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Kitabı oku: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I», sayfa 9
Les Eriés et les Andastes dominaient autrefois entre le lac Erié et les Iroquois; mais il n'existait plus que quelques restes de ces deux nations infortunées au temps de la découverte du Canada, lesquels ne pouvant résister à leurs puissans voisins, furent bientôt après impitoyablement détruits.
Les contrées que baignent le lac Supérieur, le lac Michigan et le lac Huron étaient encore habitées ou fréquentées par les Nipissings, les Outaouais, les Miâmis que refoulèrent vers le nord les Pouteouatamis venant du sud; par les Illinois, les Chippaouais, les Outagamis ou Renards, peuple pillard et cruel, les Kikapous, les Mascontins, les Sakis, les Malhomines, les Osages, les Missouris, les Menomonis, toutes tribus de la langue Algonquine, et enfin par les Kristinots ou Kilestinots de la langue siouse.
Une foule d'autres tribus appartenant soit à la famille des Sioux, soit à celle des Hurons, soit à celle des Algonquins, habitaient des contrées plus ou moins reculées, et venaient quelquefois se montrer aux missionnaires et aux trafiquans européens sur les bords des lacs pour se renfoncer ensuite dans les forêts et ne plus reparaître; tandis que d'autres également inconnues venaient à main armée prendre la place de plus anciennes, qui étaient forcées de reculer et d'abandonner leur territoire. 50
Note 50:(retour) Les recherches intéressantes de M. Gallatin, intitulées: A synopsis of the Indian Tribes contiennent de grands détails sur les diverses nations sauvages de l'Amérique septentrionale; elles se trouvent dans le 2e. vol. des Transactions of the American Antiquarian Society.
Il serait impossible de pouvoir établir aujourd'hui quelle était la population indienne de la Nouvelle-France à l'époque de l'apparition de Cartier. Si l'on en jugeait d'après la variété des tribus, on serait porté à croire qu'elle était considérable; mais des calculs sur lesquels on peut se reposer avec confiance, la réduisent à un chiffre peu élevé. Les tribus sauvages ne sont jamais nombreuses. Quelques voyageurs s'en laissèrent d'abord imposer à cet égard par le langage métaphorique de ces peuples, qui étaient d'ailleurs accoutumés à regarder une bourgade de 1000 âmes, comme une ville considérable, et qui ne pouvaient encore indiquer ce nombre que par une expression figurée. C'est ainsi que longtemps encore après, en 1753, ils rapportèrent au colonel Washington, que les Français venaient l'attaquer avec une armée aussi nombreuse que les feuilles des forêts; et cette armée était composée de quelques centaines d'hommes.
Des évaluations de population ont été faites avec le plus grand soin pour les contrées situées entre le St. – Laurent et le Mississipi. Ces calculs indiquent le chiffre de la population il y a deux cents ans, et ils sont plutôt au-dessus qu'au-dessous de la réalité. Ils portent la famille Algonquine, qui est de beaucoup la plus considérable, à 90,000 âmes; celle des Sioux orientaux à moins de 3000; celle des Hurons, y compris les Iroquois, à environ 17,000; celle des Catawbas à 3000; celle des Chérokis à 12,000; celle des Mobiles à 50,000; celle des Uchées à 1000, et celle des Natchés à 4000. Ce qui donne seulement 180,000 âmes pour toute la population, preuve qu'elle était extrêmement dispersée. 51 En effet, les peuples chasseurs ont besoin d'immenses domaines; et malgré la vaste étendue des forêts de l'Amérique, les tribus sauvages y manquaient souvent de subsistance, faute de trouver assez de gibier. D'ailleurs si la population eût été dense, comment les Iroquois, qui ne comptaient que 2200 guerriers en 1660 52, auraient-ils pu se promener en conquérants depuis la Caroline jusqu'au fond de la baie d'Hudson, et faire trembler au seul bruit de leur nom tous les peuples de ces contrées?
Note 51:(retour) Volney. Tableau des États-Unis.
Note 52:(retour) Les Relations des Jésuites pour 1659-60 n'en portent le nombre qu'à 1900.
Cartier ne vit dans tout le Canada que quelques rares bourgades, dont la plus considérable renfermait seulement cinquante cabanes; et le plus grand rassemblement d'hommes qui eut lieu à Stadaconé dans l'hiver qu'il passa sur la rivière St. – Charles, resta bien au-dessous de 1000. Il aperçut dans les autres parties du pays à peine çà et là quelques traces d'habitation. Joliet et le P. Marquette, Jésuite, parcoururent une grande partie du Mississipi sans rencontrer la présence d'un seul homme.
Nous avons dit que la comparaison des différens dialectes parlés dans l'Amérique septentrionale, à l'est de ce dernier fleuve, avait fait découvrir huit langues-mères, et que l'on y avait divisé la population en autant de grandes familles. D'après ces huit divisions radicales d'une partie des hommes de la race rouge, qui sembleraient militer contre l'hypothèse d'une seule voie d'immigration asiatique par le nord-ouest de l'Amérique, ou peut-être même contre l'hypothèse de toute immigration quelconque, on s'attendrait à trouver aussi des différences entre eux tant sous le rapport physique que sous le rapport moral. Cependant il n'en est rien; et la plus grande similitude régnait à cet égard. La différence entre les Sauvages du Canada et ceux de la Floride était à peine sensible. 53 Leurs personnes, leurs moeurs, leurs institutions avaient le même caractère et la même physionomie. En traçant le portrait des uns l'on fait celui des autres.
Ils étaient tous en général d'une belle stature. Elevés et sveltes, indices de l'agilité plutôt que de la force, ils avaient cet air farouche que donnent l'habitude de la chasse et les périls de la guerre. 54
Note 53:(retour) Charlevoix. Volney prétend qu'il y a une différence notable dans les traits de chaque nation sauvage de l'Amérique septentrionale, cela peut être vrai; mais elle n'est pas assez grande pour faire dire que chacune d'elles sort d'une race distincte: elle est peut-être plus légère que celle qui distingue entre eux les peuples européens. Ce ne sont que des nuances du type de la race rouge.
Note 54:(retour) Raynal.
Les traits des Sauvages ne présentaient pas la même beauté. La figure plus ronde qu'ovale, le teint cuivré, ils avaient les pommettes des joues élevées et saillantes; leurs yeux noirs ou châtains, petits et enfoncés, brillaient dans leurs orbites. Le front étroit, ils avaient le nez plat, les lèvres épaisses, les cheveux gros et longs. Les hommes avaient peu de barbe et ils se l'arrachaient soigneusement à mesure qu'elle paraissait, tant ils en avaient horreur. C'était un usage universel en Amérique. 55 Les hommes difformes étaient extrêmement rares parmi eux. Ils avaient la vue, l'ouïe, l'odorat et tous les sens d'une sensibilité exquise.
Note 55:(retour) Cela a été mis en doute; mais outre le témoignage des meilleurs voyageurs, j'ai l'assurance positive de M. Stanislas Vassal, que j'ai déjà nommé ailleurs.
La même ressemblance existait dans leurs vêtemens, avec la différence que pouvait apporter celle des climats. L'été, ils allaient presque nus. L'hiver, ils ceignaient une peau d'élan ou d'autre bête sauvage, autour de leurs reins; et une autre tombait de leurs épaules. Les griffes d'un ours formaient des agraffes dignes d'un chef de guerre à ces manteaux peints de diverses couleurs, et sur lesquels ils représentaient souvent l'histoire de leurs exploits. Des espèces de boyaux ou guêtres de peaux repassées, et ornées d'une broderie en poils de porc-épic, couvraient leurs jambes, tandis qu'une belle chaussure de peau de chevreuil, garantissait leurs pieds de la rigueur du froid. Cependant beaucoup d'entr'eux en Canada se couvraient à peine le corps, même l'hiver, comme l'atteste Jacques Cartier.
Les femmes, couvertes jusqu'aux genoux, avaient un costume qui différait peu de celui des hommes, excepté qu'elles avaient la tête et les bras nus. Elles portaient des colliers de coquillages, dont elles distribuaient aussi des branches sur le devant de leurs vêtemens resplendissant de couleurs brillantes, où le rouge prédominait.
C'est dans la manière de se parer que se distinguaient les Sauvages des diverses tribus. Ils se peignaient «le visage et le corps, soit pour se reconnaître de loin, soit pour se rendre plus agréables dans l'amour ou plus terribles dans la guerre. A ce vernis, ils joignaient des frictions de graisse de quadrupède ou d'huile de poisson, usage familier et nécessaire pour se garantir de la piqûre insoutenable des moucherons et des insectes qui couvrent tous les pays en friche. 56» Ils se couvraient le corps de figures d'animaux, de poissons, de serpens, etc., avec des couleurs très vives et variées, selon leurs caprices. Ils aimaient beaucoup le vermillon. Les uns se peignaient le nez en bleu; les sourcils, le tour des yeux et les joues en noir, et le reste de la figure en rouge; les autres se traçaient des bandes rouges, noires et bleues d'une oreille à l'autre, et de plus petites sur les joues. Les hommes s'arrangeaient les cheveux diversement, tantôt relevés ou applatis sur la tête, tantôt pendans par tresses. Ils y ajoutaient des plumes d'oiseaux de toutes sortes de couleurs, et des touffes de poils d'animaux, le tout placé de la manière la plus étrange. Ils portaient des pendans aux narines et aux oreilles, des brasselets de peaux de serpent aux bras; des coquilles leur servaient de décorations.
Les Indiens n'avaient pour armes offensives que la flèche, espèce de javelot hérissé d'une pointe d'os ou de pierre, et un casse-tête de bois extrêmement dur, ayant un côté tranchant. Leurs armes défensives consistaient en une espèce de cuirasse de bois léger, dont l'usage fut abandonné lors de l'introduction des armes à feu, et quelquefois en un long bouclier de bois de cèdre qui couvrait tout le corps. 57 Elles parurent peu dangereuses aux Européens qui ignoraient leur manière de combattre. Mais l'art de ces barbares consistait à surprendre leurs ennemis et non à les attaquer de pied ferme; le casse-tête devenait une arme terrible dans une attaque subite où le guerrier assommait d'un seul coup son antagoniste endormi ou désarmé.
Note 56:(retour) Raynal.
Note 57:(retour) Relation des Jésuites (1633).
Le mot seul de guerre excitait chez les jeunes Sauvages une espèce de frémissement plein de délices, fruit d'un profond enthousiasme. Le bruit du combat, la vue d'ennemis palpitans dans le sang, les enivraient de joie; ils jouissaient d'avance de ce spectacle, le seul qui fût capable d'impressionner leur âme placide. Et comment en pouvait-il être autrement? C'était la seule de leurs fibres qu'on eût excitée depuis qu'ils étaient capables de sentir. Toute leur âme était là. L'imagination excitée par le récit des exploits de leurs ancêtres, ils brûlaient de se distinguer comme eux.
Les causes de guerre étaient peu nombreuses, mais fréquentes entre les nations sauvages. Le droit de chasser ou de passer dans certaines limites, la défense de leur propre territoire, ou la vengeance d'un compatriote aimé, voilà ce qui donnait naissance ordinairement aux luttes destructives de ces barbares. Mais chaque individu étant parfaitement indépendant, il pouvait à tout moment, soit par amour des combats ou du pillage, soit par haine ou vengeance, compromettre la paix entre deux tribus et les entraîner dans une guerre mortelle: c'était probablement là la cause de la plupart de celles qui se faisaient en Amérique, et qui finissaient souvent par la destruction ou l'expulsion de la tribu vaincue. Ainsi, la paix était sans cesse compromise, et depuis le Mexique jusqu'à la baie d'Hudson, les peuples étaient dans un état continuel d'hostilité.
Tous ceux qui étaient capables de porter les armes, étaient guerriers, et avaient droit d'assister aux assemblées publiques et d'exprimer leur opinion sur les matières en délibération. La guerre ne se décidait que par la nation réunie: toutes les raisons étaient pesées avec maturité. Si elle était décidée, les anciens s'adressaient à leurs guerriers pour les exciter à combattre. «Les os de nos frères blanchissent encore la terre, disaient-ils, ils crient contre nous; il faut les satisfaire. Peignez vous de couleurs lugubres, saisissez vos armes qui portent la terreur, et que nos chants de guerre et nos cris de vengeance réjouissent les ombres de nos morts, et fassent trembler les ennemis dont le sang va bientôt inonder la terre. Allons faire des prisonniers et combattre tant que l'eau coulera dans les rivières, que l'herbe croîtra dans nos champs, que le soleil et la lune resteront fixés au firmament.»
Aussitôt le chant de guerre était entonné par tous les combattans, qui demandaient qu'on les menât à l'ennemi. Ils se choisissaient un chef; et leur choix tombait toujours sur celui que distinguaient d'anciens exploits, une taille imposante, ou une voix forte et qui pût se faire entendre dans le tumulte des combats et exciter l'ardeur des guerriers. Le chef élu tâchait de se rendre favorable le Grand-Esprit, et le dieu du mal par de longs jeûnes; il étudiait ses rêves qui étaient pour lui des oracles. Enfin après avoir répété tous ensemble une prière, ils commençaient la danse de guerre, l'image la plus énergique et la plus effrayante de ces luttes mortelles. Tout se terminait par un festin solennel où l'on ne servait que de la chair de chien. Le chef y racontait ses exploits et ceux de ses ancêtres.
Dans leurs campagnes, les Indiens, tant qu'ils sont sur leur territoire, marchent sans précaution, et dispersés pour la commodité de la chasse, et se réunissent pour camper le soir; mais dès qu'ils mettent le pied dans le pays ennemi, ils ne se séparent plus, et n'avancent qu'avec la plus grande circonspection pour éviter les embuscades. Ils ne chassent plus, n'allument plus de feu et se parlent par signes. Ils étudient le pays qu'ils traversent; et ils déployent en cela une sagacité inconcevable. Ils devinent une habitation de très loin par l'odeur de la fumée. Ils découvrent la trace d'un pas sur l'herbe la plus tendre comme sur la substance la plus dure, et ils lisent dans cette trace, la nation, le sexe et la stature de la personne qui l'a faite, et le temps qui s'est écoulé depuis qu'elle a été formée. 58 Ils s'appliquent à dissimuler la route qu'ils suivent, et à découvrir celle de leur ennemi. Et ils emploient pour cela divers stratagèmes. Ils marchent sur une seule file l'un devant l'autre, mettant les pieds dans les mêmes traces, que le dernier de la file recouvre de feuilles. S'ils rencontrent une rivière, ils cheminent dedans. Cette tactique est facile pour les Sauvages, parcequ'ils sont peu nombreux dans leurs expéditions Ce sont généralement des partis de trente, quarante, cinquante hommes; rarement excèdent-ils deux ou trois cents.
Note 58:(retour) McIntosh. Manners of the Indians.
Lorsqu'ils atteignent leurs ennemis sans être découverts, le conseil s'assemble et forme le plan d'attaque. Au point du jour, et lorsqu'ils les supposent encore plongés dans le sommeil, ils se glissent dans leur camp, font une décharge de flèches en poussant de grands cris, et tombent sur eux le casse-tête à la main. Le carnage commence. Tel est le système de guerre des Indiens; ils ne s'attaquent que par surprise; ils tuent ceux qu'ils ne peuvent emmener, et leur enlèvent la chevelure. La retraite se fait avec précipitation, et ils tâchent de la cacher, s'ils ont lieu d'appréhender une poursuite. S'ils sont pressés de trop près, les prisonniers sont égorgés, et chacun se disperse. Dans le cas contraire, ceux-ci sont gardés avec soin et attachés la nuit à des piquets de manière qu'ils ne puissent remuer sans réveiller leurs vainqueurs. C'est dans ces longues nuits qu'ils entonnent le chant de mort, et que leur voix mâle, mais triste, résonne dans la profondeur des forêts. C'est dans cette situation affreuse que l'Indien déploie son héroïsme, et qu'il brave la cruauté de ses bourreaux. «Je vais mourir, dit-il, mais je ne crains point les tortures que m'infligeront mes ennemis. Je mourrai en guerrier, et j'irai rejoindre dans le pays des ombres les chefs qui ont souffert avant moi.»
La bourgade va au devant des vainqueurs, qui annoncent de loin leur arrivée par des cris. On fait passer les prisonniers entre deux files d'hommes qui les frappent avec des bâtons; Ceux qui sont destinés à la mort sont livrés au chef de guerre, les autres au chef de la tribu. Les premiers sont attachés à des poteaux, et l'on commence leur supplice qui se prolonge quelquefois plusieurs jours. Mais si les bourreaux sont sans pitié, la victime ne montre aussi aucune faiblesse; elle se fait gloire de ses tourmens; elle vante ses victoires, compte les chevelures qu'elle a enlevées, dit comment elle a traité ses prisonniers, et reproche à ses vainqueurs qu'ils ne savent pas torturer. Elle pousse quelquefois le sarcasme si loin, que ceux-ci perdant patience, terminent ses jours d'un coup de casse-tête. Voilà jusqu'où les Indiens portaient le mépris des souffrances, ou plutôt le fanatisme de la mort.
Il n'y avait généralement que les chefs qui étaient torturés ainsi. L'on brûlait les autres; ou quelquefois on les gardait pour en faire des esclaves. Les missionnaires français firent tout ce qu'ils purent pour faire adopter aux Indiens un système plus humain, et c'est dans cette vue qu'ils introduisirent l'usage de vendre les prisonniers, afin de les arracher à la mort.
Ceux qui avaient été livrés au chef de la nation, étaient destinés à remplacer les guerriers tués sur le champ de bataille. Ils étaient adoptés par les familles des défunts, qui leur portaient toute la tendresse et tous les égards qu'elles avaient pour ceux dont ils tenaient la place.
Il est impossible de dire si les prisonniers ainsi adoptés, ou réduits en esclavage, n'étaient pas plus malheureux que ceux qui avaient été sacrifiés à la cruauté de leurs vainqueurs. Ils ne devaient plus songer à revoir leurs parens, leurs amis, leur patrie, enfin tout ce qu'ils avaient de plus cher, leurs femmes et leurs enfans. Ils devaient s'incorporer à leur nouvelle famille et à leur nouvelle tribu, à tel point qu'ils pussent haïr tout ce qu'elles abhorraient, fût-ce même leur propre patrie, fût-ce même leur propre sang.
Mais telle était l'organisation des Indiens, la placidité de leur tempérament, que cet usage était reçu universellement parmi eux. Ils oubliaient tous leurs anciens souvenirs; ceux de la patrie qui sont gravés si profondément dans le coeur des hommes de la race européenne, disparaissaient de leur mémoire comme s'ils ne s'y étaient jamais arrêtés. Ce caractère particulier qui permettait de rompre sans grande secousse les liens du sang les plus rapprochés, contribua sans doute à la conservation d'une coutume à laquelle toutes ces peuplades libres se soumettaient sans même pousser un murmure.
Les animosités nationales étaient héréditaires et difficiles à éteindre; mais enfin on se lassait de verser le sang, et la paix devenait nécessaire. La tribu qui en avait le plus de besoin devait faire les premières démarches; ce qui demandait beaucoup de prudence. Il fallait vaincre dans cette mesure préliminaire la répugnance d'un ennemi vindicatif, et employer toutes les raisons d'équité et d'intérêt qui pouvaient désarmer sa vengeance. Lorsqu'une tribu avait résolu de faire les premiers pas, quelques uns de ses principaux chefs, accompagnés de ceux qui devaient servir de médiateurs, se rendaient chez la nation avec laquelle ils voulaient traiter de la paix. Le calumet était porté devant eux. Ce symbole inviolable est une pipe de quatre pieds de long, dont la tête de marbre rouge, est fixée à un tuyau de bois, orné de plumes et d'hiéroglyphes de diverses, couleurs, le rouge indiquant l'offre d'un secours, le blanc et le gris, de la paix. 59
Note 59:(retour) De la Potherie.
Lorsque la députation est rendue dans le camp des ennemis, un des chefs inférieurs remplit le calumet de tabac; et après y avoir mis le feu, il l'élève vers le ciel, puis le baisse vers la terre, et le présente à tous les points de l'horison, en invitant tous les esprits qui sont dans le ciel, sur la terre et dans les airs à être présens au traité. Il l'offre ensuite au chef héréditaire qui en tire quelques bouffées de fumée, et les lance vers le ciel, et autour de lui vers la terre. Le calumet est alors passé à tous les chefs suivant leur rang, qui le touchent des lèvres. Un conseil est immédiatement tenu où le traité est discuté. Si la paix est conclue, l'on enterre une hache rouge, cérémonie qui est le symbole de l'oubli de l'animosité qui a régné jusque-là entre les deux parties contractantes. L'échange des colliers qui étaient chez ces peuples l'expression patente du traité, mettait le dernier cachet à la transaction.
Les deux tribus se faisaient alors réciproquement des présens; c'étaient des calumets, des peaux de daim ornées d'un beau travail, et d'autres objets de prix. La coutume de se faire ainsi des présens est une de celles qui sont répandues chez tous les peuples de la terre.
La guerre terminée, le Sauvage rentrait dans son repos léthargique. Le travail chez les tribus indiennes était une occupation déshonorante qu'ils abandonnaient aux femmes «comme indigne de l'homme indépendant. Leur plus vive imprécation contre un ennemi mortel, c'était qu'il fût réduit à labourer un champ; la même que celle que Dieu prononça contre le premier homme.» Mais bientôt la faim venait le troubler dans sa hutte d'écorce, et le faisait de nouveau sortir de son inaction. Alors cet homme qu'on voyait, assis les jambes et les bras croisés, garder une attitude immobile et stupide des journées entières, sortait de sa léthargie, s'animait tout à coup, car la chasse était après la guerre la seule occupation noble à ses yeux, il pouvait y acquérir de la gloire; et à ce nom l'Indien apathique devenait un tout autre homme, il bravait tout pour elle, les fatigues, la faim, et même la mort. La chasse ne se faisait ordinairement que pendant l'hiver, parceque l'été le poisson suffisait à la subsistance, et que d'ailleurs la fourrure des animaux est moins belle alors que dans la saison froide. Toute la nation y allait comme à la guerre; chaque famille, chaque cabane, comme à sa subsistance. Il fallait se préparer à cette expédition par des jeûnes austères, n'y marcher qu'après avoir invoqué les dieux. On ne leur demandait pas la force de terrasser les animaux, mais le bonheur de les rencontrer. Hormis les vieillards arrêtés par la décrépitude tous se mettaient en campagne, les hommes pour tuer le gibier, les femmes pour le porter et le sécher. Au gré d'un tel peuple, l'hiver était la belle saison de l'année: l'ours, le chevreuil, le cerf et l'orignal, ne pouvaient fuir alors avec toute leur vitesse, à travers quatre à cinq pieds de neige. Ces Sauvages que n'arrêtaient ni les buissons, ni les ravins, ni les étangs, ni les rivières, et qui passaient à la course la plupart des animaux légers, disaient rarement une chasse malheureuse. Mais au défaut de gibier, on vivait de gland. Au défaut de gland, on se nourrissait de la sève ou de la pellicule qui naît entre le bois et la grosse écorce du tremble et du bouleau.» (Raynal).
Dans ces expéditions, la tribu se campait dans le voisinage d'un lac ou d'une rivière, où elle se construisait des huttes à la hâte. En un clin d'oeil une bourgade s'élevait au-dessus des neiges qui recouvraient bientôt celle qu'elle avait abandonnée. C'est ainsi que partout dans l'Amérique du nord, la population et les villes changeaient continuellement de place, attirées qu'elles étaient par l'abondance de la chasse ou de la pêche, qui variait tous les jours dans chaque localité.
Un peuple qui n'était point ainsi fixé au sol, devait jouir de la plus grande liberté; et, en effet, chacun vivait avec toute l'indépendance qu'un homme peut posséder dans la société la plus libre.
La coutume et l'opinion, voilà quel était le gouvernement des tribus sauvages. Il n'y avait point de lois écrites. On suivait les usages traditionnels et l'instinct de la raison et de l'équité. D'ailleurs l'autorité publique, le gouvernement, n'était appelé à agir que très rarement, comme lorsqu'il fallait faire la guerre ou la paix, élire un chef, ou enfin traiter avec une autre tribu pour quelque sujet que ce soit; ou bien encore régler la marche d'une cérémonie publique, &c.; mais jamais, ou presque jamais, ne statuait-il sur les matières intérieures, c'est-à-dire, relatives à la conduite des citoyens; son pouvoir n'allait pas jusque-là. La volonté générale, dit l'historien des deux Indes, n'y assujettissait pas la volonté particulière. Les décisions étaient de simples conseils qui n'obligeaient personne, sous la moindre peine. 60 Si dans une de ces singulières républiques, on ordonnait la mort d'un homme, c'était plutôt une espèce de guerre contre un ennemi commun, qu'un acte judiciaire exercé sur un sujet ou un citoyen. Au défaut de pouvoir coercitif, les moeurs, l'exemple, l'éducation, le respect pour les anciens, l'amour des parens, maintenaient en paix ces sociétés sans lois comme sans biens.
Note 60:(retour) Relation des Jésuites (1644 et 45 p. 143.)
On voit que le lien moral faisait toute la force de ces associations. Dans les assemblées, chacun avait droit d'opiner sur les affaires publiques et d'émettre son opinion selon son âge ou ses services. Dans une société où les richesses étaient inconnues, l'intérêt ne pouvait faire dévier les hommes de leurs devoirs; et comme jamais l'Indien ne donnait rien aux anciens, ni à ses chefs électifs ou héréditaires, le désintéressement comme la cupidité n'influaient point sur leur jugement.
L'un des plus forts liens qui tenaient les sociétés indiennes ensemble, c'est le respect que la tribu avait pour chacun de ses membres. Il n'y avait d'exception à cet égard que pour les services rendus à la chose publique et pour le génie; la considération qu'ils attiraient était toute personnelle, et n'entraînait aucune charge ni obligation onéreuse: c'était le fruit moral de la reconnaissance.
Ces égards, les tribus, les nations, les observaient entre elles en temps de paix; les envoyés et les ambassadeurs étaient reçus avec distinction, et placés sous la protection et la sauvegarde de celles chez lesquelles ils venaient pour négocier. Cependant les passions humaines venaient jeter quelquefois la perturbation dans ces sociétés si simples et si patriarcales. Comme elles n'avaient point de code, que «les lois prohibitives n'étaient point sanctionnées par l'usage,» l'homme lésé se faisait généralement justice lui-même. La tribu n'intervenait que quand l'action d'un de ses membres lui portait directement un préjudice grave, alors le coupable livrée à la vindicte publique, périssait sous les coups de la multitude. Mais cela était extrêmement rare. Il résultait de cette indépendance individuelle qui ne voulait point reconnaître d'autorité supérieure pour juger les actes privés, des inconvéniens sérieux.
Il semblerait impossible qu'une société assise sur des bases aussi fragiles, pût se maintenir; mais comme tous ces peuples menaient une vie vagabonde, il n'y avait ni commerce, ni transaction d'aucune espèce, circonstance qui, jointe à l'absence de lois prohibitives, réduisait la liste des offenses à très peu de chose. Aussi ces sociétés ne comptaient point d'officiers civils; il n'y avait ni juges, ni prisons, ni bourreaux.
L'absence de toute espèce de tribunaux judiciaires laissant à chacun le soin de venger ses injures, enfanta l'esprit vindicatif qui caractérisent les Sauvages. Une insulte ne restait pas sans vengeance, et le sang ne pouvait se laver que par le sang. Cependant les querelles particulières étaient excessivement rares, et quoique le corps de l'état n'eût aucun pouvoir sur les individus, il réussissait ordinairement à les apaiser. Car en sacrifiant sa vengeance privée au bien général qui ne se sent pas agrandi? Et le Sauvage est très sensible à l'honneur.
Mais si le sang avait été versé, l'ombre du défunt ne pouvait être apaisée que par des représailles. Un parent se chargeait de ce devoir sacré. Il traversait s'il le fallait des contrées entières, souffrait la faim et la soif, endurait avec plaisir toutes les fatigues pour satisfaire l'ombre sanglante d'un frère ou d'un ami. La vengeance tirée appelait une autre vengeance, et ainsi de famille en famille et de nation en nation se continuait la lutte mortelle.
Cependant la raison des Sauvages leur avait laissé un moyen d'y mettre fin, et de pacifier les cabanes en hostilité. Les présens apaisaient l'ombre de celui qui était tombé sous les coups d'un meurtrier repentant.
Chez les tribus indiennes, les ramifications des familles étaient étendues et se suivaient fort loin. Des liens étroits resserraient ainsi toute la peuplade. L'on avait le plus grand respect pour ses parens; et les noeuds du sang étaient sacrés, tellement que le frère payait la dette du frère décédé, et embrassait sa vengeance comme si elle eût été la sienne propre. Les mendians étaient inconnus. La tribu recueillait les orphelins.
Dans les peuplades où le chef l'était par droit d'hérédité, ce droit s'acquérait par la descendance féminine, c'est à dire par la mère. Cette loi de succession était très généralement répandue.
Chaque tribu, chaque village vivait dans une entière indépendance. Et toutes les tribus présentaient la même uniformité dans leur organisation sociale. Si dans quelques unes le chef était héréditaire, c'était plutôt un privilège nominal que réel, parceque la mesure de son autorité était toujours proportionnée à ses qualités, à son génie. Le chef indien n'avait ni couronne, ni sceptre, ni gardes, et son pouvoir n'était que l'expression populaire. Il n'était en réalité que le premier des hommes libres de la peuplade. Cependant il n'en avait pas moins de fierté. Ne savez-vous pas, disait un d'eux à un missionnaire, que je commande depuis ma jeunesse, que je suis né pour commander, et que sitôt que je parle tout le monde m'écoute. 61
Dans une société ainsi constituée, la religion devait avoir peu d'influence, ou plutôt son organisation est un indice certain qu'elle n'avait pas de religion régulière ayant ses formes et ses cérémonies. Les premiers Européens qui ont visité les Sauvages s'accordent presque tous à dire qu'ils ne professaient aucun culte. Les Micmacs et leurs voisins n'avaient ni adoration, ni cérémonies religieuses. 62 A l'égard de la connaissance de Dieu, dit Joutel, «il ne nous a pas paru que les Cénis en aient aucune notion certaine; il est vrai que nous avons trouvé des tribus sur notre route, qui, autant que nous le pouvions juger, croyaient qu'il y avait quelque chose de relevé qui est au-dessus de tout; ce qu'ils faisaient en levant les mains et les yeux au ciel, dont néanmoins ils ne se mettaient pas en peine; parcequ'ils croyaient aussi que cet être relevé ne prend aucun soin des choses d'ici bas. Mais d'ailleurs, comme ceux-là, non plus que ceux-ci, n'ont ni temples, ni cérémonies, ni prières, qui marquent un culte divin, on peut dire de tous qu'ils n'ont aucune religion.» 63
