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Kitabı oku: «Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles», sayfa 8

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Votre Altesse,
«La très humble et très obéissante
servante et sujette,
«Élisabeth de France
dite la Folle.»

Et maintenant quittons un moment la Cour de France; suivons par la pensée Mme de Bombelles à Ratisbonne où elle est allée, à la fin de l'automne, rejoindre son mari. Figurons-nous cette vie paisible du ménage, imaginons les soins et la tendresse dont le marquis entoure sa jeune femme attendant un premier enfant.

Après les émotions de l'année précédente la ville impériale est toute au recueillement; un progressif apaisement est venu succéder aux agitations produites par l'affaire de la succession de Bavière. On doit supposer que nombreuses sont les soirées intimes où M. de Bombelles est instamment prié de chanter en s'accompagnant sur le clavecin. Tout occupée d'une grossesse dont le terme approche, la marquise ne prend qu'une part modérée à ces «dissipations» mondaines. Une correspondance régulière avec les parents de France, et sans nul doute avec la Princesse115, la tient au courant de ce qui se passe à cette Cour de Versailles que, sans les soins attentifs et pieux de son mari, elle pourrait être en situation de regretter. Elle aura été informée du départ de Rochambeau pour l'Amérique avec un corps de troupes… elle aura suivi par la pensée les événements de Cour…

Le 1er juillet116, Angélique a mis au monde ce premier-né, Louis-Philippe, dont le surnom de Bombon revient à chaque instant dans ses lettres. Comme elle l'avait déclaré d'avance, elle nourrit son enfant; sa mère, ses belles-sœurs s'inquiètent de savoir si elle n'en est pas fatiguée. «Tu es charmant, écrit la marquise de Travanet à son frère, au commencement de juillet, de nous avoir exactement envoyé des nouvelles de la petite maman. Pourra-t-elle achever sa nourriture? Si elle ne pouvait continuer, je partagerais sa peine, car elle attachait un grand prix à donner à son enfant ce lait charmant qui nous les rend encore plus chers. Toi-même tu en serais contrarié, parce que tu es un mari admirable et que ton «Ange» est ton idole.»

Mme de Travanet est prolixe dans les élans de sa gratitude, elle aura à témoigner à son frère une reconnaissance à laquelle, au reste, il a tant de droits… «Tu entends les expressions de ma joie de vous voir heureux. Ah! que j'aime à prononcer ce mot, moi qui aurais désiré que ton premier mouvement le soit. Enfin plus tu as souffert dans ta vie, plus tu sens le prix des jouissances que tu donnes, car c'est toi qui es l'auteur de tout le bien qui t'arrive; au lieu que, moi, c'est à toi que je dois celui que j'éprouve. Je suis bien reconnaissante aussi, et tu peux te dire: ma sœur est bien, bien heureuse. Les petits nuages qui ont noirci, pendant quelque temps, les flambeaux de l'hymen sont entièrement dissipés. Je respire sous un ciel pur et serein. Je mène (à Viarmes) une vie très agréable. S'il n'y avait pas toujours deux cent lieues à franchir pour arriver jusqu'à toi, elle le serait encore plus. Ma sœur, la comtesse de Matignon et moi nous sommes seules ici, depuis trois semaines, sans nous être ennuyées un moment. La comtesse de Matignon117 est charmante: au village ses goûts sont aussi simples qu'elle est élégante à la ville. Nous lisons, chantons, travaillons toutes trois; nous allons voir les châteaux voisins à âne, ce qui nous amuse considérablement. Nous avons passé une journée à Chantilly: c'est le plus beau lieu de la nature.»

En excellentes dispositions ce jour-là – Mme de Travanet se loue de sa sœur «qui s'accommode très bien avec elle; une attention de ma part est un bienfait pour elle».

Quant à son mari, elle en a d'excellentes nouvelles, et il semble, «par le détail qu'il me rend de sa conduite, que le comte de Broglie118 en fera des éloges mérités. Il passe sa matinée à voir manœuvrer, dîne presque tous les jours au Gouvernement, et, après avoir fait la partie de tric-trac du comte, le soir, il soupe à l'Intendance…» Le marquis néglige-t-il un peu sa sœur? Celle-ci, du moins, dans une lettre suivante de septembre se plaint d'un long silence. Du moins se plaint-elle avec grâce. «Ainsi tu es un petit folâtre qui m'a plantée là depuis que tu as eu un petit garçon plus joli que moi.»

Voici des nouvelles de Madame Élisabeth et des impressions recueillies sur Mme de Bombelles: «Madame Élisabeth m'a traitée au mieux. Si tu n'étais pas aussi fat que tu l'es, je te dirais que l'enlèvement de ta femme pour aller à la Diète, qui a tant fait crier nos élégantes, ne produira d'autre effet, sinon que Madame Élisabeth aimera un peu plus ma belle-sœur, à son retour, qu'auparavant. Tu sais que dans le fond de mon âme je trouvais ce procédé bien naturel, et tu as eu autant de raison que de courage en ne te laissant pas effrayer par les propos.»

Mme de Travanet s'étant rendue à Villiers, chez la comtesse de Bombelles, sa belle-sœur, y a été reçue «comme un cœur». «Il est vrai, ajoute-t-elle, que ma voiture était comble de gibier; mais je ne sais pas si ma faveur n'a point baissé, parce que j'ai fait un petit tour de passe-passe que la rusée belle-sœur, malgré toute ma discrétion, a su deviner. C'est qu'avant d'arriver chez elle j'ai été dîner chez l'abbé(?) à Brunoy pour voir sa petite maison, afin d'en pouvoir faire l'éloge avec connaissance de cause. Je l'ai trouvée très joliment arrangée, et le maître du château m'a nourrie, ainsi que ma suite, parfaitement. J'ai vu aussi les belles folies de M. de Brunoy119 en ornements, ce qui m'a fait passer le temps très agréablement. De là je suis arrivée assez tard à Villiers pour qu'on puisse croire que je venais directement de Paris; il est vrai que, de peur de suivre la route qui mène clairement de Brunoy à Draveil, j'ai allongé la mienne de deux lieues. Mais j'en étais consolée en pensant que cette peine me vaudrait la douceur d'avoir attrapé ma chère belle-sœur. Non, non, la petite peste l'a déterrée et m'a écrit là-dessus une phrase bien maligne, mais j'ai un État; ainsi, si l'on veut m'attaquer, il faut venir me trouver dans ma terre, et mes vassaux me défendront. Pour toi qui es toujours le maître de ce que tu m'as donné, à la bonne heure, je consens à te céder sur tous les points parce qu'avec toutes les richesses du monde je ne me reconnaîtrais pas encore de droits vis-à-vis de toi.»

Et, en veine de douce folie et de bavardage, la petite marquise continue: «Tu es un homme qui en fais d'autres, tu es nécessaire pour la conservation du genre humain et surtout pour celle de la petite Travanet, qui t'aime à la folie et qui voudrait bien te voir, car il y a déjà une éternité qu'elle ne t'a embrassé. Mon mari est revenu, le 2 de ce mois, de Metz, en très bonne santé et bien pénétré des bontés de M. de Broglie qui a écrit au baron de Breteuil et à mes amis beaucoup de bien sur son compte.»

Sur la carrière de son mari, néanmoins, la marquise ne se fait guère d'illusions: «Je suis sûre qu'il ne sera peut-être jamais colonel en second. Je n'ai pas les moyens qui mènent aujourd'hui à la fortune, ni ne veux les acquérir. Dans le vrai, comme il serait le premier puni, je crois qu'il se résignera à subir le sort de ceux qui ont une femme maladroite, mais bien occupée de ses devoirs. Je voudrais qu'il soit très heureux, parce que je le suis infiniment avec lui et qu'il m'aime tendrement. Il vient de passer huit jours à Paris où il n'a pas hasardé un petit écu; j'avoue que cette conduite au milieu d'une société qui aurait pu le corrompre m'a touchée infiniment. Je voudrais être sûre que pendant l'hiver il soit aussi sage, mais c'est trop espérer: contentons-nous du présent.»

Elle a raison, la jeune femme, de n'être pas trop exigeante, car elle n'obtiendra jamais la complète guérison de son mari: il est joueur invétéré; il compromettra sérieusement sa fortune, et les nuages écartés pour le moment ne tarderont pas à s'amonceler plus épais et plus noirs, au point que Mme de Travanet devra se décider à se séparer du marquis.

Quelques jours après, encouragée par une longue lettre de M. de Bombelles, Mme de Travanet reprend la plume de façon enjouée:

«Heureusement, mon cher ami, les entrailles que j'ai pour ton fils ressemblent si fort à celles de la plus tendre des mères, que cela m'empêche de me désoler, car, en lisant la description des charmantes fêtes que tu a données à notre «Ange», on voudrait avoir accouché six fois, si l'on était sûre d'éprouver de son mari les marques de tendresse que ma belle-sœur a reçues de toi. M. de Travanet a pleuré les chaudes larmes en les écoutant; je suis bien sûre qu'une pierre en serait attendrie, parce qu'il n'y a rien de plus touchant et de plus joli. Mais je t'assure que ta bien-aimée petite sœur a épousé un homme charmant et qui gagne tous les jours à être connu. Pour moi, je l'aime parce qu'il m'adore, et qu'après ta femme je suis la plus heureuse de toutes.»

Déroulant le chapelet des illusions, elle continue: «Je finirai par où les autres commencent ordinairement, car il a débuté un peu maussadement, craignant de s'attacher trop légèrement; mais aussi aujourd'hui qu'il a logé aussi parfaitement dans sa tête qu'au tric-trac qu'il avait épousé le bonheur, il me le répète mille fois par jour, et ses soins et ses ivresses augmentent à chaque instant. Je suis bien la maîtresse chez moi, et Monsieur ne trouve plus pénible de se gêner pour Madame…»

Après cette déclaration d'affection conjugale, Mme de Travanet se reporte en gamme attendrie du côté du bonheur sans mélange qu'éprouvent son frère et sa belle-sœur. Il lui manque quelque chose, et elle regrette «ce bonheur d'élever un enfant à qui je ne voudrais d'autre précepteur que celui de mon neveu».

Elle ne se refuse pas les puérilités, quand elle ajoute: «Bon Dieu! comme je regrette de n'avoir pas été témoin des hommages rendus à notre jolie nourrice. Car Angélique a aussi été la mienne, j'ai sucé le lait des conseils qu'elle m'a donnés, et j'avoue que j'ai l'air d'en avoir eu la crème, car je me conduis assez bien…»

Les relevailles de Mme de Bombelles ont été fêtées de façon touchante à Ratisbonne. On a représenté Annette et Lubin; les couplets sur les enfants ont été soulignés, un transparent laissait même entrevoir un de «ces gages de tendresse», et ce qui a eu un succès fou à Ratisbonne a ému jusqu'aux larmes la sensible Mme de Travanet. Elle se rappelle l'époque où elle aussi jouait le rôle d'Annette avec l'avantage de plus que j'étais la «décente». Je n'aurais pas osé montrer le berceau, et comme dit le bailli en parlant de vous deux: «O temps, ô mœurs!» Comme mon règne de pudeur est fini, je voudrais, à présent, que mon Lubin me fasse aussi un petit poupon, car, dans le vrai, la pièce avec cet accessoire est plus jolie, depuis trois ans que je possède Annette, et le couplet: Ce berceau nous présage fait faire dix enfants pour les entendre chanter. Tu vois que j'ai une grande vocation, mais, en conscience, si tu pouvais voir l'effet que nous ont produit à l'un et à l'autre les expressions de ton sentiment, tu aurais été forcé toi-même d'admirer ton ouvrage… Mon vieux curé et sa vieille nièce ont pleuré aussi; tous ceux qui viennent me voir prétendent que le récit de cette fête devrait être imprimé… Vous êtes des amours de me l'avoir envoyé sur-le-champ…»

A lire ces démonstrations de joie on devine ce qu'avaient pu être les débordements de tendresse manifestés par Bombelles à la naissance de ce fils tant désiré, on pressent dans quelle mesure les amis de Ratisbonne avaient tenu à s'associer à son bonheur exultant.

Pendant ce temps Mme de Mackau a éprouvé une grande joie dont elle s'est empressée de faire part à sa chère «Reine», la princesse de Piémont. Elle a marié le fils qui, peu de mois auparavant, lui donnait tant de soucis: le baron de Mackau a épousé au milieu d'octobre Mlle Alissan de Chazet, d'honorable famille, et destinée à posséder une jolie fortune. «Au moment où je m'y attendais le moins, écrit-elle le 22 octobre, cet homme si redoutable (le père de la jeune fille120), qui ne voulait se prêter à rien, a changé de ton, a consenti à ce que je lui demandais. Aussi la baronne a-t-elle conclu le mariage tout de suite, de peur de dédit. Il y a quatre jours qu'il est fait.» Après avoir recommandé la jeune femme à la bienveillance de Madame Clotilde, Mme de Mackau ajoute: «La jeune personne associée au sort de mon fils est aimable et est assez heureuse pour avoir le suffrage de Madame Élisabeth qui la comble de bontés.»

Ayant invoqué le nom de l'aimable princesse, la baronne sait être agréable à la princesse de Piémont, en ne lui taisant pas ce qu'on dit de sa sœur. «Elle est toujours la même pour moi, elle est réellement adorée de tout le monde, elle n'écoute que les conseils de celles qui ne peuvent lui en donner que de bons, et a le tact infiniment juste pour les personnes qui lui sont attachées.»

Voici d'autres détails sur la Cour. On attend le retour de voyage de la comtesse Diane qui s'est hâtée de revenir, car «les absents ont toujours tort». Je ne la vois pas, mais Dieu m'est témoin que je ne lui veux aucun mal, et je crois que Madame, d'après ce que j'ai eu l'honneur de lui confier, approuvera que je ne fasse pas société avec elle, puisque je suis moralement sûre que je ne lui ferais nul plaisir. Madame Élisabeth ne m'en traite pas moins bien, ainsi je dois être parfaitement contente. «Sur la comtesse Diane, on le voit, Mme de Mackau a les mêmes idées que Mme de Bombelles; non sans raison, sans doute, elles se défient toutes deux de la dame d'honneur.»

La Cour est à Marly où il y a fastidieuse alternance de jeu et de spectacle. – Quant à la petite Madame Royale, elle a été très malade, au point d'inquiéter: «Le Roi, pendant cette maladie, lui a donné les plus grandes marques de tendresse, et son attachement pour cette enfant est réellement attendrissant. La Reine l'aime certainement autant, mais les caresses d'un homme en général et surtout d'un Roi frappent, à ce qu'il semble, davantage.»

La lettre de Mme de Mackau se termine par des nouvelles de famille qui nous intéressent: «Ma fille Bombelles est toujours à Ratisbonne, gaie et heureuse par son mari, autant que femme peut l'être. Je l'attends, ce printemps, avec son petit garçon qu'elle nourrit. Mon fils part ces jours-ci pour un court voyage, il commence par Ratisbonne…»

Une lettre du commencement de décembre donne encore à Madame Clotilde des détails sur l'arrivée à Ratisbonne du jeune ménage de Mackau. La dernière ligne sonne comme un glas: «Le courrier arrivé ce matin (le 5) nous apprend que l'Impératrice est très mal121

La grosse nouvelle de la mort de Marie-Thérèse parvenait peu de jours après. On sait par le récit de l'archiduchesse Marie-Anne quelle fut la fin admirable de la grande souveraine. A la nouvelle de sa mort, il n'y eut qu'un cri de vénération dans le monde. Frédéric II lui-même sut trouver une expression admirative. «J'ai donné des larmes sincères à sa mort, écrivait-il à d'Alembert; elle a fait honneur à son sexe et au trône. Je lui ai fait la guerre et n'ai jamais été son ennemi.» Sincère ou non, l'oraison funèbre est belle.

La douleur de Marie-Antoinette fut immense et démonstrative. «Oh, mon frère, écrit-elle à Joseph II, il ne me reste donc que vous dans un pays qui m'est et me sera toujours cher… Souvenez-vous que nous sommes vos amis, vos alliés; aimez-moi…» Pendant près de deux semaines elle ne vit que la famille royale, la princesse de Lamballe et Mme de Polignac, ne parlant que des vertus de sa mère, ne voulant pas être distraite. De ce déchirement profond, réel, un seul événement pouvait la consoler. Plusieurs fois on avait annoncé à tort une seconde grossesse de la Reine; l'hiver précédent, elle avait fait une fausse couche; au début du printemps, le bruit se répandait de nouveau que Marie-Antoinette était grosse, et déjà chacun escomptait la venue du Dauphin tant attendu.

CHAPITRE V
1781

La marquise rentre à Versailles. – Charmant accueil de Madame Elisabeth. – Premières visites. – Le portrait du marquis. – Bombon. – Esterhazy et la Reine. – Nouvelles de cour. – Incendie de l'Opéra. – Questions de carrière. – Mme Saint-Huberti. – Le sevrage de Bombon. – Effusions maternelles. – Nouvelles d'Amérique. – Court séjour de Joseph II. – Ambitions diplomatiques. – La comtesse de Reichenberg songe à accepter d'épouser le marquis de Louvois. – Correspondance avec son frère. – Mort du comte de Broglie. – La comtesse Diane. – Le duc de Montmorency. – A la Muette. – Mme de Marchais et le comte d'Angiviller. – La fête de Saint-Cloud. – La Cour à la Muette. – Mort de la comtesse d'Hautpoul.

L'hiver a passé… L'enfant est en état de voyager, Mme de Bombelles ne saurait prolonger davantage son séjour à Ratisbonne. Il lui faut rejoindre la princesse dont l'impatiente amitié a été mise à si longue épreuve.

Au mois d'avril 1781, la marquise a quitté son mari non sans de grandes démonstrations de regrets et de tendresse, et elle accomplit son long voyage avec Bombon sans péripéties notables. Elle arrive à Versailles le 30 avril, à onze heures du soir. «On nous a arrêtés dans les avenues, écrit-elle à son mari, pour nous dire que le plafond de l'hôtel d'Orléans était tombé et qu'il fallait aller loger à l'hôtel des Ambassadeurs. Moi qui n'étais occupée que de ne pas réveiller Bombon, je ne disais autre chose sinon qu'il ne fallait pas faire de bruit. Maman était furieuse de ma tranquillité, je ne savais à quoi attribuer son humeur; enfin nous sommes arrivés à l'hôtel, toute une famille était à la porte pour nous recevoir… Après avoir établi mon fils, je me suis aperçue que j'étais dans un appartement véritablement charmant. Tu ne peux imaginer ma surprise, car je ne me doutais pas du tout de ces nouvelles marques de bonté de la part de Madame Élisabeth. J'ai eu un plaisir à me trouver bien logée que je ne puis t'exprimer surtout à cause de Bombon, qui pourra se promener journellement dans les avenues de Sceaux et sur la place, sans que je le perde des yeux.»

Ce n'est pas tout. Mme de Bombelles va trouver là encore d'autres preuves des attentions affectueuses de la princesse. Lorsqu'elle s'est mise à table, elle aperçoit un service de porcelaine blanc et or, des couverts, une écuelle d'argent, le tout à ses armes. Elle croit rêver, et tout cela lui donnait envie de pleurer. «Pourquoi n'est-il pas là?» disait-elle à sa tante en se jetant dans ses bras… Et l'on devine le chapelet de choses tendres dont elle émaille son petit récit intime. Madame Élisabeth ne s'est pas contentée de gâter son amie à son arrivée, elle a grande hâte de la voir et la fait demander dans la matinée du lendemain. Mme de Bombelles ajoute, aussitôt l'entrevue finie, un long post-scriptum à sa lettre.

«… Tu ne peux te faire une idée de la joie qu'elle m'a témoignée au moment où elle m'a aperçue. Nous avons ri et pleuré tout à la fois.

«Mmes de Sérent et de La Rochelambert, qui ont déjeuné avec la princesse, sont parties et ont laissé les deux amies deviser à leur aise.

«Après les premiers témoignages d'amitié, je lui ai dit combien tu lui étais attaché, combien tu m'avais rendue heureuse, toutes les raisons que j'avais pour te regretter. Ensuite je me suis mise à pleurer; elle s'est jetée dans mes bras, m'a priée de pleurer à mon aise, en m'assurant que personne ne partageait mieux qu'elle mes regrets et qu'ils étaient bien fondés. Là-dessus nous sommes entrées dans beaucoup de détails à ton sujet. Je te manderai demain en chiffres ce que nous aurons dit.»

Madame Élisabeth a promis d'intercéder en faveur de M. de Bombelles pour l'ambassade de Constantinople, but de ses désirs122.

Dans les témoignages affectueux de Madame Élisabeth, Bombon n'est pas oublié: «Elle l'a comblé de caresses, il a été gentil au possible; il s'est endormi ce matin chez elle en tétant, elle voulait le faire mettre dans un de ses entresols, mais Mme de Sérent, que nous avons consultée, nous a dit de n'en rien faire à cause de son sexe, nous assurant qu'on ne manquerait pas de se servir de ce prétexte pour dire que je faisais habiller et déshabiller l'enfant devant Madame123. Nous avons pris le parti de le faire transporter chez maman, où il a dormi deux heures et demie… J'ai vu, ce matin, Mme de Travanet qui m'a dit qu'hier la Reine lui avait demandé plusieurs fois si j'étais arrivée… Aussitôt (qu'elle l'avait su) elle avait couru à Madame Élisabeth lui en porter la nouvelle avec toutes sortes de grâces, en lui disant qu'elle voulait qu'elle passe toute la journée avec moi et qu'elle prenait bien part à sa joie. J'irai vendredi dîner avec Madame Élisabeth, et samedi j'irai à Villiers voir ton frère.»

Le lendemain, Mme de Bombelles a dîné chez sa mère avec sa belle-sœur Mackau124 et Mme de Chazet; puis, avec sa mère, elle a rendu visite à Mme de Vergennes, «qui l'a traitée très honnêtement», et à la princesse de Guéménée à Montreuil. Celle-ci les a reçues «ni bien ni mal»; ensuite elle s'est déridée et a promis de témoigner son amitié à M. de Bombelles; la princesse Charles de Rohan a été plus expansive.

«On ne meurt pas de joie, mon petit chat, écrit la marquise à son mari le 12 mai, car je ne serais plus de ce monde, après avoir reçu ta lettre de Langres125. On me l'a apportée hier, au moment où j'allais partir pour Marly. Je l'ai lue avec précipitation pour savoir comment tu te portais; après l'avoir baisée, je l'ai fait baiser à petit Bombon; j'ai pleuré enfin, j'étais comme une folle de joie. Je recommençais ta lettre quand elle était finie, et, si mon fils ne m'avait interrompue, je n'aurais vu qu'elle toute la journée…»

Mme de Bombelles a vu M. de Vergennes, qui lui a fait force compliments sur la manière d'être de son mari et lui a fait entrevoir un rayon d'espoir pour son avancement… Puis elle est partie pour Marly en sortant de chez le ministre.

… «Bombon s'est endormi en chemin, j'ai fait demander la permission à Mme de Bourdeilles de le déposer chez elle. Elle m'a reçu avec la plus grande amitié… Je suis venue par le jardin chez Madame Élisabeth. La Reine, qui loge au-dessous d'elle, s'est mise à la fenêtre dès qu'elle m'a eu aperçue, m'a appelée, m'a demandé comment je me portais, où était mon fils… Elle m'a ajouté qu'elle était charmée d'avoir le plaisir de me voir. Je lui ai fait une belle révérence et je suis partie. Le soir, en sortant de chez Madame Élisabeth avec Bombon, j'ai encore rencontré la Reine avec Madame et Mme la comtesse d'Artois; elle s'est arrêtée pour le voir, m'a dit qu'elle le trouvait charmant. Le petit lui a arraché son éventail des mains, cela l'a fait beaucoup rire; elle lui a dit qu'il était un petit méchant, a encore joué avec lui et puis est partie. Madame Élisabeth, avec laquelle j'ai dîné, m'a comblée encore de bonté…

«J'ai aussi été faire une visite à la comtesse Diane; elle m'a reçue avec la plus grande honnêteté, m'a demandé de tes nouvelles. La duchesse de Polignac qui y était m'a aussi fort bien traitée. Le comte d'Esterhazy m'a fait dire par Faverolles qu'il viendrait me voir mercredi matin et qu'il avait des choses fort intéressantes à me communiquer. Je suis bien curieuse de savoir ce qu'il a à me dire, je te le manderai tout de suite.

«… Je n'ai pas encore vu Rayneval… Tu ne sais peut-être pas que M. de Lamotte-Piquet a pris 22 bâtiments marchands qui venaient de Saint-Eustache…»

De retour à Versailles, Mme de Bombelles récrit à son mari, le 15 mai, sous l'impression d'une grande joie, causée par le portrait de son mari. Rien de plus charmant que l'expansion de cette tendresse sincère, juvénilement exprimée.

«J'ai eu hier un grand plaisir, mon petit chat, ton portrait m'est arrivé à six heures du soir, j'ai sauté de joie en voyant la caisse; je croyais qu'on ne l'ouvrirait jamais assez tôt… Lorsque j'ai aperçu ta figure, je me suis mise à pleurer de joie; je t'ai embrassé, caressé; j'ai poussé la folie jusqu'à te parler. Je t'ai couché sur mon lit, ensuite sur le canapé, véritablement ma tête était un peu tournée. La seule chose qui m'a contrariée, c'était que Bombon dormait; mais, en revanche, ce matin, il t'a bien accueilli: il voulait à toute force te prendre le nez, il disait papa et retournait le cadre, croyant de bonne foi que tu étais derrière la glace. Il est bon que tu saches qu'il a actuellement le talent le plus décidé pour jouer du clavecin, il donne de grands coups de poing sur le clavier, cela fait bien du bruit, ce qui le charme et le fait rire de tout son cœur. Il devient tous les jours plus gentil, je crois pourtant que ses dents viendront bientôt.»

Mme de Bombelles est aussi bonne mère qu'elle est tendre épouse, aussi prodigue-t-elle les détails sur la dentition des enfants, sur les conseils qu'on lui a donnés au point de vue du sevrage. Elle semble très moderne dans ses idées, puisqu'à l'enfant qui n'a pas encore percé sa première dent elle fait prendre panades et soupes, en attendant qu'il puisse se passer d'elle et soit sevré.

Suivent les détails de Cour: Madame Élisabeth est venue de Marly la voir avec la comtesse Diane et l'a invitée, de la part de la Reine, à se rendre à Marly, où il y avait grand déjeuner et partie de barres. Mme de Bombelles hésite à accepter parce qu'elle attend la visite du comte d'Esterhazy; elle se préparera à partir; en tout cas, si elle ne peut se rendre à l'invitation, Madame Élisabeth l'excusera en disant que l'enfant est souffrant. La comtesse Diane lui a fait «tout plein d'honnêtetés; elle va partir pour Passy où elle prendra les eaux pour un embarras d'estomac et serait charmée d'y recevoir sa visite à dîner: nous sommes comme des sœurs, c'est touchant». Mme de Bombelles termine sa lettre par des informations de «Carrière», ayant vu M. de Rayneval, et elle annonce le mariage du fils de la princesse de Guéménée avec Mlle de Conflans126.

Pendant ce temps, M. de Bombelles continue fort tranquillement son voyage. De Besançon, le 16 mai, il félicite sa femme du bon accueil fait par la princesse; il serait fort aise d'avoir des détails sur son installation dans son nouveau logement. «Comme je dois croire, je suis autorisé à penser qu'il sera bien souvent question de moi dans ce petit asile, j'en veux donc connaître tous les contours.»

En route il a trouvé ses chevaux venus au-devant de lui avec un de ses serviteurs, et Follette, la chienne fidèle, «qui sait si bien se coucher à tes pieds; comme tu la traitais bien en disant: C'est la chienne de mon ami.» Son beau-frère Mackau est son compagnon de route, il peut donc échanger des idées sur l'antique Besançon qu'il vient de visiter avec soin.

Il est triste pourtant sans sa femme, sans Bombon. Un charretier qui passe avec son enfant sur les bras lui fait envie; il pense à son Bombon dormant dans son berceau de Ratisbonne. A une extrémité de la ville, dans un faubourg sur le Doubs, il a vu une femme qui caressait un enfant. Il n'a pu s'empêcher de s'approcher, de questionner la mère et, de là, des points de comparaison avec son Bombon et celui des autres. Le marquis a l'âme «sensible» et exprime sa «sensibilité» en termes un peu précieux qui sont bien de leur époque. On aime mieux les naïvetés, les sincérités sans apprêt dont sa jeune femme émaille sa correspondance. C'est pourquoi nous ne nous attarderons pas aux impressions de voyage ni aux attendrissements du marquis, pour reprendre les lettres de sa femme où il est toujours quelque chose à glaner.

Quelques nouvelles politiques d'abord: «M. Joly de Fleury127 a refusé d'être contrôleur général, mais il a gardé le portefeuille jusqu'au moment où le Roi en aurait nommé un autre. Je frémis en pensant à tous les changements qui vont encore se faire, à tous les impôts que nécessairement on va lever sur le peuple, au peu d'exactitude avec laquelle peut-être nous allons être payés. Dieu veuille que tous ces malheurs n'arrivent pas, mais je les crains fort; ils me paraissent inévitables, parce que nous perdons tout notre crédit avec M. Necker. On n'a plus aucune confiance dans les billets d'escompte et la Caisse va être ruinée, parce que tout le monde veut avoir l'argent de ses billets. On dit que ce sera M. Foulon qui va être nommé, il est porté par le duc de Choiseul et Mme de Brionne, cela la rendrait pour le coup bien fière. M. de Maurepas va beaucoup mieux, je l'irai voir dès qu'il pourra me recevoir.»

Après le paragraphe sur Bombon, sur son avenir, sur les bonnes promesses de Madame Élisabeth de seconder les Bombelles dans leurs projets de carrière, quelques anecdotes. Mme de Bombelles a demandé à dîner à la duchesse de Montmorency, puis n'est pas venue, son fils étant souffrant. Elle écrit à la duchesse une lettre que celle-ci ne reçoit pas à temps, d'où bouderie piquée que Mme de Bombelles espère éteindre par une seconde lettre d'excuses.

«Il faut que je te compte un bon trait du Roi. Il y avait un monsieur, dont je ne sais plus le nom, qui avait un procès avec lui de plus d'un million. Les papiers ont été brûlés lorsque M. Nogaret a perdu sa maison. On est venu dire au Roi ce désastre; il a tout de suite répondu: «Ses papiers sont brûlés, mon procès est perdu.» Cela n'est-il pas charmant?» Et, en fait, voilà un beau geste à l'actif de Louis XVI.

La politique reprend: il paraît dans ce moment-ci un projet d'administration qu'avait donné M. Necker au Roi, il y a trois ans, qui est parfaitement fait. On ne peut encore concevoir comment ce mémoire a pu être connu, car il n'y avait que le Roi et M. de Maurepas qui l'eussent. On prétend que c'est cet ouvrage-là qui a déterminé sa chute, parce qu'au Parlement beaucoup de personnages fort maltraités se sont déchaînés contre lui. Je ferai tout ce que je pourrai pour te l'envoyer…»

Entre temps Mme de Bombelles a pu voir le comte d'Esterhazy et se rendre tout de même à Marly. Ce qui concerne le comte Valentin est chiffré non sans impatience, car son écriture, d'ordinaire très régulière, est toute tremblée. Esterhazy a abordé franchement la question avec la Reine, parlant de Bombelles avec chaleur. Marie-Antoinette n'a pas dissimulé certaines préventions contre le marquis: on s'était plaint à elle qu'il avait contrarié l'Empereur en se mêlant de choses qui ne le regardaient pas et qu'elle désirait ardemment que, hors ce qui était de son devoir, il ne fît rien qui pût déplaire à son frère.

115.Bien que, de cette année 1780, on ne possède nulle lettre de Madame Elisabeth.
116.La date nous est donnée par une lettre de Mme de Mackau à la princesse de Piémont. Elle reçoit chaque jour des nouvelles par son gendre; du bonheur ressenti à Ratisbonne, du contentement de sa fille Soucy, qui a été nommée sous-gouvernante de la gentille petite princesse, Mme de Mackau se réjouit d'autant plus que, d'autre part, son fils lui a donné les plus grands chagrins: santé détraquée par les excès et dépenses exagérées, qui ont forcé la baronne à demander le concours de Madame Clotilde. (Lettre du 13 juillet. Archives royales de Turin.)
117.Fille du baron de Breteuil.
118.Alors à Metz où il dirigeait des exercices militaires.
119.Le marquis de Brunoy était fils de Pâris de Montmartel, un des frères Pâris qui s'enrichirent dans les fournitures sous le ministère du duc de Bourbon, puis sous Mme de Pompadour. M. de Brunoy avait épousé Mlle des Cars. Il dépensa dix millions dans le château, le parc et l'église. Le château fut acheté un peu plus tard par le comte de Provence qui y donna une grande fête en l'honneur de Marie-Antoinette. Léon Gozlan donne d'amusants détails sur Brunoy et ses habitants dans les Châteaux de France.
120.Alissan de Chazet, moraliste et auteur dramatique à ses heures, a laissé des Mémoires et des Portraits. Il n'était pas sans raisons pour se défier de la sagesse de M. de Mackau. Par le fait, le ménage marcha très bien, grâce surtout à la bonne influence de la jeune femme sur son mari. Le marquis de Bombelles nous dira plus tard que sa belle-sœur était un trésor.
121.Archives royales de Turin.
122.Lettre chiffrée du 10 mai.
123.C'eût été en effet un beau chef d'accusation au procès de Madame Elisabeth!
124.La baronne de Mackau, qui n'avait pas seize ans, avait été présentée à la Cour peu de temps auparavant. On la trouvait généralement jolie, et sa belle-mère ne tarit pas d'éloges sur son compte (Lettre à Madame Clotilde, loc. cit.).
125.Datée de Langres, le 8 mai, cette lettre, comme toutes celles du marquis après séparation d'avec sa femme, est fort triste et d'une tendresse très expansive.
126.Le prince Charles-Alain-Gabriel de Rohan, duc de Montbazon, épousa en effet, le 29 mai 1781, Louise-Aglaé de Conflans d'Armentières, sœur de la célèbre marquise de Coigny, l'amie plus ou moins platonique de Lauzun.
127.Fils et petit-fils de magistrats connus; conseiller d'État en 1781, eut l'administration des finances après Necker.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
381 s. 2 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
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