Kitabı oku: «Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles», sayfa 18
CHAPITRE X
Départ de Wardeck. – Courses de M. de Bombelles. – A Ratisbonne. – Passage de l'armée de Condé à Brünn. – Correspondance avec le comte de Régis. – Louis de Bombelles. – Naissance de Victor-Armand. – Mort d'Angélique à la suite de ses couches. – Touchantes manifestations à ses funérailles. – Douleur du marquis et de ses enfants. – M. de Bombelles entre dans les ordres. – Mort de Bitche à Ulm. – Rencontre avec Vandamne. – Curé prussien. – Évêque d'Amiens. – Mariage de Caroline. – Mort de Bombelles. – Les fils de M. de Bombelles. – Le troisième mari de Marie-Louise.
Madame Élisabeth morte, la colonie de Wardeck va se désagréger. Les Régis ont pris congé du prince-abbé de Saint-Gall et des Bombelles et se sont d'abord retirés à Lindau. L'année suivante, ils se dirigeront vers Naples où la reine Caroline leur a offert une petite situation. Aux lettres échangées entre le comte et la «bonne petite Régis» d'une part, et Angélique de l'autre, on sent quels liens de durable amitié cette vie côte à côte de plusieurs années avait fomentés et fortifiés entre les exilés. Le comte de Régis n'a pas seulement subi l'ascendant d'un homme de dévouement et d'expérience, il a su distinguer les qualités sérieuses qui, ajoutées à son indiscutable charme, faisaient de Mme de Bombelles une femme superattachante. Il garde reconnaissance à la marquise de cette affection quasi maternelle témoignée à sa femme, au jeune Édouard, compagnon des enfants, il cherchera toute occasion de leur rendre les bons procédés qu'il a reçus de la famille tout entière. Quand il s'agira, quelques années plus tard, de chercher une situation à l'étranger pour Louis de Bombelles, c'est du côté de Naples que se tourneront les regards des Bombelles: Naples où, après des vicissitudes de révolution, la reine Caroline est revenue, où résident des amis fidèles qui tiendront à honneur de protéger et de faciliter les débuts du nouvel officier.
Le marquis va continuer ses pérégrinations politiques et diplomatiques. Son objectif est l'armée de Condé où la formation d'un nouveau corps lui permettrait de trouver situation digne de son grade300. Ce résultat escompté ne sera jamais obtenu. Les subsides ont diminué, les états-majors s'éclaircissent au lieu de s'augmenter et, avec les succès des armes françaises sur le Rhin et sur le Pô, s'évanouiront peu à peu les dernières espérances des émigrés combattants.
Bombelles court d'un coin à l'autre de l'Allemagne. Il assiste à la retraite de Brunswick, il voit Coblentz menacé, le Régent réfugié à Hamm, le comte d'Artois poursuivi à Trèves par ses créanciers… Il ne se rendra pas à la petite cour de Vérone, où Louis XVIII s'était déclaré roi depuis la mort «annoncée» de Louis XVII; il ne peut pas songer à se rapprocher du comte d'Artois toujours très monté contre lui… Le rôle effacé maintenant de Bombelles consiste à rendre des services «civils» à l'armée de Condé, qui ne combat pas comme elle voudrait et ne touche qu'irrégulièrement la solde tour à tour à tour stipulée par l'Angleterre et l'Autriche.
Mme de Bombelles s'est retirée provisoirement à Ratisbonne avec ses enfants, tandis que son mari suit la retraite de l'armée de Condé vers Munich. C'est là qu'elle apprend la mort, en couches, de sa pauvre petite belle-sœur de Mackau. Mme de Chazet en a fait part à M. de Bombelles. «La douleur, la résignation de cette malheureuse mère sont ce qu'on peut voir de plus attendrissant, écrit la marquise à M. de Régis. Elle mande que sa fille est morte ainsi qu'elle avait vécu, comme une sainte, que mon frère fera ce qu'il pourra pour remplir ses intentions à l'égard de ses enfants…»
Chagrins intimes, séparation constante d'avec son mari, embarras d'argent, éducation difficile, par conséquent, de ses enfants, voilà le lot d'Angélique réfugiée en cette ville d'empire où elle avait, quelque quinze ou seize ans auparavant, coulé des jours si heureux. Les Wynn sont venus passer plusieurs mois avec elle, avant de gagner l'Italie, elle a entrevu sa sœur la marquise de Soucy, accompagnant Madame Royale en Autriche, voilà les sourires d'une vie toute de préoccupation et de mélancolie… Le marquis continue à aller et à venir, se figurant bénévolement qu'il rend des services à l'armée de Condé et qu'il finira par s'en rendre à lui-même. Un besoin incessant d'activité le dévore, et son impuissance à sortir d'embarras le mine et le tourmente. Le plus souvent possible en route, touchant barre à Ratisbonne où il inculque à sa femme ses espérances momentanées, voyant les uns après les autres s'écrouler les échafaudages de son imagination… jamais découragé pourtant…
De Ratisbonne les Bombelles se sont retirés à Brünn, en Moravie, à cause de l'éducation de leurs enfants. C'est là qu'Angélique revoit cette armée de Condé sur laquelle elle avait tant compté, vaincue, décimée, désorganisée, abandonnée par l'Autriche, forcée à se réfugier en Russie301. «On attend aujourd'hui le duc d'Enghien, écrit-elle le 13 novembre 1797 à la marquise de Raigecourt. Une grande partie de l'armée de Condé a passé et passera par ici. Elle est divisée en quatre colonnes… J'ai vu plusieurs chefs et officiers qui ont passé chez moi presque tout le temps qu'ils ont eu de libre. Il y a parmi notre infortunée noblesse des gens excellents, pleins d'honneur, de probité et d'une conduite parfaite; mais, parmi ces chevaliers de la couronne, les chasseurs nobles, il y a des têtes détestables, un esprit de corps qui leur fait un point d'honneur d'être absolument brise-raison et de la plus grande insubordination… «Le tableau est instructif. N'est-ce pas là l'image trop fidèle de cette émigration où il y eut tant de forces perdues, tant de dévouements inutiles, tant de sacrifices superflus, parce que, «à côté de gens excellents, pleins d'honneur et de probité, il y avait eu trop de têtes détestables et trop de brise-raison302.»
Dans sa retraite de Brünn, Bombelles goûte momentanément un repos qu'il n'a pas cherché. Il s'occupe de ses enfants, oriente Bitche vers la vie militaire et parvient, dès que son second fils a dix-huit ans, à le faire entrer dans l'armée autrichienne. Louis est parti pour Naples où nous allons le voir peu heureux dans ses débuts militaires, Charles suivra la même fortune que Bitche: Henri continue ses études, Caroline se contente de se faire adorer par ses parents. Quant au marquis, son rôle politique se borne maintenant à faire de temps à autre des démarches à Vienne dans le but de faire régler l'arriéré de l'armée de Condé. Il met ses papiers en ordre et se prépare à rédiger une histoire de la Révolution303.
Les débuts de Bitche et de Charles ne semblent pas avoir occasionné d'ennuis à leurs parents; il n'en est pas de même de ceux de Louis, qui sont pénibles, faute d'argent, faute d'avancement suffisant. L'excellent Régis s'est montré paternel pour le fils de ses amis, un peu perdu à Naples et sur lequel la bienveillance de la Reine Caroline, égarée par des conseillers désireux de nuire aux Bombelles, ne parvient pas à descendre de façon efficace.
Angélique a remercié M. de Régis, en juin 1800, de tout ce qu'il a fait pour son fils. «Vos procédés et bontés pour mon pauvre Louis vont au fond de mon cœur, vous vous en occupez comme de votre enfant, et malgré l'extrême besoin que vous avez de ménager vos moyens pour vous-même, vous les employez pour Louis. Vous êtes son avocat, son appui. Ah! puisse le ciel vous récompenser un jour dans Édouard d'une conduite aussi généreuse!.. Je vous avoue que mon cœur saigne de voir ce pauvre Louis sans avancement, après avoir eu autant de motifs pour espérer de le voir incessamment hors de peine.»
Après s'être attendrie, la marquise reprend sérieusement: «Il n'est pas extraordinaire que la fortune vienne lentement. Je n'en suis pas fâchée quand je réfléchis… Louis a besoin d'être un peu éprouvé par l'infortune, d'être suivi enfin, et j'espère, comme vous, que lorsque le temps aura atténué les légèretés naturelles de son caractère, il sera excellent sujet; mais continuez à lui donner de bons conseils. Tâchez surtout quand vous serez réunis, de lui faire aimer la religion et de le dégoûter de toutes les belles idées philosophiques de nos jours dont nos malheurs devraient bien nous prouver la fausseté et la chimère.
Enfin, mon excellent ami, je vous en conjure, que Louis soit toujours votre enfant. Ne soyez pas trop indulgent pour lui et songez que vous ne pouvez l'éclairer, le guider qu'en le voyant tel qu'il est, c'est-à-dire avec tous ses inconvénients… Parlez-moi toujours vérité sur le compte de mon enfant.»
La lettre d'Angélique se termine par des nouvelles de sa grossesse «qui continue à être fort heureuse». J'accoucherai vers la fin de septembre.»
Sur les privations que doit s'imposer son fils Louis, étant données ses infimes ressources pécuniaires, Mme de Bombelles revient encore dans une lettre suivante: «Il ne me demande rien, mais je crains qu'il ne soit bien pauvre. Il me paraît qu'il se conduit raisonnablement, et j'en remercie Dieu.»
Une autre question la préoccupe de façon pressante. Elle a déjà fait allusion à l'indifférence religieuse de son fils; elle insiste de nouveau: «Une chose me tourmente, c'est qu'il ne me parle jamais religion, lui qui sait combien je suis attachée à ce qu'il garde de bons principes; je crains que différents ouvrages qu'il lit avec goût ne l'aient rendu un peu philosophe; j'en serais au désespoir, parlez-lui raison de temps en temps et faites-lui sentir que notre bonheur présent et à venir est attaché à la croyance d'une religion qui renferme la plus sublime philosophie et la seule qui puisse nous rendre heureux. Ce langage de votre part lui fera plus d'impression que de la mienne, et vous mettrez le comble à ma reconnaissance si je dois à vos soins d'avoir convaincu mon enfant sur un point aussi essentiel.»
Ceci est une nouvelle preuve de la confiance que lui inspire le comte de Régis; toutes les lettres que lui a adressées Mme de Bombelles sont sur ce ton. Angélique n'a rien abdiqué de la foi qui a dirigé toutes ses actions, fortifié son courage dans l'adversité. Après s'être montrée la femme dévouée, la mère affectueuse de ses enfants jeunes que la première partie de cette étude nous a fait connaître, elle s'affirme la custode éclairée de l'âme des siens et, dans cette lettre, une des dernières qu'elle écrira, on croit lire comme des recommandations testamentaires d'ultimes volontés qu'un ami fidèle transmettra à son fils aîné.
Le marquis est absent. «Il ne tardera pas à rejoindre le prince de Condé qui revient en Allemagne avec son armée et qui désire l'avoir près de lui. Ce parti sera plutôt l'effet du dévouement et du zèle pour la bonne cause que celui de l'ambition, car nos affaires ne me paraissent pas brillantes, mais c'est un motif de plus pour payer de ses conseils et de sa personne.»
On a demandé pour lui le traitement de maréchal de camp. En exercera-t-il les fonctions? en tout cas il n'attendra pas – pour servir – d'en recevoir les honoraires. Un ami que la marquise ne nomme pas lui a prêté cent louis; il a offert ses bons offices, il est disposé à se mettre en route, et Mme de Bombelles s'apprête à partir avec lui pour Vienne où d'ailleurs est attendue la Reine de Naples: c'est une occasion escomptée de témoigner sa gratitude à sa bienfaitrice. Un autre espoir est caressé par la marquise, c'est d'obtenir de l'avancement pour son Louis qui s'éternise dans le même grade. Pendant ce temps, le sort de Bitche qui est à l'armée de Mélas ne l'en préoccupe que davantage. «Vous pouvez mieux que personne, écrit-elle le 18 juin, juger des anxiétés que me causent toujours les dangers auxquels il est exposé.» Qu'allait-il faire dans cette galère? serait-on en velléité d'objecter.
Ceci n'est pas pour déplaire à la marquise qui est terriblement «émigrée». Elle s'inquiète de savoir quels seront les sentiments de la Reine Caroline en apprenant les événements de Lombardie. «Quel chagrin lui auront causé les résultats de la terrible bataille de Marengo, mande-t-elle le 24 juillet. Qui aurait jamais pu prévoir un tel désastre! En arrivant à Vienne, j'ai appris tous ces tristes détails, je savais que mon pauvre Bitche avait été de la bagarre, je suis restée trois jours dans l'appréhension qu'il fût tué ou blessé.» Une lettre de son fils quelques jours après devait la rassurer; mais dans quelles angoisses ne vit-elle pas entre son second fils qui fait campagne et son mari arrivé maintenant au quartier général du prince de Condé, et prêt à quitter son rôle de conseiller pour celui de combattant effectif. La situation pécuniaire du ménage est mauvaise, la marquise le répète, au moment d'accoucher, et elle est plus désireuse encore qu'elle ne le dit de voir les services de son mari – diplomatiques ou militaires – utilement rétribués. Tout dépend de la générosité de l'Angleterre, ajoute-t-elle naïvement, ou de l'arrivée toujours annoncée, toujours reculée – de la Reine Caroline; à cette princesse elle ne craindrait pas de demander appui pécuniaire. Encore des projets et encore des tracas d'argent; de ceux-ci Mme de Bombelles ne sera jamais délivrée. «La pauvreté se supporte, mais des dettes, ne savoir comment les payer, voilà qui est accablant!»
Pour son fils Charles – qui a de belles qualités morales, mais se montre assez paresseux à l'étude – les Bombelles ont renoncé au service de Naples et établissent un programme autrichien. «J'attends d'un jour à l'autre sa nomination comme enseigne.»
C'est le même Charles, alors âgé de vingt ans, qui se charge d'annoncer le 14 septembre au comte de Régis la naissance de ce petit frère Armand-Victor. Mme de Bombelles avait peu longuement souffert, l'accouchement normal n'inspirait aucune inquiétude pour ses suites. L'enfant avait été baptisé, ayant pour parrain et marraine le duc d'Aumont et sa fille, Charles représentant le premier. Et le jeune homme entrait dans maint détail croyant faire plaisir à ce parfait ami. Dès qu'elle sera remise, la marquise ira à Vienne pour voir la reine Caroline et obtenir son appui pour Louis.
Et voici que moins de six semaines après, une affreuse nouvelle parvient à Rome au jeune Louis de Bombelles. «La douleur m'accable, écrit ce dernier au comte de Régis, le 27 octobre, de Frascati. Oui, je suis le plus malheureux des hommes. J'ignore encore comment j'ai eu la force de résister à un coup si affreux!» La manifestation de sa douleur est expansive, car si tous adoraient cette mère parfaite, il semble que celui qui avait été si longtemps le Bombon choyé et gâté devait plus cruellement sentir l'irréparable séparation. Des centaines de lieues le séparent des siens, son cœur se déchire à l'idée qu'il ne reverra plus sa mère même morte. «Depuis vingt-quatre heures que cette cruelle nouvelle a frappé mes oreilles, je ne sais plus ce que je fais, ce que je deviens… Je m'aperçois que jusqu'à présent je n'avais jamais connu le chagrin. Mais, ô ciel, quel effroyable apprentissage! Je ne sais encore aucun détail, je désire, je crains de les apprendre.»
Il regrette amèrement de n'avoir pas auprès de lui le comte de Régis, car «quelle douceur de pouvoir pleurer ensemble, que de pouvoir partager ses peines! Que deviendront mes frères, ma sœur, papa? Ah! que de réflexions tristes et accablantes!.. Le comble du malheur est d'être isolé au milieu d'étrangers qui ne conçoivent pas que la perte de la meilleure des mères puisse être un malheur! Arrivez-moi vite, mon cher comte, et n'abandonnez pas votre malheureux ami…».
«C'est le 27 de septembre que cet ange m'a été enlevé, écrira le marquis au comte de Régis304. Le 30 au matin, M. le prince de Condé me dit que ma famille m'appelait. Les lettres du 26 m'auraient pu laisser de l'espoir si j'avais vu deux mots de la main de ma femme, mais ne les trouvant nulle part et connaissant son courage autant que sa tendresse, je me dis: elle est au dernier terme puisqu'il ne lui reste pas la force de m'écrire. Cependant elle avait souri, le 26, à l'envoi de l'estafette et se flattait que j'arriverais avant sa fin. Ses dernières intentions sont le chef-d'œuvre de la présence d'un bon esprit et d'un excellent cœur; je les ai trouvées écrites sous sa dictée.»
Donc Bombelles ne put revenir à temps pour recueillir son dernier soupir; la femme qu'il avait tant chérie, le modèle de toutes les vertus domestiques, l'«Angélique adorable», la petite «Bombe» de Madame Élisabeth venait de succomber à trente-neuf ans en couches de son sixième enfant, et l'infortuné mari ne fut de retour à Brünn que dans les premiers jours d'octobre.
Les obsèques de Mme de Bombelles avaient donné lieu aux plus touchantes manifestations. Malgré la modicité de ses ressources et les charges nécessitées par l'éducation de ses enfants, la marquise trouvait moyen – les journaux autrichiens en font foi – de répandre autour d'elle aumônes et secours médicaux. Les habitants de Brünn montrèrent une gratitude démonstrative; les paysans du petit village de Menowitz où elle avait habité quelque temps firent plus encore. Comme ils arrivaient à la maison de deuil, c'était le jour des funérailles et le cercueil était fermé. Ils témoignèrent leur douleur par des cris déchirants et, avec instances, demandèrent à revoir les traits de la morte. Le cercueil fut rouvert et les assistants vénérèrent comme une sainte celle qui avait été leur bienfaitrice. Ce «concert touchant de la reconnaissance», «cet éloge funèbre à travers les sanglots» laissèrent une impression profonde dans tout le pays, et la Gazette de Brünn en a conservé le souvenir305.
Sur la tombe de l'épouse aimée fut inscrite cette épitaphe306:
HUC VITA U. NOMINE
ANGELICA MARCHIA BOMBELLES, NATA BARO MACKAU
E. THALAMO · FIDELI · VISE · EGREDIENS
IN AMPLEXU ·ARMANDI · ULTIMÆ
PROLIS SUÆ-AD BEATAM REQUIEM
ÆTERNÆ · PACIS AVIDA-EMIGRAVIT
DIE XXIX SEPTEM ANNO MDCCC
ÆTATIS XXXIX CONJUGEM PIAM
MATREM TENERRIMAM
AMICAM INTEGERRIMAM
MULIEREM FORTEM
VIATOR SI QUÆRIS
IN HOC TUMULO INVENIES
GLORIOSA REVIVISCET
A. A. P. P.
SI GIT EXEMPTE DES MISÈRES
DE LA FRAGILE HUMANITÉ
LA PLUS EXCELLENTE DES MÈRES
LA PLUS TOUCHANTE PIÉTÉ
FEMME CHÈRE AUTANT QUE ADMIRABLE
LE PREMIER CHAGRIN QU'ELLE FIT
A SON ÉPOUX INCONSOLABLE
DATE DU JOUR OU IL L'A PERDUE
Ce que fut la douleur de M. de Bombelles, on le devine. Écrasé par la perte de celle qu'il avait chérie d'un amour constant et presqu'au-delà de l'humaine mesure, n'ayant guère foi dans la cause des princes, qu'allait-il devenir?
Avec deux enfants tout jeunes, en proie à des difficultés d'argent que son veuvage ne peut qu'augmenter, puisqu'il ne lui est plus guère loisible, en rendant des services à l'armée de Condé, de trouver là une augmentation de ressources, il lui faut d'abord chercher en même temps à pousser la carrière de ses fils aînés et à assurer le sort des plus jeunes.
Il a commencé, suivant le vœu de sa femme, par conduire la petite Caroline à son «auguste marraine». – «Je me trouvais, écrit-il au comte de Régis, dans les plus grands embarras pour ma famille qu'on voulait renvoyer de Brünn et de Moravie en l'englobant dans un ordre de départ pour tous les étrangers. La protection qui aurait dû être la plus puissante semblait irriter les exacts exécuteurs des seuls règlements pesant sur les émigrés, j'avais à sauver ma colonie d'une vraie persécution et à mettre dans toutes mes démarches une mesure qui ménageât la dignité de ce que vous et moi respectons le plus au monde. Trois semaines se sont passées. – Grâce au ciel et à l'intercession de celle que je pleure et qui me manque sans cesse, je suis parvenu à quitter Vienne à peu près tranquillisé sur le sort de mes enfants. Mes chagrins et mes soucis ont été bien adoucis par les bontés dont la Reine m'a comblé.»
La petite Caroline a été placée au couvent de la Visitation sur le désir de la Reine de Naples. «Cette petite a fait à Sa Majesté l'effet que sa gentillesse et sa raison produisent généralement. Les religieuses l'aiment déjà à la folie.»
Pour ses fils, Bombelles a aussi des promesses et des résultats. Louis aura de l'avancement dans l'armée napolitaine. Bitche et Charles sont, le premier, sous-lieutenant dans l'«Archiduc-Joseph-infanterie», le second enseigne dans Mittrowski, aussi infanterie autrichienne. Henri rejoindra son père au quartier général de Condé, à moins que ce ne soit celui-ci qui revienne définitivement à Brünn. «Pressé de rejoindre le corps de Condé, j'ai partagé ses fatigues comme je partage en ce moment ses justes inquiétudes sur le destin qui l'attend. D'ici à peu de jours, écrit-il le 30 janvier, je saurai s'il m'est permis d'ajouter au dévouement que j'ai montré, ou s'il est de mon devoir d'y mettre un terme, à la suite duquel je rejoigne mon ménage.»
Bombelles était intervenu à Vienne pour faire obtenir de derniers secours à l'armée de Condé, mais il était alors trop tard: M. de Cobentzel, ministre de l'Empereur, discutait avec Joseph Bonaparte les conditions de paix entre les Gouvernements autrichien et français. La dislocation est imminente; les émigrés sont réduits à l'impuissance; l'Autriche mise hors de cause; l'Angleterre ne paierait pas une armée qui ne combattrait pas. C'en était fini de l'armée de Condé307. Ils allaient devenir exceptionnels ceux qui continueraient à porter les armes contre la France: la majeure partie des proscrits revinrent, acceptèrent avec philosophie le nouvel ordre de choses, heureux de voir les autels rétablis et l'ordre assuré; beaucoup surent ne pas refuser les présents du Premier Consul308. Nous aurions aimé à ne pas enregistrer le nom des Bombelles sur la même liste que les Langeron et les Saint-Priest. Le marquis n'eut pas un instant la pensée de refaire des Français de ses fils. Si lui-même a renoncé à toute ambition militaire, il continuera à ne pas s'étonner que ses enfants servent les ennemis de la France; rien ne modifiera un programme dont nous avons vu le premier acte dans le refus de serment à la Constitution. Irréconciliable il est resté avec la Révolution et ses suites… Ses fils ne seront pas tous victimes de cette obstination; deux d'entre eux, l'épée posée, parcourront de brillantes carrières; mais le second, Bitche, que nous avons vu à l'armée de Mélas, mourra, au siège d'Ulm, tué par une balle française.
M. de Bombelles va rentrer à Brünn où il a laissé l'enfant au maillot «aux soins parfaits des trois excellentes filles du duc d'Aumont-Villequier. Ces dames, dont l'aînée a vingt-six ans, restent jusqu'à d'autres temps réunies aux débris de ma famille. Nous sommes logés à Brünn dans le palais du prince de Dietrichstein qui m'y réfugia quand je perdis (en 1797) la pension de la Reine. Sa Majesté, qui m'en avait fait rétablir une de 2.000 florins, vient de me rendre cette pension sur le pied précédent… Sa Majesté a été dans cette occasion tout ce qu'elle sera toujours quand l'homme de bien peut arriver jusqu'à elle».
Les plus grosses difficultés assaillent néanmoins M. de Bombelles. L'augmentation de pension promise par la Reine de Naples n'arrive pas, la carrière de Louis reste stationnaire. «Je ne reçois plus de réponses de la Reine depuis mon retour ici, écrit le marquis, le 8 septembre, à M. de Régis309; la route de ses bienfaits est également barrée. Elle voulait qu'ils fussent reportés de 2 à 5. Je n'entends pas plus parler d'un taux que de l'autre, et l'on me refuse la seule grâce que je demande, celle de me dire: Vous n'aurez rien, parce qu'alors, pièce en main, je pourrais solliciter ailleurs du pain, au lieu que, dans l'état de souffrance où l'on me laisse, j'ai à m'attendre, si je frappais à d'autres portes, qu'on me réponde: Prenez patience, vous avez un traitement de Naples, il vous sera payé tôt ou tard. En attendant ainsi, je suis mangé et par la dépense journalière de mes faibles économies et par les besoins d'une famille qui, ne recevant plus sa pension de l'ancien habitant de Mittau, n'a plus, pour administrer sagement un ménage, la femme distinguée, douce, économe et sage qui était notre boussole à tous et notre ancre de salut.»
Bombelles se plaint de la malveillance de quelques-uns qui l'auront desservi auprès de la reine. «Ce qui me vaut ce traitement est précisément ce qui vaut à mon bon Louis l'oubli de tout ce qui mériterait récompense; je n'ai rien à me reprocher envers les hommes et particulièrement envers les Rois, si ce n'est de n'avoir pas cet esprit souple qui fait crier tour à tour: vive le Roi! vive la Ligue! Je tiens à l'amour de mon Dieu, de sa religion, je tiens à cette forme de gouvernement paternel qui se nomme monarchie. Je ne puis pas accorder mon adoration au triomphe du crime…»
Bombelles s'étend longuement sur ses opinions, sur l'exécration en laquelle il tient les «philosophes modernes» et continue à se plaindre de la persécution dont il est l'objet. S'il n'obtient pas ce qu'il peut justement désirer, étant donnés ses services passés, ce n'est faute de savoir demander et se plaindre. Sans doute les doléances continuelles de Marc-Henri ont un peu lassé tout le monde, aussi bien le régent et ses amis que cette sœur de Marie-Antoinette dont la générosité l'a fait vivre lui et les siens. Mais, comme il le marque si bien à son ami Régis, sa femme n'est plus là, organisatrice parfaite, mère de famille entendue, femme séduisante et adroite, qui sait attirer sur sa famille ces gerbes de grâces utiles que pouvaient écarter les fastidieuses jérémiades de son époux vieilli.
Il comptait sur le baron de Breteuil, qui, suivant lui, lui redoit de grosses sommes convenues pour ses missions antérieures. Mais Breteuil, qui a passé six semaines à Vienne et aux environs, n'a pas jugé bon de se déranger. «Étant, nonobstant tout, dans de bons rapports avec lui, je l'avais conjuré de passer par ici en retournant à Hambourg. Il m'a répondu dans les termes les plus tendres et au milieu de protestations d'amitié qu'il ne pouvait se détourner de trois postes pour voir un ami si fidèle et qu'il n'avait pas le temps d'aller voir ma fille au couvent. Le fait est qu'il a voulu se sauver de l'embarras de causer avec moi depuis tout ce qu'il m'a écrit sur les 30.000 livres et au delà qu'il me doit sans vouloir prendre des arrangements à cet égard. O argent, ô argent, que ton métal fait faire de vilaines choses!»
Bombelles est forcément très embarrassé, il n'ose même pas envoyer quelque argent à son fils Louis. «Ce n'est pas par un sentiment d'attache à ce métal que je n'en envoie pas à mon pauvre Louis, le cœur me saigne lorsque je pense qu'il peut être dans l'embarras; mais au moment où je tends la main, si je lui envoyais quoi que ce soit, on ne manquerait pas de dire que j'ai fait le pauvre pour mieux abuser de la bienfaisance de la Reine et que, dans le fait, je suis à mon aise.»
Par cette lettre et par d'autres adressées soit au comte de Régis310, soit à Louis de Bombelles, on est informé des angoisses pécuniaires par lesquelles passe le marquis de Bombelles. Ces tracas joints aux dispositions religieuses, naturelles à son esprit et que la perte de sa femme n'ont fait qu'augmenter, vont faire germer un projet caressé par le marquis depuis qu'il est définitivement réfugié à Brünn. Après avoir mis ordre, autant que faire se pouvait, à ses affaires et obtenu la promesse que la pension faite par la reine de Naples serait reversée sur ses enfants, une fois une certaine somme payée, Bombelles s'est décidé à se retirer dans un couvent de Brünn pour y recevoir les ordres. «C'est pénétré du désir d'améliorer le sort de mes chers enfants, écrit-il le 15 février 1803, à son fils Louis, que je me consacre au service des autels, pour, avec le temps, en retirer, en outre, des avantages spirituels, ceux de vivre de mon nouvel état et de ne pas morceler, par ma propre subsistance, celle de mon indigente famille.» Et après lui avoir indiqué le moyen de toucher des avances sur la pension que lui fait la Reine, il donne rendez-vous à son fils à Vienne. «Je vous laisse à penser combien je serai heureux de vous voir présent à ma première messe, et de pouvoir vous y réunir à vos frères à la sainte Table; c'est alors que du haut du ciel votre angélique mère réunirait ses intercessions à mes prières pour ces fils quelle nourrit de son lait et de la parole de Dieu, qu'elle servit si bien.»
Louis de Bombelles a accompli le voyage projeté à Vienne, et ce n'est pas sans une profonde émotion qu'il a retrouvé ses frères et son père. «Les larmes le suffoquaient, cet excellent papa, écrit-il au comte de Régis, le 8 octobre, il ne pouvait que me serrer dans ses bras et lever les bras au ciel. Henri me tiraillait d'un autre côté pour m'embrasser aussi; enfin jamais entrevue ne fut plus touchante.» Il n'a presque pas trouvé son père vieilli depuis ces cinq ans de séparation. «Son nouveau costume avec ses croix de Saint-Louis et de Saint-Lazare lui va à merveille, et il lui donne même un air de douceur et de résignation qui le rendent cent fois plus intéressant.»
A son père, prêtre, Louis n'a rien déguisé, «même de ce qui pouvait être à son désavantage», et il a trouvé en lui, «non seulement un père indulgent, mais un ami charmant qui se reporte lui-même à l'âge de vingt-quatre ans et qui malgré son respectable habit conçoit fort bien que le printemps de la vie soit plus sujet aux orages que la maturité de l'existence». Il ajoute: «Je vous assure qu'il est le seul ecclésiastique que j'aie jusqu'à présent rencontré qui sache rendre la vertu aussi séduisante et qui la dépouille de tout ce qu'elle a ordinairement de farouche.» Il a été trop question du comte de Régis, si parfait ami de tous et de chacun d'eux, pour que Louis de Bombelles ne souligne pas ce souvenir reconnaissant. «J'ai été heureux en voyant que l'amitié que vous avez toujours si franchement témoignée à notre famille est bien sentie et partagée par tous ses membres et surtout par le chef.»
Il donne ensuite des détails sur ses frères: «Henri, qui est le premier que j'aie vu, a quinze ans. Sans être d'une très jolie figure, il a une tournure très agréable, beaucoup d'esprit et fournissant aux frais de la conversation comme un homme fait. Aussi est-il caressé et gâté par toutes les dames de la société; mais il n'en est pas moins bon enfant et, à sa coiffure à la Titus près, à laquelle il tient beaucoup, il a toutes les qualités que l'on peut désirer dans un jeune homme.»
Pour les détails, voir l'ouvrage de M. Ernest Daudet: Histoire de l'émigration, t. II.