Kitabı oku: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I», sayfa 22
Ainsi fut complétée la découverte du Mississipi, qui fut reconnu par les Français depuis le Sault-St. – Antoine jusqu'à la mer, c'est-à-dire pendant l'espace de plus de six cents lieues.
La Salle revint alors sur ses pas, et envoya en France le P. Mambré pour rendre compte des résultats de son voyage au roi. Le franciscain s'embarqua sur le vaisseau qui était venu chercher le comte de Frontenac, et qui fit voile de Québec le 17 novembre. La Salle lui-même resta l'été et l'hiver suivant parmi les Illinois et dans les régions du lac Michigan, pour y former des établissemens et y faire la traite. Mais ayant eu connaissance des mauvaises dispositions du nouveau gouverneur à son égard, il résolut de passer en France pour contrecarrer l'effet des rapports qui y avaient été envoyés relativement à ses courses dans l'Ouest. L'on sait déjà que M. de la Barre avait écrit au ministère que c'était l'imprudence de la Salle qui avait allumé la guerre entre les Français et la confédération iroquoise, et que la colonie pourrait bien être attaquée avant qu'elle fût en état de se défendre; il écrivit encore après la découverte de l'embouchure du Mississipi, que le P. Mambré, qui venait d'arriver à Québec pour passer en Europe, n'avait voulu lui rien communiquer de l'expédition de la Salle; qu'il ne croyait pas qu'on pût ajouter beaucoup de foi à ce que ce religieux en dirait, et que la Salle lui-même paraissait avoir de mauvais desseins; qu'il était avec une vingtaine de vagabonds, français et sauvages, dans le fond de la baie du lac Michigan, où il tranchait du souverain, pillait et rançonnait les gens de sa nation, exposait les peuples aux incursions des Iroquois, et couvrait toutes ses violences du prétexte de la permission qu'il avait du roi de faire seul le commerce dans les pays qu'il pourrait découvrir. Ces représentations sans cesse répétées par la plus haute autorité de la colonie, et qui furent suivies de la mise sous le séquestre des forts de Frontenac et de St. – Louis aux Illinois, tendaient évidemment à mettre la fidélité de la Salle en question. Celui-ci partit de Québec dans le mois de novembre 1683.
C'était à l'époque où Louis XIV au comble de la gloire, et reconnu pour le prince le plus puissant de la chrétienté, ne mettait plus de bornes à son ambition. Vainqueur de l'Europe coalisée, il lui avait dicté des lois à Nimègue en 1678. Tout semblait favoriser les plans de conquête de ce monarque altier. La découverte du Mississipi vint lui donner encore des droits sur un nouveau pays, et flatter d'une autre sorte son amour propre royal, lui qui ambitionnait toutes les gloires. L'on devait donc supposer que, malgré les rapports du gouverneur du Canada, il aurait des égards pour la Salle qui avait si puissamment contribué à lui assurer cette nouvelle acquisition de territoire. Quoique le grand Colbert fût descendu dans la tombe, l'impulsion qu'il avait donnée au commerce, à l'industrie et à la colonisation lui survivait, et le peuple recevait avec un orgueil bien louable la nouvelle des extensions que l'on donnait tous les jours aux possessions françaises dans l'intérieur de l'Amérique. M. de Seignelay, après avoir conféré avec notre voyageur qu'il écouta avec un grand intérêt, vit bien que M. de la Barre avait été induit en erreur. Il ne put rien refuser à celui qui venait de doter la France d'un des plus beaux pays du monde, et lui, aussi bien que le roi, se prêta facilement à la proposition qu'il leur fit d'y établir immédiatement des colonies. La Salle fut sensible à ces marques de bienveillance, qui annonçaient que l'on savait apprécier ses vues et son génie, et il se mit sur le champ en frais d'exécuter une entreprise pour laquelle le gouvernement s'obligea de lui fournir tout ce qui pourrait lui être nécessaire.
CHAPITRE III.
LE MASSACRE DE LACHINE.
1682-1689
Administration de M. de la Barre: caractère de ce gouverneur; il se laisse prévenir contre les partisans de M. de Frontenac, et particulièrement contre la Salle. La guerre étant imminente, il convoque une assemblée des notables; leurs cahiers; l'on demande des colons au roi. – Louis XIV, qui force par la révocation de l'édit de Nantes 500,000 Huguenots à s'expatrier, n'a que 200 hommes à envoyer au Canada. – Dongan, gouverneur de la Nouvelle-York, malgré les ordres de sa cour, excite les Iroquois à la guerre. – La Barre s'en laisse imposer par les barbares qui le trompent, et qui lèvent enfin le masque en attaquant le fort de Crèvecoeur aux Illinois. – Maladresse de Dongan qui veut réunir tous les cantons contre les Français. – Le gouverneur part de Montréal avec une armée pour attaquer les Iroquois; lenteur et désordre de sa marche; il arrive à la baie de la Famine (lac Ontario); disette dans le camp; paix honteuse avec l'ennemi. – M. de la Barre est rappelé et remplacé par le marquis de Denonville dont l'administration n'est encore plus malheureuse que celle de son prédécesseur. – Il veut exclure les traitans anglais et les chasseurs iroquois de la rive gauche du St. – Laurent et des lacs. – Dongan rassemble les chefs des cantons à Albany et les engage à reprendre les armes. – M. Denonville, instruit de ces menées par le P. Lamberville, se décide à les prévenir. – Sous prétexte d'une conférence, il attire plusieurs chefs de ces tribus en Canada, les saisit et les envoye chargés de fers en France. – Noble conduite des Onnontagués envers le P. Lamberville, instrument innocent de cette trahison. – On attaque les Tsonnonthouans avec 2700 hommes; ils tendent une ambuscade; l'on réduit tous leurs villages en cendres. – On ne profite point de la victoire. – Fondation de Niagara. – Pourparlers inutiles pour la paix; perfidies profondément ourdies de le Rat, chef huron, pour rompre les négociations: la guerre continue. – Le chevalier de Callières propose la conquête de la Nouvelle-York. – Calme trompeur dans la colonie: massacre de Lachine le 24 août (1689). Ineptie du gouverneur; il est révoqué. – Guerre entre, la France et l'Angleterre. – M. de Frontenac revient en Canada; il tire le pays de l'abîme, et le rend par ses talens et par sa vigueur bientôt victorieux de tous ses ennemis.
Cependant, tandis que M. de la Barre écrivait à la cour que rien n'était plus imaginaire que les découvertes de la Salle, et qu'il s'emparait des forts de Frontenac et de St. – Louis appartenant à ce voyageur célèbre, acte de spoliation fort blâmé dans le temps, les affaires ne s'amélioraient pas dans la colonie. Ce gouverneur avait des idées assez libérales en matières d'administration, et c'est qui l'avait fait jeter dans les bras des partisans de la traite libre et des ennemis du monopole. Il est vrai que rien à cette époque n'aurait été plus avantageux pour le Canada, que l'entière liberté du négoce; mais il ne chercha pas même à y faire reconnaître ce principe par la cour, et encore bien moins à le mettre en pratique, à en faire la base du système commercial du pays. Il paraît au contraire, si l'on en croit quelques chroniqueurs, comme l'abbé de Belmont, que l'intérêt privé n'était pas étranger aux motifs de sa conduite, et que non seulement il faisait lui-même le commerce des pelleteries, mais qu'il tirait encore de grands bénéfices de la vente des congés de traite. Quoiqu'il en soit, c'est dans l'exécution qu'il parût que M. de la Barre manquait généralement d'énergie; et s'il avait des vues heureuses, la nature semblait lui refuser les qualités nécessaires pour mener à bonne fin les affaires compliquées et qui demandaient à la fois une exécution prompte et de la décision. Cette inégalité dans la force de son intelligence était encore accrue par l'âge. Les rênes du gouvernement canadien, à l'entrée d'une guerre qu'on s'attendait à voir éclater d'un jour à l'autre, étaient donc tombées dans des mains incapables de porter un si pesant fardeau. L'on va voir bientôt quel fut le fruit de cette faiblesse de l'administration du gouvernement.
M. de la Barre, après avoir passé les affaires du pays en revue, sentit toutes les difficultés de sa position, sur laquelle il ne s'aveugla pas. Suivant un usage de la mère-patrie dans les circonstances critiques, il convoqua une assemblée des notables pour prendre leur avis sur ce qu'il y avait à faire. L'intendant, l'évêque, plusieurs membres du conseil supérieur, les chefs des juridictions subalternes, le supérieur du séminaire et celui des missions, y furent conviés avec les principaux officiers des troupes. Il paraît qu'il n'y fut point appelé de citoyens non liés au gouvernement. Dans le régime du temps, l'on donnait à une pareille réunion un titre qu'elle n'aurait sans doute pas comporté sous un gouvernement libre.
Cette assemblée de notables exposa au gouverneur la situation du Canada dans un rapport qui fut immédiatement envoyé à Paris. Elle disait que la Nouvelle-York voulant attirer à elle tout le commerce des Sauvages, excitait les Iroquois à nous faire la guerre, que l'Angleterre était en conséquence notre première ennemie; que les cinq nations pour n'avoir point à lutter contre plus fort qu'elles, travaillaient à nous détacher nos alliés ou à les détruire les uns après les autres; qu'elles avaient commencé par les Illinois qu'il était très important pour nous d'empêcher de succomber, mais que la chose était difficile, parceque la colonie n'était pas capable de mettre plus de mille hommes sous les armes 136, et qu'il faudrait encore, pour cela, interrompre une partie des travaux de la campagne; qu'avant de prendre les armes, il fallait avoir des vivres et des munitions de guerre dans le voisinage de l'ennemi, parcequ'il ne s'agissait plus de l'effrayer, comme du temps de M. de Tracy, mais bien de le réduire au point qu'il ne pût plus faire de mal; que le fort de Catarocoui serait très commode pour cela, puisque de ce poste on pouvait, en quarante huit heures, tomber sur le canton des Tsonnonthouans, le plus éloigné de tous, et sur lequel il fallait d'abord porter le premier coup de la guerre. L'assemblée déclara aussi qu'avant de s'engager dans une pareille entreprise, il fallait demander au roi deux ou trois cents soldats, dont une partie serait mise en garnison à Catarocoui et à la Galette (Prescott), pour garder la tête de la colonie, tandis que toutes les forces dont on pouvait maintenant disposer, marcheraient à l'ennemi; et en outre le supplier d'envoyer dans le pays mille ou quinze cents engagés pour cultiver les terres pendant l'absence des habitans partis pour l'armée, et des fonds pour les magasins et pour la construction de trois ou quatre barques sur le lac Ontario, qui seraient affectées au passage des troupes et de leur matériel.
Note 136:(retour) D'après le rôle contenu dans l'Appendice D à la fin de ce volume, il paraîtrait qu'il y avait deux mille hommes en état de porter les armes dès 1668; mais l'assemblée supposait avec raison qu'une partie seulement de la population mâle pouvait aller porter la guerre au loin.
Elle terminait son cahier par appuyer sur la nécessité d'engager le roi à faire cotte dépense, de l'instruire de l'urgence de la guerre, de la véritable situation du Canada et de son insuffisance pour la soutenir seul; et de lui représenter surtout que le défaut des secours de France commençait à nous attirer le mépris des Indiens; que si la confédération iroquoise voyait arriver des troupes françaises, elle n'oserait pas nous attaquer, et que nos alliés s'empresseraient de prendre les armes contre une nation qu'ils redoutent, et dont ils se croiraient assurés de triompher s'ils nous savaient en état de les secourir puissamment.
Le cahier des notables ne contenait rien d'entièrement étranger à la question de la guerre. La demande assez mal motivée de quinze cents colons pour remplacer les habitans partis pour l'armée, resta sans réponse et sans fruit. Et pourtant c'était dans le temps même que les Huguenots sollicitaient comme une faveur la permission d'aller s'établir dans le Nouveau-Monde, où ils promettaient de vivre en paix à l'ombre du drapeau de leur patrie, qu'ils ne pouvaient cesser d'aimer; c'était dans le temps, dis-je, qu'on leur refusait une prière dont la réalisation eût sauvé le Canada, et assuré pour toujours ce beau pays à la France. Mais Colbert avait perdu son influence à la cour, et était mourant. Tant que ce grand homme avait été au timon des affaires, il avait protégé les calvinistes qui ne troublaient plus la France, mais l'enrichissaient. Sa mort arrivée en 1684 les livra entièrement au chancelier Le Tellier et au farouche Louvois. Les dragonades passèrent sur les cantons protestans, terribles pronostics de la révocation de l'édit de Nantes. Le roi montrait avec un secret plaisir, dit un écrivain distingué, sa puissance en humiliant le pape et en écrasant les Huguenots. Il voulait l'unité de l'Eglise et de la France, objet des désirs des grands hommes de l'époque à la tête desquels était Bossuet.
Madame de Maintenon, calviniste convertie, et devenue secrètement son épouse (1685), l'encourageait dans ce dessein, et lui suggéra ce moyen cruel, celui d'arracher les enfans à leurs parens pour les élever dans la foi catholique; ce moyen qu'elle n'eût jamais recommandé sans doute, si elle eût été mère.
Les vexations, les confiscations, les galères, le supplice de la roue, le gibet, tout fut employé inutilement pour les convertir. Les malheureux protestans ne songèrent plus qu'à échapper à la main qui s'appésantissaient sur eux; on eut beau leur défendre de laisser le royaume et punir des galères ceux qui trempaient dans leur évasion, cinq cents mille s'enfuirent en Hollande, en Allemagne, en Angleterre, et dans les colonies américaines de cette nation. Ils y portèrent leurs richesses, leur industrie, et, après une pareille séparation, des ressentimens et une soif de vengeance qui coutèrent cher à leur patrie. Guillaume III chargea plus d'une fois les troupes françaises à la tête de régimens français, et l'on vit des régimens catholiques et huguenots, en se reconnaissant sur le champ de bataille, s'élancer les uns sur les autres à la bayonnette avec cette fureur et cet acharnement que ne montrent point des soldats de deux nations différentes. De quel avantage n'eut pas été une une émigration faite en masse et composée d'hommes riches, éclairés, paisibles, laborieux, comme l'étaient les Huguenots, pour peupler les bords du St. – Laurent, ou les fertiles plaines de l'Ouest? Du moins ils n'auraient pas porté à l'étranger le secret des manufactures de France, et enseigné aux diverses nations à produire des marchandises qu'elles étaient accoutumées d'aller chercher dans les ports de celle-ci. Une funeste politique sacrifia tous ces avantages aux vues exclusives d'un gouvernement armé, par l'alliance du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, d'une autorité qui ne laissait respirer ni la conscience ni l'intelligence. Si vous et les vôtres ne vous êtes convertis avant tel jour, l'autorité du roi se chargera de vous convertir, écrivait Bossuet aux schismatiques. Nous le répétons, sans cette politique, nous ne serions pas, nous Canadiens, réduits à défendre pied à pied contre une mer envahissante, notre langue, nos lois, et notre nationalité? Comment jamais pardonner au fanatisme les angoisses et les souffrances de tout un peuple, dont il a rendu la destinée si douloureuse et si pénible, dont il a compromis si gravement l'avenir.
Louis XIV qui avait des myriades de dragons pour massacrer les protestans, qui perdait par sa faute un demi-million de ses sujets, ce monarque enfin qui dominait sur l'Europe n'eût que deux cents soldats à envoyer à Québec pour protéger une contrée quatre fois plus vaste que la France, une contrée qui embrassait la baie d'Hudson, l'Acadie, le Canada, une grande partie du Maine, du Vermont et de la Nouvelle-York et de toute la vallée du Mississipi. Il écrivit au gouverneur-général au mois d'août 1683, que le roi de la Grande-Bretagne, à qui il avait fait probablement des représentations, avait donné des ordres très précis à son représentant dans la Nouvelle-York, le colonel Dongan, d'entretenir la bonne intelligence avec les Français; et qu'il ne doutait pas que cet agent ne s'y conformât. Mais Dongan, qui avait résolu de partager les avantages de la traite avec les Canadiens, n'eut garde de se conformer aux instructions de sa cour. Il ne cessa point d'exciter secrètement les Iroquois, et il avait gagné à les décider à lever la hache contre les Miâmis et les Outaouais, lorsque la nouvelle en étant parvenue à M. de la Barre, celui-ci leur dépêcha en toute hâte un homme sûr, qui arriva chez les Onnontagués la veille du jour où ils allaient se mettre eu marche.
Cet envoyé fut bien reçu. Les Iroquois, qui n'avaient point intention de tenir leurs promesses, consentirent à tout ce que l'on voulut, et s'obligèrent même à envoyer des députés à Montréal dans le mois de juin suivant; mais dès le mois de mai, huit cents hommes des cantons d'Onnontagué, de Goyogouin et d'Onneyouth tombaient sur les Hurons, les Miâmis et les Outaouais: et l'on eût bientôt après la nouvelle que les autres cantons allaient, de leur côté, lancer leurs bandes sur les habitations canadiennes mêmes. Le gouverneur s'empressa d'informer le roi de l'état des choses. Il lui manda que Dongan se servait de transfuges français pour conduire ses négociations avec les cantons; qu'il fallait se résoudre à abandonner le Canada, ou à faire un effort pour détruire les Tsonnonthouans et les Goyogouins, les plus animés contre nous; et qu'il fallait pour cela lui envoyer 400 hommes de bonne heure le printemps suivant. Tandis qu'il faisait ces instances en France qui respiraient la guerre, ses démarches auprès des Indiens, dont il méconnaissait entièrement le caractère, faisaient supposer qu'il ne redoutait rien tant que la reprise des armes. Il ignorait qu'en recherchant avec trop d'ardeur leur amitié, il ne faisait qu'accroître leur orgueil et s'attirer leur mépris. Les délégués qu'ils devaient envoyer en juin ne paraissant point, il les fit inviter de venir dégager leur parole à Montréal. Ils répondirent, en faisant les surpris, qu'ils ne se rappelaient pas d'avoir donné cette parole; et que si l'on avait quelque chose à leur communiquer, l'on pouvait bien venir les trouver chez eux.
Afin de s'attacher les cantons plus étroitement, la Nouvelle-York leur donnait, par un stratagème commercial bien connu, ses marchandises à perte dans le dessein de ruiner les traitons français, ou de les leur rendre odieux, en disant qu'ils ne cherchaient qu'à les dépouiller de leurs pelleteries. On sut aussi qu'elle les excitait sans cesse à exterminer toutes les tribus avec lesquelles nous faisions quelque négoce; et que tous les cantons se préparaient à faire une guerre à mort au Canada. La cupidité armait tout le monde, et deux nations européennes et hostiles venaient en concurrence commerciale, la pire de toutes, sous les huttes de ces Sauvages. Quelle facilité n'y avait-il pas de mettre en jeu les moyens les moins avouables au milieu de populations plongées dans les ténèbres de l'ignorance? Que de crimes ne pouvait-on pas cacher à la faveur de leur barbarie? Au reste, pour contrebalancer l'influence anglaise d'une manière efficace et permanente, la France n'avait autre chose à faire, qu'à mettre ses marchands en état d'acheter aussi cher et de vendre à aussi bas prix, que leurs adversaires; mais c'est à quoi elle ne songeait pas.
Quoique travaillés par ces motifs intéressés, et excités par les promesses, les louanges, les menaces mêmes de la Nouvelle-York, les Iroquois craignaient beaucoup plus les Français qu'ils ne voulaient le faire paraître, et ils ne pouvaient s'empêcher d'observer à leur égard certaines convenances qui leur étaient inspirées par un reste de respect et de crainte; mais c'était tout. Ils envoyèrent des députés à Montréal pour renouveler leurs protestations d'amitié; l'on ne put rien tirer de plus de cette ambassade. Il était évident qu'ils voulaient seulement, par cette tactique qui présentait un dehors de modération, conserver les apparences et gagner du temps en trompant le gouverneur sur leurs projets. Tout le monde en était convaincu. Les missionnaires et tous ceux qui connaissaient ces Sauvages, l'avertissaient de se tenir sur ses gardes; l'on sut qu'ils s'étaient même approché du fort de Catarocoui pour le surprendre si l'occasion s'en fut présenté; mais rien ne put faire sortir M. de la Barre de ses illusions; il reçut les députés iroquois le mieux qu'il put, leur fit mille caresses et les renvoya comblés de présens. Cette conduite paraît d'autant plus étrange, qu'elle était en contradiction, comme on vient de le dire, avec ce qu'il pensait et avec ce qu'il écrivait en France.
Enfin les Iroquois levèrent le masque. Alors il n'y eut plus qu'un cri dans la colonie contre l'ineptie du gouverneur. Les moins violens disaient hautement que son grand âge le rendait crédule lorsqu'il devait se défier, timide lorsqu'il fallait entreprendre, ombrageux et défiant à l'égard de ceux qui méritaient sa confiance. La reprise seule des armes dans les cantons vint le tirer de sa torpeur et de son inaction. Ils donnèrent le signal en envoyant une armée pour s'emparer du fort de St. – Louis, où M. de Baugy, lieutenant de ses gardes, commandait depuis qu'il avait fait retirer ce poste des mains de la Salle. Cette attaque fut repoussée. M. de la Barre devait, dans les circonstances où il se trouvait, frapper fort et surtout frapper vite, car l'on disait que l'ennemi avait envoyé jusque chez les Sauvages de la Virginie pour renouveler la paix avec eux, afin de n'avoir rien à craindre pour ses derrières, ce qui annonçait une grande résolution de sa part. Le gouverneur jugea avec raison qu'il valait mieux aller porter la guerre chez lui, que de l'attendre dans la colonie; mais ayant reçu peu de secours de France, il voulut engager ses alliés à joindre leurs forces aux siennes. De la Durantaye et de Luth, chargés de cette négociation, eurent beaucoup de peine à décider les tribus des lacs à prendre part à une attaque combinée; ils n'y auraient peut-être pas réussi sans le célèbre voyageur Perrot, dont l'influence sur ces peuples fit triompher les raisons d'ailleurs plausibles qu'on leur présentait. La Durantaye partit pour Niagara avec deux cents Canadiens et cinq cents guerriers, Hurons, Outaouais, Outagamis et autres Indiens du Michigan; il devait y trouver le gouverneur avec les troupes parties de Québec et de Montréal. Mais l'on peut juger du mécontentement de ces différentes peuplades, qui n'avaient marché qu'à contre coeur, lorsque loin de trouver M. de la Barre au rendez-vous, elles apprirent quelques jours après que la paix était faite avec les Iroquois. Elles s'en retournèrent le coeur plein d'un dépit qu'elles ne cachaient guère, quoiqu'on leur assurât que le traité leur était favorable.
On va voir à quelles conditions cette paix fut conclue. Les troupes avaient ordre de s'assembler à Montréal où le gouverneur arriva bientôt; mais au lieu de partir sur le champ pour se rendre à un point donné dans le voisinage du pays à attaquer, et delà, après avoir été joint par ses auxiliaires, fondre sur les ennemis avec toutes ses forces, il s'amusa à envoyer un exprès au colonel Dongan, afin de lui demander de se joindre à lui, ou du moins de ne point traverser son expédition. Il savait bien pourtant que la politique de ce gouverneur était de faire échouer son entreprise, et c'est aussi à quoi il travaillait activement sans s'occuper beaucoup des injonctions contraires du duc de York. Il avait, pour cela, fait offrir aux Iroquois un secours considérable; mais heureusement qu'il voulut y mettre des conditions qui choquèrent l'orgueil de plusieurs des cantons, qui ne voulurent plus l'écouter.
La négociation ainsi rompue avec la Nouvelle-York, ils envoyèrent des ambassadeurs vers M. de la Barre pour traiter de la paix. Ils n'ignoraient pas qu'ils étaient incapables de tenir tête à l'orage, et que si l'armée française était bien conduite, tout leur pays ne fût ravagé. Le gouverneur français n'avait fait cependant que seconder la politique du colonel Dongan en retardant la marche de son armée, à laquelle enfin il donna l'ordre du départ. Cette expédition se composait de 700 Canadiens, 130 soldats et 200 Sauvages, divisés en trois corps; le premier commandé par le baron de Bécancour, le second, par M. d'Orviliers, et le troisième, par Dugué. Cette petite armée quitta Montréal le 26 ou le 27 juillet (1684); elle avait perdu dix ou douze jours dans cette ville pour attendre le résultat de l'ambassade envoyée auprès du gouverneur de la Nouvelle-York; elle perdit encore deux semaines entières à Catarocoui. Après tous ces délais, elle traversa le lac. Toute la colonie murmurait hautement contre M. de la Barre. Cette lenteur devint en effet funeste à l'expédition. Les vivres, par leur mauvaise qualité, remplirent l'armée de maladies, et pour comble de disgrâce manquèrent bientôt; la disette réduisit en peu de jours les troupes campées à l'entrée des cantons à l'état le plus déplorable. Avant même d'avoir vu l'ennemi elles allaient être, faute de provisions, obligées de battre honteusement en retraite. C'est dans cette circonstance critique que les députés de trois des cinq nations arrivèrent, malgré les sollicitations de Dongan qui n'avait réussi à empêcher que les Agniers et les Tsonnonthouans de consentir à la paix. Ils rencontrèrent M. de la Barre à quatre ou cinq lieues au dessous de la rivière Oswégo, dans une anse à laquelle l'on a donné le nom de la Famine qu'elle conserve encore, pour commémorer les privations qu'on y avait endurées. Le gouverneur ne put cacher sa joie en voyant arriver ces ambassadeurs, qui comprirent à l'aspect des Français que les rôles étaient changés, et qu'au lieu de solliciter humblement la paix, ils devaient parler en vainqueurs. Ils refusèrent hautement de comprendre les Illinois dans le traité; ils allèrent jusqu'à dire qu'ils ne poseraient point les armes qu'un des deux partis, les Iroquois ou les Illinois, n'eût détruit l'autre. Cette insolence excita l'indignation dans le camp; mais M. de la Barre se contenta d'observer que du moins l'on prit garde qu'en voulant frapper les Illinois la hache ne tombât sur les Français qui demeuraient avec eux, réponse peu noble qui rappelle celle que Pitt fit dans la chambre des communes à l'occasion du désastre de Quiberon; et qui lui attira cette belle exclamation de Fox, célèbre dans l'histoire: «Non, le sang anglais n'a pas coulé; mais l'honneur anglais a coulé par tous les pores».
La paix fut conclue à la seule condition que les Tsonnonthouans indemniseraient les traitans français qu'ils avaient pillés en allant faire la guerre aux Illinois. Le général s'obligea de se retirer dès le lendemain avec son armée. Il partit lui-même sur le champ, après avoir donné ses ordres pour l'exécution de ce dernier article. Ainsi échoua, par la lenteur et la pusillanimité du général, une expédition qui, si elle eût été bien conduite, aurait eu des résultats bien différens; et les cinq nations eurent la gloire de repousser avec mépris les propositions avilissantes des Anglais, et de signer avec le gouverneur du Canada, lorsque son armée était à leurs portes, un traité déshonorant pour les Français.
A peine le gouverneur était-il arrivé à Québec, qu'un renfort de soldats venant de France entra dans le port. Quoique la paix fût faite, ce secours ne fut pas regardé comme inutile, parceque l'on comptait peu sur sa durée, et qu'on la regardait plutôt comme une espèce de trêve que comme un traité définitif. Tout le monde fut d'opinion que l'intérêt de la colonie exigeait impérieusement que l'on défendît à quelque prix que ce fût les Illinois, abandonnés à la vengeance de leurs ennemis par le traité, et qu'il fallait être prêt à la guerre, parce qu'ils pouvaient être attaqués au premier moment. Cette nécessité n'avait pas échappé à la perspicacité des Iroquois eux-mêmes, qui ne crurent pas plus à la conservation de la paix que le Canada. C'est ce qui fut confirmé par deux lettres reçues l'année suivante du P. Lamberville, missionnaire chez les Onnontagués, où il était en grande vénération.
Ce religieux mandait que les Tsonnonthouans n'étaient pas sortis de leur canton de l'hiver pour aller à la chasse, de peur que nous ne le surprissions pendant leur absence, et qu'ils se plaignaient d'avoir été attaqués par les Mascontins et les Miâmis, fiers de notre protection; que les cinq cantons avaient resserré leur alliance entre eux dans l'appréhension d'une rupture, et que les Mahingans leur avaient promis un secours de douze cents hommes, et les Anglais un plus considérable encore avec toutes sortes d'armes et de munitions; qu'ils avaient déjà attaqué les Miâmis; que les Tsonnonthouans refusaient, sous divers prétextes, de livrer les mille peaux de castor, premier terme du paiement de l'indemnité qu'ils devaient aux Français; enfin, qu'ils prétextaient encore plusieurs autres raisons de ne pas descendre à Québec pour prendre avec le gouverneur les mesures que pourrait nécessiter la situation des affaires entre les deux nations.
Il n'y avait que quelques jours que le gouverneur avait entre les mains ces lettres, qui lui démontraient d'une manière si irréfragable la fragilité de la base qu'il avait donnée au traité lorsqu'un successeur lui arriva avec six cents hommes de troupe. La nouvelle de la conclusion de la paix, portée par le retour des vaisseaux qui avaient amené à Québec les renforts dont on a parlé tout à l'heure, avait étonné à Paris; mais les conditions auxquelles elle avait été faite, lorsqu'elles furent connues, surprirent encore bien plus. Quelques tribus sauvages dicter à la nation qui faisait trembler alors l'Europe entière, c'était un événement trop extraordinaire pour ne pas en faire rechercher la cause, qu'on ne fut pas longtemps sans trouver. Il fut résolu de révoquer de suite M. de la Barre; et le marquis de Denonville, colonel de dragons, fut choisi pour le remplacer; mais la saison étant trop avancée, il ne put partir pour le Canada que le printemps suivant. C'était un homme brave de sa personne, plein de piété et distingué par ce sentiment exquis de l'honneur et de la politesse que la noblesse française, encore si grande et si fière, regardait comme un de ses plus beaux attributs. L'on verra cependant que de fausses idées, et une connaissance imparfaite du caractère des relations politiques des Français avec les Indiens, surtout les cantons iroquois, lui firent, malgré cela, commettre des actes qu'aucune justice ne peut excuser. Il ne vint en Canada, comme je viens de le dire, que le printemps suivant. Il resta seulement quelques jours à Québec pour se reposer des fatigues d'une traversée très orageuse, et partit pour Catarocoui où commandait M. d'Orviliers. Il chercha d'abord à convaincre les cinq nations de la sincérité de ses dispositions pacifiques; mais il ne tarda pas à découvrir que, loin de nous craindre, la fierté et l'insolence de ces barbares ne connaissaient plus de bornes, et qu'il fallait les humilier pour les rendre plus traitables. Il écrivit à Paris que les hostilités qu'ils commettaient sur les Illinois étaient un motif suffisant pour leur déclarer la guerre; mais qu'il fallait être prêts comme eux, et qu'ils l'étaient toujours. Chaque jour le persuadait d'avantage qu'on devait se défaire à tout prix de cette nation, ou la réduire à un tel degré de faiblesse qu'elle ne pût plus rien entreprendre; car il était impossible d'espérer de l'avoir jamais pour amie. La même suggestion avait déjà été faite plusieurs fois au roi, et le moment favorable paraissait venu de l'exécuter. L'Angleterre, la seule alliée sur laquelle les cantons pouvaient compter, était à la veille d'une révolution; et les troubles qui la déchiraient déjà, suffisaient pour paralyser son action en Amérique et l'empêcher de donner aucun secours. Des forces mues par un chef habile, jetées au milieu des Iroquois, devaient en deux ans anéantir leur puissance et les obliger même à chercher une autre patrie.