Kitabı oku: «Ainsi Parlait Zarathoustra», sayfa 20

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L'OMBRE

Mais à peine le mendiant volontaire s'était-il sauvé, que Zarathoustra, étant de nouveau seul avec lui-même, entendit derrière lui une voix nouvelle qui criait: "Arrête-toi, Zarathoustra! Attends-moi donc! C'est moi, ô Zarathoustra, moi ton ombre!" Mais Zarathoustra n'attendit pas, car un soudain dépit s'empara de lui, à cause de la grande foule qui se pressait dans ses montagnes. "Où s'en est allée ma solitude? dit-il.

C'en est vraiment de trop; ces montagnes fourmillent de gens, mon royaume n'est plus de ce monde, j'ai besoin de montagnes nouvelles.

Mon ombre m'appelle! Qu'importe mon ombre! Qu'elle me coure après! Moi – je me sauve d'elle."

Ainsi parlait Zarathoustra à son coeur en se sauvant. Mais celui qui était derrière lui le suivait: en sorte qu'ils étaient trois à courir l'un derrière l'autre, d'abord le mendiant volontaire, puis Zarathoustra et en troisième et dernier lieu son ombre. Mais ils ne couraient pas encore longtemps de la sorte que déjà Zarathoustra prenait conscience de sa folie, et d'un seul coup secouait loin de lui tout son dépit et tous son dégoût.

"Eh quoi! s'écria-t-il, les choses les plus étranges n'arrivèrent-elles pas de tout temps chez nous autres vieux saints et solitaires?

En vérité, ma folie a grandi dans les montagnes! Voici que j'entends sonner, les unes derrière les autres, six vieilles jambes de fous!

Mais Zarathoustra a-t-il le droit d'avoir peur d'une ombre? Aussi bien, je finis par croire qu'elle a de plus longues jambes que moi."

Ainsi parlait Zarathoustra , riant des yeux et des entrailles. Il s'arrêta et se retourna brusquement – et voici, il faillit ainsi jeter à terre son ombre qui le poursuivait: tant elle le serrait de près et tant elle était faible. Car lorsqu'il l'examina des yeux, il s'effraya comme devant l'apparition soudaine d'un fantôme: tant celle qui était à ses trousses était maigre, noirâtre et usée, tant elle avait l'air d'avoir fait son temps.

"Qui es-tu? Demanda impétueusement Zarathoustra. Que fais-tu ici? Et pourquoi t'appelles-tu mon ombre? Tu ne me plais pas."

"Pardonne-moi, répondit l'ombre, que ce soit moi; et si je ne te plais pas, eh bien, ô Zarathoustra! je t'en félicite et je loue ton bon goût.

Je suis un voyageur, depuis longtemps déjà attaché à tes talons: toujours en route, mais sans but, et aussi sans demeure: en sorte qu'il ne me manque que peu de chose pour être l'éternel juif errant, si ce n'est que je ne suis ni juif, ni éternel.

Eh quoi! Faut-il donc que je sois toujours en route? toujours instable, entraîné par le tourbillon de tous les vents? O terre, tu devins pour moi trop ronde!

Je me suis posé déjà sur toutes les surface; pareil à de la poussière fatiguée, je me suis endormi sur les glaces et les vitres. Tout me prend de ma substance, nul ne me donne rien, je me fais mince, – peu s'en faut que je ne sois comme une ombre.

Mais c'est toi, ô Zarathoustra, que j'ai le plus longtemps suivi et poursuivi, et, quoique je me sois caché de toi, je n'en étais pas moins ton ombre la plus fidèle: partout où tu te posais je me posais aussi.

A ta suite j'ai erré dans les mondes les plus lointains et les plus froids, semblable à un fantôme qui se plait à courir sur les toits blanchis par l'hiver et sur la neige.

A ta suite j'ai aspiré à tout ce qu'il y a de défendu, de mauvais et de plus lointain: et s'il est en moi quelque vertu, c'est que je n'ai jamais redouté aucune défense.

A ta suite j'ai bris ce que jamais mon coeur a adoré, j'ai renversé toutes les bornes et toutes les images, courant après les désirs les plus dangereux, – en vérité, j'ai passé une fois sur tous les crimes.

A ta suite j'ai perdu la foi en les mots, les valeurs consacrées et les grands noms! Quand le diable change de peau, ne jette-t-il pas en même temps son nom? Car ce nom aussi n'est qu'une peau. Le diable lui-même n'est peut-être – qu'une peau.

"Rien n'est vrai, tout est permis" : ainsi disais-je pour me stimuler. Je me suis jeté, coeur et tête, dans les eaux les plus glacées. Hélas! combien de fois suis-je sorti d'une pareille aventure nu, rouge comme une écrevisse!

Hélas! qu'ai je fait de toute bonté, de toute pudeur, et de toute fois en les bons! Hélas! où est cette innocence mensongère que je possédais jadis, l'innocence des bons et de leurs nobles mensonges!

Trop souvent, vraiment, j'ai suivi la vérité sur les talons: alors elle me frappait au visage. Quelquefois je croyais mentir, et voici, c'est alors seulement que je touchais – à la vérité.

Trop de choses sont à présent claires pour moi, c'est pourquoi rien ne m'est plus. Rien ne vit plus de ce que j'aime, – comment saurais-je m'aimer encore moi-même?....................

"Vivre selon mon bon plaisir, ou ne pas vivre du tout": c'est là ce que je veux, c'est ce que veut aussi le plus saint. Mais, hélas! comment y aurait-il encore pour moi un plaisir?

Y a-t-il encore pour moi – un but? Un port où s'élance ma voile?

Un bon vent? Hélas! celui-là seul qui sait où il va, sait aussi quel est pour lui le bon vent, le vent propice.

Que m'est il resté? Un coeur fatigué et impudent; une volonté instable; des ailes bonnes pour voleter; une épine dorsale brisée.

Cette recherche de ma demeure: ô Zarathoustra, le sais-tu bien, cette recherche a été ma cruelle épreuve, elle me dévore.

" est ma demeure?" C'est elle que je demande, que je cherche, que j'ai cherchée, elle que je n'ai pas trouvée. O éternel partout, ô éternel nulle part, ô éternel – en vain!"

Ainsi parlait l'ombre; et le visage de Zarathoustra s'allongeait à ses paroles. "Tu es mon ombre!" dit-il enfin avec tristesse.

Ce n'est pas un mince péril que tu cours, esprit libre et voyageur! Tu as un mauvais jour: prends garde à ce qu'il ne soit pas suivi d'un plus mauvais soir!

Des vagabonds comme toi finissent par se sentir bienheureux même dans une prison. As-tu jamais vu comment dorment les criminels en prison? Ils dorment en paix, ils jouissent de leur sécurité nouvelle.

Garde-toi qu'une foi étroite ne finisse par s'emparer de toi, une illusion dur et sévère! Car désormais tu es séduit et tenté par tout ce qui est étroit et solide.

Tu as perdu le but: hélas! comment pourrais-tu te désoler ou te consoler de cette perte? N'as-tu pas ainsi perdu aussi – ton chemin?

Pauvre ombre errante, esprit volage, papillon fatigué! Veux-tu avoir ce soir un repos et un asile? Monte vers ma caverne!

C'est là-haut que monte le chemin qui mène à ma caverne. Et maintenant je veux bien vite m'enfuir loin de toi. Déjà je sens comme une ombre peser sur moi.

Je veux courir seul, pour qu'il fasse de nouveau clair autour de moi. C'est pourquoi il me faut encore gaiement jouer des jambes. Pourtant ce soir – on dansera chez moi!" -

Ainsi parlait Zarathoustra.

EN PLEIN MIDI

– Et Zarathoustra se remit à courir et à courir encore, mais il ne trouva plus personne. Il demeurait seul, et il ne faisait toujours que se trouver

lui-même. Alors il jouit de sa solitude, il savoura sa solitude et il pensa à de bonnes choses – pendant des heures entières. A l'heure de midi cependant, lorsque le soleil se trouva tout juste au-dessus de la tête de Zarathoustra, il passa devant un vieil arbre chenu et noueux qui était entièrement embrassé par le riche amour d'un cep de vigne, de telle sorte que l'on n'en voyait pas le tronc: de cet arbre pendaient des raisins jaunes, s'offrant au voyageur en abondance. Alors Zarathoustra eut envie d'étancher sa soif légère en détachant une grappe de raisin, et comme il étendait déjà la main pour la saisir, un autre désir, plus violent encore, s'empara de lui: le désir de se coucher au pied de l'arbre, à l'heure du plein midi, pour dormir.

C'est ce que fit Zarathoustra; et aussitôt qu'il fut étendu par terre, dans le silence et le secret de l'herbe multicolore, sa légère soif était déjà oubliée et il s'endormit. Car, comme dit le proverbe de Zarathoustra: "Une chose est plus nécessaire que l'autre." Ses yeux cependant restèrent ouverts: – car il ne se fatiguait point de regarder et de louer l'arbre et l'amour du cep de vigne. Mais, en s'endormant, Zarathoustra parla ainsi à son coeur:

Silence! Silence! Le monde ne vient-il pas de s'accomplir? Que m'arrive-t-il donc?

Comme un vent délicieux danse invisiblement sur les scintillantes paillettes de la mer, léger, léger comme une plume: ainsi – le sommeil danse sur moi.

Il ne me ferme pas les yeux, il laisse mon âme en éveil. Il est léger, en vérité, léger comme une plume.

Il me persuade, je ne sais comment? il me touche intérieurement d'une main caressante, il me fait violence. Oui, il me fait violence, en sorte que mon âme s'élargit: – comme elle s'allonge fatiguée, mon âme singulière! Le soir d'un septième jour est-il venu pour elle en plein midi? A-t-elle erré trop longtemps déjà, bienheureuse, parmi les choses bonnes et mûres?

Elle s'allonge, longuement, – dans toute sa longueur! elle est couchée tranquille, mon âme singulière. Elle a goûté trop de bonnes choses déjà, cette tristesse dorée l'oppresse, elle fait la grimace.

– Comme une barque qui est entrée dans sa baie la plus calme: – elle s'adosse maintenant à la terre, fatiguée des longs voyages et des mers incertaines. La terre n'est-elle pas plus fidèle que la mer?

Comme une barque s'allonge et se presse contre la terre: – car alors il suffit qu'une araignée tisse son fil de la terre jusqu'à elle, sans qu'il soit besoin de corde plus forte.

Comme une barque fatiguée, dans la baie la plus calme: ainsi, moi aussi, je repose maintenant près de la terre fidèle, plein de confiance et dans l'attente, attaché à la terre par les fils les plus légers.

O bonheur! O bonheur! Que ne chantes-tu pas, ô mon âme? Tu es couchée dans l'herbe. Mais voici l'heure secrète et solennelle, où nul berger je joue de la flûte.

Prends garde! La chaleur du midi repose sur les prairies. Ne chante pas! Garde le silence! Le monde est accompli.

Ne chante pas, oiseau des prairies, ô mon âme! Ne murmure même pas! Regarde donc – silence! Le vieux midi dort, il remue la bouche: ne boit-il pas en ce moment une goutte de bonheur – une vieille goutte brunie, de bonheur doré, de vin doré? son riant bonheur se glisse furtivement vers lui. C'est ainsi – que rit un dieu. Silence! -

– "Combien il faut peu de chose pour suffire au bonheur!" Ainsi disais-je jadis, me croyant sage. Mais c'était là un blasphème: je l'ai appris depuis. Les fous sages parlent mieux que cela.

C'est ce qu'il y a de moindre, de plus silencieux, de plus léger, le bruissement d'un lézard dans l'herbe, un souffle, un chutt, un clin d'oeil – c'est la petite quantité qui fait la qualité de meilleur bonheur. Silence!

– Que m'est-il arrivé: Ecoute! Le temps s'est-il donc enfui? Ne suis-je pas en train de tomber?… Ne suis-je pas tombé – écoute! – dans le puits de l'éternité?

– Que m'arrive-t-il?… Silence! Je suis frappé – hélas! – au coeur?… Au coeur! O brise-toi, brise-toi, mon coeur, après un pareil bonheur, après un pareil coup!

– Comment? Le monde me vient-il pas de s'accomplir? Rond et mûr? O balle ronde et dorée – où va-t-elle s'envoler? Est-ce que je lui cours après! Chutt!

Silence -" (et en cet endroit Zarathoustra s'étira et il sentit qu'il dormait.)

"Lève-toi, se dit-il à lui-même, dormeur! Paresseux! Allons, ouf, vieilles jambes! Il est temps, il est grand temps! Il vous reste encore une bonne partie du chemin à parcourir. -

Vous vous êtes livrées au sommeil. Pendant combien de temps? Pendant une demi-éternité! Allons, lève-toi maintenant, mon vieux coeur! Combien te faudra-t-il de temps, après un pareil sommeil – pour te réveiller?"

(Mais déjà il s'endormait de nouveau, et son âme lui résistait et se défendait et se recouchait tout de son long) – "Laisse-moi donc! Silence! Le monde ne vient-il pas de s'accomplir? O cette balle ronde et dorée!" -

"Lève-toi, dit Zarathoustra, petite voleuse, petite paresseuse! Comment? Toujours s'étirer, bâiller, soupirer, tomber au fond des puits profonds?

Qui es-tu donc? O mon âme!" (et en ce moment, il s'effraya, car un rayon de soleil tombait du ciel sur son visage.)

"O ciel au-dessus de moi, dit il avec un soupir, en se mettant sur son séant, tu me regardes? Tu écoutes mon âme singulière?

Quand boiras-tu cette goutte de rosée qui est tombée sur toutes les choses de ce monde, – quand boiras-tu cette âme singulière – quand cela, puits de l'éternité! joyeux abîme de midi qui fait frémir! quand absorberas-tu mon âme en toi?

Ainsi parlait Zarathoustra et il se leva de sa couche au pied de l'arbre, comme d'une ivresse étrange, et voici le soleil était encore au-dessus de sa tête. On pourrait en conclure, avec raison, que ce jour-là Zarathoustra n'avait pas dormi longtemps.

LA SALUTATION

Il était déjà très tard dans l'après-midi, lorsque Zarathoustra, après de longues recherches infructueuses et de vaines courses, revint à sa caverne. Mais lorsqu'il se trouva en face d'elle, à peine éloigné de vingt pas, il arriva ce à quoi il s'attendait le moins à ce moment: il entendit de nouveau le grand cri de détresse. Et, chose étrange! à ce moment le cri venait de sa propre caverne. Mais c'était un long cri, singulier et multiple, et Zarathoustra distinguait parfaitement qu'il se composait de beaucoup de voix: quoique, à distance, il ressemblât au cri d'une seule bouche.

Alors Zarathoustra s'élança vers sa caverne et quel ne fut pas le spectacle qui l'attendait après ce concert! Car ils étaient tous assis les uns près des autres, ceux auprès desquels il avait passé dans la journée: le roi de droite et le roi de gauche, le vieil enchanteur, le pape, le mendiant volontaire, l'ombre, le consciencieux de l'esprit, le triste devin et l'âne; le plus laid des hommes cependant s'était mis une couronne sur la tête et avait ceint deux écharpes de pourpre, – car il aimait à se déguiser et à faire le beau, comme tous ceux qui sont laids. Mais au milieu de cette triste compagnie, l'aigle de Zarathoustra était debout, inquiet et les plumes hérissées, car il devait répondre à trop de choses auxquelles sa fierté n'avait pas de réponse; et le serpent rusé s'était enlacé autour de son cou.

C'est avec un grand étonnement que Zarathoustra regarda tout cela; puis il dévisagea l'un après l'autre chacun de ses hôtes, avec une curiosité bienveillante, lisant dans leurs âmes et s'étonnant derechef. Pendant ce temps, ceux qui étaient réunis s'étaient levés de leur siège, et ils attendaient avec respect que Zarathoustra prît la parole. Zarathoustra cependant parla ainsi:

"Vous qui désespérez, hommes singuliers! C'est donc votre cri de détresse que j'ai entendu? Et maintenant je sais aussi où il faut chercher celui que j'ai cherché en vain aujourd'hui: l'homme supérieur: – il est assis dans ma propre caverne, l'homme supérieur! Mais pourquoi m'étonnerais-je! N'est-ce pas moi-même qui l'ai attiré vers moi par des offrandes de miel et par la maligne tentation de mon bonheur?

Il me semble pourtant que vous vous entendez très mal, vos coeurs se rendent moroses les uns les autres lorsque vous vous trouvez réunis ici, vous qui poussez des cris de détresse? Il fallut d'abord qu'il vînt quelqu'un, – quelqu'un qui vous fît rire de nouveau, un bon jocrisse joyeux, un danseur, un ouragan, une girouette étourdie, quelque vieux fou: – que vous en semble?

Pardonnez-moi donc, vous qui désespérez, que je parle devant vous avec des paroles aussi puériles, indignes, en vérité, de pareils hôtes! Mais vous ne devinez pas ce qui rend mon coeur pétulant: – c'est vous-mêmes et le spectacle que vous m'offrez, pardonnez-moi! Car en regardant un désespéré chacun reprend courage. Pour consoler un désespéré – chacun se croit assez fort.

C'est à moi-même que vous avez donné cette force, – un don précieux, ô mes hôtes illustres! Un véritable présent d'hôtes! Eh bien, ne soyez pas fâchés si je vous offre aussi de ce qui m'appartient.

Ceci est mon royaume et mon domaine: mais je vous l'offre pour ce soir et cette nuit. Que mes animaux vous servent: que ma caverne soit votre lieu de repos!

Hébergés par moi, aucun de vous ne doit s'adonner au désespoir, dans mon district je protège chacun contre ses bêtes sauvages. Sécurité: c'est là la première chose que je vous offre!

La seconde cependant, c'est mon petit doigt. Et si vous avez mon petit doigt, vous prendrez bientôt la main tout entière. Eh bien! je vous donne mon coeur en même temps! Soyez les bien-venus ici, salut à vous, mes hôtes!"

Ainsi parlait Zarathoustra et il riait d'amour et de méchanceté. Après cette salutation ses hôtes s'inclinèrent de nouveau, silencieusement et pleins de respect; mais le roi de droite lui répondit au nom de tous.

"A la façon dont tu nous as présenté ta main et ton salut, ô Zarathoustra, nous reconnaissons que tu es Zarathoustra. Tu t'es abaissé devant nous; un peu plus tu aurais blessé notre respect – : mais qui donc saurait comme toi s'abaisser avec une telle fierté? Ceci nous redresse nous-mêmes, réconfortant nos yeux et nos coeurs.

Rien que pour en être spectateurs nous monterions volontiers sur des montagnes plus hautes que celle-ci. Car nous sommes venus, avides de spectacle, nous voulions voir ce qui rend clair des yeux troubles.

Et voici, déjà c'en est fini de tous nos cris de détresse. Déjà nos sens et nos coeurs s'épanouissent pleins de ravissement. Il ne s'en faudrait pas de beaucoup que notre courage ne se mette en rage.

Il n'y a rien de plus réjouissant sur la terre, ô Zarathoustra, qu'une volonté haute et forte. Une volonté haute et forte est la plus belle plante de la terre. Un paysage tout entier est réconforté par un pareil arbre.

Je le compare à un pin, ô Zarathoustra, celui qui grandit comme toi: élancé, silencieux, dur, solitaire, fait du meilleur bois et du bois le plus flexible, superbe, – voulant enfin, avec des branches fortes et vertes, toucher à sa propre domination, posant de fortes questions aux vents et aux tempêtes et à tout ce qui est familier des hauteurs, – répondant plus fortement encore, ordonnateur, victorieux: ah! qui ne monterait pas sur les hauteurs pour contempler de pareilles plantes?

Tout ce qui est sombre et manqué se réconforte à la vue de ton arbre, ô Zarathoustra, ton aspect rassure l'instable et guérit le coeur de l'instable.

Et en vérité, beaucoup de regards se dirigent aujourd'hui vers ta montagne et ton arbre; un grand désir s'est mis en route et il y en a beaucoup qui se sont pris à demander: qui est Zarathoustra?

Et tous ceux à qui tu as jamais distillé dans l'oreille ton miel et ta chanson: tous ceux qui sont cachés, solitaires et solitaires à deux, ils ont tout à coup dit à leur coeur:

"Zarathoustra vit-il encore? Il ne vaut plus la peine de vivre. Tout est égal, tout en vain: à moins que – nous ne vivions avec Zarathoustra!"

"Pourquoi ne vient-il pas, celui qui s'est annoncé si longtemps? ainsi demandent beaucoup de gens; la solitude l'a-t-elle dévoré? Ou bien est-ce nous qui devons venir auprès de lui?"

Il arrive maintenant que la solitude elle-même s'attendrisse et se brise, semblable à une tombe qui s'ouvre et qui ne peut plus tenir ses morts. Partout on voit des ressuscités.

Maintenant, les vagues montent et montent autour de ta montagne, ô Zarathoustra. Et malgré l'élévation de ta hauteur, il faut que beaucoup montent auprès de toi; ta barque ne doit plus rester longtemps à l'abri.

Et que nous nous soyons venus vers ta caserne, nous autres hommes qui désespérions et qui déjà ne désespérions plus: ce n'est qu'un signe et un présage qu'il y en a de meilleurs que nous en route, – car il est lui-même en route vers toi, le dernier reste de Dieu parmi les hommes; c'est-à-dire: tous les hommes du grand désir, du grand dégoût, de la grande satiété, – tous ceux qui ne veulent vivre sans qu'ils puissent de nouveau apprendre à espérer apprendre de toi, ô Zarathoustra, le grand espoir!"

Ainsi parlait le roi de droite en saisissant la main de Zarathoustra pour l'embrasser; mais Zarathoustra se défendit de sa vénération et se recula effrayé, silencieux, et fuyant soudain comme dans le lointain. Mais, après peu d'instants, il fut de nouveau de retour auprès de ses hôtes et, les regardant avec des yeux clairs et scrutateurs, il dit:

"Hommes supérieurs, vous qui êtes mes hôtes, je vais vous parler allemand et clairement. Ce n'est pas vous que j'attendais dans ces montagnes."

("Allemand et clairement?" Que Dieu ait pitié! dit alors à part lui le roi de gauche; on voit qu'il ne connaît pas ces bons Allemands, ce sage d'Orient! Mais il veut dire "allemand et grossièrement" – eh bien! Ce n'est pas là ce qu'il y a de plus mauvais aujourd'hui!")

"Il se peut que vous soyez tous, les uns comme les autres, des hommes supérieurs, continua Zarathoustra: pour moi cependant – vous n'êtes ni assez grands ni assez forts.

Pour moi, je veux dire: pour la volonté inexorable qui se tait en moi, qui se tait, mais qui ne se taira pas toujours. Et si vous êtes miens, vous n'êtes cependant point mon bras droit.

Car celui qui comme vous marche sur des jambes malades et frêles, veut avant tout être ménagé, qu'il le sache ou qu'il se le cache.

Mais moi je ne ménage pas mes bras et mes jambes, je ne ménage pas mes guerriers : comment pourriez-vous être bons pour faire ma guerre?

Avec vous je gâcherais même mes victoires. Et plus d'un parmi vous tomberait à la renverse au seul roulement de mes tambours.

Aussi bien n'êtes-vous pas assez beaux à mon gré, ni d'assez bonne race. J'ai besoin de miroirs purs et lisses pour recevoir ma doctrine; reflétée par votre surface, ma propre image serait déformée.

Sur vos épaules pèsent maint fardeau, maint souvenir: et maint kobold méchant se tapit en vos recoins. En vous aussi il y a encore de la populace cachée. Bien que bons et de bonne race, vous êtes tors et difformes à maints égards, et il n'est pas de forgeron au monde qui pût vous rajuster et vous redresser.

Vous n'êtes que des ponts: puissent de meilleurs que vous passer de l'autre côté! Vous représentez des degrés: ne vous irritez donc pas contre celui qui vous franchit pour escalader sa hauteur!

Il se peut que, de votre semence, il naisse un jour, pour moi, un fils véritable, un héritier parfait: mais ce temps est lointain. Vous n'êtes point ceux à qui appartiennent mon nom et mes biens de ce monde.

Ce n'est pas vous que j'attends ici dans ces montagnes, ce n'est pas avec vous que je descendrai vers les hommes une dernière fois. Vous n'êtes que des avant-coureurs, venus vers moi pour m'annoncer que d'autres, de plus grands, sont en route vers moi, – non point les hommes du grand désir, du grand dégoût, de la grande satiété, ni ce que vous avez appelé "ce qui reste de Dieu sur la terre".

– Non, non! Trois fois non! J'en attends d'autres ici sur ces montagnes et je ne veux point, sans eux, porter mes pas loin d'ici, – d'autres qui seront plus grands, plus forts, plus victorieux, des hommes plus joyeux, bâtis d'aplomb et carrés de la tête à la base: il faut qu'ils viennent, les lions rieurs!

O mes hôtes, hommes singuliers, – n'avez-vous pas encore entendu parler de mes enfants? et dire qu'ils sont en route pour venir vers moi?

Parlez-moi donc de mes jardins, de mes Iles Bienheureuses, de ma belle et nouvelle espèce, – pourquoi ne m'en parlez-vous pas?

J'implore votre amour de récompenser mon hospitalité en me parlant de mes enfants. C'est pour eux que je me suis fait riche, c'est pour eux que je me suis appauvri: que n'ai-je pas donné, – que ne donnerais-je pour avoir une chose: ces enfants, ces plantations vivantes, ces arbres de la vie de mon plus haut espoir!"

Ainsi parlait Zarathoustra et il s'arrêta soudain dans son discours: car il fut surpris par son désir, et il ferma les yeux et la bouche, tant était grand le mouvement de son coeur. Et tous ses hôtes, eux aussi, se turent, immobiles et accablés: si ce n'est que le vieux devin se mit à gesticuler des bras.

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Litres'teki yayın tarihi:
21 mayıs 2019
Hacim:
380 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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