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Kitabı oku: «Le Fantôme de l'opéra», sayfa 17

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Le Persan avait à nouveau éteint sa lanterne.

«Attention! fit-il… gare à la main! et maintenant silence! car nous allons essayer encore de pénétrer chez lui.»

Et il l’entraîna jusqu’au petit escalier que tout à l’heure ils avaient descendu.

… Ils remontèrent, s’arrêtant à chaque marche, épiant l’ombre et le silence…

Ainsi se retrouvèrent-ils au troisième dessous…

Le Persan fit alors signe à Raoul de se mettre à genoux, et c’est ainsi, en se traînant sur les genoux et sur une main – l’autre main étant toujours dans la position indiquée – qu’ils arrivèrent contre la paroi du fond.

Contre cette paroi, il y avait une vaste toile abandonnée du décor du Roi de Lahore.

… Et, tout près de ce décor, un portant…

Entre ce décor et ce portant, il y avait tout juste la place d’un corps.

… Un corps, qu’un jour on avait trouvé pendu… le corps de Joseph Buquet.

Le Persan, toujours sur ses genoux, s’était arrêté… Il écoutait.

Un moment, il sembla hésiter et regarda Raoul, puis ses yeux se fixèrent au-dessus, vers le deuxième dessous, qui leur envoyait la faible lueur d’une lanterne, dans l’intervalle de deux planches.

Évidemment, cette lueur gênait le Persan.

Enfin, il hocha la tête et se décida.

Il se glissa entre le portant et le décor du Roi de Lahore. Raoul était sur ses talons.

La main libre du Persan tâtait la paroi. Raoul le vit un instant appuyer fortement sur la paroi comme il avait appuyé sur le mur de la loge de Christine…

… Et une pierre bascula…

Il y avait maintenant un trou dans la paroi…

Le Persan sortit cette fois son pistolet de sa poche et indiqua à Raoul qu’il devait l’imiter. Il arma le pistolet.

Et résolument, toujours à genoux il s’engagea dans le trou que la pierre, en basculant, avait fait dans le mur.

Raoul, qui avait voulu passer le premier, dut se contenter de le suivre.

Ce trou était fort étroit. Le Persan s’arrêta presque tout de suite. Raoul l’entendait tâter la pierre autour de lui. Et puis, il sortit encore sa lanterne sourde et se pencha en avant, examina quelque chose sous lui et éteignit aussitôt la lanterne. Raoul l’entendit qui lui disait dans un souffle:

«Il va falloir nous laisser tomber de quelques mètres, sans bruit; défaites vos bottines.»

Le Persan procédait déjà lui-même à cette opération. Il passa ses chaussures à Raoul.

«Déposez-les, fit-il, au-delà du mur… Nous les retrouverons en sortant.»

Sur ce, le Persan avança un peu. Puis, il se retourna tout à fait, toujours à genoux et se trouva ainsi tête à tête avec Raoul. Il lui dit:

«Je vais me suspendre par les mains à l’extrémité de la pierre et me laisser tomber dans sa maison. Ensuite, vous ferez exactement comme moi. N’ayez crainte: je vous recevrai dans mes bras.»

Le Persan fit comme il le disait; et, au-dessous de lui, Raoul entendit bientôt un bruit sourd qui était produit évidemment par la chute du Persan. Le jeune homme tressaillit dans la crainte que ce bruit ne révélât leur présence.

Cependant, plus que ce bruit, l’absence de tout autre bruit était pour Raoul un affreux sujet d’angoisse. Comment! d’après le Persan, ils venaient de pénétrer dans les murs mêmes de la demeure du Lac, et l’on n’entendait point Christine!… Pas un cri!… Pas un appel!… Pas un gémissement!… Grands dieux! arriveraient-ils trop tard?…

Raclant, de ses genoux, la muraille, s’accrochant à la pierre de ses doigts nerveux, Raoul, à son tour, se laissa tomber.

Et aussitôt il sentit une étreinte.

«C’est moi! fit le Persan, silence!» Et ils restèrent immobiles, écoutant…

Jamais, autour d’eux, la nuit n’avait été plus opaque… Jamais le silence plus pesant ni plus terrible…

Raoul s’enfonçait les ongles dans les lèvres pour ne pas hurler: «Christine! C’est moi!… Réponds-moi si tu n’es pas morte, Christine?»

Enfin, le jeu de la lanterne sourde recommença. Le Persan en dirigea les rayons au-dessus de leurs têtes, contre la muraille, cherchant le trou par lequel ils étaient venus et ne le trouvant plus…

«Oh! fit-il… la pierre s’est refermée d’elle-même.»

Et le jet lumineux de la lanterne descendit le long du mur, puis jusqu’au parquet.

Le Persan se baissa et ramassa quelque chose, une sorte de fil qu’il examina une seconde et rejeta avec horreur.

«Le fil du Pendjab! murmura-t-il.

– Qu’est-ce? demanda Raoul.

– Ça, répondit le Persan en frissonnant, ça pourrait bien être la corde du pendu que l’on a tant cherchée!…»

Et, subitement pris d’une anxiété nouvelle, il promena le petit disque rouge de sa lanterne sur les murs… Ainsi il éclaira, événement bizarre, un tronc d’arbre qui semblait encore tout vivant avec ses feuilles… et les branches de cet arbre montaient tout le long de la muraille et allaient se perdre dans le plafond.

À cause de la petitesse du disque lumineux, il était difficile d’abord de se rendre compte des choses… on voyait un coin de branches… et puis une feuille… et une autre… et à côté, on ne voyait rien du tout… rien que le jet lumineux qui semblait se refléter lui-même… Raoul glissa sa main sur ce rien du tout, sur ce reflet…

«Tiens! fit-il… le mur, c’est une glace!

– Oui! une glace!» dit le Persan, sur le ton de l’émotion la plus profonde. Et il ajouta, en passant sa main qui tenait le pistolet sur son front en sueur:

«Nous sommes tombés dans la chambre des supplices!»

XXII. Intéressantes et instructives tribulations d’un Persan dans les dessous de l’Opéra Récit du Persan…

Intéressantes et instructives tribulations d’un Persan dans les dessous de l’Opéra Récit du Persan

Le Persan a raconté lui-même, comment il avait vainement tenté, jusqu’à cette nuit-là, de pénétrer dans la demeure du Lac par le lac; comment il avait découvert l’entrée du troisième dessous, et comment, finalement, le vicomte de Chagny et lui se trouvèrent aux prises avec l’infernale imagination du fantôme dans la chambre des supplices. Voici le récit écrit qu’il nous a laissé (dans des conditions qui seront précisées plus tard) et auquel je n’ai pas changé un mot. Je le donne tel quel, parce que je n’ai pas cru devoir passer sous silence les aventures personnelles du daroga autour de la maison du Lac, avant qu’il n’y tombât de compagnie avec Raoul. Si, pendant quelques instants, ce début fort intéressant semble un peu nous éloigner de la chambre des supplices, ce n’est que pour mieux nous y amener tout de suite, après vous avoir expliqué des choses fort importantes et certaines attitudes et manières de faire du Persan, qui ont pu paraître bien extraordinaires.

«C’était la première fois que je pénétrais dans la maison du Lac, écrit le Persan. En vain avais-je prié l’amateur de trappes – c’est ainsi que, chez nous, en Perse, on appelait Érik – de m’en ouvrir les mystérieuses portes. Il s’y était toujours refusé. Moi qui étais payé pour connaître beaucoup de ses secrets et de ses trucs, j’avais en vain essayé, par ruse, de forcer la consigne. Depuis que j’avais retrouvé Érik à l’Opéra, où il semblait avoir élu domicile, souvent, je l’avais épié, tantôt dans les couloirs du dessus, tantôt dans ceux du dessous, tantôt sur la rive même du Lac, alors qu’il se croyait seul, qu’il montait dans la petite barque et qu’il abordait directement au mur d’en face. Mais l’ombre qui l’entourait était toujours trop opaque pour me permettre de voir à quel endroit exact il faisait jouer sa porte dans le mur. La curiosité, et aussi une idée redoutable qui m’était venue en réfléchissant à quelques propos que le monstre m’avait tenus, me poussèrent, un jour que je me croyais seul à mon tour, à me jeter dans la petite barque et à la diriger vers cette partie du mur où j’avais vu disparaître Érik. C’est alors que j’avais eu affaire à la Sirène qui gardait les abords de ces lieux, et dont le charme avait failli m’être fatal, dans les conditions précises que voici. Je n’avais pas plus tôt quitté la rive, que le silence parmi lequel je naviguais fut insensiblement troublé par une sorte de souffle chantant qui m’entoura. C’était à la fois une respiration et une musique; cela montait doucement des eaux du lac et j’en étais enveloppé sans que je pusse découvrir par quel artifice. Cela me suivait, se déplaçait avec moi, et cela était si suave, que cela ne me faisait pas peur. Au contraire, dans le désir de me rapprocher de la source de cette douce et captivante harmonie, je me penchai, au-dessus de ma petite barque, vers les eaux, car il ne faisait point de doute pour moi que ce chant venait des eaux elles-mêmes. J’étais déjà au milieu du lac et il n’y avait personne d’autre dans la barque que moi; la voix, car c’était bien maintenant distinctement une voix, – était à côté de moi, sur les eaux. Je me penchai… Je me penchai encore… Le lac était d’un calme parfait et le rayon de lune qui, après avoir passé par le soupirail de la rue Scribe, venait l’éclairer, ne me montra absolument rien sur sa surface lisse et noire comme de l’encre. Je me secouai un peu les oreilles dans le dessein de me débarrasser d’un bourdonnement possible, mais je dus me rendre à cette évidence qu’il n’y a point de bourdonnement d’oreilles aussi harmonieux que le souffle chantant qui me suivait et qui, maintenant, m’attirait.

Si j’avais été un esprit superstitieux ou facilement accessible aux faibles, je n’aurais point manqué de penser que j’avais affaire à quelque sirène chargée de troubler le voyageur assez hardi pour voyager sur les eaux de la maison du Lac, mais, Dieu merci! je suis d’un pays où l’on aime trop le fantastique pour ne point le connaître à fond et je l’avais moi-même trop étudié jadis: avec les trucs les plus simples, quelqu’un qui connaît son métier peut faire travailler la pauvre imagination humaine.

Je ne doutai donc point que je me trouvais aux prises avec une nouvelle invention d’Érik, mais encore une fois cette invention était si parfaite que, en me penchant au-dessus de la petite barque, j’étais moins poussé par le désir d’en découvrir la supercherie que de jouir de son charme.

Et je me penchai, je me penchai… à chavirer.

Tout à coup, deux bras monstrueux sortirent du sein des eaux et m’agrippèrent le cou, m’entraînant dans le gouffre avec une force irrésistible. J’étais certainement perdu si je n’avais eu le temps de jeter un cri auquel Érik me reconnut.

Car c’était lui, et au lieu de me noyer comme il en avait eu certainement l’intention, il nagea et me déposa doucement sur la rive.

«Vois comme tu es imprudent, me dit-il en se dressant devant moi tout ruisselant de cette eau d’enfer. Pourquoi tenter d’entrer dans ma demeure! Je ne t’ai pas invité. Je ne veux ni de toi, ni de personne au monde! Ne m’as-tu sauvé la vie que pour me la rendre insupportable? Si grand que soit le service rendu, Érik finira peut-être par l’oublier et tu sais que rien ne peut retenir Érik, pas même Érik lui-même.»

Il parlait, mais maintenant je n’avais d’autre désir que de connaître ce que j’appelais déjà le truc de la sirène. Il voulut bien contenter ma curiosité, car Érik, qui est un vrai monstre – pour moi, c’est ainsi que je le juge, ayant eu, hélas! en Perse, l’occasion de le voir à l’œuvre – est encore par certains côtés un véritable enfant présomptueux et vaniteux, et il n’aime rien tant, après avoir étonné son monde, que de prouver toute l’ingéniosité vraiment miraculeuse de son esprit.

Il se mit à rire et me montra une longue tige de roseau.

«C’est bête comme chou! me dit-il, mais c’est bien commode pour respirer et pour chanter dans l’eau! C’est un truc que j’ai appris aux pirates du Tonkin, qui peuvent ainsi rester cachés des heures entières au fond des rivières.»

Je lui parlai sévèrement.

«C’est un truc qui a failli me tuer! fis-je… et il a été peut-être fatal à d’autres!»

Il ne me répondit pas, mais il se leva devant moi avec cet air de menace enfantine que je lui connais bien.

Je ne m’en «laissai pas imposer». Je lui dis très net: «Tu sais ce que tu m’as promis, Érik! plus de crimes!

– Est-ce que vraiment, demanda-t-il en prenant un air aimable, j’ai commis des crimes?

– Malheureux!… m’écriai-je… Tu as donc oublié les heures roses de Mazenderan?

– Oui, répondit-il, triste tout à coup, j’aime mieux les avoir oubliées, mais j’ai bien fait rire la petite sultane.

– Tout cela, déclarai-je, c’est du passé… mais il y a le présent… et tu me dois compte du présent, puisque, si je l’avais voulu, il n’existerait pas pour toi!… Souviens-toi de cela, Érik: je t’ai sauvé la vie!»

Et je profitai du tour qu’avait pris la conversation pour lui parler d’une chose qui, depuis quelque temps, me revenait souvent à l’esprit.

«Érik, demandai-je… Érik, jure-moi…

– Quoi? fit-il, tu sais bien que je ne tiens pas mes serments. Les serments sont faits pour attraper les nigauds.

– Dis-moi… Tu peux bien me dire ça, à moi?

– Eh bien?

– Eh bien!… Le lustre… le lustre? Érik…

– Quoi, le lustre?

– Tu sais bien ce que je veux dire?

– Ah! ricana-t-il, ça, le lustre… je veux bien te le dire!… Le lustre, ça n’est pas moi!… Il était très usé, le lustre…»

Quand il riait, Érik était plus effrayant encore. Il sauta dans la barque en ricanant d’une façon si sinistre que je ne pus m’empêcher de trembler.

«Très usé, cher Daroga8! Très usé, le lustre… Il est tombé tout seul… Il a fait boum! Et maintenant, un conseil, Daroga, va te sécher, si tu ne veux pas attraper un rhume de cerveau!… et ne remonte jamais dans ma barque… et surtout n’essaie pas d’entrer dans ma maison… je ne suis pas toujours là… Daroga! Et j’aurais du chagrin à te dédier ma Messe des morts

Ce disant et ricanant, il était debout à l’arrière de sa barque et godillait avec un balancement de singe. Il avait bien l’air alors du fatal nocher, avec ses yeux d’or en plus. Et puis, je ne vis bientôt plus que ses yeux et enfin il disparut dans la nuit du lac.

C’est à partir de ce jour que je renonçai à pénétrer dans sa demeure par le lac! Évidemment, cette entrée-là était trop bien gardée, surtout depuis qu’il savait que je la connaissais. Mais je pensais bien qu’il devait s’en trouver une autre, car plus d’une fois j’avais vu disparaître Érik dans le troisième dessous, alors que je le surveillais et sans que je pusse imaginer comment. Je ne saurais trop le répéter, depuis que j’avais retrouvé Érik, installé à l’Opéra, je vivais dans une perpétuelle terreur de ses horribles fantaisies, non point en ce qui pouvait me concerner, certes, mais je redoutais tout de lui pour les autres9. Et quand il arrivait quelque accident, quelque événement fatal, je ne manquais point de me dire:

«C’est peut-être Érik!…» comme d’autres disaient autour de moi: «C’est le Fantôme!…» Que de fois n’ai-je point entendu prononcer cette phrase par des gens qui souriaient! Les malheureux! s’ils avaient su que ce fantôme existait en chair et en os et était autrement terrible que l’ombre vaine qu’ils évoquaient, je jure bien qu’ils eussent cessé de se moquer!… S’ils avaient su seulement ce dont Érik était capable, surtout dans un champ de manœuvre comme l’Opéra!… Et s’ils avaient connu le fin fond de ma pensée redoutable!…

Pour moi, je ne vivais plus… Bien qu’Érik m’eût annoncé fort solennellement qu’il avait bien changé et qu’il était devenu le plus vertueux des hommes, depuis qu’il était aimé pour lui-même, phrase qui me laissa sur le coup affreusement perplexe, je ne pouvais m’empêcher de frémir en songeant au monstre. Son horrible, unique et repoussante laideur le mettait au ban de l’humanité, et il m’était apparu bien souvent qu’il ne se croyait plus, par cela même, aucun devoir vis-à-vis de la race humaine. La façon dont il m’avait parlé de ses amours n’avait fait qu’augmenter mes transes, car je prévoyais dans cet événement auquel il avait fait allusion sur un ton de hâblerie que je lui connaissais, la cause de drames nouveaux et plus affreux que tout le reste. Je savais jusqu’à quel degré de sublime et de désastreux désespoir pouvait aller la douleur d’Érik, et les propos qu’il m’avait tenus – vaguement annonciateurs de la plus horrible catastrophe – ne cessaient point d’habiter ma pensée redoutable.

D’autre part, j’avais découvert le bizarre commerce moral qui s’était établi entre le monstre et Christine Daaé. Caché dans la chambre de débarras qui fait suite à la loge de la jeune diva, j’avais assisté à des séances admirables de musique, qui plongeaient évidemment Christine dans une merveilleuse extase, mais tout de même je n’eusse point pensé que la voix d’Érik – qui était retentissante comme le tonnerre ou douce comme celle des anges, à volonté – pût faire oublier sa laideur. Je compris tout quand je découvris que Christine ne l’avait pas encore vu! J’eus l’occasion de pénétrer dans la loge et, me souvenant des leçons qu’autrefois il m’avait données, je n’eus point de peine à trouver le truc qui faisait pivoter le mur qui supportait la glace, et je constatai par quel truchement de briques creuses, de briques porte-voix, il se taisait entendre de Christine comme s’il avait été à ses côtés. Par là aussi je découvris le chemin qui conduit à la fontaine et au cachot – au cachot des communards – et aussi la trappe qui devait permettre à Érik de s’introduire directement dans les dessous de la scène.

Quelques jours plus tard, quelle ne fut pas ma stupéfaction d’apprendre, de mes propres yeux et de mes propres oreilles qu’Érik et Christine Daaé se voyaient, et de surprendre le monstre, penché sur la petite fontaine qui pleure, dans le chemin des communards (tout au bout, sous la terre) et en train de rafraîchir le front de Christine Daaé évanouie. Un cheval blanc, le cheval du Prophète, qui avait disparu des écuries des dessous de l’Opéra, se tenait tranquillement auprès d’eux. Je me montrai. Ce fut terrible. Je vis des étincelles partir de deux yeux d’or et je fus, avant que j’aie pu dire un mot, frappé, en plein front, d’un coup qui m’étourdit. Quand je revins à moi, Érik, Christine et le cheval blanc avaient disparu. Je ne doutais point que la malheureuse ne fût prisonnière dans la demeure du Lac. Sans hésitation, je résolus de retourner sur la rive, malgré le danger certain d’une pareille entreprise. Pendant vingt-quatre heures je guettai, caché près de la berge noire, l’apparition du monstre, car je pensais bien qu’il devait sortir, forcé qu’il était d’aller faire ses provisions. Et à ce propos, je dois dire que, quand il sortait dans Paris ou qu’il osait se montrer en public, il mettait à la place de son horrible trou de nez, un nez de carton-pâte garni d’une moustache, ce qui ne lui enlevait point tout à fait son air macabre, puisque, lorsqu’il passait, on disait derrière lui: «Tiens, voilà le père Trompe-la-Mort qui passe», mais ce qui le rendait à peu près – je dis à peu près – supportable à voir.

J’étais donc à le guetter sur la rive du lac, – du lac Averne, comme il avait appelé, plusieurs fois, devant moi, en ricanant, son lac – et fatigué de ma longue patience, je me disais encore: Il est passé par une autre porte, celle du «troisième dessous», quand j’entendis un petit clapotis dans le noir, je vis les deux yeux d’or briller comme des fanaux, et bientôt la barque abordait. Érik sautait sur le rivage et venait à moi.

«Voilà vingt-quatre heures que tu es là, me dit-il; tu me gênes! je t’annonce que tout cela finira très mal! Et c’est bien toi qui l’auras voulu! car ma patience est prodigieuse pour toi!… Tu crois me suivre, immense niais, – (textuel) – et c’est moi qui te suis, et je sais tout ce que tu sais de moi, ici. Je t’ai épargné hier, dans mon chemin des communards; mais je te le dis, en vérité, que je ne t’y revoie plus! Tout cela est bien imprudent, ma parole! et je me demande si tu sais encore ce que parler veut dire!»

Il était si fort en colère que je n’eus garde, dans l’instant, de l’interrompre. Après avoir soufflé comme un phoque, il précisa son horrible pensée – qui correspondait à ma pensée redoutable.

«Oui, il faut savoir une fois pour toutes – une fois pour toutes, c’est dit – ce que parler veut dire! Je te dis qu’avec tes imprudences – car tu t’es fait déjà arrêter deux fois par l’ombre au chapeau de feutre, qui ne savait pas ce que tu faisais dans les dessous et qui t’a conduit aux directeurs, lesquels t’ont pris pour un fantasque Persan amateur de trucs de féerie et de coulisses de théâtre (j’étais là… oui, j’étais là dans le bureau; tu sais bien que je suis partout) – je te dis donc qu’avec tes imprudences, on finira par se demander ce que tu cherches ici… et on finira par savoir que tu cherches Érik… et on voudra, comme toi, chercher Érik… et on découvrira la maison du Lac… Alors, tant pis, mon vieux! tant pis!… Je ne réponds plus de rien!»

Il souffla encore comme un phoque.

«De rien!… Si les secrets d’Érik ne restent pas les secrets d’Érik, tant pis pour beaucoup de ceux de la race humaine! C’est tout ce que j’avais à te dire et, à moins que tu ne sois un immense niais – (textuel) – cela devrait te suffire; à moins que tu ne saches ce que parler veut dire!…»

Il s’était assis sur la partie arrière de sa barque et tapait le bois de la petite embarcation avec ses talons, en attendant ce que j’avais à lui répondre; je lui dis simplement.

«Ce n’est pas Érik que je viens chercher ici!…

– Et qui donc?

– Tu le sais bien: c’est Christine Daaé!»

Il me répliqua:

«J’ai bien le droit de lui donner rendez-vous chez moi. Je suis aimé pour moi-même.

– Ce n’est pas vrai, fis-je; tu l’as enlevée et tu la retiens prisonnière!

– Écoute, me dit-il, me promets-tu de ne plus t’occuper de mes affaires si je te prouve que je suis aimé pour moi-même?

– Oui, je te le promets, répondis-je sans hésitation, car je pensais bien que pour un tel monstre, telle preuve était impossible à faire.

– Eh bien, voilà! c’est tout à fait simple!… Christine Daaé sortira d’ici comme il lui plaira et y reviendra!… Oui, y reviendra! parce que cela lui plaira… y reviendra d’elle-même, parce qu’elle m’aime pour moi-même!…

– Oh! je doute qu’elle revienne!… Mais c’est ton devoir de la laisser partir.

– Mon devoir, immense niais! – (textuel). – C’est ma volonté… ma volonté de la laisser partir, et elle reviendra… car elle m’aime!… Tout cela, je te dis, finira par un mariage… un mariage à la Madeleine, immense niais! (textuel). Me crois-tu, à la fin? Quand je te dis que ma messe de mariage est déjà écrite… tu verras ce Kyrie…»

Il tapota encore ses talons sur le bois de la barque, dans une espèce de rythme qu’il accompagnait à mi-voix en chantant: «Kyrie!… Kyrie!… Kyrie Eleison!… Tu verras, tu verras cette messe!

– Écoute, conclus-je, je te croirai si je vois Christine Daaé sortir de la maison du Lac et y revenir librement!

– Et tu ne t’occuperas plus de mes affaires? Eh bien, tu verras cela ce soir… Viens au bal masqué. Christine et moi irons y faire un petit tour… Tu iras ensuite te cacher dans la chambre de débarras et tu verras que Christine, qui aura regagné sa loge, ne demandera pas mieux que de reprendre le chemin des communards.

– C’est entendu!»

Si je voyais cela, en effet, je n’aurais qu’à m’incliner, car une très belle personne a toujours le droit d’aimer le plus horrible monstre, surtout quand, comme celui-ci, il a la séduction de la musique et quand cette personne est justement une très distinguée cantatrice.

«Et maintenant, va-t’en! car il faut que je parte pour aller faire mon marché!…»

Je m’en allai donc, toujours inquiet du côté de Christine Daaé, mais ayant surtout, au fond de moi-même, une pensée redoutable, depuis qu’il l’avait réveillée si formidablement à propos de mes imprudences.

Je me disais: «Comment tout cela va-t-il finir?» Et, bien que je fusse assez fataliste de tempérament, je ne pouvais me défaire d’une indéfinissable angoisse à cause de l’incroyable responsabilité que j’avais prise un jour, en laissant vivre le monstre qui menaçait aujourd’hui beaucoup de ceux de la race humaine.

À mon prodigieux étonnement, les choses se passèrent comme il me l’avait annoncé. Christine Daaé sortit de la maison du Lac et y revint plusieurs fois sans qu’apparemment elle y fût forcée. Mon esprit voulut alors se détacher de cet amoureux mystère, mais il était fort difficile, surtout pour moi – à cause de la redoutable pensée – de ne point songer à Érik. Toutefois, résigné à une extrême prudence, je ne commis point la faute de retourner sur les bords du lac ni de reprendre le chemin des communards. Mais la hantise de la porte secrète du troisième dessous me poursuivant, je me rendis plus d’une fois directement dans cet endroit que je savais désert le plus souvent dans la journée. J’y faisais des stations interminables en me tournant les pouces et caché par un décor du Roi de Lahore, qu’on avait laissé là, je ne sais pas pourquoi, car on ne jouait pas souvent le Roi de Lahore. Tant de patience devait être récompensée. Un jour, je vis venir à moi, sur ses genoux, le monstre. J’étais certain qu’il ne me voyait pas. Il passa entre le décor qui se trouvait là et un portant, alla jusqu’à la muraille et agit, à un endroit que je précisai de loin, sur un ressort qui fit basculer une pierre, lui ouvrant un passage. Il disparut par ce passage et la pierre se referma derrière lui. J’avais le secret du monstre, secret qui pouvait, à mon heure, me livrer la demeure du Lac.

Pour m’en assurer, j’attendis au moins une demi-heure et fis, à mon tour, jouer le ressort. Tout se passa comme pour Érik. Mais je n’eus garde de pénétrer moi-même dans le trou, sachant Érik chez lui. D’autre part, l’idée que je pouvais être surpris ici par Érik me rappela soudain la mort de Joseph Buquet et, ne voulant point compromettre une pareille découverte, qui pouvait être utile à beaucoup de monde, à beaucoup de ceux de la race humaine, je quittai les dessous du théâtre, après avoir soigneusement remis la pierre en place, suivant un système qui n’avait point varié depuis la Perse.

Vous pensez bien que j’étais toujours très intéressé par l’intrigue d’Érik et de Christine Daaé, non point que j’obéisse en la circonstance à une maladive curiosité, mais bien à cause, comme je l’ai déjà dit, de cette pensée redoutable qui ne me quittait pas: «Si, pensais-je, Érik découvre qu’il n’est pas aimé pour lui-même, nous pouvons nous attendre à tout.» Et, ne cessant d’errer – prudemment – dans l’Opéra, j’appris bientôt la vérité sur les tristes amours du monstre. Il occupait l’esprit de Christine par la terreur, mais le cœur de la douce enfant appartenait tout entier au vicomte Raoul de Chagny. Pendant que ceux-ci jouaient tous deux, comme deux innocents fiancés, dans les dessus de l’Opéra – fuyant le monstre – ils ne se doutaient pas que quelqu’un veillait sur eux. J’étais décidé à tout: à tuer le monstre s’il le fallait et à donner des explications ensuite à la justice. Mais Érik ne se montra pas – et je n’en étais pas plus rassuré pour cela.

Il faut que je dise tout mon calcul. Je croyais que le monstre, chassé de sa demeure par la jalousie, me permettrait ainsi de pénétrer sans péril dans la maison du Lac, par le passage du troisième dessous. J’avais tout intérêt, pour tout le monde, à savoir exactement ce qu’il pouvait bien y avoir là-dedans! Un jour, fatigué d’attendre une occasion, je fis jouer la pierre et aussitôt j’entendis une musique formidable; le monstre travaillait, toutes portes ouvertes chez lui, à son Don Juan triomphant. Je savais que c’était là l’œuvre de sa vie. Je n’avais garde de bouger et je restai prudemment dans mon trou obscur. Il s’arrêta un moment de jouer et se prit à marcher à travers sa demeure, comme un fou. Et il dit tout haut, d’une voix retentissante: «Il faut que tout cela soit fini avant! Bien fini!» Cette parole n’était pas encore pour me rassurer et, comme la musique reprenait, je fermai la pierre tout doucement. Or, malgré cette pierre fermée, j’entendais encore un vague chant lointain, lointain, qui montait du fond de la terre, comme j’avais entendu le chant de la sirène monter du fond des eaux. Et je me rappelai les paroles de quelques machinistes dont on avait souri au moment de la mort de Joseph Buquet: «Il y avait autour du corps du pendu comme un bruit qui ressemblait au chant des morts.»

Le jour de l’enlèvement de Christine Daaé, je n’arrivai au théâtre qu’assez tard dans la soirée et tremblant d’apprendre de mauvaises nouvelles. J’avais passé une journée atroce, car je n’avais cessé, depuis la lecture d’un journal du matin annonçant le mariage de Christine et du vicomte de Chagny, de me demander si, après tout, je ne ferais pas mieux de dénoncer le monstre. Mais la raison me revint et je restai persuadé qu’une telle attitude ne pouvait que précipiter la catastrophe possible.

Quand ma voiture me déposa devant l’Opéra, je regardai ce monument comme si j’étais étonné, en vérité, de le voir encore debout!

Mais je suis, comme tout bon Oriental, un peu fataliste et j’entrai, m’attendant à tout!

L’enlèvement de Christine Daaé à l’acte de la prison, qui surprit naturellement tout le monde, me trouva préparé. C’était sûr qu’Érik l’avait escamotée, comme le roi des prestidigitateurs qu’il est, en vérité. Et je pensai bien que cette fois c’était la fin pour Christine et peut-être pour tout le monde.

Si bien qu’un moment je me demandai si je n’allais pas conseiller à tous ces gens, qui s’attardaient au théâtre, de se sauver. Mais encore je fus arrêté dans cette pensée de dénonciation, par la certitude où j’étais que l’on me prendrait pour un fou. Enfin, je n ignorais pas que si, par exemple. je criais pour faire sortir tous ces gens: «Au feu!» je pouvais être la cause d’une catastrophe, étouffements dans la fuite, piétinements, luttes sauvages. – pire que la catastrophe elle-même.

Toutefois, je me résolus à agir sans plus tarder, personnellement. Le moment me semblait, du reste, propice. J’avais beaucoup de chances pour qu’Érik ne songeât, à cette heure, qu’à sa captive. Il fallait en profiter pour pénétrer dans sa demeure par le troisième dessous et je pensai, pour cette entreprise, à m’adjoindre ce pauvre petit désespéré de vicomte, qui, au premier mot, accepta avec une confiance en moi qui me toucha profondément; j’avais envoyé chercher mes pistolets par mon domestique. Darius nous rejoignit avec la boite dans la loge de Christine. Je donnai un pistolet au vicomte et lui conseillai d’être prêt à tirer comme moi-même, car, après tout, Érik pouvait nous attendre derrière le mur. Nous devions passer par le chemin des communards et par la trappe.

8.Daroga, en Perse, commandant général de la police du gouvernement.
9.Ici le Persan aurait pu avouer que le sort d’Érik l’intéressait également pour lui-même, car il n’ignorait point que si le gouvernement de Téhéran eût appris qu’Érik était encore vivant, c’en était fait de la modeste pension de l’ancien Daroga. Il est juste, du reste, d’ajouter que le Persan avait un cœur noble et généreux et nous ne doutons point que les catastrophes qu’il redoutait pour les autres n’aient occupé fortement son esprit. Sa conduite, du reste, dans toute cette affaire, le prouve suffisamment et est au-dessus de tout éloge.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
380 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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