Kitabı oku: «Le pouce crochu», sayfa 17
– On l’a tuée à coups de pistolet, murmura Georget. Ce n’est pas Zig-Zag qui a fait cela. Il tenait trop à son chien.
– Tu ne vois donc pas qu’il était enragé? Il a encore la bave à la gueule.
– Mais comment est-il venu ici?
– Est-ce que je sais? Son maître a travaillé sur la place du Trône. Vigoureux le cherchait peut-être et un passant lui aura cassé la tête. Vas-tu pas le plaindre?
– Non, mais j’ai peur que Zig-Zag ne soit pas loin.
– Bah! il ne te mangera pas… s’il te tenait entre quatre murs, tu passerais un mauvais quart d’heure, mais dans la rue, il ne te dira rien… N’empêche que je ne me soucie pas de le rencontrer. Laisse là cette charogne et avance avec moi jusqu’à cette voiture qui stationne là-bas et qui me fait l’effet d’être le fiacre où j’ai vu monter Amanda.
– Quoi! là-bas, devant cette palissade en bois?
– Oui. Qu’est-ce qu’il y a d’étonnant?
– C’est l’entrée de la maison où Zig-Zag a étranglé un homme.
– Ah! bah!… Mais non, tu dois te tromper.
– Je ne peux pas me tromper… je la connais… j’y suis entré avec mon père.
– Et… elle est habitée, cette cassine?
– Oui… la fille de l’homme que Zig-Zag a tué y demeure encore.
– Seule?
– Avec une vieille servante.
– Tiens! tiens! et Amanda vient la voir!… c’est drôle.
– Qui sait si elle ne vient pas pour la tuer aussi, murmura Georget, en frissonnant à la pensée que sa protectrice était en danger de mort.
– Quant à ça, rassure-toi, petit. Amanda s’est fait accompagner par un monsieur qui n’est pas un brigand comme Zig-Zag. Et je veux que le diable m’emporte, si je devine pourquoi elle l’a amené.
C’est égal… ça vaut la peine d’y regarder de près; attends-moi un peu ici, pendant que je vais vérifier le numéro du fiacre.
Georget, profondément troublé, la laissa avancer et la vit s’approcher de la voiture, examiner les chiffres peints sur les lanternes, puis rebrousser chemin.
– C’est bien le même, dit-elle à l’enfant qui l’interrogeait des yeux. Amanda est en visite dans la maison, et si tu la manques, ce sera bien de ta faute.
– Non, car elle partira en voiture et je ne pourrai pas la suivre à pied.
– Tu n’as pas besoin d’attendre qu’elle sorte. La barrière n’est pas fermée. Entre carrément et tombe sans crier gare au milieu de la visite. Tu verras le nez que fera cette gueuse, quand elle verra apparaître ta binette. Elle est habillée en dame, maintenant, et elle a teint ses cheveux en rouge, mais tu la reconnaîtras tout de même… et elle te reconnaîtra encore mieux. Alors, appelle-la par son nom d’Amanda et demande-lui des nouvelles de Zig-Zag. Je te promets que tu riras. Et n’aie pas peur du monsieur qui est avec elle. Il prendra ton parti, je t’en réponds.
– Je ne le crains pas… je ne crains rien… que de faire de la peine à la personne qui demeure là.
– La fille de l’homme que Zig-Zag a estourbi? Elle te remerciera, au contraire, car elle doit tenir à venger son père autant que tu as envie de venger le tien. Et, de plus, je parierais volontiers qu’Amanda machine quelque chose contre elle.
Du reste, mon garçon, c’est à toi de faire pour le mieux. Je t’ai conduit à la remise du gibier que tu chasses. Maintenant, je ne m’en mêle plus. Ça te regarde.
Moi, je m’en vais et je compte que tu ne parleras pas de moi, n’importe comment ça tournera là-dedans.
Je vais quitter Paris pour me mettre à l’abri des éclaboussures; j’y reviendrai, peut-être, quand Zig-Zag et Amanda seront coffrés…, mais si jamais tu me rencontres, tu sais, petit… ni vu ni connu…
Au plaisir de ne pas te retrouver et bonne chance!
Ayant dit, Olga passa de l’autre côté du boulevard et fila au pas accéléré vers la place du Trône.
Elle avait mis le feu à la mèche et elle ne songeait plus qu’à se garer de l’explosion.
Elle laissait Georget dans un grand embarras. Il ne demandait pas mieux que de démasquer l’odieuse Amanda et de faire prendre Zig-Zag, mais il hésitait beaucoup à entrer brusquement chez mademoiselle Monistrol.
Il ne savait pas du tout où elle en était et il craignait fort d’arriver mal à propos; il craignait surtout de troubler le repos de sa bienfaitrice et de lui causer une émotion trop vive, en la forçant à assister à une scène violente.
Et puis, que dire en présence de ce monsieur qui escortait Amanda et qui n’était peut-être pas des amis de mademoiselle Monistrol?
Il fallait, cependant, prendre un parti, et Georget, avant de se décider, voulut essayer de s’introduire sans bruit dans l’enclos, dont la maisonnette occupait le centre.
Il se glissa le long des clôtures et reconnut que le cocher du fiacre dormait sur son siège.
Alors, profitant de l’occasion, il passa la barrière et il se fit tout petit pour arriver jusqu’à la maison en côtoyant les palissades. Il n’osait même pas lever les yeux vers les fenêtres de ce salon du premier étage où mademoiselle Monistrol se tenait habituellement, et il tremblait de voir survenir Brigitte, qui l’aurait peut-être assez mal reçu.
Mais Brigitte ne parut pas et Georget avisa fort à propos, tout près de la porte, une cabane en planches où feu Monistrol serrait des arrosoirs, des râteaux et autres ustensiles de jardinage.
Zig-Zag s’était peut-être caché là, avant d’assassiner le père de Camille.
Georget s’y blottit, accroupi derrière un battant à hauteur d’appui, un battant qu’il n’avait qu’à pousser pour sortir et entrer en scène.
De ce coin bien choisi, il pouvait voir, à travers les fentes des planches mal jointes, tous ceux qui sortiraient et tous ceux qui entreraient.
Il se promit de ne pas laisser partir Amanda, de lui barrer le passage dès qu’elle se montrerait, et il attendit, immobile, que le moment vînt d’intervenir.
XII. Après le départ de M. de Menestreau…
Après le départ de M. de Menestreau, Camille était tombée dans une sorte de découragement. Elle avait pris l’existence en dégoût et elle voyait l’avenir sous des couleurs sombres, plus encore que le lendemain de la mort de son père.
Depuis ce malheur, tout tournait contre elle. Le meurtrier lui avait échappé. Ceux qui la secondaient avaient mal fini. Courapied était mort tragiquement, et si les journaux disaient la vérité, Georget était en prison. Ceux qui s’intéressaient à elle l’abandonnaient: les Gémozac se retiraient: la mère ne voulait plus la voir; le père était parti froissé et il paraissait douteux qu’il revint; le fils, blessé dans son amour-propre, allait céder la place à son rival.
Enfin, Brigitte elle-même désapprouvait évidemment le choix qu’avait fait sa maîtresse en la personne de M. de Menestreau et refusait nettement de la suivre en Angleterre.
Et, pour compenser toutes ces défections, il restait à mademoiselle Monistrol l’amour de Georges de Menestreau, c’est-à-dire l’amour d’un homme qu’elle connaissait à peine et dont elle s’était éprise comme s’éprennent les jeunes filles qui ne savent rien de la vie.
Elle l’avait aimé tout d’un coup, dans un moment d’exaltation chevaleresque, et elle s’obstinait à prendre cet amour au sérieux; mais elle commençait à comprendre vaguement qu’elle avait tort de lier pour toujours sa destinée à celle d’un beau cavalier dont le principal mérite était d’avoir rossé et mis en fuite deux chenapans.
Elle persistait pourtant et elle était prête à tenir l’imprudente promesse qu’elle lui avait faite de l’aller rejoindre à l’étranger et de l’épouser.
Et, plus crédule que jamais, elle n’attendait, pour la tenir, que les renseignements qu’il devait lui rapporter sur le sort de Georget.
Elle n’attendit pas longtemps. Moins de deux heures après avoir tué Vigoureux, M. de Menestreau reparut et la trouva seule dans le petit salon où son père était mort, étranglé par un assassin.
Il put y arriver sans que personne le vît, car Brigitte, vertement rabrouée par mademoiselle Monistrol, était allée aux provisions pour passer sa mauvaise humeur.
Camille l’accueillit avec moins d’empressement que de coutume. Elle n’avait pas le cœur à la joie et elle commença par s’informer de Courapied et de son fils.
– Les journaux se trompent toujours, lui dit d’un air dégagé M. de Menestreau. L’accident de la plaine Saint-Denis a bien eu lieu, à peu près comme ils le racontent, mais les victimes sont deux pauvres diables… un homme et un enfant… qui couchaient là, faute de domicile, et qui n’ont rien de commun avec les gens que vous cherchez… ils ont été surpris par l’explosion.
– Quoi! l’enfant est mort aussi! murmura Camille.
– Il a survécu quelques heures à ses blessures, mais elles étaient si graves qu’il n’a pas passé la journée. On l’a enterré ce matin. Je tiens tous ces détails du commissaire de police qui a dressé le procès-verbal.
– Morts tous les deux!… morts pour moi! répétait la jeune fille qui avait les larmes aux yeux.
– Quoi! vous croyez encore qu’ils se sont dévoués pour vous? Que faut-il donc pour vous persuader que ces drôles sont allés retrouver leur complice Zig-Zag!
– Jamais je ne me déciderai à admettre qu’ils m’ont trahie. Si c’est une illusion que je me fais, laissez-la moi. Il me serait cruel de la perdre.
– Dieu me garde de vous affliger, mademoiselle, s’écria Georges. Je ne vous parlerai plus jamais d’eux. Mais souffrez que je vous parle de moi, car je n’ai plus que quelques instants à passer avec vous. Je viens de recevoir une dépêche de Londres qui m’oblige absolument à partir ce soir, et… vous l’avouerai-je?… je n’espère plus vous revoir.
– N’avez-vous pas ma parole?
– Oui, mademoiselle, et je ne doute pas que vous n’ayez l’intention de la tenir. Mais que va-t-il se passer, après mon départ? Vous êtes entourée de personnes qui ne me veulent aucun bien et qui ne manqueront pas de me calomnier…
– Quelles personnes?
– Mais, quand ce ne serait que M. Gémozac… il veut vous garder pour son fils, à cause de votre fortune… qui l’empêche de vous dire qu’on lui a donné sur moi les plus mauvais renseignements?… Je ne serai plus là pour me défendre.
– M. Gémozac est un honnête homme, incapable de mentir, répondit la jeune fille. Je lui ai déclaré, devant vous, que j’étais résolue à vous épouser. Je vous ai juré d’être votre femme. Que voulez-vous de plus?
– Je ne veux rien… Je n’ai pas le droit de vouloir… Mais je vous supplie de partir avec moi.
– Vous savez bien que c’est impossible?
– Pourquoi?… vous n’avez plus rien à démêler avec M. Gémozac, puisque vous êtes en possession de l’acte d’association qui assure votre indépendance.
Camille tressaillit. Cette insistance à mêler aux transports passionnés les questions d’intérêt la choquait. M. de Menestreau s’en aperçut et jugea que le moment était venu de recourir aux grands moyens.
– Partez avec moi, je vous le demande à genoux, dit-il en tombant aux pieds de Camille avec une grâce que lui eût enviée un jeune premier du Gymnase.
Mademoiselle Monistrol, surprise et presque effrayée, recula, mais il lui prit les mains et il se mit à les couvrir de baisers brûlants.
– Laissez-moi, cria-t-elle en se débattant.
Georges la tenait bien. Il se releva d’un bond, il la prit par la taille et il l’attira contre sa poitrine, malgré les efforts désespérés qu’elle faisait pour se défendre.
Tout à coup une main s’abattit sur l’épaule de M. de Menestreau et une voix lui cria:
– Face au parterre, mauvais gueux!
Il lâcha prise et il se retourna furieux, pendant que Camille, bouleversée, s’affaissait dans un fauteuil.
Elle avait eu le temps d’entrevoir une femme, et elle croyait rêver.
Mais Georges l’avait reconnue, cette femme, et il se rua sur elle en disant:
– Ah! drôlesse! tu me vends! eh bien, tu vas mourir. Je vais te tordre le cou.
– Pas ici, monsieur Tergowitz, répondit tranquillement le baron de Fresnay, qui émergea tout à coup de la salle à manger où il se tenait derrière le rideau.
Madame de Lugos m’a affirmé que vous étiez ici, reprit le baron de Fresnay avec un flegme étonnant, et elle m’a à peu près forcé de l’y conduire. Elle éprouve le besoin de s’expliquer avec vous.
Puis, s’avançant le chapeau à la main vers Camille Monistrol, éperdue:
– Pardonnez-moi, mademoiselle, d’envahir votre domicile, dit-il de sa voix la plus douce. Je me flatte que vous me remercierez plus tard de m’être présenté chez vous sans votre autorisation. Du reste, j’ai déjà eu l’honneur de vous voir dans une circonstance que vous n’avez pas oubliée, j’en suis sûr… j’accompagnais, ce soir-là, mon meilleur ami, Julien Gémozac.
Camille ne bougea point. Elle ne comprenait pas encore, mais M. de Menestreau pâlit horriblement.
– Maintenant, monsieur, lui dit Fresnay, je laisse la parole à madame de Lugos. Vous la connaissez beaucoup, à ce qu’il parait, et elle tient énormément à ne pas vous perdre, puisqu’elle est venue vous chercher ici.
– Assez, monsieur! répliqua M. de Menestreau avec violence. Faites-moi place! je ne vous connais pas plus que je ne connais cette femme.
Fresnay ne s’écarta point pour le laisser passer et madame de Lugos lui dit en lui montrant le poing:
– Tu oses me renier, misérable! Répète-moi donc en face que tu n’es pas mon amant! Je t’en défie!
– Monsieur, vous me rendrez raison de cette scène… C’est vous qui l’avez provoquée, s’écria Georges…
– Tais-toi, scélérat! reprit la fausse Hongroise. Est-ce qu’on se bat avec un homme de ton espèce? Ce n’est pas de la main d’un baron que tu mourras. Oh! tu as beau me faire les gros yeux. Je sais ce qu’il m’en coûtera de te dénoncer, mais ça m’est égal. Ah! tu m’as bernée! Ah! tu veux me lâcher au moment où tu pourrais m’épouser, puisque depuis hier, je suis veuve! Eh bien! tu finiras sur la guillotine, assassin!… oui, assassin!… voleur!…
– Oh! oh! grommela Fresnay, en feignant la surprise.
– Vous ne saviez pas ça, vous, lui dit la Lugos; vous croyiez que cet homme n’était qu’un intrigant… je vais vous l’apprendre, moi, ce qu’il est. Il a commencé par voler son père qui en est mort de chagrin… il a triché au jeu… il s’est fait saltimbanque pour échapper aux gendarmes qui le cherchaient… je l’ai connu sur les planches, et j’ai été assez bête pour me toquer de lui… j’aurais mieux fait de me pendre… au moins je ne serais pas crevée à la centrale, comme ça va m’arriver… et s’il n’y avait que cela! mais le reste!… vous le devinez, le reste… Si vous aviez été moins bêtes, vous et votre ami Gémozac, il y a quinze jours que Zig-Zag serait coffré.
– Zig-Zag! murmura mademoiselle Monistrol, en interrogeant des yeux le visage de Georges de Menestreau qui dit en haussant les épaules:
– Cette femme est folle.
– Gredin! s’écria la fausse comtesse. Nous allons voir si je suis folle. Regardez-moi, mademoiselle; vous ne me reconnaissez pas parce que mes cheveux sont teints Vous m’avez vue pourtant, le soir où on a tué votre père… vous m’avez vue sur la place du Trône, où je faisais la parade, c’est moi qui vous ai fait mettre à la porte de la baraque… où vous étiez entrée en poursuivant l’assassin.
Camille poussa un cri et regarda Georges.
– Et lui, le reconnaissez-vous maintenant? reprit Amanda qui ne se possédait plus.
– Non… non, murmura la jeune fille; ce n’est pas vrai… c’est impossible…
– Vous ne voulez pas me croire, parce que ce vil coquin vous a débarrassée de deux voyous dans la plaine Saint-Denis. Il savait bien ce qu’il faisait, allez! Il s’était renseigné et il avait appris que vous étiez riche. C’est cette nuit-là qu’il a commencé à me trahir. J’étais avec lui à la maison rouge. Quand cette brute de Courapied est tombé dans la cave avec son petit, vous vous êtes sauvée. Devinez un peu ce qu’il m’a dit avant de courir après vous. Il m’a dit qu’il allait vous assommer sur la route, et je l’ai cru. Eh bien! il avait son plan. Il espérait qu’on vous attaquerait, et ça n’a pas manqué. Il est arrivé tout à point pour vous sauver… et vous avez donné là-dedans. Parions que si je n’étais pas venue aujourd’hui, vous alliez l’épouser, la semaine prochaine… Mais je suis là, et vous ne tomberez pas dans ses griffes… vous ne m’avez rien fait, vous… c’est de lui que je veux me venger… et je me venge!
Allons, baron! il y a bien ici un domestique ou une servante. Appelez-les et commandez-leur d’aller chercher deux sergents de ville qui nous arrêteront, Zig-Zag et moi…
Fresnay ne se pressa point d’obéir. Il n’avait pas prévu que les choses iraient si vite et si loin, et il commençait à se repentir d’avoir exposé mademoiselle Monistrol à une si terrible scène.
La pauvre enfant était tout près de défaillir et M. de Menestreau osa encore lui adresser la parole:
– Vous comprendrez, mademoiselle, lui dit-il, que je dédaigne de me défendre, car vous savez aussi bien que moi que je ne suis pas Zig-Zag. Vous l’avez vu, ou plutôt vous avez vu ses mains…
– Oui… et je vois les vôtres, balbutia Camille.
– De quoi, ses mains? répondit la fausse comtesse. Elles sont fines et blanches, mais si vous vous figurez qu’elles n’ont pas pu étrangler votre père, c’est que vous ne connaissez pas Zig-Zag. Il est fort comme quatre hommes. Une fois, il s’est battu avec notre hercule, à la foire de Neuilly, et, avec ces petites mains-là, il lui a tordu les poignets.
– Non!… non!… ce n’est pas la main de l’assassin… elle était énorme… et puis, ce pouce crochu… ces doigts recourbés comme des griffes…
– Les reconnaîtriez-vous, mademoiselle? demanda Fresnay. Oui? Eh bien! je vais vous les montrer.
Et il tira des poches de son pardessus les deux gantelets d’acier qu’il avait pris, rue Mozart, dans la cassette.
Mademoiselle Monistrol recula d’horreur et ferma les yeux pour ne pas voir ces horribles engins qui avaient servi à étrangler son père.
– Voilà donc pourquoi tu y tenais tant, à ta boîte plate, dit Amanda. Ah! gueux! je ne savais pas comment tu t’y étais pris. Eh bien! elles ne t’ont pas porté bonheur, tes mécaniques à ressort. Si tu n’avais pas envoyé Vigoureux les chercher, on ne t’aurait jamais pincé. Maintenant, ton affaire est claire et la mienne aussi. En route pour Mazas, mon vieux!
Menestreau-Zig-Zag écarta sa complice d’un coup de poing, bouscula Fresnay, et se précipita dans l’escalier.
– Tu ne m’échapperas pas, gredin, cria la danseuse de corde en s’élançant à la poursuite de son amant.
Fresnay courut au secours de mademoiselle Monistrol, à moitié évanouie. Il ne tenait pas du tout à rattraper ce couple scélérat. Il lui suffisait d’être débarrassé de la comtesse de Lugos.
Elle aurait pu fuir, et Zig-Zag aussi, car Brigitte n’était pas rentrée, mais Georget veillait dans la cabane où il s’était caché.
Quand il les vit sortir de la maison, il sauta aux jambes de Zig-Zag, qui trébucha et il s’accrocha à lui en criant d’une voix perçante: à moi!… à l’assassin!
Amanda, folle de colère, avait saisi son complice et se cramponnait au collet de son pardessus.
À ce moment, attirés par les cris de Georget, deux gardiens de la paix, en tournée sur le boulevard Voltaire, s’approchèrent de la clôture qui protégeait la cour.
Le cocher qui avait amené Amanda et Fresnay se réveilla et sauta en bas de son siège.
Zig-Zag, en voyant poindre les tricornes des sergents de ville, comprit qu’il était perdu. Il se dégagea d’un bond qui envoya Georget rouler à dix pas et tira de sa poche son revolver, qui ne le quittait jamais.
– Tue-moi, canaille! lui dit Amanda en présentant sa poitrine. J’aime mieux ça que de finir à la centrale, et ça ne t’empêchera pas de finir place de la Roquette.
Zig-Zag fit feu et la malheureuse tomba, frappée au cœur. Du second coup, il abattit, d’une balle dans l’épaule, Georget qui se relevait. Du troisième, il se cassa la tête.
Les sergents de ville trouvèrent deux cadavres et un enfant qui n’était pas tout à fait mort, mais qui n’en valait guère mieux.
Le cocher accourut et s’exclama en reconnaissant, dans le tas, la dame qu’il avait amenée de la rue Mozart.
Il n’arriva pas seul sur le théâtre de cette boucherie. Julien Gémozac, qui n’était pas loin, avait entendu les détonations, et il entra précipitamment dans la cour.
Il venait de voir son père qui lui avait dit où en était mademoiselle Monistrol avec M. de Menestreau et il arrivait dans l’intention bien arrêtée de souffleter cet homme, au risque de se brouiller avec la jeune fille qu’il adorait, malgré tout.
On croira sans peine qu’il ne perdit pas de temps à s’apitoyer sur le sort de son rival et qu’au lieu de se joindre aux gens qui s’occupaient des morts et du blessé, il se précipita dans la maison, où il craignait de ne trouver que le cadavre de Camille.
Au haut de l’escalier, il tomba dans les bras de son ami Fresnay qui descendait sur le champ de bataille et qui lui dit tranquillement:
– Ton amoureuse est là-haut. Va la consoler.
Julien ne s’attarda point à demander de plus amples explications. Il entra dans le salon et il y vit mademoiselle Monistrol affaissée sur un fauteuil, les bras pendants, les yeux hagards, la bouche entrouverte.
– Vous êtes blessée? lui demanda-t-il en lui prenant les mains.
Elle lui fit signe que non.
– Ce misérable a essayé de vous tuer, reprit Gémozac; qui donc vous a sauvée?
Et comme elle se taisait:
– Je devine. C’est ce brave Fresnay. Et moi qui l’accusais! mais, rassurez vous!… l’homme est mort.
– Il s’est tué, n’est-ce pas?
– Je ne sais… il y a une femme… un enfant… tous couchés dans une mare de sang…
– Un enfant! conduisez-moi près de lui…
Mademoiselle Monistrol fit un effort pour se lever. Julien la retint.
– Épargnez-vous cet affreux spectacle, lui dit-il. Je ne sais qui est l’enfant, mais j’ai reconnu la femme… une créature qui s’était emparée de notre ami…
– La complice, murmura Camille.
– Quant à l’homme…
– L’homme! c’est l’assassin de mon père!
– Que dites-vous?
– La vérité. Et je croyais l’aimer… je voulais partir avec lui… Ah! pourquoi ne m’a-t-il pas tuée!
Julien Gémozac n’y comprenait plus rien, et il ne sut que répondre:
– Vous souhaitez de mourir!… Vous oubliez donc que je vous aime?
– Ne parlez pas ainsi. Je suis indigne de vous.
Julien allait protester, mais Fresnay rentra brusquement et leur cria:
– C’est fini. Zig-Zag s’est fait justice, après avoir envoyé Amanda dans l’autre monde. Le petit en reviendra. Du diable si je devine d’où il sortait, celui-là. Il a une veste de chasseur de restaurant.
– Georget! s’écria mademoiselle Monistrol, je veux le voir.
– Vous ne le verrez que trop tôt. Les sergents de ville vont venir vous interroger. Je me charge de leur répondre.
En attendant qu’ils montent, laissez-moi vous unir… je suis un piètre marieur, mais, dans des cas comme celui-ci, on prend ce qu’on trouve. Écoutez-moi donc!
Toi, Julien, tu es passionnément amoureux de mademoiselle Monistrol et tu ne demandes qu’à l’épouser. Ce n’est pas ta faute si tu n’as pas mis la main sur Zig-Zag, et c’est bien par hasard que j’ai gagné le prix proposé par mademoiselle. Aussi ne lui ferai-je pas l’injure de le réclamer. Les mauvais sujets comme moi sont de détestables maris et je te cède la place de très bon cœur.
Vous, mademoiselle, vous vous êtes trompée… ça arrive, ces choses-là… mais vous êtes née pour faire le bonheur de mon ami, qui fera le vôtre.
Votre main, je vous prie.
Camille, profondément émue, la tendit à Fresnay qui la mit dans la main de Julien.
– Voilà qui est fait, dit-il avec une gravité comique, vous êtes fiancés. À quand la noce? Je m’invite.
Maintenant, laissez-moi recevoir les agents. J’entends leurs pas dans l’escalier…
L’affaire a fait du bruit, mais elle a été tirée au clair, et elle n’a pas troublé le bonheur des jeunes époux.
Ils voyagent en Italie et leur lune de miel est sans nuages. Camille ne pleure plus qu’en pensant à son père.
Fresnay a repris son train de vie habituel et ne réussit pas à s’amuser. Il y a des jours où il regrette Amanda, comtesse de Lugos.
Olga est allée dire la bonne aventure dans le Midi.
Georget travaille dans les bureaux de M. Gémozac, qui se charge de son avenir.