Kitabı oku: «Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles», sayfa 3
Une réponse de M. de Bombelles que nous ne possédons pas a témoigné la joie ressentie à Ratisbonne au reçu de la lettre de Mlle de Mackau. Notre diplomate, comme on le verra, en bonne veine d'humeur, aime les vers, ceux des autres et même les siens, hélas! car ses lettres sont souvent inondées de ces lignes plus ou moins badines, à peu près rimées, qu'au XVIIIe siècle on appelait de petits vers. Il s'est contenté cette fois de citer quelques vers classiques et, comme il suppose Angélique peu experte en la matière, il a souligné la citation: les vers étaient de Boileau, il était bon de le rappeler.
Très sérieusement, Mlle de Mackau a commencé sa lettre du 28 mai, datée de Montreuil où elle est au régime du lait pour enrayer une grippe opiniâtre. Elle a remercié le marquis de ces promesses d'avenir; elle lui est reconnaissante des arrangements pris pour sa mère. «Il ne m'est plus permis de douter de tout ce que vous m'assurez et, quoique je ne comprenne pas encore bien comment vous ferez, je tiens cela presque aussi assuré que si je le voyais.»
Voici l'épigramme qui n'est vraiment pas mal pour une pensionnaire: «Vous prenez un grand empire sur mon esprit, et j'ai peur que bientôt je finisse par croire tout ce que vous me direz. C'en est au point qu'en lisant avec plaisir les deux lignes et demie de vers que vous me citez, j'ai été tout étonnée de les trouver dans l'Enfant Prodigue de M. de Voltaire, trouvant très extraordinaire qu'ils ne fussent point de Boileau, puisque vous le disiez. Je me suis persuadée que M. de Voltaire les avait volés à Boileau et que vous étiez initié dans ce petit secret.»
La pointe railleuse achevée, la petite personne raisonnable qu'est Angélique passe à d'autres sujets: les affaires de sa mère que le marquis prend à charge, le chagrin de Mlle de Schwartzenau que sa rivale heureuse plaint de tout son cœur. «Quant à ma façon de penser sur Caroline, je serais indigne de vous si cela était autrement. Une personne malheureuse est toujours un objet intéressant pour une âme sensible; d'ailleurs cette jeune personne aura toujours un attrait près de moi; il ne dépendra pas de moi d'adoucir ses malheurs et elle trouvera toujours en moi une véritable amie.»
Elle lit, elle travaille dans «son petit château36» de Montreuil, elle tâche de se rendre digne de son «savant mari». Et de la carrière de ce mari dont dépendra la tranquillité de tous les siens, elle s'occupe déjà. Sa mère a vu le ministre, M. de Vergennes, et M. Gérard de Rayneval, premier commis des Affaires étrangères; ils ne sont pas d'avis que M. de Bombelles prenne un long congé pour aller à Vienne voir son ancien chef, le baron de Breteuil. Une absence de deux mois pendant que la Diète le réclame, ce n'est pas possible: quinze jours tout au plus. «Autrement vous feriez très mal et je serais fâchée tout rouge.»
Si elle donne des conseils de carrière, la petite ambitieuse, elle accepte volontiers des avis conjugaux, et la fin d'une de ses lettres de juin est pénétrée d'une soumission qu'elle s'efforce de faire paraître relative, mais que l'on sent, malgré les réticences, prête à se montrer entière. «La raison vous guidera sûrement dans ce que vous me ferez faire, aussi je suis parfaitement tranquille. Je suis bien aise que vous ayez marqué un trait noir sur tous les je veux des maris; ils sont bien désagréables pour une femme. Vos prières seront toujours des ordres pour moi, et je serai toujours bien aise de vous faire plaisir. Mais je vous avoue que je ne ferais jamais une chose volontiers lorsque vous m'auriez dit je veux, et il n'y a que ce vilain mot qui pourrait me donner un peu d'humeur.»
Bien que ne devant être célébré qu'en janvier le mariage est annoncé, et Mlle de Mackau entre en relations suivies avec sa nouvelle famille. C'est la comtesse de Reichenberg qui écrit d'Allemagne plusieurs lettres plus tendres les unes que les autres; c'est la comtesse de Bombelles, femme du frère du marquis, qui fait un effort pour paraître aimable. «Elle m'aime beaucoup, dit Angélique un peu sceptique, je lui ferai bien ma cour pour qu'elle m'aime davantage.» Le monde de la Cour se met aussi en frais pour l'amie de Madame Élisabeth; la princesse de Guéménée la mène à l'Opéra voir un nouvel opéra, Evrelingue. La Reine ayant la fièvre tierce, il n'y a pas de séjour à Compiègne; Angélique s'en console aisément, car «Compiègne l'ennuie», et elle s'est dit: «A quelque chose malheur est bon.»
A la fin de l'automne, il est question de former la maison de Madame Élisabeth. La comtesse de Reichenberg mande aussitôt la nouvelle qui l'intéresse particulièrement à son frère: «Mme de Brancas est dame d'honneurs, et Mme de Canillac dame d'atours. Je sais bien que Mme de Mackau conserve le titre de sous-gouvernante des Enfants de France et les appointements, mais cela l'éloigne de Madame Élisabeth.»
Si la nouvelle était vraie, c'eût été peut-être un changement dans la situation de sa future belle-sœur. Puisque son frère avait d'avance fait le sacrifice de la laisser trois ans à Versailles, pourquoi ne pas faire nommer sa femme «dame de compagnie» pendant ce temps. Par intérêt de famille, Mme de Reichenberg observe: «Il serait bien désirable qu'il y eût une femme de notre nom à la cour, à cause des enfants. Non sans raison, elle ajoute: «Notre chère petite belle-sœur connaît bien sa princesse et sûrement serait mieux auprès d'elle qu'aucune de ces dames.»
A la fin de cette lettre de novembre, où elle annonçait prématurément au marquis la constitution de la maison de Madame Élisabeth, se trouve rappelé un fait historique qui a déjà frappé quelques écrivains et qui mérite d'être noté en passant.
Mme de Reichenberg, s'ennuyant à Waldeck, s'est plongée dans la lecture de l'histoire d'Allemagne. Elle y a lu, écrit-elle, une anecdote qui pourra peut-être lui servir un jour. Il s'agit, comme on va le voir, d'un mariage inégal et elle prévoit ce qui pourrait arriver à la mort du landgrave; or ce mariage inégal intéresse l'histoire européenne. Le fait est connu dans sa donnée générale, il l'est moins dans ses détails.
Le point de départ est celui-ci: en 1693, le duché d'Hanovre fut érigé en électorat par l'Empereur Léopold, en faveur de la branche cadette de Brunswick. Cette maison de Brunswick était divisée en trois branches: la première s'appelait Brunswick-Lunebourg, la deuxième Zell, et la troisième Hanovre. Il était naturel de penser que les deux branches aînées s'opposeraient à l'érection d'un neuvième électorat en faveur de la branche cadette; le prince de Brunswick se contenta de formuler son opposition; quant au duc de Zell, voici la raison qui semble l'avoir engagé à donner son consentement: «Il avait épousé une demoiselle d'Orbreuse, fille d'un gentilhomme du Poitou, d'abord de la main gauche; ensuite il avait obtenu de l'Empereur Léopold, que la duchesse jouirait des mêmes prérogatives que si elle eût esté épousée de la main droite, en sorte que, si de ce mariage, il fût provenu des enfants mâles, ils auraient succédé légitimement et sans contradictions.»
Les deux époux en mourant ne laissèrent qu'une fille qui épousa ce même Ernest-Auguste, évêque d'Osnabruck, duc d'Hanovre et nouvel électeur; ainsi le duc de Zell, ne pouvant rien désirer de plus avantageux que de faire sa fille électrice ne s'opposa point à ce que fût érigé un nouvel électorat: «De cette électrice descend toute la maison de Hanovre qui règne aujourd'hui en Angleterre, et par conséquent les trois enfants du landgrave de Cassel, puisque sa femme était la sœur du feu Roi d'Angleterre.» Mme de Reichenberg en tire des conséquences toutes personnelles que nous la verrons rappeler au cours de ce récit, et c'est pourquoi nous y insistons: «De cette anecdote, dit-elle à son frère, vous savez ce que nous devons conclure, et je ne croirai plus les personnes, qui me diront que l'Empereur ne peut pas rendre à une femme les prérogatives que les préjugés lui ont ôtées, surtout lorsqu'elle ne peut ni ne veut faire aucun tort à la succession.» Si l'on envisage la question à un point de vue d'histoire générale, elle offre un intérêt: la généalogie donnée par l'historien allemand est vraie. De cette duchesse de Zell descendent les familles royales d'Angleterre et les Hohenzollern. Son nom seul est estropié; la demoiselle du Poitou s'appelait Éléonore Dexmier d'Olbreuse et appartenait à la famille de Jean V Dexmier d'où descendent également les Dexmier d'Archiac représentés aujourd'hui par le comte d'Archiac. A cette dernière branche se rattachaient la célèbre Madame Davasse de Saint-Amaranthe (en réalité Saint-Amarand) et sa fille Émilie de Sartine qui tenaient sous la Terreur un salon assez mélangé et furent guillotinées dans la fameuse fournée des Chemises rouges37.
Le marquis de Bombelles se préoccupait-il à ce moment de généalogies princières qui devaient fournir à sa sœur un précédent pour se faire reconnaître princesse? C'est fort peu probable. Les prétentions dont Mme de Reichenberg le harcèlera sans cesse, surtout l'année suivante quand elle sera veuve, il s'en souciait fort peu en novembre 1777. Il s'apprêtait à revenir à Paris pour hâter les préparatifs d'une union désirée avec ardeur des deux côtés.
Le mariage eut lieu le 23 janvier 1778, à l'église Saint-Louis, à Versailles, quatre jours après le contrat qu'avaient signé le Roi et la Reine38. Madame Élisabeth avait obtenu de Louis XVI pour son amie une dot de 100.000 francs, une pension de 1.000 écus et la promesse d'une place de dame pour accompagner auprès de sa personne, quand sa maison serait formée. La manière dont elle annonça cette faveur à Mlle de Mackau peint le cœur de la princesse: «Enfin! tu seras à moi. C'est un lien de plus entre nous, et rien ne pourra le rompre39.»
CHAPITRE II
1778
Présentation d'Angélique à la Cour. – Le marquis rejoint son poste. – Séparation douloureuse. – Mme de Bombelles et Madame Elisabeth. – La duchesse de Bourbon et le comte d'Artois. – Duel de princes. – Mme de Canillac. – La princesse de Guéménée. – Constitution de la maison de Madame Elisabeth. – Correspondance entre les deux époux. – Le comte d'Esterhazy. – Premières promenades à cheval. – Quelques semaines à Ratisbonne. – La princesse de Fürstenberg. – A Marly. – Marie-Antoinette et Mme de Bombelles. – Le chevalier de Naillac. – Un concert à Ratisbonne. – M. de Bombelles au clavecin.
Le mariage conclu, les deux époux passèrent un temps assez court à Versailles, à l'Hôtel d'Orléans40, chez le baron de Breteuil. Du moins, la séparation d'usage à l'époque quand les mariés ou l'un d'eux était trop jeune n'eut-elle pas lieu, et la lune de miel reçut-elle plein effet. Ce qu'elle fut, on le devine sans peine au ton qui règne dans leurs lettres, car à peine se sont-ils compris et ont-ils jeté les bases d'une affection aussi solide que passionnée que leur destinée les sépare.
Est-ce à cet éloignement fréquent, à l'interruption constante de cette vie intime qu'il faut attribuer la durée et le diapason toujours égal de cette affection conjugale dont le monde des cours offre peu d'exemples? On devra comparer Mme de Bombelles à ces femmes admirables d'officiers de marine qui patiemment, pendant des mois, pendant des années, attendent celui qui navigue au loin et cherche à illustrer le nom que porteront les enfants.
Le devoir de la jeune femme l'attachait à Versailles quand bien même la bonté de Madame Élisabeth eût été insuffisante à l'y retenir. Là elle veillera à la carrière de son mari, pensera à son avenir au lieu de s'occuper de ses plaisirs. Qualité ou défaut, l'ambition mène les hommes qui n'ont pas pour unique souci de vivre mécaniquement et au jour le jour; Bombelles n'avait jamais échappé à cette obsession quand il était célibataire; raison de plus d'être ambitieux du jour où il a pris femme et caresse l'espoir de fonder une famille, et ces rêves d'ambition41 il les a aussitôt inculqués à «son ange». L'amour et l'ambition les guideront tous deux, et voilà, ce semble, une explication toute naturelle de ces longues séparations, qu'avec des désirs plus restreints ils eussent pu rendre plus courtes et moins douloureuses. Tous deux souffraient de l'éloignement, s'en plaignaient parfois amèrement, mais s'inclinaient forcément devant la nécessité. L'expression de leurs regrets et de leurs espérances nous aura du moins valu une correspondance où les anecdotes politiques alternent avec l'expression des sentiments tendres, et l'historien comme le psychologue doivent y trouver à glaner.
Dès le commencement de février, rappelé par les événements de Bavière42, le marquis de Bombelles est parti pour rejoindre son poste emmenant avec lui sa jeune sœur. Sa femme l'a accompagné jusqu'à Strasbourg; à peine de retour à Paris, elle lui écrit le «cœur bien gros», car elle se sent «isolée et comme un corps sans âme». Elle a pris seize ans le 24 février. «Que d'événements viennent de se passer, et la fin de l'année ramènera-t-elle des jours heureux!»
La voici «dame», présentée au Roi et à la Reine, aux princes, au duc d'Orléans43 et à la duchesse de Chartres44, s'occupant, à peine entrée à la Cour, de son frère le baron de Mackau, qui veut vendre son bâton de capitaine au régiment de Berchenyi. A ce propos apparaît le nom du comte Valentin d'Esterhazy, l'ami dévoué de M. de Bombelles, le serviteur fidèle, à l'avis souvent écouté par Marie-Antoinette, et, à voir combien souvent est évoqué le nom du grand seigneur hongrois, personnage resté un peu énigmatique dans la vie de la Reine, on remarquera sans doute que le colonel au service de la France jouit d'une influence comme bien peu d'autres en ont connue à la cour de Louis XVI45.
Ces occupations de cour et de famille ont permis à Mme de Bombelles de ne pas se confiner dans son seul chagrin, mais ce chagrin est réel, comme le prouve une lettre de Mme de Mackau jointe à celle de sa fille. «La privation est cruelle», et elle la ressent vivement moralement et physiquement.
Deux jours après, Mme de Bombelles réinstallée à Versailles semble un peu remontée, car elle a reçu les nouvelles attendues de son mari. Quel plaisir à recevoir cette lettre mêlée de tendresses et de folies «qui l'a fait à la fois pleurer et rire». Il y a là sans doute quelque incident humoristique de voyage comme le marquis aime à les raconter et qui, un instant, a déridé la petite veuve. Quant à avoir envie de danser, il y a loin; et pourtant, la duchesse de Chartres l'a invitée à son bal; elle a pu s'excuser, étant souffrante. Il n'en est pas de même du bal donné par sa tante, la marquise de Soucy, car, si elle n'y allait pas, on dirait «qu'elle est une bégueule», et par le fait elle y paraîtra, quitte à «passablement s'y ennuyer».
N'a-t-elle pas eu un instant l'espoir d'être grosse? Cette joie d'une nouvelle prématurée que n'établissait aucune certitude a été de courte durée et, dès maintenant, cette antienne reviendra dans ses lettres. On admirera avec quel enthousiasme cette petite épousée de seize ans appelle de tous ses vœux une maternité qui pouvait encore se faire attendre, et cela à une époque – «déjà», pourrait-on dire en observant ce qui se passe aujourd'hui – où il était peu de mode dans la société d'avoir des enfants, et où l'échéance même du premier était volontiers reculée.
Mme de Bombelles a pris sa semaine auprès de Madame Élisabeth dans les premiers jours de mars. Cela vaut au marquis mille compliments de la princesse qui «voudrait bien être dans la poche» de son amie, quand elle ira voir son mari en Alsace, et, en raison de ce projet vague, des questions en vue de ce voyage.
Ce qui est important et ne saurait être indifférent à M. de Bombelles, c'est que Madame Élisabeth l'a emmenée chez le Roi. Celui-ci a beaucoup regardé la marquise. Madame a dit à Madame Élisabeth que son amie «embellissait tous les jours»; enfin la Reine lui a adressé quelques mots.
Les jours gras sont arrivés; aussi s'ingénie-t-on chez Madame Élisabeth à trouver quelque idée nouvelle pour s'amuser. «Nous avons joué une comédie de notre tête, écrit Mme de Bombelles le 5 mars, vous jugez si c'était beau! Ensuite maman a mis une redingote, s'est décoiffée et a mis un vieux chapeau; Mme de Soran46 a mis un grand taffetas vert qui lui entourait la tête et le corps, et elles ont chanté un dialogue d'un ivrogne et d'un pénitent qui est de Saint-Cyr. Maman, en faisant l'ivrogne, avait une figure si drôle que tout le monde en a ri si fort qu'on ne s'entendait plus.» Et, après ces innocentes folies, on a dansé jusqu'à minuit, au grand amusement de Madame Élisabeth.
On passera sur des petits détails de cour ou de société, commencement du portrait de Madame Élisabeth par J. – B. Martin, représentation du Milicien joueur chez la princesse de Guéménée, gentillesses et enfantillages de Madame Élisabeth, pour arriver à l'aventure qui motiva le duel du comte d'Artois et du duc de Bourbon, aventure fort connue, mais sur les conséquences de laquelle Mme de Bombelles apporte quelques détails nouveaux.
Avant son mariage, on le sait, le comte d'Artois qui courtisait toutes les femmes et, de préférence celles qu'il aurait dû respecter avait un peu compromis la duchesse de Bourbon et en même temps la dame de compagnie de celle-ci, Mme de Canillac. Le congé assez brusque donné à cette dernière avait été attribué à la jalousie de la princesse dont on avait blâmé la colère. Or, le mardi gras de cette année 1778, le comte d'Artois était au bal de l'Opéra, donnant le bras à Mme de Canillac. De son côté, la duchesse de Bourbon y assistait, donnant le bras à M. de Roncherolles, propre frère de Mme de Canillac. A l'abri de leur déguisement, les deux masques, qui n'étaient pourtant pas absolument sûrs de se reconnaître, échangèrent des paroles piquantes, puis amères. Le comte d'Artois, s'étant échauffé un peu plus et perdant toute bienséance, tint des propos assez lestes pour que la princesse offensée voulût lui arracher son masque; n'y parvenant pas, elle en releva la barbe avec son éventail en disant: «Il n'y a que M. d'Artois ou un polisson qui puisse me tenir de pareils propos.»
Le prince piqué au vif voulut se venger et, séparant brutalement la princesse du bras qu'elle tenait, il lui froissa le masque sur la figure. Grand brouhaha dans l'assistance, ajoute une des Correspondances secrètes, puis chacun disparut.
Malgré le bruit fait dans le monde par cette affaire, le duc de Chartres l'ignora d'abord; le prince de Condé qui était à Chantilly avec le duc de Bourbon ne la connut que deux jours après par son premier écuyer M. d'Autichamp; il vint se plaindre aussitôt à M. de Maurepas qui convint du tort du comte d'Artois, mais voulut éviter d'être médiateur en disant: «Comme le Roi n'aime pas le bal et n'y va pas, il ne voudra pas se mêler de ce qui s'y est passé.» Le prince se fâcha et parla si haut que le ministre se crut obligé d'en aller rendre compte au Roi. Voulant éluder l'affaire, celui-ci répondit: «Que la Reine arrange cela. – Mais, Sire, reprit Maurepas, M. le prince de Condé entend que ce soit vous. – Eh bien! donc, ce sera moi.»
Quand le Roi se décida à faire venir son frère, le public faisait déjà des gorges chaudes de l'affaire, trouvant fort étonnant que les princes ne se fussent pas battus. Au milieu de ces hésitations, des claquettes de cour comme Bezenval envenimaient les choses, sous couleur de les arranger. Le Roi proposa au comte d'Artois de faire des excuses à la duchesse de Bourbon, mais cette proposition fut rejetée après bien des débats et des médiations. Il fut décidé que le prince de Condé ferait des excuses au nom de la duchesse de Bourbon, pour s'être servie d'un terme injurieux envers le frère du Roi et qu'ensuite le comte d'Artois exprimerait des regrets de sa vivacité à la princesse. Personne ne fut content de l'arrangement qui ne fut pas accepté. Les partis restaient en présence sans se décider à sortir d'une situation fausse: la duchesse de Bourbon continuait à se montrer très animée, la Reine persistait à défendre le comte d'Artois. Un duel était la seule issue possible, mais aucun des princes n'avait envoyé de témoins à l'autre. D'un autre côté, le comte d'Artois refusait de s'excuser, mais les princes et les ducs réunis chez le prince de Condé avaient arrêté entre eux que, si le frère du Roi ne donnait pas satisfaction au duc de Bourbon, «les grands du royaume lui refuseraient le service et les honneurs; que son régiment même ne le reconnaîtrait plus pour digne de le commander». Qui prendrait l'initiative, lequel des deux princes se déciderait à envoyer des témoins à l'autre? Après bien des tergiversations, ce fut le comte d'Artois qui parla le premier.
Le dimanche, il dit et répéta qu'il irait, le lendemain lundi, à une certaine heure, se promener au bois de Boulogne; on conseilla au duc de Bourbon de saisir au bond la proposition et à ne pas tarder davantage. A huit heures du matin en effet, le lundi 16, le duc de Bourbon se trouvait au bois de Boulogne avec M. de Vibraye, son capitaine des gardes; le comte d'Artois arrivait une heure après, accompagné du chevalier de Crussol. Ils allèrent au-devant l'un de l'autre avec beaucoup de vivacité. Le comte d'Artois dit au duc de Bourbon: «Vous me cherchez, me voilà. – Je suis ici pour exécuter vos ordres», répondit le duc. Les princes se battirent en chemise. «Ils se battirent très bien, écrit Mme du Deffand à Horace Walpole: le comte avec impétuosité, le duc avec beaucoup de sang-froid; ils se portèrent six bottes sans se blesser et, voulant porter la septième, le chevalier de Crussol se mit entre eux et leur dit que c'était assez. – Êtes-vous content? dit le comte d'Artois au duc de Bourbon. – Monsieur, répondit celui-ci, je n'oublierai jamais l'honneur que vous m'avez fait. – Le comte d'Artois ouvrit ses bras, embrassa son cousin, et tout fut dit.»
A la Cour, on était très inquiet pendant ce temps. Sans exagérer l'inquiétude de la Reine pour son beau-frère, comme l'a souligné Bezenval47, il est à croire que Marie-Antoinette, n'ayant pu empêcher le duel, s'estimait satisfaite que l'issue en eût été si heureuse. Dans l'après-dîner, alors qu'on ignorait encore l'issue du duel, les princes parurent à la Comédie-Française, à la représentation d'Irène48. L'entrée de la Reine avait été peu applaudie; le parterre battit des mains et cria bravo en apercevant le duc de Bourbon; quand le comte d'Artois avança la tête hors de la loge royale pour saluer la duchesse de Bourbon, on l'applaudit également.
Le public se montrait satisfait, mais l'incident n'était pas terminé. Aussitôt son retour à Paris, le comte d'Artois avait écrit au Roi qu'il n'avait pu éviter de lui désobéir et qu'il le priait de pardonner aux deux coupables. «Je réclame, disait-il, la tendre amitié de mon frère, soit que sa clémence, soit que sa sévérité prononce, et j'espère qu'il ne fera aucune distinction entre mon cousin et moi.» Le lendemain, le comte d'Artois reçut l'ordre de se rendre à Choisy, et le duc de Bourbon à Chantilly. Leur exil dura huit jours et, le 25 mars, ils venaient à Versailles remercier le Roi49.
Une fâcheuse histoire que la jalousie de la duchesse de Bourbon avait fait naître et qui mettait en rumeur la Cour et la Ville se terminait donc fort bien. Une seule personne peut-être, dont le nom avait été prononcé avec dédain aurait pu se montrer discrète et ne pas rappeler l'attention sur elle, c'était Mme de Canillac. «A sa place, écrit Mme de Bombelles, je n'aurais jamais eu le front de reparaître et je me serais cachée dans quelque coin de la terre. Elle me faisait pitié, malgré toutes ses étourderies, j'avais conservé pour elle l'amitié que vous me connaissez, mais c'est passé, je ne l'aime plus.» La jeune femme avait peut-être raison d'éviter Mme de Canillac dont la conduite était loin d'être à l'abri des reproches. La princesse de Guéménée la protégeait, mais l'on disait dans Paris que son amour pour Mme de Canillac venait50 de ce que, «lorsqu'elle venait chez elle, elle y attirait les jeunes gens et les princes». De là, le peu d'entraînement de Mme de Bombelles à souper chez Mme de Guéménée: «J'ai peur, écrit-elle, que l'on ne dise, si j'y vais souvent, que lorsque Mme de Canillac n'y est pas, c'est Mme de Bombelles qui la remplace.» Situation délicate qui embarrasse fort la jeune femme, car sa famille et elle ont beaucoup d'obligations aux Rohan, et «il est impossible de ne pas aimer une personne qui me marque de l'amitié chaque fois qu'elle me voit».
Cela l'amène à faire ces réflexions bien sensées pour son âge: «Si vous étiez ici, cela ne m'inquiéterait pas un instant parce que vous y viendriez presque toujours avec moi et qu'il est bien difficile, avec la plus mauvaise volonté du monde, de dire du mal d'une femme qu'on voit bien avec son mari. Je crois que le meilleur parti est de rester comme je suis, si elle n'en parle plus; et, si elle veut que j'aille souper, chez elle, d'y aller et sans avoir la mine de blâmer ce qui s'y passera, ce qui ne conviendrait ni à mon âge ni à ma position, d'avoir l'air si décent et si honnête qu'on ne puisse jamais faire une histoire sur mon compte… D'ailleurs, je ne crois pas aux trois quarts et demi de tout ce qui se dit, parce que j'ai assez bonne opinion de Mme de Guéménée pour croire que, si elle voyait le moindre danger pour ma réputation, à ce que j'aille chez elle, elle ne m'y engagerait pas.» Peut-être Mme de Bombelles s'exagérait-elle les dangers qu'elle pouvait courir chez Mme de Guéménée. Celle-ci en revanche, habituée à une vie de luxe et de plaisir à outrance, au point de s'en ruiner de façon non douteuse, ne s'était jamais rien refusé51; laissée entièrement libre par son mari occupé par sa liaison avec la comtesse Dillon, aurait-elle eu le scrupule moral d'arrêter une jeune femme, si la pente était devenue glissante? A tout prendre, Mme de Bombelles se montrait avisée en ayant peur et en percevant un danger que d'autres n'auraient pas vu; sûrement elle gagnerait l'approbation de son mari, à qui elle disait, en finissant sa tirade morale: «Je crois que vous serez de mon avis sur tout ce que je viens de vous mander.»
Voici des projets de mariage. On dit que Mlle de Condé52 va épouser le duc d'Aoste; il est question pour Mlle de Bombelles d'épouser un M. de la Garde qu'a mis en avant Mme de Razé.
Une visite politique: Franklin a été reçu par le Roi et la famille royale; «il a l'air très vénérable et se coiffe comme un paysan». Cette visite entraîne un déplacement aux Affaires Étrangères. M. Gérard de Rayneval, premier commis, avait d'abord été désigné pour traiter avec Franklin, tout en résidant à Paris, mais le représentant des États-Unis ayant fait connaître «que le Congrès serait trop flatté de recevoir un ministre du Roi pour qu'on lui refusât cette satisfaction honorable», Gérard fut désigné pour ce poste et partit pour l'Amérique.
La constitution définitive de la maison de Madame Élisabeth devait mettre en mouvement les intrigues et les compétitions. Le 9 avril, la liste officielle est connue; la coterie Polignac y a plusieurs représentants. La comtesse Diane, sœur de M. de Polignac, va être nommée dame d'honneur, la marquise de Sérent (née Montmorency-Luxembourg) est dame d'atours, le comte de Coigny, chevalier d'honneur; le comte d'Adhémar, premier écuyer; M. de Podenas, écuyer; l'abbé de Montaigu, aumônier. Outre Mme de Bombelles, Mme de Canillac et Mme de Causans qui avaient déjà le service, les dames pour accompagner seront la marquise de Soran, Mmes de Bourdeilles, de Tilly, de Melfort. Mme de Mackau restait nominativement sous-gouvernante des Enfants de France.
Comme par le passé, c'était Mme de Causans qui dirigeait effectivement la maison, mais nous verrons pourtant la comtesse Diane de Polignac vouloir jouer son rôle. Ce dernier choix n'était pas heureux; outre que les siens jouissaient déjà de grandes faveurs à la Cour de Marie-Antoinette, en attendant de plus nombreuses encore qui devaient surexciter les jalousies, la comtesse Diane, «laide en perfection», très spirituelle, mais assez méchante, avait une détestable réputation53.
Cette installation rendue définitive à la petite Cour de Madame Élisabeth n'empêche pas Mme de Bombelles de faire des projets pour rejoindre son mari. Vers le milieu de juillet, elle sera à Strasbourg avec sa mère, et, si les occupations du marquis l'empêchent de venir jusque-là, elle poussera jusqu'à Ratisbonne. «Rien au monde ne pourrait m'empêcher d'aller vous voir, reprend-elle en gamme tendre; votre présence me fait une peine que rien ne peut adoucir et, lorsque je ris, ce qui m'arrive souvent, je ne sens pas le même plaisir que j'éprouvais, lorsque vous étiez là… C'est une privation continuelle pour moi de ne pouvoir pas, sur-le-champ, vous faire part des pensées qui m'occupent, et croyez bien que, si je ne peins pas si bien que vous ce que je souffre de notre séparation, je le sens aussi vivement.» Ces premières lettres du marquis manquent, mais les très nombreuses qui restent nous font aisément deviner la partie tendre des absentes. Autant le langage de Mme de Bombelles est réservé et chastement affectueux, autant celui de son mari est passionné et brûlant. Il ne souffre pas que moralement; il souffre dans sa chair qui gémit de l'absence après une trop courte et délicieuse possession.
Si amoureuse qu'elle soit et si attristée qu'elle se dise par la séparation, Mme de Bombelles est la moins à plaindre des deux époux. N'a-t-elle pas sa mère, sa sœur, la marquise de Soucy, toute une société qui l'apprécie? Ne jouit-elle pas surtout de cette amitié bienveillante et sûre d'une princesse qui tient peut-être un peu égoïstement à sa «Bombelinette», mais qui pourtant n'est pas femme à la séquestrer entièrement et admet sincèrement l'idée qu'elle devra la quitter pendant des mois. Est-il rien de plus charmant que cette intimité tendre, presque enfantine de ces deux jeunes femmes? «Dis bien au marquis, dit la princesse un jour, que je te donnerai des congés, quand il voudra, que je sens le plaisir qu'il doit éprouver de t'avoir par celui que j'éprouve moi-même.»
Il est question aussi des Chemises rouges dans l'aimable ouvrage de M. Jacques de la Faye, la Princesse Charlotte de Rohan et le duc d'Enghien (Émile-Paul, 1905).
Bombelles menait les deux de front.
La marquise de Soran sera, quelques mois plus tard, nommée dame de Madame Elisabeth. Elle ne chercha pas à jouer de rôle à la Cour, mais elle était très appréciée dans le monde des lettres, et La Harpe, un de ses admirateurs, l'avait surnommée la Mère des Amours. Avec sa taille mince et bien prise, sa coiffure et son ajustement très soignés, ses petites grâces malicieuses et ses coquetteries, c'était une charmante petite vieille. Elle était généralement accompagnée de sa fille Delphine, mariée depuis au comte Stanislas de Clermont-Tonnerre, et qui ne tarda pas à devenir aussi dame de Madame Elisabeth.
Voltaire, reçois la couronne,
Que l'on vient de te présenter.
Il est beau de la montrer,
Quand c'est la France qui la donne.
Dans sa lettre du 1er avril, Mme de Bombelles, ayant assisté à Versailles à la représentation de la pièce jouée à Paris, donne ces détails.