de l'orthographe de la princesse, nous donnons la missive dans sa saveur première:
«Vous verré, Mamoiselle de Bombe, que nous sommes très exactes à remplir vos ordres, puisque la petite236 et moi, nous vous écrivons aujourd'hui, elle vous mandera les nouvelles comme elle pourra, car la poste n'est pas ce qu'il y a de plus fidelle, et surtout je crois, dans ce moment cy pour les pays étrangés, au reste pourtant, comme ce n'est pas la personne qui les écrit qui les fait, il seroit injuste de s'en prendre à elle: on croiroit d'après ceci, que je vais te révéler tout le secret de l'État, mais rassure-toi je ne suis pas encore admis au Conseil, et je ne sais que ce que charitablement le public m'aprend, et je n'en saurai pas davantage cette semaine.»
La princesse se plaint de quelques-unes de ses dames qui parlent «comme des pies borgnes» et la fatiguent. «Il faut que je convienne que le bavardage de Mme Invil237 et la vivacité de Démon238 m'avoit tuée la semaine passée, je trouve assez doux celle-cy de n'avoir rien à répondre parce que la conversation se soutient, et même de n'avoir point à écouter. Par exemple pendant la dinée je me suis un peu livrée à mes réflections. L'une disoit qu'elle n'avoit pas fait une politesse à une femme parce qu'elle ne lui en faissoit pas, une autre qu'il étoit indifférent d'en faire à tout le monde, même aux gens décriés, qu'il n'étoit pas suffisant d'avoir une politesse générale comme de leur faire la révérence, mais qu'il falloit jouer, manger avec eux plutôt que de les laisser seul: moi qui suis pénétrée du proverbe (dis-moi qui tu ente et je te dirai qui tu es) je me suis réjouis de ne pas penser comme elle. Il faut convenir qu'on se met peu en pratique, j'ai vue cela de prêt cet hivert, les jeunes femme n'ont aucune idée des nuances que l'on doit mettre dans ses liaisons, il suffit que l'on se plaise pour se dire amie intime; qu'un beau jour il y aura des gens détrompés à leur dépent, et c'est bien la manière la plus fâcheuse; je crois qu'il n'y a rien de pis que de revenir de l'opinion que l'on as vue sur quelqu'un; le sentiment, l'amour-propre, tout est choqué. Pour n'avoir pas ce décompte à faire il faut examiner avant que d'agir, mais c'est ce que l'on acquerre qu'avec de l'âge, de la Religion… Cette bonne Religion, elle sert à tout! que la personne qui dissoit que s'il n'y en avoit pas, il faudroit en inventer avoit raison, mais l'on auroit beau cherchés, il n'y en a point, comme celle que Dieu nous a donnée. Les sermons continuent à être superbes, il ne faut pas que je me hasarde beaucoup à parler de celui d'hier, parceque, sans avoir la moindre envie de dormire, je n'en ai pas entendue un mot, j'en suis honteuse et affligée parce qu'on le dit très beau, j'espère demain. Les petits de Monstiés et de Blangy, ont été baptisés hier et ont fait un bruit infernal. Les mères m'ont un peu ennuiés toute la semaine pour leur habillement, mais Dieu mercie, c'est passé. Mme de Fournèse239 qui, comme je te l'ai mandée, va être à moi, c'était rangée à la loi commune et était déjà grosse, mais le ciel en as ordonnés autrement, elle a fait une fausse couche qui ne t'intéresse guere, c'était seulement pour vous montrer que la bénédiction du ciel étoit toujours répandue sur ma maison. J'espère qu'elle montera à cheval, je ne sais si elle me plaira, je n'ai pas trop d'idée sur cela.
«J'ai vu hier le pauvre frère de M. de Vergenne240 qui faissait une grande pitiée, je ne puis te rendre combien ta lettre me serre le cœur lorsque tu m'en parle, je le regrette véritablement beaucoup, et tout bon français doit penser de même; ont dit que sa femme a 20,000 l. et chacun de ses enfants, 8.000 l. Comme les vertus ne sont point a l'abri de la méchancetée, l'on avait dit qu'il l'aissait 14,000,000 l. et qu'un de ses amis avait reprit, non pas 14 mais bien 11, le fait est qu'il laisse 93,000 l. de rente, ce n'est assurément pas beaucoup lorsque l'on a été longtemps à la Porte, et treize ans ministre. M. de Montmorin241 a déjà pensée être punit de sa fortune, car sa fille cadette, qu'il aime le mieux, a une fièvre maligne, mais elle va mieux.
«Tu as raison de dire que je serai bien contente de toi lorsque je saurai que tu te nourrit d'orange, je te pardonne, parce qu'il le faut bien d'abord et puis a cause du très petit paquet de sucre que tu établit dedans. La petite ma racontée toute l'histoire du duc de Polignac, sa lettre m'a paru pleine d'esprit, malgrée cela, je suis fachée de cette betise de la poste.
«J'admire et respecte ton zèle pour le portugais, j'aie envie de l'aprendre pour pouvoir te parler quand tu reviendra, car je suis sûre que tu ne saura plus un mot de français. Je suis bien aise que Mme de Travanette s'en amuse, elle grognera pas pendant ce temps, et l'occupation lui fera un bien prodigieux.»
Décidément les deux belles-sœurs, tout en s'aimant beaucoup, éprouvent le besoin de disputes continuelles, puisque sur ce sujet dont elle a parlé dans la précédente lettre Madame Élisabeth revient encore:
«A tu évité de toute petite prise ensemble depuis le tems? Ce seroit un miracle si il n'y en avait pas eu.»
Voici la fin de sa lettre qui jusqu'à la dernière ligne reste badine: «La petite baronne242 m'a aprit que ton habit avait subit le sort que nous lui avions promis, ce vilain Charles243 en est cause, cela ne m'étonne pas du tout, tu fais bien de le gâter, pendant que tu n'as personne pour te faire enragée, il sera bien aimable à son retour. Embrasse le malgrée cela pour moi et Bitche, et le sage bombon244.»
… La lettre se termine en affectueuse boutade. «A dieu, Mademoiselle, priées Dieu pour nous. Je vous embrasse de tout mon cœur, et ne vous aime nullement, j'ose le dire, quoique dans le saint temps de carême.»
Le Journal que Madame Élisabeth adresse en avril à son amie nous met au courant des événements politiques. «M. de Calonne est renvoyé d'hier245, écrit la princesse le 9; sa malversation est si prouvée que le Roi s'y est décidé, et que je ne crains pas de te mander la joie excessive que j'en ressens et que tout le monde partage. Il a eu ordre de rester à Versailles jusqu'au moment où son successeur sera nommé pour lui rendre compte des affaires et de ses projets.»
C'est M. de Fourqueux qui le remplace, et le président de Lamoignon est nommé garde des sceaux. «Je sais toujours si mal les nouvelles que je n'ose t'assurer les dernières. Mais pour M. de Calonne, j'en suis bien sûre. Une de mes amies disait, il y a quelque temps que je ne l'aimais pas, mais que dans peu je changerais. Je ne sais si son renvoi y contribuera; il aurait fallu qu'il fît bien des choses pour me faire changée sur son compte. Il doit être un peu inquiet sur son sort246. On dit que ses amis font bonne contenance. Je crois que le diable n'y perd rien, et qu'ils sont loin d'être satisfaits.»
On voudrait connaître les premières impressions de Madame Élisabeth sur Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, dont l'influence de la Reine va faire un ministre des finances, plus incapable encore que celui qu'il remplaçait. La Princesse se contente d'enregistrer les noms des ministres, la rentrée au Conseil du duc de Nivernais et de Malesherbes.
En revanche, un souvenir triste donné à la seconde fille de Louis XVI, Sophie-Hélène-Béatrix, qui vient de mourir à onze mois.
«Tes parents t'auront mandé que Sophie est morte le 8 (juin). La pauvre petite avait mille raisons pour mourir, et rien n'aurait pu la sauver. Je trouve que c'est une consolation. Ma nièce a été charmante; elle a montré une sensibilité extraordinaire pour son âge et qui était bien naturelle. Sa pauvre petite sœur est bien heureuse; elle a échappé à tous les périls. Ma paresse se serait bien trouvée de partager, plus jeune, son sort. Pour m'en consoler, je l'ai bien soignée, espérant qu'elle prierait pour moi. J'y compte beaucoup. Si tu savais comme elle était jolie en mourant, c'est incroyable. *La veille encore elle était blanche et couleur de rose, point maigrie, enfin charmante. Si tu l'avais vue, tu t'y serais attachée. Pour moi, quoique je l'aie peu connue, j'ai été vraiment fâchée, et je suis presqu'attendrie lorsque j'y pense.
«Ta sœur247 a été parfaite et tout le monde en a fait l'éloge. Elle a été bien fatiguée, et la pauvre mère aussi…»
Mme de Bombelles a été souffrante, elle continue à tousser, Madame Élisabeth l'engage à se soigner. «Tiens bien la parole que tu me donnes de te ménager; je te le demande en grâce, mon cœur. Pense beaucoup à tes amies; cela te donnera le courage de t'occuper de toi. L'amitié, vois-tu, ma chère Bombelles, est une seconde vie qui nous soutient en ce monde.»
Sur cette toux qui l'inquiète Madame Élisabeth revient encore dans une lettre suivante: «Souffres-tu en toussant? Ton lait te fait-il du bien? Calme-t-il ta toux? Enfin, quand il fait chaud, souffres-tu d'avantage? Es-tu maigrie? Voilà, mon cœur, beaucoup de questions qui ne te plairont guère, mais auxquelles je te demande en grâce de répondre avec franchise.»
Des gentillesses et encore des gentillesses. D'abord au sujet d'un des enfants: «On fait bien et très bien de gâter Bitche. D'abord tu n'y peux rien; tu sais bien qu'il doit être médiocre sujet; cela est impossible autrement, parce que je l'aime, et tu sais que c'est la preuve la plus claire qu'on puisse en donner.»
Puis des excuses pour certaine lettre qui, semble-t-il, aurait un peu froissé Mme de Bombelles. Regrets si elle a choqué plutôt que des excuses, car elle continue sur le même ton: «Je crois que vraiment tu es un peu choquée du persiflage dont j'ai usé envers Votre Grandeur; je lui en demande pardon, et en même temps la permission de recommencer au premier jour. Au reste tu as peut-être cru que j'avais été choquée; je t'assure, mon cœur, que j'en serai toujours loin vis-à-vis de toi, quand même il y aurait de quoi. Mon amitié ne connaîtra jamais ce sentiment, et je juge de la tienne par la mienne. C'est me satisfaire, car je t'aime bien tendrement.» Par ces petites phrases tendres qui reviennent en chaque lettre comme un leitmotiv, on voit que l'amitié de Madame Élisabeth ne fait que croître avec l'absence.
La princesse a recommencé à suivre les chasses à Rambouillet avec la duchesse de Duras. La Reine va venir la chercher. «Nous devons aller ensemble à Saint-Cyr qu'elle appelle mon berceau. Elle appelle Montreuil mon petit Trianon. J'ai été au sien sans aucune suite ces jours derniers avec elle, et il n'y a pas d'attention qu'elle ne m'y ait montrée. Elle y avait fait préparer une de ces surprises dans quoi elle excelle. Mais ce que nous avons fait le plus, c'est de pleurer sur la mort de ma pauvre petite nièce.»
La disgrâce de Calonne devait être plus que sensible au clan Polignac. Malicieusement Madame Élisabeth remarque: «La Société est revenue et me paraît en fort bon état. Le petit échec qu'elle a eu ne peut que lui être utile, à ce que je crois, puisqu'elle n'est pas tombée248…»
Un dernier mot nous conduit directement en Portugal. «J'ai été très aise de ce que le discours du Roi avait été si approuvé à Lisbonne. Les pauvres gens, je crois, ne sont pas gâtés. Tout cela me ravit davantage, et malgré les belles oranges que tu m'as envoyées et dont je crois ne pas t'avoir remerciée je rends grâce au ciel de tout mon cœur de ne m'avoir pas fait naître pour être leur reine.»
Si Madame Élisabeth n'éprouvait pas d'attrait à devenir princesse portugaise, elle n'était pas la seule à la Cour de France. L'éloignement, la réputation d'ennui qui s'accrochait exagérément à la Cour de Lisbonne effrayaient les filles de haute naissance dont la main était recherchée par de grands seigneurs portugais.
L'idée d'un mariage entre le duc de Cadaval appartenant à la maison de Bragance249 et Mlle de Rohan-Rochefort était du fait de la marquise de Bombelles.
On n'est pas sans se souvenir comment Mme de Marsan avait affectueusement protégé les débuts dans ses fonctions de cour de la baronne de Mackau, quelle affection elle témoignait à la «charmante et aimable Angélique»; de son côté, celle-ci avait voué à l'ancienne gouvernante des Enfants de France une sincère gratitude. Ces divers éléments de sympathie d'une part, et de reconnaissance de l'autre, allaient prêter à cette négociation un tour de toute particulière courtoisie.
L'idée est éclose au printemps de 1787, la diplomatie entre en ligne au début de l'été. La baronne de Mackau a été chargée par son gendre d'appuyer auprès de Mme de Marsan une lettre que vient de lui adresser M. de Bombelles.
De Montreuil, Mme de Mackau écrit le 6 août, après avoir vu Mme de Marsan: «J'ai trouvé cette bonne princesse pénétrée de reconnaissance de la lettre de votre mari. Je lui ai lu ce qui la regardait dans la vôtre, elle en a été touchée jusqu'aux larmes et a pensé m'en faire répandre en me disant d'un ton déchirant pour le cœur: «Hélas! Mme de Mackau, je suis tout étonnée de trouver encore des marques d'affection, et qu'il existe encore quelques êtres, qui me marquent de l'attachement et cherchent à me faire plaisir.» Elle m'a chargée de vous mander, qu'elle allait s'occuper à trouver des moyens de réussite dans l'affaire en question et qu'elle désire très vivement. Ce qu'il y a d'embarrassant est de ne pouvoir s'adresser à une mère folle250 et à un père qui n'est pas mal bête.»
Folle était peut-être beaucoup dire, mais en tout cas plus occupée, dans le brillant été de ses quarante-quatre ans, de ses plaisirs et du charme d'une intimité choisie251 que de l'établissement de sa fille.
Dans ce mariage lointain, mais en somme brillant au point de vue des alliances et de la fortune future, Mme de Marsan entrevoyait une consolante revanche des déconvenues et des malheurs, qui depuis quelques années avaient assailli son orgueilleuse maison. Elle s'entremit avec d'autant plus d'ardeur que les parents se montraient presque indifférents sur le sort de la jeune fille. Elle va tâcher de se procurer un portrait de sa nièce, et, dès qu'elle aura l'autorisation des parents, elle en avertira M. de Bombelles.
A celui-ci, du reste, Mme de Marsan écrit directement le 10 août…: «Je suis en effet fort occupée de procurer un sort à Mlle de Rohan-Rochefort, sa personne m'intéresse infiniment. Elle est aimable, raisonnable, et je vois avec peine qu'il sera difficile de l'établir convenablement. Si c'était ma fille, je n'hésiterais pas à la décider pour un mariage qui me paraît à tous égards fort avantageux, s'il ne fallait pas renoncer à sa famille et à sa patrie. Elle a dix-neuf ans et doit être consultée. J'ai choisi dans ses parents les plus proches la personne que j'ai crue la plus discrète et la plus à portée de traiter cette affaire vis-à-vis du père et de la mère et de la terminer avec succès. Cette personne seule est dans la confidence. Elle pense, comme moi, que cette alliance est très désirable, mais elle voudrait quelques détails sur la vie intérieure, sur le caractère de M. le duc de Cadaval, de sa mère, sur l'espèce de dépendance où sa belle-fille sera, dans quel temps pourra se faire le mariage. On demande huit jours pour avoir le portrait de Mlle de Rohan-Rochefort, ainsi je ne pourrais le faire partir que l'ordinaire prochain, et, s'il était possible, on serait bien aise d'avoir celui de M. le duc de Cadaval. Pendant cet intervalle on préparera les esprits et l'on prendra toutes les précautions qu'exige un secret dont nous sentons la nécessité. J'ai malheureusement perdu mon frère le maréchal prince de Soubise qui nous aurait été d'un grand secours dans cette négociation…»
Nouvelle lettre, le 11, adressée à la marquise de Bombelles, où, après avoir réitéré ses remercîments au mari, elle tient à remercier la femme: «… Dans ces preuves d'intérêt j'ai bien reconnu cette charmante et aimable Angélique qui n'a point démenti ce qu'elle promettait dès son enfance. J'ai toujours conservé les sentiments qu'elle m'a inspirés dès ce moment, et je suis bien touchée de ceux dont elle me donne des preuves dans une occasion qui m'intéresse infiniment… Le prince Victor aura pu vous dire qu'elle mérite d'être heureuse. Je ne saurais donner trop d'éloges à son caractère et à sa raison. J'espère qu'elle la déterminera à prendre le parti que nous désirons.»
Plusieurs semaines se passent sans rien amener de nouveau. Le 30 septembre, le portrait annoncé a enfin été remis à la comtesse de Marsan qui se hâte de l'envoyer à Mme de Bombelles non sans beaucoup de recommandations. En échange, il s'agirait d'obtenir le portrait du duc de Cadaval que le prince Victor dit ressembler beaucoup au prince de Vaudémont252, «ce qui n'était pas étonnant, étant si proche parent». L'idée de mariage continue à lui sourire: «sa jeune cousine n'est pas gâtée sur les plaisirs et est assez raisonnable pour ne les pas regretter.» De plus, elle a de l'esprit, elle est aimable, et «l'agrément de cette alliance rejaillirait sur mes neveux». Elle devra à «sa chère Angélique» le bonheur d'une cousine qu'elle aime. Mme de Marsan termine par la recommandation expresse de «garder le secret de cette affaire même aux père et mère jusqu'à ce qu'elle soit plus avancée»… Peut-être pensera-t-on qu'il eût été préférable, avant d'entamer des négociations sérieuses, de commencer par consulter les parents et les proches…
Non seulement l'affaire n'avance pas, mais on la croit manquée au commencement de décembre. Du côté portugais, il a surgi de grosses difficultés venant de l'état embrouillé de la fortune du duc de Cadaval. Du côté Rohan, il est survenu un tas d'objections.
Le baron de Mackau, écrivant à son beau-frère, le 11 décembre, ne lui cache pas l'ennui qu'en éprouve Mme de Marsan. Tout cet embarras «viendrait de la comtesse de Brionne qui serait dirigée par deux motifs: le premier, c'est qu'il lui est difficile, pour ne pas dire impossible, d'approuver ce qui émane de Mme de Marsan (les malheurs de cette famille ne leur ont pas fait sentir la nécessité de l'union); le second motif vient d'un autre projet de mariage que Mme de Brionne a en tête; qu'enfin, au lieu de déterminer Mlle de Rochefort, elle lui a fait voir tous les inconvénients de votre projet, qui, tous, reposent sur l'éloignement et le peu de bonheur qu'ont éprouvé les autres princesses de Rohan qui se sont établies dans ce pays. Cette conversation m'a amené à la connaissance d'un fait: Mme de Brionne a seule le crédit de déterminer M. et Mme de Rochefort, il faut donc tâcher de ramener cette grande dame. J'ai imaginé d'engager Boistel à cette négociation. La princesse Charles a fort approuvé cette marche; elle sent que sa belle-sœur faisait la plus haute des sottises… J'avoue que ce qui m'occupe le plus, dans tout ceci, c'est la crainte que vous ne soyez compromis, et je serais charmé si l'affaire manquait du côté du jeune homme. C'est là ce qui me fait tout entreprendre pour tâcher de ramener ici les esprits. La démarche que devait faire la reine de Portugal double mon inquiétude pour vous. Je n'en conserve pas moins toute confiance, mon frère, dans votre sagacité, pour vous tirer avec avantage des pas épineux. Mais je n'en sens pas moins combien il serait désagréable d'avoir de tels embarras pour avoir voulu nous obliger. Je ne pourrai plus laisser ignorer à Mme de Brionne combien il est ridicule d'envoyer un portrait quand on n'a pas l'intention de conclure.»
Voici maintenant un rapport détaillé sur la fortune du duc de Cadaval que l'abbé Garnier adresse à M. de Bombelles et que nous donnons pour faciliter l'intelligence des lettres qui vont suivre.
Au premier aperçu des comptes la maison de Cadaval doit:

ce qui, au denier 5, ne ferait plus qu'une somme de 15.000 livres à payer annuellement en intérêts.
1o On a trompé en jetant des doutes sur la naissance illustre tant de père que de mère de Mlle de Rohan-Rochefort.
2o On a trompé, en disant que le duc de Cadaval n'était pas assez riche pour se marier: ce sont des énoncés de gens intéressés à le tenir en tutelle, pour abuser de sa fortune. Il peut, et cela est prouvé, payer ses dettes en dix ans et cependant toucher annuellement jusqu'à l'époque de sa liquidation, 8.000 ducats, somme bien suffisante pour vivre marié comme il convient à son rang.
3o On a trompé, en disant qu'il était sans vaisselle et sans meuble: il est amplement pourvu à ces divers égards et ses richesses en argenterie feraient deux superbes vaisselles; le surplus payerait les façons.
4o On a trompé, en disant que son mariage le jetterait en des dépenses au-dessus de ses moyens. On lui apporte une dot de 100.000 cruzades, qui accélérera le paiement des dettes, quoiqu'elles puissent l'être sans secours en dix ans.
5o On a trompé, en disant que sa maison du Roccio ne pouvait loger une duchesse: avec très peu de frais on en fera une habitation agréable; telle qu'elle est on y résiderait très décemment.
Tous ces faits prouvés, ce qui se peut, en vingt-quatre heures, serait-il croyable qu'on voulût empêcher un mariage dont la seule idée l'a raccommodé avec madame sa mère. Tandis que celui qu'on voulait lui faire contracter253 le brouillait avec cette mère et l'éloignait de toutes les bonnes dispositions qu'il montre depuis que le langage de l'honnêteté et du respect filial lui est tenu.
Dans l'intervalle sont arrivées à Lisbonne deux lettres de Mme de Marsan, datées des 14 et 15 décembre, qui, selon toute apparence, vont renverser tout l'échafaudage.
La première semblerait faire croire qu'une «tendresse déplacée» de la princesse de Rohan aurait amené sa fille à lui sacrifier par respect filial un établissement si convenable à tous égards. «Ces idées chimériques renversent toutes les miennes. On ne m'a pas cependant donné de réponses positives, mais je ne veux pas vous compromettre, et malgré leur indécision je leur ai signifié hier que j'allais vous prier de suspendre toutes démarches. Je crains même que ma lettre n'arrive trop tard pour arrêter celle que vous projetiez de faire, mais je n'ai pu vous en avertir plutôt, étant dans la confiance qu'il ne serait pas possible qu'on ne sacrifie pas un intérêt personnel à celui de sa fille et de toute sa maison qui aurait été flattée d'un pareil établissement. Le malheur me poursuit et toujours par les miens; le prince Victor est désolé. Il part aujourd'hui pour aller prendre le commandement d'une frégate à Toulon; il aurait bien désiré que sa mission l'eût encore conduit à Lisbonne et me charge de vous assurer de son respect et de sa reconnaissance. J'en conserverai une bien tendre de toutes les marques de zèle et d'amitié que j'ai reçues de vous, Madame, etc.