Kitabı oku: «Considérations inactuelles, deuxième série», sayfa 14
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Que la saine raison nous préserve de croire que l'humanité puisse trouver un jour un ordre de choses idéal et définitif, et qu'alors, semblable au soleil des régions tropicales, le bonheur viendra faire tomber ses rayons d'un éclat uniforme sur tous ceux qui vivraient ainsi sous l'ordre nouveau. Wagner n'a rien de commun avec de pareilles idées; il n'est pas utopiste. S'il ne peut pas se passer de sa foi en l'avenir, cela signifie simplement qu'il discerne chez les hommes d'aujourd'hui certaines propriétés qui n'appartiennent pas au caractère et a l'ossature immuable de l'espèce humaine, mais qui se montrent variables et même périssables; or, c'est précisément à cause de ces propriétés que l'art est aujourd'hui sans patrie et que Wagner lui-même doit être le précurseur et l'annonciateur d'une autre époque. Ce ne sera ni l'âge d'or, ni un ciel sans nuages que trouveront ces générations à venir que son instinct fait espérer à Wagner et dont les linéaments approximatifs peuvent être déduits du langage mystérieux de l'art wagnérien; pour autant qu'il est possible de déduire d'un mode de satisfaction à un genre de souffrance. La bonté surhumaine et la justice parfaite ne s'étendront pas non plus comme un arc-en-ciel immobile au-dessus des plaines de cet avenir. Il se pourrait même que cette génération à venir parût plus mauvaise que la nôtre, car, dans le bien comme dans le mal, elle sera plus ouverte. Peut-être encore que l'âme de cette génération, si elle s'exprimait une fois par des accords complets et libres, ébranlerait et effrayerait nos âmes, comme si la voix d'un esprit malin, jusque là invisible, venait à se faire entendre. Ecoutons plutôt des propositions comme celle-ci: la passion vaut mieux que le stoïcisme et l'hypocrisie; être honnête, même dans le mal, vaut mieux que de se perdre soi-même par égard pour la moralité reçue; l'homme libre peut aussi bien être bon que méchant, mais l'homme non affranchi est une honte de la nature et ne saurait avoir part ni à la consolation céleste, ni à la consolation terrestre; enfin, celui qui veut être libre doit le devenir par lui-même, car la liberté n'est pour personne un don miraculeux qui tombe sans effort de la main des dieux. Quelque tranchants et peu rassurants que puissent paraître ces axiomes, ils n'en sont pas moins des échos de ce monde futur qui aura vraiment besoin de l'art et qui pourra aussi en attendre de véritables satisfactions. C'est le langage de la nature réintégrée dans ses droits, même pour ce qui est de l'homme, et c'est exactement ce que j'ai appelé plus haut le sentiment vrai, par opposition avec le sentiment faussé qui règne aujourd'hui.
Or, pour la nature seule, et non pas pour le sentiment faux et la nature dénaturée, il est des satisfactions et des délivrances véritables. Lorsque la nature dénaturée a fini par prendre conscience d'elle-même, il ne lui reste plus qu'à désirer le néant, tandis que la nature vraie aspire à la transformation par l'amour: celle-là ne veut plus être, celle-ci veut devenir différente d'elle-même. Que celui qui a pris conscience de cela fasse passer devant lui, dans le silence de son âme, les simples motifs de l'art wagnérien et qu'il se demande à part lui si c'est la vraie nature dénaturée qui se sert de ces motifs pour atteindre les fins que nous venons de décrire.
L'errant désespéré trouve la délivrance de son tourment dans l'amour compatissant d'une femme qui préfère mourir que de lui être infidèle: c'est le motif du Vaisseau fantôme. – La femme amoureuse, renonçant à tout bonheur personnel, devient une sainte par la divine transformation de l'Amour en Charité, et sauve ainsi l'âme de l'aimé: c'est le motif de Tannhæuser.
Ce qu'il y a de plus magnifique et de plus sublime descend plein de sympathie parmi les hommes et ne veut pas qu'on lui demande son origine; et lorsque la question fatale lui est posée, il retourne avec un douloureux effort à son existence supérieure; c'est le motif de Lohengrin. – L'âme aimante de la femme, de même que le peuple accueillent avec joie le génie bienfaisant et novateur, quoique les gardiens de la tradition et de la routine le repoussent et le calomnient: c'est le motif des Maîtres Chanteurs. – Deux êtres aimants, sans connaître leur amour réciproque, se croyant au contraire profondément blessés et méprisés, exigent l'un de l'autre un philtre mortel, soi-disant pour expier l'offense, en réalité par une impulsion dont ils ne se rendent pas compte; ils veulent, par la mort, être délivrés de toute séparation, de toute dissimulation. L'approche de la mort, à laquelle ils croient, libère leur âme et les entraîne à une félicité brève et pleine d'effroi, comme s'ils avaient réellement échappé à la clarté du jour, à l'illusion, à la vie elle-même: c'est le motif de Tristan et Yseult.
Dans l'Anneau du Niebelung le héros tragique est un dieu dont l'esprit est altéré de puissance et qui, en suivant toutes les voies qui y conduisent, se lie par des contrats, perd la liberté et se trouve enveloppé par la malédiction qui pèse sur la puissance. La perte de sa liberté lui est démontrée précisément par ceci qu'il ne lui reste plus aucun moyen de s'emparer de l'Anneau d'or, symbole de la toute-puissance terrestre et, à la fois, incarnation des plus grands dangers pour lui-même, tant que cet anneau est entre les mains de ses ennemis. La crainte de la fin et du crépuscule de tous les dieux s'empare de lui, et aussi le désespoir de devoir attendre cette fin sans pouvoir s'y opposer. Il a besoin de l'homme libre et sans crainte, de l'homme qui puisse, sans son conseil et son assistance, en se révoltant même contre l'ordre divin, accomplir de son propre mouvement l'action héroïque interdite au dieu; il ne le voit point paraître et il se trouve forcé de se soumettre aux conséquences de l'engagement qu'il a pris, au moment même où vient de joindre une nouvelle espérance. C'est par sa main que doit périr ce qu'il a de plus cher; la pitié la plus pure doit être punie par sa souffrance. C'est alors qu'il a enfin horreur de la puissance qui n'enfante que le mal et l'esclavage; sa volonté brisée se soumet et il désire lui-même cette fin qui le menace de loin. Mais c'est maintenant seulement que se réalise ce qu'il avait le plus désiré précédemment: l'homme libre et sans peur apparaît; sa naissance fut un défi à toutes les coutumes établies; ses parents portent la peine d'avoir été unis par un lien contraire à l'ordre de la nature et à la coutume. Ils périssent, mais Siegfried vit. A la vue de son magnifique développement et de son splendide épanouissement le flot de dégoût se retire peu à peu de l'âme de Wotan. Il suit des yeux les destinées du héros, avec un amour et une sollicitude paternels. Comment Siegfried forge son épée, tue le dragon, s'empare de l'Anneau, échappe à la ruse la plus raffinée et réveille Brunehilde; comment la malédiction qui pèse sur l'Anneau ne le ménage pas plus que les autres, et l'enserre de plus en plus près; comment, fidèle dans l'infidélité, blessant par amour ce qu'il aime le plus, il est envahi par les ombres et les brumes du crime, mais finit par s'en dégager, resplendissant, tel le soleil, pour disparaître et mourir, en allumant dans le ciel un immense et radieux incendie qui purifie le monde de la malédiction … le dieu voit tout cela, lui dont la lance souveraine s'est brisée dans la lutte avec le plus libre des hommes et qui s'est vu ravir sa puissance; il le voit et son cœur se remplit de joie à cause de sa propre défaite, de sympathie pour le triomphe et la souffrance de son vainqueur. Son regard embrasse les derniers événements avec un bonheur douloureux, il est devenu libre par amour et il s'est délivré de lui-même.
Et maintenant, interrogez votre conscience, homme d'aujourd'hui! Ce poème a-t-il été composé pour vous? Vous sentez-vous le courage d'étendre la main vers les étoiles de ce firmament de beauté et de bonté pour vous écrier: «C'est notre vie que Wagner a ainsi transportée dans les cieux!»
Où sont, parmi vous, les hommes qui sont capables d'interpréter d'après leur propre vie l'image de Wotan et qui grandissent toujours davantage eux-mêmes plus ils s'effacent comme lui? Qui d'entre vous, sachant et se rendant compte que la puissance est mauvaise, serait prêt à renoncer à la puissance? Où sont ceux qui, comme Brunehilde, sacrifieraient leur science à leur amour, pour finir cependant par puiser dans leur vie la science suprême? «Le deuil profond de l'amour affligé m'ouvrit les yeux.» Et ceux qui sont libres et sans crainte, croissant et s'épanouissant en eux-mêmes dans une innocente spontanéité, où sont les Siegfried parmi vous?
Celui qui pose cette question et la pose en vain sera forcé de tourner ses regards vers l'avenir; et s'il devait découvrir dans un lointain quelconque ce «peuple» qui serait en droit de lire sa propre histoire dans les traits caractéristiques de l'art wagnérien, il finirait par comprendre aussi ce que Wagner sera pour ce peuple … quelque chose qu'il ne peut être pour aucun de nous, non point prophète d'un lointain avenir, comme nous pourrions être tentés de le croire, mais l'interprète et le glorificateur d'un passé.
APPENDICE
RÉFLEXIONS SUR RICHARD WAGNER
(JANVIER 1874)
A quel moment de sa vie Nietzsche a-t-il cessé d'être l'admirateur et le disciple de Richard Wagner? On sait que l'auteur de Zarathoustra, douze ans après avoir publié Richard Wagner à Bayreuth, opuscule laudatif qui fut salué en 1876 par les adeptes du maître comme l'évangile de la philosophie wagnérienne, lança dans le monde ce pamphlet ironique et sévère, dont le titre seul suffit à indiquer les tendances. Le Cas Wagner suscita la colère du cénacle de Bayreuth. Mais du moins rappela-t-il aux wagnériens que Nietzsche existait encore et que son œuvre était moins négligeable qu'ils avaient prétendu l'affirmer quand parut Humain, trop Humain. «Froissement de vanité», «folie des grandeurs», déclarèrent-ils péremptoirement, sans prendre la peine de s'enquérir des origines d'un sentiment qui, chez Nietzsche, était antérieur au triomphe de Wagner.
Disciple du musicien-poète, à vrai dire, Nietzsche ne le fut jamais et son admiration se tempéra toujours d'importantes réserves que lui dictait sa clairvoyance. Mais, faisant taire ses scrupules, il se donna sans réserve à l'œuvre wagnérienne, parce qu'il y trouvait la possibilité de réaliser ce qui, aux environs de 1870, lui importait plus que toute autre chose, la régénération de la culture allemande. Et enfin, par-dessus tout, il aimait Wagner et ne cessa jamais de l'aimer. Le jeune professeur de philologie classique à l'Université de Bâle avait trouvé, à l'ermitage de Trebschen, près de Zurich, un accueil chaleureux et une cordialité qu'il avait ignorés jusqu'à ce jour. Pour la première fois, il entrait en contact intime avec un milieu véritablement supérieur et les idées de Wagner, développées au cours de longues conversations, ouvraient à sa juvénile intelligence des horizons à peine entrevus jusque là. D'autre part, Mme Cosima Wagner, la première femme de grand style qu'il eût rencontrée, révélait au savant, confiné dans ses études, – il avait vingt-quatre ans lorsqu'il fut nommé à Bâle en 1869 – de nouvelles façons de sentir et lui faisait connaître ces moralistes français dont il devait s'inspirer plus tard pour réaliser une œuvre si contraire aux doctrines wagnériennes.
Entre 1869 et 1873, Nietzsche fut souvent l'hôte assidu et choyé de Trebschen. De nombreux témoignages datant de cette époque font preuve, de part et d'autre, d'un attachement sincère. Quand l'œuvre de Bayreuth commença à prendre forme, Nietzsche s'y dévoua corps et âme. Il fut de toutes les réunions préparatoires, de tous les comités d'organisation et peu s'en fallut qu'il n'abandonnât la carrière universitaire pour s'improviser conférencier et collecteur, parcourant les pays allemands pour recueillir des fonds destinés à réaliser «le théâtre de l'avenir».
Mais la propagande n'excluait pas la clairvoyance. Déjà Nietzsche jugeait froidement l'homme qu'il vénérait plus que tout autre. L'intimité de tous les jours lui avait révélé les petitesses dont le génie même le plus pur est rarement exempt. Doutait-il déjà de la grandeur de l'œuvre? Le certain est que, dans les moments où il se livrait à un sévère examen de conscience, il se demandait si l'art wagnérien, dont il connaissait maintenant tous les détours, parviendrait jamais à réaliser les hautes espérances qu'il avait placées en lui. Et la mission de Wagner, à laquelle il croyait encore avec ferveur, lui semblait parfois s'égarer vers des considérations singulièrement terre à terre.
Au commencement de 1874, l'œuvre de Bayreuth parut soudain irrémédiablement compromise. Wagner s'était installé avec toute sa famille dans la petite ville bavaroise. Le théâtre-modèle était presque terminé, mais l'argent manquait pour parachever son aménagement intérieur et mettre en place la machinerie compliquée de la scène. Ce fut parmi les amis du compositeur une véritable consternation. «J'ai contracté une alliance avec Wagner», avait écrit Nietzsche. Mais que devenait cette alliance si le rêve commun de tant d'années allait ne pas se réaliser? Nietzsche se pose brusquement la question et, au fond de lui-même, il trouve aussitôt la réponse: Qu'importe Bayreuth!
Souffrit-il, quand cette exclamation lui vint sur les lèvres? Sans doute, mais son instinct de véracité était plus fort que son sentiment d'attachement pour Wagner. C'est alors qu'il note sur son calepin, rapidement et d'un seul jet, les réflexions dont nous publions plus loin la traduction. Avec une cruelle lucidité il juge l'œuvre du maître vénéré et, en même temps, il apprécie à leur juste valeur les hésitations du public, rébarbatif à la «musique de l'avenir». Toutes les réserves qu'il avait faites, à part lui, lui reviennent à la mémoire et il les note avec une hâte fébrile. C'est, malgré certains flottements dans l'expression, malgré certaines obscurités, une analyse rigoureuse de la maladie wagnérienne, où nous sont révélées, en quelque sorte avant la lettre, toutes les qualités qui prêteront plus tard un accent original au moindre aphorisme du philosophe de Par delà le bien et le mal. Nietzsche, pour la première fois, prend conscience de ce qui le sépare de Wagner et son opposition avec l'art wagnérien s'affirme sous une forme concrète.
Quelques semaines plus tard, on apprend soudain que l'inquiétude des amis de Bayreuth n'avait pas été justifiée. Louis II de Bavière venait, en effet, de mettre 300.000 thalers (375.000 francs) à la disposition de Wagner et le «théâtre de l'avenir» pouvait enfin s'achever. La joie est grande parmi les partisans du maître et Nietzsche partage cette joie! Les Réflexions sur Wagner, restées à l'état de notes intimes, sont enfouies au fond d'un tiroir et le jeune disciple s'apprête à faire son premier pèlerinage à Bayreuth…
De nouveau la légende de Wagner reprend le dessus dans les préoccupations de Nietzsche et le vrai Wagner, dont il vient d'esquisser les traits, s'efface dans sa mémoire. Peut-être estima-t-il aussi que la cause du musicien était d'importance plus haute que la personne du musicien. «La possibilité d'une culture allemande», qu'il rattache directement à «l'horizon de Bayreuth», revient au premier plan de ses préoccupations, et quand, enfin, deux ans plus tard, en 1876, le Festspielhaus allait enfin être ouvert au public, il fait taire toutes les objections, pour pouvoir offrir aux pèlerins de la nouvelle Jérusalem l'éloquent bréviaire de Richard Wagner à Bayreuth.
En écrivant ainsi l'apologie du musicien, Nietzsche prend congé du maître de sa jeunesse. Par un suprême effort de sa volonté (les brouillons qui ont été conservés démontrent son point de vue négatif), il dresse un monument de piété et d'admiration à celui qu'il a déjà cessé d'estimer. Ce décompte avec le passé est une véritable œuvre de libération. L'artiste, quand il idéalise sa souffrance, se débarrasse des liens d'une passion malheureuse. Ainsi Nietzsche idéalisa Wagner, pour oublier que l'homme qui avait été «le plus grand bonheur de sa vie» fut aussi celui qui le déçut le plus cruellement. Oublier, le put-il jamais complètement? Il devait au contraire penser sans cesse à cette amitié qui lui avait procuré les fortes émotions de sa vie. Et quand, plus tard, dix ans après la brouille définitive, il écrivit le Cas Wagner, le mot amitié revient encore et sans cesse sous sa plume. «J'ai aimé et vénéré Wagner plus qu'il ne le fut jamais», écrit le philosophe en 1888. Faut-il un autre commentaire à ces quelques notes de sévère critique que l'on va lire, au cours desquelles Nietzsche, par amour de la vérité, démolit l'idéal de sa jeunesse? – H. A.
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Wagner tente de renouveler l'art en s'appuyant sur la seule base qui existe encore, sur le théâtre: là les masses sont encore véritablement émues et ne s'en font pas accroire comme dans les musées et les concerts. A vrai dire, il s'agit de masses grossières, et toute tentative de dominer de nouveau la théâtrocratie est apparue jusqu'à présent comme vaine. Problème: l'art doit-il continuer à être l'apanage d'une secte et vivre dans l'isolement? Est-il possible de l'amener à la domination? C'est là qu'il faut chercher la signification de Wagner; il essaie de se procurer la tyrannie à l'aide des masses théâtrales. Sans doute, si Wagner avait été Italien, serait-il parvenu à atteindre son but. L'Allemand n'a aucune estime pour l'opéra, qu'il considère toujours comme quelque chose d'importé, comme quelque chose qui n'est pas de chez lui. On peut même dire qu'il ne prend pas au sérieux tout ce qui touche le théâtre.
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Il y a quelque chose de comique dans ceci: Wagner ne parvient pas à convaincre les Allemands qu'il faut prendre le théâtre au sérieux. En face de ses tentatives, ils demeurent froids et bonasses; alors Wagner s'échauffe, comme si le salut de l'Allemagne dépendait de lui. Maintenant surtout, les Allemands s'imaginent avoir des occupations plus sérieuses et cela leur apparaît comme une joyeuse fantaisie que quelqu'un se tourne vers l'art d'une façon si solennelle.
Réformateur, Wagner ne l'est pas, car, jusqu'à présent, tout est resté dans le même état que par le passé. En Allemagne tout le monde prend ses affaires au sérieux; alors on rit de celui qui a la prétention d'accaparer pour son compte toute l'attention que l'on porte aux choses sérieuses.
Il faut considérer: l'influence de la crise financière; l'incertitude générale de la situation politique; les doutes qui s'élèvent sur la direction réfléchie des destinées allemandes.
Le temps où l'on se passionnait pour les choses de l'art (Liszt, etc.) est passé.
Une nation sérieuse ne veut pas que les quelques rares choses qu'elle prend à la légère dégénèrent; il en est ainsi pour les Allemands des arts du théâtre.
Cause déterminante: l'importance de l'art, telle que le conçoit Wagner, ne cadre pas avec nos conditions sociales et le développement qu'a pris le travail. De là la répulsion instinctive contre ce qui apparaît comme mal approprié.
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L'importance que Wagner prête à l'art n'a rien d'allemand. Ici nous manquons même d'un art décoratif. Tout intérêt public pour l'art fait défaut. Ou bien il est savant, ou bien tout à fait vulgaire. De-ci de-là, on rencontre l'aspiration isolée vers le beau. La musique occupe une situation spéciale, mais la musique elle-même n'est pas parvenue à créer une organisation, à empêcher l'importation de la musique théâtrale.
– Celui qui aujourd'hui applaudit au théâtre rougit le lendemain de son geste: nous avons nos autels du foyer domestique: Beethoven, Bach – alors le souvenir se prend à pâlir.
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Wagner s'est trouvé en face d'un public d'éducation très variée; la réceptivité n'était pas la même pour l'œuvre et pour la musique. Il a pris le public pour une unité et a cru que les accès de sympathie jaillissaient du même fond, c'est-à-dire qu'il considérait comme certain que l'effet d'ensemble n'était qu'une addition des effets de détail uniformément distribués. Il y avait, selon lui, une somme déterminée de plaisir produite par la musique, une somme égale produite par l'exécution théâtrale et enfin la même somme par le plaisir que suscite le drame.
Maintenant il a appris à ses dépens qu'une grande comédienne est dans le cas de lui brouiller son calcul. Mais alors son idéal s'intensifie. Combien supérieur sera l'effet produit si la musique, l'exécution, etc., allaient de pair avec le talent de la comédienne!