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Kitabı oku: «Le fauteuil hanté», sayfa 3

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(Car certainement, c'était elle que la vieille Babette avait poursuivie si ardemment, de toute la vitesse de ses galoches, sur les trottoirs, jusqu'au fond de la nuit.) Pourquoi la boîte était-elle revenue sous le réverbère d'en face, avec cette barbe impénétrable, et ces petits yeux papillotants?…

–On va bien voir ce qu'il va faire… avait dit Babette…

Mais il ne faisait rien que regarder…

–Attendez! souffla la servante… attendez!

Et, avec mille précautions, elle se dirigea vers la porte de la cuisine… Évidemment, elle allait recommencer sa chasse…

Ah! elle était brave, malgré sa peur!…

M. le secrétaire perpétuel avait, un instant, quitté des yeux la boîte immobile sur le trottoir pour suivre les mouvements de Babette; quand il regarda à nouveau dans la rue, la boîte avait disparu.

–Oh! Il est parti, fit-il.

Babette revint près de la fenêtre. Elle regarda, elle aussi, dans la rue…

–Plus rien! gémit-elle. Il me fera mourir de peur!… Si jamais je tiens sa barbe dans mes doigts crochus!…

–Qu'est-ce qu'il veut?… demanda à tout hasard M. le secrétaire perpétuel.

–Il faut le lui demander, monsieur le Perpétuel! il faut le lui demander!… Mais il ne se laisse pas approcher… Il est plus fuyant qu'une ombre… et puis, vous savez, moi, je suis de Rodez! et les vielleux ça porte malheur!

–Ah! fit M. le Perpétuel en touchant le manche de son parapluie… Et pourquoi?

Babette, pendant qu'elle se signait, prononça à voix très basse:

–La Bancal…

–Quoi? La Bancal?

–…La Bancal avait fait venir des vielleux qui jouaient de la musique dans la rue, pour qu'on ne l'entende pas assassiner ce pauvre M. Fualdès… C'est pourtant bien connu ça… monsieur le Perpétuel.

–Oui, oui, je sais… en effet, l'affaire Fualdès… Mais je ne vois pas…

–Vous ne voyez pas?… Mais entendez-vous? Entendez-vous?

Et la Babette, penchée dans un geste tragique, l'oreille collée au carreau, semblait entendre des choses qui n'arrivaient point jusqu'à M. Hippolyte Patard, ce qui n'empêcha point celui-ci de se lever dans une grande agitation.

–Vous allez me conduire auprès de M. Martin Latouche, tout de suite, fit-il en s'efforçant de montrer quelque autorité.

Mais la Babette était retombée sur sa chaise…

–Je suis folle! fit-elle… J'avais cru… mais ce n'est pas possible des choses pareilles… vous n'avez rien entendu, vous, monsieur le Perpétuel?

–Non, rien du tout…

–Oui… je deviendrai folle avec ce vielleux qui ne nous quitte plus.

–Comment cela? Il ne vous quitte plus.

–Eh! en plein jour dans le moment qu'on s'y attend le moins, on le trouve dans la cour… Je le chasse… Je le retrouve dans l'escalier… Dans un coin de porte, n'importe où… Tout lui est bon pour cacher sa boîte à musique… Et la nuit, il rôde sous nos fenêtres…

–Voilà, en effet, qui n'est pas naturel, prononça M. le secrétaire perpétuel.

–Vous voyez bien!… Je ne vous le fais pas dire…

–Il y a longtemps qu'il rôde par ici?

–Depuis trois mois environ…

–Tant de temps que ça?…

–Oh! il est quelquefois des semaines sans reparaître…

Tenez la première fois que je l'ai vu, c'était le jour…

Et la Babette s'arrêta.

–Eh bien? interrogea Patard, frappé de ce silence subit.

La vieille servante murmura:

–Il y a des choses que je ne dois pas dire… mais, tout de même, monsieur le Perpétuel, le vielleux nous est venu dans le temps que M. Latouche s'est présenté à votre Académie… même que je lui ai dit: c'est pas bon signe! Et c'est justement dans le temps que les autres sont morts. Et quand on reparle de votre Académie, c'est toujours dans ce temps-là qu'il revient… Non, non, tout ça, c'est pas naturel… Mais je peux rien vous dire…

Et elle secoua la tête avec énergie. M. Patard était maintenant fort intrigué. Il se rassit. Babette reprenait, comme se parlant à elle-même:

–Il y a des fois que je me raisonne… Je me dis que c'est une idée comme ça. Rodez, quand on voyait, de mon temps, un vielleux, on se signait, et les petits enfants lui jetaient des pierres… et il se sauvait.

Et elle ajouta, pensive:

–Mais celui-là, il revient toujours.

–Vous disiez que vous ne pouviez rien me dire, insinua M. Patard; est-ce qu'il s'agit des vielleux?

–Oh! Il n'y a pas que les vielleux…

Mais elle secoua encore la tête, comme pour chasser l'envie qui la tenaillait de parler. Plus elle secouait la tête, plus M. Patard désirait que la vieille Babette parlât.

Il dit, résolu à frapper un grand coup:

–Après tout, ces morts-là… ne sont peut-être pas si naturelles qu'on pourrait le croire… Et si vous savez quelque chose, madame, vous serez plus coupable que nous tous… de tout ce qui pourra arriver.

La Babette joignit les mains comme en prière…

–J'ai juré sur le bon Dieu, fit-elle.

M. Patard se leva tout droit.

–Conduisez-moi, madame, auprès de votre maître.

La Babette sursauta:

–Alors, c'est bien fini? implora-t-elle.

–Quoi donc? interrogea d'une voix un peu rude M. le secrétaire perpétuel.

–Je vous demande: c'est bien fini? vous l'avez élu de votre Académie… il en est… et il dira des compliments à votre Mgr d'Abbeville?

–Mais oui, madame.

–Et il fera son compliment… devant tout le monde?

–Certainement.

–Comme les deux autres.

–Comme les deux autres?… Il le faut bien!

Mais ici la voix de M. le secrétaire perpétuel n'était plus rude du tout… Elle tremblait même un peu.

–Eh bien, vous êtes des assassins! fit la Babette, tranquillement, avec un grand signe de croix, et elle continua:

–…Mais je ne laisserai pas assassiner M. Latouche, et je le sauverai malgré lui… malgré ce que j'ai juré… Monsieur le Perpétuel, asseyez-vous… je vais tout vous dire.

Et elle se jeta à genoux sur le carreau.

–J'ai juré sur mon salut, et je manque à mon serment… Mais le bon Dieu qui lit dans mon cœur me pardonnera. Voilà exactement ce qui est arrivé…

M. Patard écoutait avidement la Babette, en regardant vaguement, par le volet entrouvert, dans la rue… Il vit que le vielleux était revenu et qu'il levait ses yeux papillotants en l'air fixant quelque chose au-dessus de la tête de M. Patard, vers le premier étage de la maison. M. Patard tressaillit. Toutefois, il resta assez maître de lui pour ne point révéler, par quelque mouvement brusque, à la Babette ce qui se passait dans la rue… Et elle ne fut pas interrompue dans son récit.

A genoux, elle ne pouvait rien voir. Et elle n'essayait de rien voir. Elle parlait douloureusement, en soupirant, et d'une seule traite, comme à confesse… pour être plus tôt débarrassée du poids qui pesait sur sa conscience.

–Il est donc arrivé que deux jours après que vous n'avez pas voulu de mon maître à votre Académie (car à ce moment-là, vous n'en avez pas voulu, et vous avez pris à sa place un M. Mortimar comme vous avez pris après le M. d'Aulnay), eh bien, un après-midi que je devais m'absenter et où j'étais restée cependant à ma cuisine, sans que M. Latouche en sache rien, j'ai vu arriver un monsieur qui a trouvé tout seul le chemin de l'escalier pour monter chez mon maître, et qui s'est enfermé avec lui. Je ne l'avais jamais vu. Cinq minutes plus tard, un autre monsieur que je ne connaissais pas non plus, est arrivé à son tour… et il est monté comme l'autre, rapidement, comme s'il avait peur qu'on l'aperçoive… et je l'ai entendu frapper à la porte de la bibliothèque qui a été ouverte tout de suite, et, maintenant, ils étaient trois dans la bibliothèque: M. Latouche et les deux inconnus.

«… Une heure, deux heures se sont passées comme ça… La bibliothèque est juste au-dessus de la cuisine… Ce qui m'étonnait le plus, c'est que je ne les entendais même pas marcher… On n'entendait rien de rien… Ça m'intriguait trop, et, je l'avoue, je suis curieuse. M. Latouche ne m'avait point parlé de ces visites-là… Je suis montée à mon tour, et j'ai collé mon oreille à la porte de la bibliothèque. On n'entendait rien… Ma foi, j'ai frappé, on ne m'a pas répondu… j'ai ouvert la porte… il n'y avait personne là-dedans… Comme il n'y a qu'une porte, la porte du petit bureau qui donne dans la bibliothèque, en dehors de la porte d'entrée, je suis allée à cette porte-là; mais j'étais plus étonnée, en y allant, que de tout le reste… car jamais, jamais je ne suis entrée dans le petit bureau de M. Latouche. Et jamais mon maître n'y a reçu personne; c'est une manie qu'il a, le brave homme; c'est là qu'il écrit, et pour être sûr de n'être pas dérangé, quand il est là-dedans… c'est comme s'il était dans un tombeau. Souvent, il m'a cédé sur bien des choses que je lui demandais raisonnablement, mais jamais il ne m'a cédé là-dessus. Il avait fait faire une clef spéciale, et pas plus moi qu'une autre, je n'ai jamais pu entrer dans le petit bureau. Là-dedans, il faisait son ménage lui-même. Il me disait: «Ce coin-là est à moi Babette, tout le reste t'appartient pour frotter et nettoyer.» Et voilà qu'il était enfermé là-dedans avec deux hommes que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam…

«Alors, j'ai écouté… j'ai essayé, à travers la porte, de comprendre ce qui se passait, ce qui se disait. Mais on parlait très bas et j'enrageais de ne pas saisir… A la fin, j'ai cru comprendre qu'il y avait une discussion qui n'allait pas toute seule… Et tout à coup, mon maître, élevant la voix, a dit, et cela je l'ai entendu distinctement: «Est-ce bien possible? Il n'aurait pas de plus grand crime au monde!» Ça, je l'ai entendu!… de mes oreilles… C'est tout ce que j'ai entendu…

«J'en étais encore abasourdie… quand la porte s'est ouverte; les deux inconnus se sont jetés sur moi… «Ne lui faites pas de mal! s'est écrié M. Latouche qui refermait soigneusement la porte de son petit bureau… J'en réponds comme de moi-même!» Et il est venu à moi et m'a dit: «Babette, on ne te questionnera pas; tu as entendu ou tu n'as pas entendu!»

«Mais tu vas te mettre à genoux et jurer sur le bon Dieu que tu ne parleras jamais à âme qui vive de ce que tu as pu entendre et de ce que tu as vu! Je te croyais sortie, tu n'as donc pas vu ces deux messieurs venir chez moi. Tu ne les connais pas. Jure cela, Babette.»

Je regardais mon maître. Je ne lui avais jamais vu une figure pareille. Lui ordinairement si doux—j'en fais ce que je veux—la colère l'avait transformé. Il en tremblait! Les deux inconnus étaient penchés au-dessus de moi avec des figures de menaces. Je suis tombée à genoux, et j'ai juré tout ce qu'ils ont voulu… Alors, ils sont partis… l'un après l'autre, en regardant dans la rue avec précaution… J'étais redescendue plus morte que vive, dans la cuisine, et je les regardais s'éloigner, quand j'ai aperçu… justement… pour la première fois… le vielleux!… Il était debout, comme tout à l'heure, sous le réverbère… J'ai fait le signe de la croix… le malheur était sur la maison.»

M. le secrétaire perpétuel, tout en écoutant de toutes ses oreilles la vieille Babette, avait suivi des yeux les mouvements du vielleux. Et il n'avait pas été peu impressionné de le voir faire, au-dessus de sa boîte, des signes mystérieux… enfin, une fois encore, la boîte qui marche s'était évanouie dans la nuit.

La Babette s'était relevée.

–J'ai fini, répéta-t-elle. Le malheur était sur la maison.

–Et ces hommes, demanda M. Patard, que le récit de la gouvernante inquiétait au-delà de toute expression… Ces hommes, vous les avez revus?

–Il y en a un que je n'ai jamais revu, monsieur le Perpétuel, parce qu'il est mort. J'ai vu sa photographie dans les journaux… C'est ce M. Mortimar.

M. le Perpétuel bondit.

–Mortimar… Et l'autre, l'autre?

–L'autre? J'ai vu aussi sa photographie dans les journaux… C'était M. d'Aulnay!…

–M. d'Aulnay!… Et vous l'avez revu, celui-là?

–Oui… celui-là… je l'ai revu… Il est revenu ici la veille de sa mort, monsieur le Perpétuel.

–La veille de sa mort… Avant-hier?

–Avant-hier!… Ah! je ne vous ai pas tout dit! Il le faut!…

Et il n'était pas plus tôt arrivé, que je retrouvais le vielleux dans la cour!… Aussitôt qu'il m'a eu vue, il s'est sauvé comme toujours… Mais j'ai pensé aussitôt: «Mauvais signe, mauvais signe!…» Monsieur le Perpétuel, ma grand-tante me le disait toujours: «Babette, méfie-toi des vielleux!…» Et ma grand-tante, qui avait atteint un grand âge, monsieur le Perpétuel, s'y connaissait pour ça… Elle habitait juste en face de La Bancal, dans mon pays natal, à Rodez, la nuit qu'ils ont assassiné le Fualdès… et elle a entendu l'air du crime… l'air que les joueux d'orgue et les vielleux «tournaient» dans la rue, pendant que sur la table, La Bancal et Bastide et les autres coupaient la gorge au pauvre homme… C'était un air… qui lui est toujours resté dans les oreilles… à la pauvre vieille, et qu'elle m'a chanté autrefois, en grand secret, tout bas, pour ne compromettre personne… un air… un air…

Et la Babette s'était soudain dressée avec des gestes d'automate… Son visage, éclairé par la lueur rouge et pâlotte du réverbère d'en face, exprimait la plus indicible terreur… Son bras tendu montrait la rue d'où une ritournelle lente, lointaine, désespérément mélancolique venait.

–Cet air-là!… râla-t-elle. Tenez… c'était cet air-là!

IV. Martin Latouche

Aussitôt, on entendit, dans la pièce qui se trouvait juste au-dessus de la cuisine, un grand fracas, un bruit de meubles que l'on renverse, comme une vraie bataille. Le plafond en était retentissant.

La Babette hurla:

–On l'assassine!… Au secours!…

Et elle bondit vers l'âtre, y saisit un tisonnier et se rua hors de la cuisine, traversant la voûte, escaladant les degrés qui conduisaient au premier étage.

M. Hippolyte Patard avait murmuré:

–Mon Dieu!…

Et il était resté là, les tempes battantes, anéanti par l'effroi, brisé par l'horreur de la situation, cependant que dans la rue la ritournelle maudite, l'air banal, historique et terrible prolongeait tranquillement son rythme complice de quelque nouveau forfait… musique du diable qui avait toujours empêché d'entendre les cris de ceux que l'on égorge… et qui arrivait maintenant toute seule, couvrant tout autre bruit, jusqu'aux oreilles bourdonnantes de M. Hippolyte Patard… jusqu'à son cœur glacé.

Il put croire qu'il allait s'évanouir.

Mais la honte qu'il conçut soudain de sa pusillanimité le retint sur le bord de cet abîme obscur où l'âme humaine, prise de vertige, se laisse choir. Il se souvint à temps qu'il était le secrétaire perpétuel de l'Immortalité, et ayant fait, pour la seconde fois dans cette soirée mouvementée, le sacrifice de sa misérable vie, il se livra à un grand effort moral et physique qui le conduisit, quelques secondes plus tard, armé, à gauche, d'un parapluie, à droite, d'une paire de pincettes, devant une porte du premier étage que la Babette ébranlait à grands coups de tisonnier… et qui, du reste, s'ouvrit tout de suite.

–Tu es toujours aussi toquée, ma pauvre Babette? fit une voix frêle, mais paisible.

Un homme d'une soixantaine d'années, d'apparence encore robuste, aux cheveux grisonnants qui bouclaient, à la belle barbe blanche, encadrant une figure rose et poupine, aux yeux doux, était sur le seuil de la porte, tenant une lampe.

C'était Martin Latouche.

Aussitôt qu'il aperçut M. Hippolyte Patard entre ses pincettes et son parapluie, il ne put retenir un sourire:

–Vous, monsieur le secrétaire perpétuel! Que se passe-t-il donc? demanda-t-il en s'inclinant avec respect.

–Eh! monsieur! c'est nous qui vous le demandons! s'écria la Babette en jetant son tisonnier C'est-il Dieu possible de faire un bruit pareil! Nous avons cru qu'on vous assassinait!… Avec ça que le vielleux est en train de «tourner» l'air du Fualdès dans la rue, sous nos fenêtres…

–Le vielleux ferait mieux d'aller se coucher!… répondit tranquillement Martin Latouche, et toi aussi, ma bonne Babette!… (Et, se tournant vers M. Patard:) Monsieur le secrétaire perpétuel, je serais bien curieux de savoir ce qui me vaut, à cette heure, le grand honneur de votre visite…

Ce disant, Martin Latouche avait fait entrer M. Patard dans la bibliothèque et l'avait débarrassé de sa paire de pincettes. La Babette avait suivi.

Elle regardait partout.

Tous les meubles étaient en ordre… les tables, les casiers occupaient leur place accoutumée…

–Mais enfin, M. le Perpétuel et moi, nous n'avons pas rêvé! déclara-t-elle. On aurait dit qu'on se battait ici ou qu'on déménageait…

–Rassure-toi, Babette… c'est moi, dans le petit bureau, qui ai remué maladroitement un fauteuil… Et maintenant, dis-nous bonsoir!

La Babette regarda avec méfiance la porte du petit bureau, cette porte qui ne s'était jamais ouverte pour elle, et elle soupira:

–On s'est toujours méfié de moi, ici!

–Va-t'en, Babette!…

–On dit qu'on ne veut plus de l'Académie…

–Babette, veux-tu t'en aller!

–Et on en est tout de même…

–Babette!

–On écrit des lettres qu'on ne met pas à la poste…

–Monsieur le secrétaire perpétuel, cette vieille servante est insupportable!…

–On s'enferme à deux tours de clef dans sa bibliothèque et on ne vous ouvre que quand on a à demi défoncé la porte!…

–Je ferme ce que je veux!… Et j'ouvre quand je veux!… Je suis le maître ici!…

–Ce n'est pas ce qu'on discute… on est toujours le maître de faire des bêtises…

–Babette!… En voilà assez!…

–…de recevoir en secret des inconnus…

–Hein?

–…des inconnus de l'Académie…

–Babette, il n'y a pas d'inconnus à l'Académie!…

–Oh! ceux-là ne sont connus, ma foi, que parce qu'ils y sont morts!…

La servante n'avait pas plus tôt prononcé ces derniers mots que ce grand doux homme de Martin Latouche lui avait sauté à la gorge.

–Tais-toi!…

C'était la première fois que Martin Latouche se livrait à des voies de fait sur sa servante.

Il regretta aussitôt son geste, et fut particulièrement honteux devant M. Hippolyte Patard et s'excusa:

–Je vous demande pardon, dit-il, en essayant de dompter l'émotion, qui, visiblement, l'étreignait, mais cette vieille folle de Babette a, ce soir le don de m'exaspérer. Et il y a des moments où les plus calmes… Ah! l'entêtement des femmes est terrible!… Asseyez-vous donc, monsieur…

Et Martin Latouche présenta à M. Patard un fauteuil qui tournait son dossier à Babette, et lui-même tourna le dos à Babette. On allait essayer d'oublier qu'elle était là, puisqu'elle ne voulait pas s'en aller.

–Monsieur, fit la Babette tout à coup, après ce que vous venez de faire, je peux m'attendre à tout et vous allez peut-être me tuer. Mais j'ai tout dit à M. le Perpétuel.

Martin Latouche se retourna d'un seul coup. A ce moment, sa tête était entièrement dans l'ombre et M. Hippolyte Patard ne put lire sur ce visage obscur les sentiments qui l'animaient mais la main de l'homme, qui s'appuyait sur la table, tremblait. Et Martin Latouche fut quelques secondes sans pouvoir prononcer une parole. Enfin, dominant son émoi, il prononça, d'une voix altérée:

–Qu'est-ce que vous avez dit à M. le secrétaire perpétuel, Babette?

C'était la première fois qu'il disait «vous» à la vieille gouvernante, devant M. Patard. Celui-ci le remarqua, comme un signe certain de la gravité de la situation.

–J'ai dit que MM. Mortimar et d'Aulnay étaient venus trouver Monsieur ici, qu'ils s'étaient enfermés avec Monsieur dans le petit bureau, avant d'aller mourir en faisant des compliments à l'Académie.

–Vous aviez juré de vous taire, Babette.

–Oui, mais je n'ai parlé que pour sauver Monsieur… car si je n'y prenais garde, Monsieur irait mourir là-bas comme les autres.

–Bien, fit la voix cassée de Martin Latouche. Et qu'est-ce que vous avez encore dit à M. le secrétaire perpétuel?

–Je lui ai dit ce que j'avais entendu en écoutant derrière la porte du petit bureau.

–Babette! écoute-moi bien! reprit Martin Latouche qui cessa dans l'instant de dire «vous» à la gouvernante pour la tutoyer à nouveau, ce qui parut plus grave encore à M. Patard, Babette, je ne t'ai jamais demandé ce que tu avais entendu derrière la porte… est-ce vrai?…

–C'est vrai! mon maître…

–Tu avais juré de l'oublier, et je ne t'ai pas questionnée, parce que je croyais la chose inutile; mais puisque tu te souviens de ce que tu as entendu… tu vas me dire à moi ce que tu as dit à M. le secrétaire perpétuel.

–C'est trop juste, Monsieur je lui ai dit que j'avais entendu votre voix qui disait: «Non! Non! ça n'est pas possible! Il n'aurait pas de plus grand crime au monde!»

Après cette déclaration de Babette, Martin Latouche ne dit rien. Il paraissait réfléchir. Sa main n'était plus sur la table, et du reste, on ne le voyait plus du tout. Il avait reculé jusque dans le coin le plus noir de la pièce. Et M. Patard fut encore plus effrayé par le silence écrasant qui régnait alors dans la vieille demeure que par le bruit que faisait tout à l'heure la ritournelle du vielleux dans la rue. On n'entendait plus le vielleux. On n'entendait plus personne… rien.

Enfin, Martin Latouche dit:

–Tu n'as rien entendu d'autre, Babette, et tu n'as rien dit d'autre!

–Rien, mon maître!…

–Je n'ose plus te dire de le jurer; c'est bien inutile.

–Si j'avais entendu autre chose, je l'avais dit à M. le Perpétuel, car je veux vous sauver. Si je ne lui en ai pas dit davantage, c'est que je n'en ai pas entendu davantage…

Martin Latouche fit alors, à la grande stupéfaction de la servante et de M. Patard, entendre un bon gros rire clair Il s'avança vers Babette et lui tapota la joue:

–Allons! on a voulu te faire peur, vieille bête! Tu es une brave fille, je l'aime bien, mais j'ai à causer avec M. le secrétaire perpétuel; à demain, Babette.

–A demain, Monsieur!… Et que Dieu vous garde! j'ai fait mon devoir. Elle salua fort cérémonieusement M. Patard et s'en alla, fermant soigneusement la porte de la bibliothèque.

Martin Latouche écouta son pas descendre l'escalier; puis, revenant à M. Hippolyte Patard, il lui dit, sur un ton plaisantin:

–Ah! ces vieilles servantes!… c'est bien dévoué, mais parfois c'est bien encombrant. Elle a dû vous en conter, des histoires!… Elle est un brin toquée, vous savez!… Ces deux morts à l'Académie lui ont brouillé la cervelle…

–Il faut l'excuser, répliqua Hippolyte Patard… Il y en a d'autres à Paris qui ont plus d'instruction qu'elle et qui en sont encore tout affolés. Mais je suis heureux, mon cher collègue, de voir qu'un si déplorable événement, qu'une aussi affreuse coïncidence…

–Oh! moi, je ne suis pas superstitieux, vous savez!…

–Sans être superstitieux… murmura le pauvre Patard, qui restait profondément ému de tous les cris et de toutes les terreurs de Babette…

–Monsieur le secrétaire perpétuel, j'ai entendu, ici même, comme vous l'a raconté ma vieille folle de gouvernante, M. Maxime d'Aulnay, l'avant-veille de sa mort; je puis vous dire, en toute confidence, qu'il avait été très frappé du décès subit de M. Mortimar après les menaces publiques de cet Eliphas… M. Maxime d'Aulnay avait une maladie de cœur…

Quand il a reçu, comme M. Mortimar la lettre envoyée certainement par quelque sinistre plaisant, il a dû ressentir un coup terrible, malgré sa bravoure apparente. Avec une embolie, il n'en faut pas davantage…

M. Hippolyte Patard se leva; sa poitrine dilatée se gonfla d'air et il poussa un de ces soupirs qui semblent rendre la vie aux plongeurs qui ont disparu, un temps anormal, sous les eaux.

–Ah! monsieur Martin Latouche! dit-il, quel soulagement de vous entendre parler ainsi!… Je ne vous cache pas qu'avec toutes les histoires de votre Babette, je commençais moi même à douter de la simple vérité qui doit cependant crever les yeux à tout homme de bon sens!…

–Oui! oui! ricana doucement Martin Latouche… je vois ça d'ici… le vielleux!… les souvenirs de l'affaire Fualdès… mes rendez-vous avec MM. Mortimar et d'Aulnay… leur mort qui s'ensuit… les phrases terribles prononcées dans mon petit bureau mystérieux…

–C'est vrai! interrompit Hippolyte Patard… je ne savais plus que penser…

M. Martin Latouche prit les mains de M. le secrétaire perpétuel, dans un geste de grande confiance et de subite amitié…

–Monsieur le secrétaire perpétuel, fit-il, je vais vous prier d'entrer dans mon petit bureau mystérieux…

Et il lui sourit. Il continua:

–Il faut que vous connaissiez tous mes secrets… je veux vous les confier à vous… qui êtes un vieux garçon, comme moi… vous me comprendrez!… Et, sans trop me plaindre, vous en sourirez!…

Et Martin Latouche, entraînant M. le secrétaire perpétuel, arriva à la petite porte du petit mystérieux bureau, qu'il ouvrit avec un clef spéciale, «une clef qui ne le quittait jamais», dit-il.

–Voilà la caverne! fit cet honnête homme en poussant la porte.

C'était une pièce de quelques mètres carrés. La fenêtre en était encore ouverte et, sur le parquet, une table et un fauteuil étaient renversés, et des papiers, des objets divers avaient roulé partout dans un grand désordre. Une lampe sur un piano éclairait à peu près les murs où étaient suspendus les instruments de musique les plus bizarres. M. Hippolyte Patard, au centre de tout ce bric-à-brac, ouvrait de grands yeux inquiets.

Quant à Martin Latouche, après avoir refermé la porte à clef, il était allé à la fenêtre. Il regarda au-dehors, un instant, puis referma aussi cette fenêtre.—Cette fois, je crois bien qu'il est parti, dit-il. Il a compris que ce soir encore, il n'aurait rien à faire!…

–De qui parlez-vous? demanda M. Hippolyte Patard qui était à nouveau fort peu rassuré.

–Eh! mais du vielleux! comme dit ma Babette.

Et, tranquillement, il remit la table et le fauteuil sur leurs pieds, puis il sourit, de toute sa bonne figure enfantine, à M. le secrétaire perpétuel, et lui dit, à voix basse:

–Voyez-vous, monsieur le secrétaire perpétuel, ici, je suis vraiment chez moi!… Ça n'est pas aussi bien rangé que dans les autres pièces, mais la Babette n'a pas le droit d'y mettre les pieds!… C'est là que je cache mes instruments de musique, toute ma collection… Si Babette savait jamais!… elle mettrait tout cela au feu!… Oui, oui! ma parole!… au feu!… Et ma vieille lyre du Nord et ma harpe de ménestrel qui date ni plus ni moins que du XVe siècle… Et mon nabulon!

Et mon psaltérion… Et ma guiterne!… Ah! monsieur le secrétaire perpétuel, avez-vous vu ma guiterne?… Regardez-la!… et mon archiluth!… Et mon théorbe!… Tout au feu! au feu!… Et ma mandore!… Ah! vous regardez ma guiterne!… c'est la plus vieille guitare qu'on connaisse, savez-vous bien!… Eh bien, elle aurait jeté tout cela au feu!… Oui! oui!… c'est comme je vous le dis!… ah! elle n'aime pas la musique!…

Et Martin Latouche poussa un soupir à fendre le cœur de M. Hippolyte Patard…

–Et tout ça… continua le vieux mélomane, tout ça à cause qu'elle a été élevée dans toute cette sotte histoire de Fualdès… Dans notre jeunesse, à Rodez!… on ne parlait encore que de ça! les vielleux qui tournaient leur manivelle devant La Bancal pendant qu'on assassinait ce pauvre monsieur!…

La Babette, monsieur le secrétaire perpétuel, n'a jamais pu voir un instrument de musique… vous ne saurez jamais… jamais toutes les imaginations qu'il m'a fallu pour faire entrer ici ces instruments-là… Tenez! en ce moment, je veux acheter un orgue de Barbarie!… c'est comme cela qu'on les appelle, mais c'est un des plus vieux orgues de Barbarie qui soient!… Figurez-vous que c'est une veine de l'avoir découvert!… Le pauvre diable qui moud de la musique avec cet instrument ne se doute pas du trésor qu'il a dans la main… je l'ai rencontré au coin du Pont-Neuf et du quai, un soir, vers quatre heures… Le bonhomme demandait l'aumône… je suis honnête homme… je lui ai proposé cinq cents francs de sa vieille boîte… L'affaire a été conclue tout de suite, vous pensez bien!… Cinq cents francs!… une fortune pour lui, et pour moi! Je n'ai pas voulu le voler tout à fait… je lui ai promis ce que j'avais… Mais ce qui n'a pas été facile à arranger, c'est la manière dont je pourrais entrer en possession de l'instrument!… C'est entendu que je ne paierai que si la Babette ne sait rien de rien!… Eh bien… c'est comme une fatalité… elle est toujours là quand l'autre arrive!… Elle le rencontre dans la cour, dans l'escalier au moment où nous la croyons partie! Et c'est alors une chasse de tous les diables!… Heureusement que l'autre est agile… Ce soin c'était entendu que, la Babette couchée, je hisserais l'instrument avec des cordes, tout droit, dans le petit bureau… J'étais déjà monté sur une table et j'allais jeter les cordes que voilà… quand la table a basculé… c'est là-dessus que vous êtes arrivés tous les deux, croyant qu'on m'assassinait… ah! vous étiez bien drôle, monsieur le secrétaire perpétuel… avec votre parapluie et votre paire de pincettes… bien drôle, mais bien brave tout de même!…

Et Martin Latouche se mit à rire… et M. Hippolyte Patard rit aussi, de bon cœur, cette fois… rit non seulement de sa propre image évoquée par Martin Latouche, mais encore de sa propre peur devant la boîte qui marche.

Comme tout s'expliquait naturellement!… Et tout ne devait-il pas, en vérité, s'expliquer naturellement?… Il y a des moments où l'homme n'est pas plus raisonnable qu'un enfant, pensait M. Patard. Avait-il été ridicule avec la Babette et toute son histoire de vielleux!

Ah!… après tant d'émotions cruelles, ce fut un bon moment! M. Patard s'attendrit sur le sort de ce vieux garçon de Martin Latouche qui subissait, comme tant d'autres, hélas! la tyrannie de sa vieille servante…

–Ne me plaignez pas trop!… fit entendre celui-ci en ressortant son bon sourire… Si je n'avais pas la Babette, je serais depuis longtemps sur la paille avec mes manies!…

Nous ne sommes pas riches, et j'ai fait de vraies bêtises, au commencement, pour ma collection!… Cette bonne Babette, elle est obligée de couper les sous en quatre; elle se prive de tout pour moi!… Et elle me soigne comme une mère… Mais elle ne peut pas entendre la musique!…

Martin Latouche, ce disant, passa une main dévote sur ses chers instruments dont la pauvre âme endormie n'attendait que la caresse de ses doigts pour gémir avec leur maître…

–Alors, je les caresse tout doux!… tout doux!… si doux qu'il n'y a que nous à savoir que nous pleurons!… et puis, quelquefois… quand j'ai réussi à envoyer la Babette en courses… alors je prends ma petite guiterne à laquelle j'ai mis les plus vieilles cordes que j'ai pu trouver! et je joue des airs lointains comme un vrai troubadour… Non, non, je ne suis pas trop malheureux, monsieur le secrétaire perpétuel!… croyez-moi!… Et puis, il faut que je vous dise: j'ai mon piano!… Alors, je fais tout ce que je veux avec mon piano!… je joue tous les airs que je veux… des airs terribles, des ouvertures tonitruantes, des marches à tous les abîmes!… Ah! c'est un piano magnifique qui ne dérange point Babette quand elle fait sa vaisselle!…

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
21 temmuz 2018
Hacim:
180 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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