Kitabı oku: «Jacques Ortis; Les fous du docteur Miraglia», sayfa 13
Mais bientôt le bruit se répandit que c'était un simple crime, et que la politique n'était pour rien dans cet effroyable meurtre. On ajoutait, ce qui rassura tout à fait les citoyens, que les coupables avaient été arrêtés et avaient avoué spontanément qu'ils étaient les auteurs de cet assassinat.
Les aveux des prévenus, et particulièrement ceux de Judith, donnèrent complétement raison à l'étude faite par M. Miraglia, sur son crâne, cinquante-six ans après que ces aveux avaient été faits et sans qu'il connût la femme à laquelle ce crâne appartenait.
La sentence fut rendue le 16 avril 1800: elle condamna les coupables à mourir par le gibet, et, après leur mort, à avoir la tête tranchée et exposée dans des cages de fer à la Vicaria.
Daniello seul échappa à la peine de mort et fut condamné à une prison éternelle dans la fosse de Favignana.
Les coupables furent exécutés sur la place delle Pigne, et subirent la sentence avec une impassible résignation.
J'allais dire: Dieu fasse paix à leurs âmes!– mais le docteur Miraglia m'arrête la main: il ne croit pas que Judith Guastamacchia ait eu une âme.
Et, à mon avis, croire à la matière en pareille circonstance, c'est honorer Dieu.
III
Nous en avons fini avec la partie dramatique et sanglante de notre récit. Nous allons passer, si vous le voulez bien, à ce spectacle qui m'a si fort émerveillé, de voir un drame entier, en cinq actes, représenté par des fous.
Je dis des fous et non pas des folles, parce que M. Miraglia supprime la femme dans ses représentations dramatiques, par trois raisons: la première, parce qu'il n'a dans son établissement, séparé des hommes, que des femmes d'une classe inférieure; qu'il regarde comme une chose plus délicate de faire monter des femmes sur le théâtre que d'y faire monter des hommes; enfin qu'il n'a pas la même puissance pour enchaîner le bavardage insensé des femmes que pour régir la parole des hommes, presque toujours silencieux, tandis que les femmes s'abandonnent à une éternelle loquacité.
Comme je vous l'ai dit en commençant, je ne voulus pas examiner la représentation des fous d'Aversa au seul point de vue de la curiosité et de l'étonnement produit par elle sur le public, et je résolus de savoir de M. Miraglia lui-même les causes qui l'avaient porté à faire de quelques-uns de ses fous des tragédiens et des comédiens, et de lui demander à l'aide de quel procédé il avait obtenu un résultat si complet.
M. Miraglia me répondit:
– D'abord, j'ai voulu prouver au public que les fous ne doivent pas être traités comme des bêtes féroces et chassés entièrement de la famille humaine: attendu que l'observateur assez patient pour reconnaître celles des forces mentales qui sont lésées, peut dès lors reconnaître aussi celles qui sont demeurées saines, et tirer une large clarté de celles-ci en les mettant en exercice; de sorte que la folie sera seulement une tache sombre sur l'esprit, un point noir sur la lumière. Or, rien de plus naturel que ce fait, qui paraît merveilleux au premier abord. Les facultés demeurées dans leur état normal une fois reconnues, il faut les exciter en enlevant aux facultés malades tout motif extérieur d'entrer elles-mêmes en excitation. Patience, persévérance, bienveillance et volonté, telles sont les moyens d'obtenir la confiance de ces malheureux et de les conduire à l'exercice des parties saines de leur cerveau, en endormant les parties malades, et de mettre un fou en relation avec un ou plusieurs autres fous, ce à quoi on réussit en dirigeant vers un même but les qualités saines de plusieurs cerveaux malades partiellement.
Cette explication deviendra plus facile à saisir, en étudiant les individus qui ont concouru à la représentation, et en faisant connaître au lecteur la monomanie de chacun d'eux.
Je ne puis parler que du Bourgeois de Gand, n'ayant vu représenter que le Bourgeois de Gand; ce que je dirai de la représentation de Brutus sera accidentel.
Les principaux personnages du drame étaient ainsi représentés:
Les rôles du comte de Lowendeghem et du valet de chambre du duc furent remplis par deux employés de l'établissement, les deux aliénés qui devaient remplir ces rôles ayant été, pendant les répétitions, saisis de délire aigu. Procédons par ordre et étudions successivement chacun de ces artistes.
FELICE PERSIO. —Le bourgeois de Gand
Felice Persio est de Penne, dans la première Abruzze ultérieure; il est âgé de quarante-cinq ans, et est fils de père mort fou; jeune, il fit le comédien vagabond, jouant la comédie, chantant et dansant. Il entra dans l'établissement le 24 décembre 1858; il est affecté de manie, c'est-à-dire de désordre étrange et permanent dans les instincts, mais avec intégrité de quelques facultés supérieures. En effet, le sens de la mimique, de l'astuce, de l'idéalité et de quelques autres forces intellectuelles se montrent en lui complétement saines. Excitez et dominez ces facultés saines, et vous ferez taire celles qui sont malades. Ce fut ce que fit M. Miraglia. Mais il s'aperçut que, dès qu'il suspendait l'action exercée par ces facultés, celles qui étaient perverties reprenaient aussitôt le dessus. C'est ainsi que, tant que Persio demeure sur la scène, il est tout entier à son rôle; mais que, aussitôt la toile baissée, il retombe dans sa folie. En outre, il est poëte, improvise avec facilité des vers pleins de sentiments généreux et de pensées élevées. Mais, dans ses heures d'aliénation, il ne peut lier deux phrases ensemble et ne dit absolument rien qui ressemble à un discours sensé.
LUIGI GAGLIOZZI. —Le marquis de las Navas
Luigi Gagliozzi est de Naples; il a trente-deux ans. Il était concierge de l'administration de la loterie. Il entra à l'établissement de M. Miraglia le 7 mars 1861, affecté de lypémanie ascétique, ce qui, en langage ordinaire, se traduit par ces mots: «Exagération et désordre de quelques sentiments, et particulièrement de celui du sens religieux et de celui de la circonspection.» La bienveillance, la mimique chez lui sont restées saines. Il fut donc facile à guider dans les deux rôles qu'il a joués: celui de Collatin, dans le Brutus, et celui du marquis de las Navas dans le Bourgeois de Gand. Il est plus docile que Persio, par cette raison qu'il est plus facile de dominer les émotions des sentiments pervertis que les impulsions, presque toujours incurables, des instincts exagérés par la maladie.
ANTONIO ROSSI. —Le duc d'Albe
Antonio Rossi est né à Naples, de bonne famille; il a cinquante et un ans; il entra pour la première fois dans l'établissement le 25 mai 1842, et en sortit, sans être guéri, le 15 juin de la même année. Alors, il voyagea beaucoup, mais finit par entrer dans une maison de fous anglaise, et revint à celle d'Aversa le 9 octobre 1862, affecté de pervertissement et d'exagération dans le sens de l'estime de soi-même, et d'hallucinations intérieures qui amènent son esprit à éprouver des souffrances cérébrales dans les mêmes organes de la vie physique qui sont en relation avec le cerveau. Les perceptions, les tendances, et quelques sentiments d'Antonio Rossi s'exercent régulièrement. Il croit que c'est la reine d'Angleterre qui, préoccupée de bons sentiments pour lui, l'a recommandé à M. Miraglia, et qui paye sa pension dans l'établissement. Malgré cette exagération de l'estime de soi-même, il est très-docile, très-affable, accepte facilement tout rôle où la puissance et l'orgueil peuvent s'exercer; c'est pourquoi il fut facile de lui faire représenter, dans le Bourgeois de Gand, le rôle du duc d'Albe; mais il refusa complétement toute relation avec le souffleur, disant qu'il était un homme d'éducation; qu'il savait ce qu'il avait à dire, et, par conséquent, n'avait pas besoin qu'on lui dictât ses réponses. C'est un bel exemple donné par un fou aux artistes italiens qui ne savent jamais leurs rôles et qui tirent, en général, chaque phrase l'une après l'autre de la bouche du souffleur.
Antonio Rossi parle très-bien l'anglais et le français.
GIUSEPPE FORCIGNANO. —Le prince d'Orange
Giuseppe Forcignano est de la province de Lecce; il a trente-trois ans et était employé dans un hôpital militaire. Il entra dans l'établissement d'Aversa le 5 janvier 1861. Il est atteint de monomanie vaine et orgueilleuse: les sens de l'estime de soi et du besoin d'approbation sont en lui tellement exagérés, que son orgueil et sa vanité atteignent souvent le plus haut degré d'exaltation. Il croit avoir toutes les qualités physiques et morales. Il se croit puissant, beau, savant; il marche la tête renversée en arrière et regarde l'humanité de haut en bas; il méprise tout et s'épanouit à la louange. Au reste, complétement sourd, les perceptions saines n'arrivent qu'avec la plus grande difficulté à prendre le dessus sur les sentiments troublés, qui sont, comme nous l'avons dit, l'estime de soi et la vanité. Dans la tragédie de Brutus, il représentait un des fils de Brutus. Plein d'orgueil d'être le fils d'un consul romain, il écouta dédaigneusement tous les reproches que la douleur arrachait à son père, qu'il ne voulut jamais embrasser; et, quand les licteurs s'approchèrent de lui pour le conduire à la mort, il les écarta d'un geste de mépris en disant: «Il n'est point besoin de licteurs pour mener à la mort le fils de Brutus.» Dans le Bourgeois de Gand, où il représentait le prince d'Orange, forcé de fuir au quatrième acte, il se refusa obstinément à se déguiser en paysan, malgré les indications de la mise en scène, en disant:
– Je n'avilirai point la majesté d'un prince d'Orange en la couvrant de grossiers habits.
VINCENZO LUIZZI. —Gidolfe
Vincenzo Luizzi, âgé de quarante-sept ans, est de Martina, dans la terre d'Otrante. Il entra à l'hospice le 6 février 1853, affecté de violente lypémanie ascétique. La religiosité et la circonspection sont chez lui dans un état complet de pervertissement et d'exaltation. Il est, en outre, atteint d'hallucinations intérieures qui lui font percevoir d'une étrange manière les sensations externes, ce qui a produit dans son esprit un singulier désordre de la conscience. C'est un possédé d'une espèce rare. Il dit que tous les hommes ont un diable dans le cerveau, lequel cherche incessamment à troubler et à subjuguer l'esprit; l'esprit subjugué, le démon lui succède et devient maître du corps. C'est ainsi que la chose est arrivée en lui. Il n'est plus Vincenzo Luizzi, il est le démon Asmodée. Son corps n'est plus qu'une machine appartenant entièrement à celui qui s'en est emparé et qui parle, agit et opère en son lieu et place; malgré cette possession, qui rappelle celle du moyen âge, il n'est point inhabile à toute occupation; il y a plus: il grave au burin, il tourne l'os et l'ivoire, toutes choses qu'il ne savait pas faire lorsqu'il était dans son bon sens; – ce qu'il donne lui-même comme une preuve qu'il est possédé par un esprit infernal. Deux fois, il y a quelques années, il tenta de se suicider: une fois, en se précipitant du haut en bas d'un escalier, et il se blessa grièvement à la tête; – une autre fois, en se pendant. Dans une de ses leçons à l'Université, M. Miraglia le conduisit avec lui, et, avec les plus subtils raisonnements, il expliqua son système de transmutation. De temps à autre, le délire chronico-démonomaniaque devient aigu, et alors le pauvre garçon fait pitié. C'est bien véritablement le démon Asmodée qui lutte avec l'esprit de Luizzi; et le corps, champ de bataille où s'opère la lutte, demeure martyrisé par le combat.
Asmodée-Luizzi a fait, dans Brutus, le comparse représentant le peuple, et, dans le Bourgeois de Gand, a rempli le rôle de Gidolfe, qui, dans l'émeute, a tué d'un coup d'épée le comte de Vargas-Persio. Confier des armes à des fous, et surtout à un démonomaniaque, avait paru d'abord chose téméraire au docteur Miraglia, surtout quand ce démonomaniaque avait tenté deux fois de se tuer. Mais il réfléchit que Luizzi n'était point ce qu'on appelle, en matière de phrénologie, un fou à double conscience, mais simplement un fou croyant avoir un diable dans le corps; puis, à son avis, ce diable n'était pas venu pour combattre le corps, mais seulement l'esprit. Il ne tenterait donc rien contre le corps, puisque ce n'était point au corps qu'il en voulait, et, sur ce raisonnement, le docteur Miraglia lui mit hardiment une épée à la main, et n'eut point à s'en repentir.
Luizzi est libre, travaille, sort seul de l'établissement, et ne manque jamais d'y rentrer à l'heure réglementaire.
Sa sœur est morte folle, de folie semblable à la sienne.
MICHELE PENTRELLA. —Le courrier espagnol
Michèle Pentrella, né à Barletta, a soixante-treize ans. Il fut reçu à l'établissement le 27 mars 1822. Il était atteint de monomanie orgueilleuse; il portait toute sorte de décorations inventées par lui: il était orné de franges et de broderies de papier doré. Avec le temps, sa folie a tourné à l'imbécillité. Dans Brutus, il fit le second comparse du peuple, et, dans le Bourgeois de Gand, le courrier espagnol (Jeronimo). Il demande toujours: «Jouera-t-on encore la comédie?» ayant remarqué que, les jours où l'on jouait la comédie, on mangeait mieux, on buvait davantage, et qu'on était, en outre, applaudi par le public.
Tels étaient, cher docteur, les artistes qui représentaient le Bourgeois de Gand, le soir où, comme je vous le disais, la salle du Fondo était comble dans l'attente de ce curieux spectacle.
Maintenant que vous avez fait connaissance avec nos acteurs, vous allez les voir entrer en scène, puis je vous les montrerai de retour à leur établissement; et, après cet instant d'apparente sagesse, redevenus fous comme auparavant.
Le plus difficile à manier de tous est Persio, parce que c'est celui qui est le plus complétement fou: aussi M. Miraglia ne le quitta-t-il point, c'est-à-dire qu'il vint dans la même voiture que lui, et le conduisit à l'auberge des Florentins, lui faisant donner une chambre à part.
Avant de partir de l'hospice, Persio s'était fait servir à dîner à deux heures de l'après-midi, disant que c'était son habitude de dîner de bonne heure, les jours où il jouait.
Arrivé à l'auberge des Florentins, il se mit tout nu et se savonna des pieds à la tête; puis, couvert de savon, il alluma son cigare et se promena par la chambre. M. Miraglia lui fit observer que l'heure s'avançait, et qu'il serait mis à l'amende s'il manquait son entrée. Il reconnut la justesse de l'observation, et s'habilla; puis, sans difficulté, il monta en voiture, arriva au théâtre et entra dans sa loge, où son costume était tout prêt.
Il l'examina pièce à pièce; puis, se ravisant:
– Vous savez que je n'entre pas en scène, dit-il, que je ne sois payé d'avance.
– C'est trop juste, répondit M. Miraglia; combien voulez-vous?
– Je veux soixante et dix napoléons en thalers de Prusse.
On discuta et sur la somme et sur la monnaie dans laquelle elle était exigée; on lui fit comprendre qu'on ne trouverait pas assez de thalers chez tous les changeurs de Naples pour lui payer quatorze cents francs; d'ailleurs, si on le payait en thalers, ce ne serait plus soixante et dix napoléons qu'il toucherait.
Il parut comprendre la justesse du raisonnement et se borna à être payé en napoléons: ses prétentions s'abaissèrent même de soixante et dix à vingt-cinq. On lui compta vingt-cinq napoléons qu'il recompta avec le plus grand soin et qu'il enferma dans son porte-monnaie, lequel il ne perdit pas de vue tout en s'habillant et qu'il mit sur sa poitrine avant de descendre sur le théâtre.
Il est vrai que la première chose qu'il fit le lendemain en montant dans sa cellule, ce fut de jeter son porte-monnaie dans le jardin, à travers les barreaux de sa fenêtre. On put ainsi reprendre les vingt-cinq louis qu'on lui avait donnés. Quant à lui, il ne s'en inquiéta plus, et ne les a pas redemandés, non plus que le porte-monnaie où ils étaient renfermés.
Les autres ne firent point toutes ces difficultés; il est vrai que c'étaient des sujets inférieurs en mérite à Persio; ils demandèrent seulement, les uns des glaces, les autres des sorbets.
Jusqu'au moment d'entrer en scène, Persio divagua, et M. Miraglia fut obligé de le tenir par le bras; mais, au moment où l'on frappa les trois coups, il se redressa, toussa, arrangea ses cheveux, fit enfin tout ce que fait un comédien sur le point d'entrer en scène, et, quand la toile se leva, il parut reprendre toute sa raison.
Vargas entre, et, en entrant, trouve don Luis endormi dans un fauteuil.
Quelqu'un qui n'eût point été prévenu n'eût certes pas pu se douter qu'il avait devant lui un fou n'ayant de sain dans le cerveau que les organes qu'il exerçait en ce moment, mais eût, au contraire, parié qu'il avait affaire à un comédien exercé. Persio fut excellent dans ce premier acte, et très-bien secondé par le duc d'Albe, qui, en effet, n'eut pas recours une seule fois au souffleur. Disons, en passant, que le souffleur était le fils de M. Miraglia, qui, au risque de devenir fou lui-même, avait fait faire à la troupe douze ou quinze répétitions.
La grande scène du premier acte, entre Vargas et le duc d'Albe, fut très-bien jouée et fort applaudie. Comme des artistes qui en eussent fait leur état, nos fous paraissaient énormément sensibles aux applaudissements, et, chaque fois que ceux-ci se faisaient entendre, saluaient le public avec reconnaissance.
Au commencement du deuxième acte, au moment où Vargas-Persio ouvre la prison du duc d'Orange-Forcignano, celui-ci, qui, nous l'avons dit, est fou d'orgueil et complétement sourd, blessé du ton dont Vargas lui parlait, n'entendant point ses paroles, et ne voyant que l'expression de son visage, jugea sans doute que ce n'était point avec une physionomie pareille qu'on parlait à un stathouder de Hollande, de Zélande et d'Utrecht; il regarda dédaigneusement son interlocuteur, lui tourna le dos et sortit de scène. Persio ne perdit point la tête; il s'avança jusqu'au trou du souffleur, en s'écriant: «Orgueil inflexible, qui ne saura jamais supporter les contradictions!» Puis, tout bas, au souffleur: «Coupez toute la scène, dit-il, je le connais, il ne rentrera pas.» M. Miraglia fils sauta la scène, passa à la scène suivante. Luigi Cagliozzi fit son entrée, et personne ne s'aperçut de l'attaque d'orgueil que venait d'avoir le prince d'Orange.
Mais Persio s'était trompé en disant qu'il ne rentrerait pas. Au moment où la toile allait tomber à la fin du deuxième acte, le prince d'Orange-Forcignano s'élança sur la scène, et, s'emparant du théâtre: «Messieurs et mesdames, dit-il, permettez que je vous dise des vers de ma jeunesse.»
Et il commença un sonnet, qui fut chaudement applaudi. Il salua, se retira à reculons, et la toile tomba, non pas sur la mort de Lowendeghem, mais sur le sonnet de Forcignano.
Persio avait été énormément contrarié de cet incident, qui lui faisait manquer son effet de la fin du deuxième acte; mais il avait pris la chose plus philosophiquement qu'on ne s'y attendait, et s'était contenté de dire:
– Voilà ce que c'est que de jouer la comédie avec des fous!
A partir du troisième acte, tout alla à merveille. M. Miraglia voyait arriver avec une certaine appréhension le moment où Luizzi-Asmodée devait tuer le comte de Vargas; mais, comme il l'avait prévu, Asmodée, démon implacable à propos des esprits, était bon diable à l'endroit des corps. Il passa adroitement son épée sous le bras du secrétaire du duc d'Albe, au lieu de la lui passer à travers la poitrine, et le comte de Vargas tomba mort.
Ne vous effrayez pas, cher docteur; vous allez voir ce que nous voulons dire en disant tomba mort, et non pas comme s'il était mort.
L'affiche portait:
LE BOURGEOIS DE GAND
ou
LE SECRÉTAIRE DU DUC D'ALBE,
Drame en cinq actes, en prose,
parM. HIPPOLYTE ROMAND,
suivi de
LA MORT DU TASSE
Scène lyrique en un acte
C'était Persio qui, après avoir joué le rôle principal dans le drame, devait encore jouer le Tasse dans la seconde pièce, qui n'est réellement qu'un monologue.
Mais Persio avait tellement pris son rôle au sérieux, que, se regardant comme tué, et bien tué par Luizzi-Asmodée, il répondit au régisseur, qui venait l'avertir qu'il n'avait plus que cinq minutes pour rentrer en scène:
– Comment voulez-vous que je rentre en scène dans cinq minutes, quand je suis mort depuis dix à peine?
Et, quelque chose qu'on pût lui dire, quelque promesse qu'on pût lui faire, il répondit qu'à Jésus-Christ seul avait été donné le privilége de ressusciter, et encore après trois jours.
Le régisseur vint annoncer, non pas que M. Persio était indisposé, non pas que M. Persio se trouvait mal, non pas que M. Persio, s'étant donné une entorse, ne pouvait jouer le Tasse, mais que, M. Persio étant mort, il ne voulait pas donner ce démenti au bon sens de paraître dans un autre rôle; et le public, enchanté de trouver tant de raison dans un fou, se retira applaudissant de toutes ses forces.
J'ai dit la tentative que j'avais faite dès le soir même pour pénétrer sur le théâtre, féliciter les artistes et interroger M. Miraglia, et comment il me fut répondu que M. Miraglia, étant en train de calmer l'exaltation de ses artistes, me recevrait le lendemain, à l'établissement même d'Aversa.
Il faut une heure et demie pour aller de Naples à Aversa. Le lendemain, à dix heures, je montai en voiture, et, avant midi, j'étais chez M. Miraglia.
Il m'attendait, en effet, pour me faire les honneurs de sa maison. Le premier de nos acteurs que nous rencontrâmes fut Luigi Gagliozzi, qui avait joué la veille don Luis, marquis de las Navas. Il se chauffait au soleil, assis dans la première cour; en nous voyant nous approcher de lui, il se leva. Je voulus l'interroger, lui faire des compliments: il ne se souvenait plus de rien. Il me répondit d'une voix douce et mélancolique des paroles sans suite.
Pendant que nous causions avec lui, le fou qui croit avoir dans le corps le diable Asmodée s'approcha de nous: c'était Vincenzo Luizzi, c'est-à-dire celui qui avait joué la veille le rôle de Gidolfe, qui, pendant l'émeute, tue le comte de Vargas. Je voulus aussi lui faire mes compliments sur la façon dont il avait concouru à l'ensemble de la représentation; mais il m'interrompit en me disant:
– Monsieur, vous savez que tout homme a un diable dans le cerveau.
Et il m'exposa son système, auquel, contre mon habitude, ennemi que je suis de tout système, je parus me ranger entièrement.
Mais celui que j'avais hâte de voir, c'était Persio. Je demandai donc Persio.
Par malheur, on l'avait prévenu de mon arrivée; par malheur encore, il me connaissait de nom. Il prétendit que M. Dumas, étant à Paris, ne pouvait être à Naples; que, par conséquent, on voulait se moquer de lui en lui faisant faire des compliments par un faux Dumas.
Sur ce, il se renferma dans sa cellule, et, par le vasistas, on put le voir se déshabiller et se coucher pour ne recevoir personne.
Je voulus me rabattre sur le prince d'Orange; mais, par malheur, lui aussi était prévenu de mon arrivée. Il avait alors demandé ses habits de prince; mais, comme ils étaient restés à Naples et qu'on ne pouvait les lui donner, il avait, comme Persio, absolument refusé de me recevoir dans le costume modeste qu'il portait.
Restait le duc d'Albe, Antonio Rossi; celui-là fut très-poli et très-gracieux: il me parla, comme eût pu faire un vrai vice-roi, de mes ouvrages, qu'il connaissait d'autant mieux que, parlant français, il avait pu les lire dans l'original. La conversation dura dix minutes; elle eût pu se prolonger une demi-heure sans que je m'aperçusse, n'étant pas prévenu, que j'avais affaire à un fou.
Quant au courrier espagnol, c'était une espèce d'idiot dont il n'y avait absolument rien à tirer.
Voilà, cher docteur, la relation que j'ai voulu vous faire. Je la crois curieuse, pour vous surtout qui vous occupez avec tant de succès de cette grande science phrénologique, qui est, j'en ai bien peur, la science de la vie, – mais aussi la science de la mort!