Kitabı oku: «La Liberté et le Déterminisme», sayfa 10
CHAPITRE TROISIÈME
LA LIBERTÉ D'INDIFFÉRENCE ET LE LIBRE ARBITRE DANS L'INDÉTERMINISME SPIRITUALISTE
I. Quatre manières différentes de se représenter le rapport des motifs à la volition.
II. Examen des efforts du spiritualisme pour distinguer le libre arbitre de la liberté d'indifférence. – Avons-nous conscience du libre arbitre, soit comme fait, soit comme condition supérieure aux faits. – Artifice du clinamen infinitésimal qu'on pourrait imaginer. Son insuffisance.
I. – La liberté d'indifférence étant devenue insoutenable, tout l'effort des partisans du libre arbitre consiste à distinguer ce dernier de la liberté d'indifférence, c'est-à-dire de l'arbitraire, qui est lui-même ou moralement indifférent ou immoral. Échapper à l'indifférentisme sans admettre le déterminisme, tel est le but de tous les arguments psychologiques proposés soit par l'éclectisme spiritualiste, soit par le «criticisme phénoméniste.»
Le problème psychologique du libre arbitre, en effet, est tout entier dans la manière dont on se représente le rapport des motifs à la volition. Les motifs peuvent être conçus de quatre façons différentes. Pour l'indéterminisme spiritualiste, ce sont de simples objets de contemplation entre lesquels se détermine à son gré une volonté indéterminée en soi et résidant dans une substance spirituelle. – Pour l'indéterminisme phénoméniste (qui rejette les substances et les noumènes de Kant tout en croyant garder son «criticisme»), les motifs sont eux-mêmes des produits volontaires et même des créations spontanées; ce sont des phénomènes qui, commençant absolument et en dehors de toute substance, se produisent et se meuvent par eux-mêmes: les motifs sont alors «automotifs». – Pour le déterminisme matérialiste, les motifs sont, dans la conscience, d'inactifs symboles des forces profondes et seules actives qui, dans le cerveau, ont pour résultat le mouvement final: les faits de conscience ne sont alors ni contemplatifs ni automotifs; ils sont de simples reflets, comme la lumière d'une locomotive qui n'influe en rien sur son mouvement. C'est l'hypothèse de Maudsley, de Tyndall, de Huxley, de tous ceux qui considèrent la conscience comme un simple «épiphénomène», au-dessous duquel les phénomènes cérébraux suivent leur cours de la même manière que si la pensée n'existait pas. La pensée n'est alors qu'un appareil enregistreur. – Il y a, selon nous, une quatrième hypothèse, celle des idées-forces, d'après laquelle les motifs conscients, enveloppant des tendances motrices, ne sont ni purement réflecteurs comme dans le mécanisme, ni purement contemplatifs comme dans la liberté d'indifférence, ni créateurs d'eux-mêmes et automotifs comme dans l'hypothèse des commencements absolus, mais réagissants et dirigeants. Par là, nous verrons plus loin qu'on échappe tout ensemble: 1o à l'indifférence qui est cachée sous le libre arbitre du spiritualisme; 2o aux commencements absolus et aux générations spontanées de phénomènes; 3o au mécanisme inerte et à «la torpeur» du matérialisme fataliste. Il faut assurer à la fois régularité et flexibilité indéfinie, action de la pensée sur soi et sur le dehors; pour cela, on ne peut admettre ni une machine brute, comme dans le matérialisme exclusif, ni une machine miraculeuse, comme dans le criticisme phénoméniste, ni une entité vide, comme dans le spiritualisme; nous voulons la vie avec son activité, avec ses lois, mais aussi avec son idéal, qui, nous le montrerons, peut devenir le facteur de sa propre réalisation.
Cette dernière solution nous semble la seule compatible avec la science au point de vue psychologique. Quant au point de vue métaphysique, il demeure à part. En ce moment, nous nous tiendrons dans le domaine de la pure psychologie; nous ferons voir la nécessaire évolution qui, de la liberté d'indifférence, entraîne la pensée à la liberté créatrice de motifs, puis de celle-ci, simple apparence provisoire, au déterminisme mécaniste, lequel à la fin a besoin d'être complété par un déterminisme dynamiste et vivant, synthèse du naturalisme et de l'idéalisme. Nous n'apercevons pas pour le psychologue de position possible en dehors de ces quatre hypothèses, auxquelles toutes les autres conceptions psychologiques viennent logiquement se réduire. La grande objection des partisans du libre arbitre aux déterministes est: – Vous paralysez la volonté; et la grande objection des déterministes aux partisans du libre arbitre est: – Vous paralysez l'intelligence. – Nous verrons qu'on peut maintenir ensemble au point de vue psychologique l'intelligence et la volonté, la science et l'action. Au moyen de cette conception synthétique, on évitera à la fois l'argument per absurdum opposé par le déterminisme au libre arbitre, et l'argument paresseux qui fait le fond de toutes les objections au déterminisme.
II. – Commençons par examiner l'argumentation de l'éclectisme spiritualiste. Elle consiste à soutenir que le libre arbitre n'est point le pouvoir de se déterminer sans motifs, mais qu'il est le pouvoir de se déterminer entre plusieurs motifs, par exemple entre l'idée de l'intérêt présent ou celle de l'intérêt durable. Les motifs sont comme des conseillers intimes prononçant de beaux discours devant une Majesté qui se détermine ensuite selon son bon plaisir. – A quoi l'on peut répondre: – Ou bien cette détermination elle-même a un motif qui la détermine, et alors il y a déterminisme; ou elle n'en a pas, et en ce cas elle est réellement indifférente; ou enfin elle en a un, mais elle lui est contraire, et alors elle est pis qu'indifférente: elle est irrationnelle. Le comble de l'indifférence et de l'irrationalité en effet, c'est d'agir non seulement sans motifs, mais contre ses motifs; or, c'est précisément ce qui caractérise le libre arbitre du spiritualisme classique et éclectique. On en a proposé une bonne formule en caractérisant les motifs comme de simples objets de contemplation, de représentation, entre lesquels la volonté se décide par un effort propre35; tel le promeneur choisit entre deux rues dont chacune est éclairée. Ce sont des idées-spectacles, qui n'exercent qu'une action platonique, comme les étoiles brillant sur nos têtes, comme les astres qui ne «nécessitent» pas. – Mais, en croyant par là sauver la liberté, on fait ce qui est le plus propre à la compromettre, et on donne la main sans le savoir aux purs mécanistes. En effet, on réduit comme eux les idées à de simples reflets; l'action reste donc à expliquer tout entière: on n'a plus alors de refuge que dans une volonté indifférente, qu'on place entre deux idées comme entre deux fanaux. Aussi les matérialistes ont-ils le droit de dire: – Votre volonté indéterminée est un mythe, et vos motifs abstraits sont des symboles; le vrai fond, c'est le désir, face subjective des mouvements cérébraux: et ces désirs ne sont plus des motifs dilettantes: ils ne se contentent même pas d'«incliner», comme dit Leibnitz, ils nécessitent. Votre volonté prétendue est une aiguille d'horloge mue par des ressorts qui sont les désirs, tout autour d'un cadran lumineux dont les idées sont les heures. L'intelligence vous apprend simplement quelle heure marque votre volonté, ou, pour parler plus clairement, votre organisme: la conscience n'est que la mesure et le symbole des forces cérébrales.
La vérité est qu'il n'y a pas d'idées contemplatives, sinon les idées très abstraites et indifférentes, qui se réduisent elles-mêmes à des mots et à un psittacisme, quand on ne les remplit pas d'images concrètes et par cela même de sentiments. Tout motif pratique est en même temps un mobile, par cela même une tendance, à laquelle répond une tension du cerveau.
S'il en est ainsi, que devient le libre arbitre de la philosophie traditionnelle? On définit ordinairement ce libre arbitre la faculté de se déterminer avec la conscience et la certitude qu'on pourrait réellement se déterminer d'une autre manière. Jusqu'à quel point cette possibilité des contraires est-elle effectivement vérifiable dans la conscience?
On fait appel au sens commun et à la conscience universelle pour soutenir qu'au moment même où nous voulons une chose, nous pourrions vouloir exactement le contraire. Mais ce qui fait du sens commun un témoin fort suspect, c'est qu'on l'amène facilement à se contredire lui-même sur ce point. Demandez au premier venu si, toutes les circonstances étant les mêmes, il aurait pu agir autrement qu'il n'a fait: sa réponse sera d'abord affirmative, surtout s'il s'agit d'une action qu'il regrette d'avoir commise. Mais, avec un peu d'attention, vous découvrirez qu'au lieu de se supposer exactement le même dans les mêmes circonstances, il projette son présent dans le passé, il se suppose dans les mêmes circonstances avec les idées ou les sentiments qu'il a aujourd'hui; en disant: «J'aurais pu faire le contraire», il sous-entend: «si j'avais pensé ce qu'aujourd'hui je pense». – Maintenant, changez son centre de perspective, et dites-lui: «Si vous étiez aujourd'hui exactement dans les mêmes dispositions qu'autrefois, sans l'expérience des choses que vous avez, avec les mêmes préjugés et les mêmes passions, feriez-vous la même chose qu'autrefois? – Sa réponse la plus spontanée sera: «Si c'était à refaire dans les mêmes circonstances et avec le même état d'esprit, je le referais.» C'est que, tout à l'heure, il projetait son présent dans son passé, et maintenant il projette son passé dans son présent. Ce simple changement de point de vue l'amène à se contredire. Comment se fier à ce bon sens tant de fois invoqué par les écossais et par les éclectiques? Vous parviendrez difficilement à faire concevoir au bon sens deux cas absolument indiscernables; mais, si vous y arrivez, vous le verrez hésiter entre la croyance à la liberté, qui lui semble impliquer la possibilité des contraires, et la croyance aux causes, qui rend incompréhensible la production d'effets différents par une cause absolument identique.
Plaçons-nous donc sur le vrai terrain de la question, c'est-à-dire dans le moment présent. Quand nous nous déterminons, avons-nous la conscience que nous pourrions vouloir en réalité le contraire? – Lorsque la chose n'est pas logiquement contradictoire et qu'elle tombe sous ma puissance physique, je pourrais agir autrement si je voulais, et je pourrais vouloir si…? Là commence la difficulté. Assurément je pourrais vouloir le contraire, si je pensais et sentais autrement; en ce cas, la condition de la volonté autre serait dans d'autres idées et d'autres sentiments, c'est-à-dire dans une différence de direction et d'intensité de l'activité antécédente. Mais aurais-je pu vouloir autrement si le cours de mon activité et si ma passivité eussent été absolument identiques? En ce cas, la condition serait dans la volonté même: j'aurais pu vouloir autrement si j'avais voulu, et j'aurais pu le vouloir. Ce qui revient à répéter deux fois: j'aurais pu vouloir autrement. On admet donc alors une possibilité inconditionnelle.
Or, cette possibilité est d'abord invérifiable comme fait dans l'ordre des phénomènes, dans l'ordre du temps; car, pour la vérifier et la voir en action, il faudrait faire en un même instant deux choses contraires; ou, s'il y a une différence de temps, il faudrait que, sans aucune autre différence, nous fissions deux actes différents. Cette seconde expérience est irréalisable, et quand nous faisons successivement des choses opposées, sans autre différence apparente que celle du temps, un peu plus d'attention découvre d'autres différences. Au second instant, nous avons en plus le souvenir du premier; et ce souvenir de ce que nous avons fait est une raison de ne pas le refaire quand nous avons l'intention de montrer précisément notre pouvoir de réaliser les contraires. Aussi, nous l'avons vu, les expériences dans lesquelles on lève ou on abaisse le bras, et tous les faits de ce genre, impliquent une véritable diversité d'un moment à l'autre. Nous ne pouvons donc réaliser comme fait observable le pouvoir idéal que nous nous attribuons. La moindre différence dans les conditions suffit pour expliquer la différence des actes, comme le moindre écart de deux lignes qui coïncidaient d'abord suffit pour produire un angle et une divergence indéfinie. Or nous ne sommes jamais absolument identiques dans deux moments différents; et d'autre part, en un seul et même instant, nous ne pouvons vouloir deux actes contraires à la fois. Si donc nous affirmons qu'au même instant nous pourrions vouloir le contraire, c'est ou une simple croyance ou une conscience de quelque chose qui n'est pas un fait proprement dit.
Dira-t-on que cette chose est une condition première, commune aux deux actes différents, comme le sommet de l'angle est commun aux deux lignes divergentes? – Ce qu'il y a de commun aux deux actes, c'est, semble-t-il, d'être pensés comme possibles pour la volonté; il faut même, pour que cette condition soit vraiment commune, qu'ils soient pensés comme également possibles sous tous les rapports; bien plus, il faudrait qu'ils fussent pensés en même temps. Mais la pensée simultanée de deux choses également possibles est irréalisable. A chaque moment notre pensée est plus sur un des côtés de l'angle que sur l'autre. Dans l'instant où je pense l'un des possibles, cette pensée est déjà un commencement d'exécution qui constitue un surplus actuel en sa faveur; et nous avons vu que, dans les cas d'équilibre, ce surplus peut suffire à motiver la direction finale de la volonté. Nous n'avons donc pas même conscience de penser au même instant deux possibles égaux, à plus forte raison de le pouvoir au même instant. D'ailleurs on a déjà vu ce qu'il faut penser de la prétendue conscience de notre puissance36.
Essayons de diminuer la difficulté pour la mieux résoudre. – Les psychologues, pourrons-nous dire, mettent ordinairement en présence de la volonté des partis extrêmes et lui demandent si elle pourrait choisir l'un ou l'autre, par exemple, faire du bien à un ami ou le tuer. Par là ils établissent entre les choses un hiatus, une solution de continuité, qui obligerait la volonté à faire un saut énorme. Mais peut-être au contraire la volonté, tout en demeurant libre, pourrait-elle respecter la grande loi de la nature: natura non facit saltus. Si vous m'offrez le choix entre deux choses trop opposées, le choix me sera impossible; je serai obligé préalablement de les rapprocher dans une idée commune, de trouver un moyen terme qui les relie et diminue leurs différences: j'abstrairai les contrastes pour considérer les choses sous quelque rapport commun. Cette méthode semble un moyen de rétablir la continuité dans les choses. La volonté commence par placer les objets trop distants l'un à côté de l'autre, comme si elle se sentait incapable de faire un bond subit et de passer d'un extrême à l'autre sans parcourir les intermédiaires. Eh bien, une fois les deux objets rapprochés, ne peut-elle passer de l'un à l'autre par une déviation infiniment petite? Un point qui se meut s'écarte infiniment peu de sa première position, puis infiniment peu de sa seconde; et ces écarts différentiels finissent pourtant par produire un écart sensible. Deux positions successives semblent à la fois indifférentes et différentes, comme deux points contigus semblent se confondre tout en se distinguant. La volonté n'aurait-elle point aussi un pouvoir de dévier, une liberté de choix entre des choses peu différentes? Ne pourrait-elle suivre ou la ligne droite ou une courbe qui s'en écarte d'abord très peu pour s'en éloigner ensuite de plus en plus? Je ne puis me mettre en opposition absolue avec le bien que j'aime; mais ne puis-je lui faire une légère opposition et comme une légère infidélité? Dans les cas où j'ai le choix entre plusieurs partis presque semblables, mais dont l'un me semble un peu meilleur que l'autre, ne puis-je choisir le moins bon comme plus agréable, et préférer ainsi un léger égoïsme à un léger désintéressement? On pourrait, dans cette hypothèse, comparer le bien à un ministre parlementaire qui propose une mesure au pouvoir délibératif: dans les cas graves, le ministre fait de la mesure proposée une question de cabinet, et un refus amènerait sa retraite définitive; une assemblée fidèle sera incapable de cette opposition extrême, mais elle pourra user de son libre arbitre sur les questions de détail et y montrer plus ou moins de bonne volonté. Dans l'ordre moral les questions de détail ont leur importance par le résultat qu'elles peuvent produire en s'accumulant. Si un grand nombre de fois j'ai préféré un léger acte de désintéressement à un léger acte d'égoïsme, j'accumule en moi une force d'affection qui, exercée d'abord dans les petites choses, pourra se manifester dans les grandes. L'amitié et l'amour vivent de petits soins, qui pourront rendre capable de grands dévouements. D'autre part, de petits actes d'égoïsme accumulés pourront rendre incapable de telle ou telle bonne action. Cette conception répond assurément à une méthode souvent suivie par l'homme; elle semble fournir un artifice pour sauver la continuité dans la discontinuité même. Nous pourrions alors faire, sinon le contraire de ce que nous faisons, du moins une chose très peu différente de notre action, mais capable en se continuant de produire à la longue un écart considérable; on pourrait même dire en général que le contraire est toujours possible, mais par intermédiaires et par méthode. Après tout, la loi de continuité est la loi de l'action même: pour passer d'un lieu à un lieu différent, il faut en un certain sens rendre les deux points extrêmes indifférents, ce qui se fait en franchissant d'abord des points infiniment peu différents et en multipliant infiniment la même action. Ce mystère du mouvement continu, qu'il faut bien accepter sans le comprendre, a peut-être son analogue dans tous les changements en général, et en particulier dans les changements volontaires. – Telle est l'hypothèse qu'on pourrait proposer pour venir au secours du libre arbitre.
Mais la difficulté, pour être ainsi ramenée à des proportions infinitésimales, n'est cependant pas supprimée. L'explication que nous venons d'imaginer rappelle, par plusieurs points, la théorie épicurienne du clinamen: la raison veut que l'atome se meuve en ligne droite parce qu'il n'y a aucune raison pour dévier d'un côté plutôt que de l'autre; mais Epicure, ayant besoin d'une légère déviation, la suppose infiniment petite: cet écart est du reste déclaré sans raison, et attribué à une spontanéité qui ressemble fort au hasard et qui en prend même le nom. Le hasard serait aussi, dans l'hypothèse précédente, le caractère de la déviation libre par laquelle nous nous écarterions progressivement du bien. Mais voici ce qu'on peut objecter. Si nous dévions ainsi sans nous en apercevoir, notre acte sera une erreur involontaire; si nous nous apercevons de l'écart, mais qu'il nous semble très petit ou infiniment petit, la faute sera elle-même insignifiante; enfin, même dans ces limites, l'acte de libre arbitre préférant le moins au plus sera toujours inintelligible. Quelque petite que soit la différence entre la première position et la seconde, il y aura toujours sur quelque point contrariété absolue entre les deux actions qu'on suppose possibles: une petite différence est une contrariété resserrée dans d'étroites limites, mais qui subsiste dans ces limites; et c'est sur cette contrariété que doit porter le choix. On en reviendra donc toujours à se demander comment le libre arbitre peut opter entre des contraires, et entre des contraires inégaux. Cette décision de la volonté demeurera une bizarrerie, à moins qu'on ne l'explique par un mobile égoïste, ce qui replacera le sentiment du plus grand bien ou son apparence du côté où aura penché le libre arbitre. Enfin, dans les décisions vraiment morales il y a ordinairement une alternative tranchée, souvent violente, par exemple entre une trahison ou la mort, entre une lâcheté ou une souffrance, entre un oui et un non sans milieu. L'artifice d'un clinamen infinitésimal serait donc ici stérile.
En résumé, la puissance de vouloir le contraire de ce qu'on fait, sans autre condition que de le vouloir, demeure à tous les points de vue problématique pour la conscience et incompréhensible pour la raison. La faculté de choisir, dont l'existence en nous semble si évidente à la conscience spontanée, recule et fuit devant la conscience réfléchie. La liberté de choix ou libre arbitre revient finalement à cette liberté d'indétermination que la conscience réfléchie ne peut parvenir à prendre sur le fait. Le choix, d'ailleurs, ne suppose-t-il pas deux partis? Si je choisis toujours celui auquel je suis porté par une inclination plus forte, le pouvoir de choisir n'ajoute rien à la force antérieure de l'inclination et n'est, dans le calcul, qu'un terme superflu: la prévalence de l'inclination la plus forte est toujours réelle en fait, et le pouvoir de faire le contraire demeure toujours virtuel. Nous nous attribuons idéalement ce pouvoir, mais nous ne pouvons jamais nous en servir; or une puissance qu'on a sous la condition de ne jamais s'en servir en fait, ressemble fort à de l'impuissance. – D'autre part, si on dit que je puis choisir l'objet de l'inclination la plus faible, cela revient à dire que je puis vouloir, non seulement sans raison, mais même contre toute raison. En opposant à l'inclination la plus forte la force de ma volonté, j'ai dû, avant de la dominer, la contrebalancer d'abord jusqu'à un parfait équilibre; pourquoi donc cet équilibre, une fois établi, s'est-il résolu en une action plutôt qu'en une autre? Voilà qui suppose toujours une détermination arbitraire. Le choix du libre arbitre, pour s'opposer à la résultante dynamique des inclinations et au jugement de préférence purement intellectuel, implique donc une volonté qui, par rapport aux inclinations et aux idées, serait indéterminée, fût-ce un seul instant, et qui sortirait de cette indétermination sans mobile sensible et sans motif intellectuel, par un acte absolument incompréhensible. Le libre arbitre des spiritualistes ne peut se distinguer de la liberté d'indifférence37.