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Kitabı oku: «Le fauteuil hanté», sayfa 9

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XV. La cage

La mèche de M. le secrétaire perpétuel s'était dressée toute droite sur son crâne. M. Lalouette s'appuyait au mur, dans un grand état de faiblesse.

–Voilà le cri! gémit-il, le grand cri déchirant humain…

M. Patard eut encore la force d'émettre une opinion:

–C'est le cri de quelqu'un à qui il est arrivé un accident…

Il faudrait voir…

Mais il ne bougeait pas.

–Non! Non! C'est le même cri… je le connais… c'est un cri, fit à voix basse M. Lalouette, un cri qu'il y a comme ça… tout le temps… dans la maison…

M. Hippolyte Patard haussa les épaules.

–Écoutez, dit-il.

–Ça recommence… grelotta M. Lalouette.

On entendait maintenant comme une sorte de grondement douloureux, de gémissement lointain et ininterrompu.

–Je vous dis qu'il est arrivé un accident… cela vient d'en bas… du laboratoire… C'est peut-être Loustalot qui se trouve mal…

Et M. Patard fit quelques pas dans le vestibule. Nous avons dit que dans ce vestibule se trouvait l'escalier conduisant aux étages supérieurs, mais, sous cet escalier-là, il y en avait un autre qui descendait au laboratoire.

M. Patard se pencha au-dessus des degrés. Le gémissement arrivait là presque distinctement, mêlé de paroles incompréhensibles mais qui semblaient devoir exprimer une grande douleur.

–Je vous dis qu'il est arrivé un accident à Loustalot.

Et bravement M. Hippolyte Patard descendit l'escalier.

M. Lalouette suivit. Il dit tout haut:

–Après tout, nous sommes deux!

Plus ils descendaient, plus ils entendaient gémir et pleurer Enfin, comme ils arrivaient dans le laboratoire, ils n'entendirent plus rien.

Le laboratoire était vide.

Ils regardèrent partout autour d'eux.

Un ordre parfait régnait dans cette pièce. Tout était à sa place. Les cornues, les alambics, les fourneaux de terre dans la grande cheminée qui servait aux expériences, les instruments de physique sur les tables, tout cela était propre et net et méthodiquement rangé. Ce n'était point là, de toute évidence, le laboratoire d'un homme qui est en plein travail.

M. Patard en fut étonné.

Mais ce qui l'étonnait le plus était, comme je l'ai dit, de ne plus rien entendre… et de ne rien voir qui l'eût mis sur la trace de cette grande douleur qui leur avait «retourné les sangs» à tous les deux, M. Lalouette et lui.

–C'est bizarre! fit M. Lalouette, il n'y a personne.

–Non, personne!…

Et tout à coup, le grand cri les secoua à nouveau, leur déchirant le cœur et les entrailles.

Cela les avait comme soulevés de terre: cela venait même de sous la terre.

–On crie dans la terre! murmura M. Lalouette.

Mais M. Patard lui montrait déjà du doigt une trappe ouverte dans le plancher-Ça vient d'ici… fit-il.

Il y courut…

–C'est quelqu'un qui sera tombé par cette trappe et qui se sera brisé les jambes…

M. Patard se pencha au-dessus de la trappe: les gémissements à nouveau s'étaient tus.

–C'est incroyable! dit M. le secrétaire perpétuel… Il y a là une pièce que je ne connaissais pas… comme un second laboratoire sous le premier…

Et il descendit encore des marches, en examinant toutes choses prudemment, autour de lui.

Le laboratoire du dessous, comme celui du dessus, était éclairé par des papillons de gaz. M. Patard descendait avec précaution. M. Lalouette, qui regrettait décidément sa visite au grand Loustalot, arrivait.

Dans ce laboratoire souterrain, il y avait la même disposition que dans la pièce de dessus, pour toutes choses. Seulement toutes ces choses étaient dans un grand désordre, et en plein service, en cours d'expérience…

M. Patard cherchait. M. Lalouette ouvrait de grands yeux…

Ils n'apercevaient toujours personne…

Soudain, comme ils s'étaient retournés vers un coin de muraille, ils reculèrent en poussant un cri d'horreur Ce coin de muraille était ouvert et garni de barreaux. Et derrière ces barreaux, comme une bête fauve enfermée dans sa cage, un homme… oui, un homme aux grands yeux ardents les fixait en silence…

Comme ils ne disaient rien et qu'ils restaient là comme des statues, l'homme, derrière ses barreaux dit:

–Etes-vous venus pour me délivrer?… En ce cas dépêchez-vous… car je les entends qui reviennent… et ils vous tueraient comme des mouches…

Ni Patard ni Lalouette ne remuaient encore. Comprenaient-ils?

L'homme encore hurla:

–Etes-vous sourds?… Je vous dis qu'ils vous tueraient comme des mouches!… s'ils savent jamais que vous m'avez vu!… comme des mouches!… sauvez-vous!… sauvez-vous!… Les voilà!… je les entends!… Le géant fait craquer la terre!… Ah! malheur!… ils vont vous faire manger par les chiens!…

Et on entendit en effet des aboiements furieux, tout là-haut, sur la terre. Les deux visiteurs avaient compris cette fois!…

Ils tournèrent autour d'eux-mêmes comme s'ils étaient ivres… cherchant une issue. Et l'autre dans sa cage répétait en secouant les barreaux comme s'il voulait les arracher:

–Par les chiens!… S'ils savent que vous avez surpris le secret!… le secret du grand Loustalot… Ah! Ah! Ah!… comme des mouches… par les chiens!…

Patard et Lalouette, incapables d'en entendre davantage, affolés d'épouvante, s'étaient rués sur l'escalier qui conduisait à la trappe…

–Pas par là!… hurla l'homme, derrière les barreaux… vous ne les entendez donc pas qui descendent!… Ah! les voilà!… les voilà!… avec les chiens!…

Ajax et Achille avaient dû maintenant pénétrer dans la maison… car celle-ci retentissait de leurs coups de gueule formidables comme un enfer plein de l'aboiement des démons…

Patard et Lalouette étaient retombés au bas de l'escalier, hurlant leur effroi, comme des insensés et criant: «Par où?… par où?… par où?…» tandis que l'autre les couvrait d'injures, en leur ordonnant de se taire…

–Vous allez encore vous faire pincer comme les autres!

Et il vous tuera comme des mouches!… Taisez-vous donc… écoutez!… Ah! si les chiens s'en mêlent, le compte est bon!… Voulez-vous vous taire!…

Patard et Lalouette, croyant déjà voir apparaître les crocs terribles d'Ajax et d'Achille en haut de l'escalier de la trappe, s'étaient rués à l'autre extrémité de cette cave, contre les barreaux mêmes de la cage où l'homme était enfermé; et c'étaient eux maintenant qui suppliaient le malheureux de les sauver Ils l'imploraient avec des mots sans suite, avec des râles… Ah! ils enviaient l'homme dans sa cage…

Mais celui-ci leur avait pris à tous deux ce qui leur restait de cheveux, à travers les barreaux, et leur secouait la tête affreusement pour les faire taire:

–Taisez-vous!… Nous nous sauverons tous les trois!…

Écoutez donc!… Les chiens! La brute les emporte!… Ils les font taire!… Le géant fait craquer la terre, mais il ne se doute de rien! la brute!… Ah! quel idiot!… vous avez de la chance…

Et il les lâcha:

–Tenez! vite!… vite!… dans le tiroir de la table là-bas, une clef…

Lalouette et Patard tiraient le tiroir en même temps et le fouillaient fébrilement de leurs mains tremblantes.

–Une clef, continua l'autre… qui ouvre le passage… les chiens sont enchaînés… Il faut en profiter…

–Mais la clef!… la clef?… réclamaient les deux malheureux qui fouillaient en vain dans le tiroir…

–Eh bien, mais la clef de l'escalier qui monte dans la cour!… vite… cherchez!… Il la met là tous les jours… après m'avoir donné à manger…

–Mais il n'y a pas de clef!…

–Alors, c'est que le géant l'a gardée, la brute!… Silence!… Mais ne remuez donc plus! Ah! les voilà! les voilà!… ils descendent… Maintenant le géant fait craquer l'escalier!…

Lalouette et Patard tournaient… tournaient encore… prêts à se jeter sous les meubles, à se cacher dans les armoires…

–Ah! ne perdez donc pas la tête comme ça! souffla le prisonnier… ou nous sommes fichus!… Tenez, dans le recoin de la cheminée, là… oui, là, bien sûr… de chaque côté!…

Bougez pas!… ou je ne réponds plus de rien!… Tout à l'heure il ira dîner… Mais s'il vous voit… Il vous tuera comme des mouches… mes pauvres chers messieurs… comme des mouches!

XVI. Par les oreilles

Agonisants, MM. Patard et Lalouette s'étaient dissimulés chacun dans un coin de la grande cheminée du laboratoire souterrain. Là, ils étaient dans une nuit profonde. Ils ne voyaient rien. Tout ce qui leur restait de vie s'était réfugié dans les oreilles. En vérité, ils ne vivaient plus que par les oreilles.

Ce fut d'abord le géant Tobie qui, en descendant l'escalier du laboratoire souterrain, fit entendre quelques grognements funestes.

–Vous avez encore laissé la trappe ouverte, maître, dit-il, vous verrez que cela vous portera malheur… à la fin!…

On entendit les pas monstrueux de Tobie qui se rapprochaient de la cage, c'est-à-dire des barreaux derrière lesquels ils avaient découvert l'homme enfermé.

–Dédé a dû en profiter pour crier comme un sourd… T'as crié, Dédé?

–Certainement qu'il a crié… répondit la voix de fausset de M. Loustalot… je l'ai entendu, moi, quand j'étais au gros chêne et que je mettais les mains sur Ajax!… Mais il n'y a personne, à cette heure, dans les environs.

–On ne sait jamais… gronda le géant… vous pouvez recevoir des visites comme l'autre fois… Il faut toujours fermer la trappe… avec elle on est tranquilles… elle est rembourrée de crin… on n'entend rien…

–Si tu n'avais pas laissé la grille du jardin ouverte, vieux fou, et laissé échapper les chiens… Tu sais bien qu'ils ne rentrent qu'à ma voix… Je n'ai pas pensé à la trappe derrière moi…

–Tu as crié, Dédé? interrogea le géant.

Mais il n'obtint pas de réponse… L'homme, derrière ses barreaux, ne bougeait pas plus qu'un mort.

Le géant reprit:

–Les chiens étaient terribles, ce soir Ah! j'ai eu du mal à les enchaîner! Quand ils sont revenus, j'ai cru qu'ils allaient manger la maison… Ils étaient comme le soir où nous avons trouvé ici les trois messieurs en visite devant la cage à Dédé…

C'était un soir comme celui-là, maître, où les chiens s'étaient échappés et où il a fallu «leur courir après»…

–Ne me parle jamais de ce soir-là, Tobie, fit la voix chevrotante de Loustalot.

–C'est ce soir-là, continua le géant, que j'ai bien cru que ça nous porterait malheur!… car Dédé avait crié!… avait bavardé… N'est-ce pas, Dédé, que tu avais bavardé?

Pas de réponse…

–Mais c'est à eux, reprit le géant de sa voix grasse et lente, c'est à eux que ça a porté malheur… Ils sont morts…

–Oui, ils sont morts…

–Tous les trois…

–Tous les trois… répéta comme un écho sinistre la voix cassée du grand Loustalot.

–Ça, ricana lugubrement le géant… ça a été comme un fait exprès.

Loustalot ne lui répondit pas, mais quelque chose comme un soupir un soupir de terreur et d'angoisse passa sur la tête des deux hommes qui devaient, au bruit qu'ils faisaient avec les instruments, être occupés à quelque expérience.

–Tu as entendu? demanda Loustalot.

–C'est toi, Dédé? fit le géant.

–Oui, c'est moi, répondit la voix de l'homme aux barreaux.

–Tu es malade? demanda Loustalot… Regarde donc, Tobie, ce qu'il a. Dédé est peut-être malade? Il a crié tout à l'heure à se casser la poitrine… Il a peut-être faim? As-tu faim, Dédé?

–Tenez, fit la voix de l'homme dans la cage, voilà la «formule»! Elle est complète. Vous pouvez me donner à manger maintenant… J'ai bien gagné mon souper!

–Va lui chercher sa «formule», ordonna Loustalot, et donne-lui sa soupe…

–Regardez d'abord si la formule est bonne, répliqua Dédé… vous m'avez habitué à ne pas voler mon pain…

Il y eut les pas du géant et puis le bruit d'un morceau de papier froissé que le prisonnier devait passer à Tobie à travers les barreaux…

Et un silence pendant lequel certainement le grand Loustalot devait examiner la «formule».

–Oh! ça!… ça c'est épatant! s'exclama-t-il dans un véritable transport… c'est tout à fait épatant, Dédé!… Mais tu ne m'avais pas dit que tu travaillais à ça!…

–Je ne travaille qu'à ça depuis huit jours… nuit et jour… vous entendez?… nuit et jour… mais ce coup-ci, ça y est!…

–Oh! ça y est!…

Il y eut un grand soupir de Loustalot.

–Quel génie!… fit-il…

–Il a encore trouvé quelque chose? demanda Tobie.

–Oui, oui… Il a encore trouvé quelque chose… et ce qu'il a trouvé, il l'a enfermé dans une bien belle formule!…

Loustalot et Tobie se parlèrent alors à voix basse.

Si l'on avait encore eu la force d'écouter dans la cheminée, on n'aurait pu certainement rien entendre de ce qu'ils se disaient là…

Loustalot reprit tout haut:

–Mais c'est de la véritable alchimie, ça, mon garçon!… Ce que tu viens de trouver là, c'est quelque chose comme la transmutation des métaux!… Tu es sûr de l'expérience, Dédé?

–Je l'ai répétée trois fois avec du chlorure de potassium.

Ah! on ne dira plus que la matière est inaltérable!… c'est tout à fait autre chose!… Un véritable potassium nouveau que j'ai obtenu!… un potassium ionisé, sans parenté aucune avec le premier—Et de même pour le chlore? interrogea Loustalot.

–De même pour le chlore…

–Bigre!…

Loustalot et le géant se reparlèrent à voix basse, puis Loustalot encore:

–Qu'est-ce que tu veux pour ta peine, Dédé?

–Je voudrais bien des confitures et un bon verre de vin.

–Oui, ce soir, tu peux lui donner un bon verre de vin, obtempéra le grand Loustalot, ça ne peut pas lui faire de mal.

Mais tout à coup, la paix relative de cette cave profonde fut effroyablement troublée par Dédé. Il y eut comme une tempête souterraine, un déchaînement de fureurs, des cris, des lamentations, des malédictions!… M. Lalouette de son côté, M. Patard du sien, n'eurent que le temps d'arrêter sur les bords de leurs lèvres sèches la clameur suprême de leur épouvante… On sentait que l'homme s'était rué comme un animal féroce derrière les barreaux de sa cage.

–Assassins! hurlait-il… Assassins!… misérables bandits, voleur de Loustalot!… Geôlier immonde, garde-chiourme de mon génie!… monstre à qui je donne la gloire et qui me paie d'un morceau de pain!… Tes crimes seront punis, tu entends, misérable!… Dieu te châtiera!… Ton forfait sera connu de l'univers!… Il faudra bien qu'ils viennent, les hommes qui me délivreront!… Tu ne les tueras pas tous!…

Et je te traînerai comme une charogne infâme avec une pique de boucher, bandit!… Par la peau du cou…

–Assez! fais-le taire, Tobie! râla Loustalot.

On entendit un bruit de grille de fer qui tourna sur ses gonds.

–Je ne me tairai pas!… Par la peau du cou! Par la peau du cou!… Non! non! Pas cela!… Au secours! au secours!…

Oui, je me tais… je me tais!… Par la peau du cou, aux gémonies!… je me tais!…

Et le bruit de la grille de fer recommença sur ses gonds…

Et il n'y eut plus bientôt, dans la cave profonde, qu'un gémissement qui allait s'apaisant, de plus en plus, comme quelqu'un qui s'endort après une grande colère ou qui meurt…

XVII. Quelques inventions de Dédé

Après ce gémissement il y eut encore quelque remue-ménage dans le Laboratoire de la cave du fond et puis peu à peu tout bruit s'éteignit.

Dans leur coin de cheminée, M. Hippolyte Patard et M. Lalouette ne donnaient point signe de vie. Ils étaient collés au mur comme s'ils ne devaient plus s'en détacher jamais.

Cependant la voix de l'homme, derrière les barreaux de la cage, résonna:

–Vous pouvez venir… ils sont partis.

Ce fut encore le silence. Et puis la voix de l'homme reprit:

–Etes-vous morts?

Enfin, dans la pénombre du laboratoire-tombeau, qui n'était plus éclairé maintenant que par un lumignon qui brillait derrière les barreaux de la cage, chez le prisonnier, dans cette pénombre, disons-nous, apparurent timidement, au bord de la vaste cheminée, deux silhouettes…

Les têtes d'abord se montrèrent prudemment, puis les corps… et tout redevint immobile.

–Oh! vous pouvez avancer, dit la voix de Dédé… ils ne reviendront plus de la nuit… et la trappe est fermée.

Alors les deux silhouettes remuèrent à nouveau… mais avec des précautions extrêmes. Elles s'arrêtaient à chaque pas. Elles glissaient fort précautionneusement… Elles étaient debout sur la pointe des pieds, les mains étendues… et, quand elles se heurtaient à un meuble et que ce meuble répondait à ce choc par quelque sonorité, les silhouettes restaient comme suspendues.

Enfin elles arrivèrent à la lumière barrée de la grille derrière laquelle Dédé, debout, les attendait.

Et elles s'affalèrent exténuées, au pied des barreaux. Une voix qui était celle de M. Hippolyte Patard dit:

–Ah! mon pauvre monsieur!

Et la voix de M. Lalouette se fit entendre à son tour:

–Nous avons cru qu'ils vous assassinaient.

–Vous êtes restés dans la cheminée tout de même? fit l'homme.

C'était vrai. Ils ne pouvaient le nier Ils expliquèrent, en des propos confus, que leurs jambes leur avaient refusé tout service, qu'ils n'avaient point l'habitude de pareilles émotions, qu'ils étaient académiciens et nullement préparés à d'aussi horribles tragédies.

–Des académiciens! fit l'homme. Un jour il en est descendu trois ici… trois candidats qui faisaient leur visite et que le bandit a surpris… Je ne les ai jamais revus… Depuis, j'ai appris, en écoutant le bandit et le géant, qu'ils étaient tous morts… Il a dû les tuer comme des mouches!

Toute cette conversation était prononcée à voix très basse, étouffée, les lèvres de tous trois collées aux barreaux.

–Monsieur! implora Gaspard Lalouette, est-ce qu'il y a un moyen de sortir sans que le bandit nous surprenne?

–Bien sûr! fit l'homme… par l'escalier qui donne directement dans la cour…

M. Hippolyte Patard dit:

–La clef qui ouvre cet escalier et dont vous nous avez parlé n'est point dans le tiroir L'homme dit:

–Je l'ai dans ma poche! Je l'ai prise dans la poche du géant… Je me suis fait taire pour qu'il vienne dans ma cage.

–Ah! mon «pauvre monsieur», reprit Patard.

–Oui! oui! Je suis à plaindre, allez! Ils ont des façons terribles de me faire taire.

–Alors, vous croyez qu'on peut s'en aller, soupira M. Gaspard Lalouette, qui s'étonnait que l'autre ne leur eût pas encore passé la clef.

–Reviendrez-vous me chercher? demanda l'homme.

–Nous vous le jurons, dit solennellement M. Lalouette.

–Les autres aussi l'ont juré, et ils ne sont pas revenus.

M. Hippolyte Patard intervint pour l'honneur de l'Académie:

–Ils seraient revenus s'ils n'étaient pas morts.

–Ça, c'est vrai… Il les a tués comme des mouches!… Mais vous, il ne vous tuera pas, parce qu'il ne sait pas que vous êtes venus… Mais il ne faut pas qu'il vous voie…

–Non! non! gémit Lalouette. Il ne faut pas qu'il nous voie…

–Il faut être malin! recommanda l'homme en dressant devant les deux visiteurs une petite clef noire.

Et il donna la clef à M. Hippolyte Patard en lui disant qu'elle ouvrait une porte qui se trouvait derrière la dynamo que l'on apercevait dans un coin. Cette porte ouvrait sur un escalier qui montait à une petite cour derrière la maison. Là, ils trouveraient une autre porte qui donnait sur la campagne et dont ils n'auraient qu'à tirer les verrous intérieurs. La clef de cette autre porte restait toujours sur la serrure.

–J'ai remarqué tout cela, fit l'homme, quand le géant me promène.

–Vous sortez donc quelquefois de votre cage? demanda

M. Patard qui frissonnait en face d'un pareil malheur oubliant presque le sien.

–Oui, mais toujours enchaîné; une heure par jour à l'air libre, quand il ne pleut pas.

–Ah! mon pauvre monsieur!

Quant à M. Lalouette, il ne pensait qu'à s'en aller. Il était déjà à la porte de l'escalier. Mais il lui sembla entendre tout là-haut des grondements, et il recula.

–Les chiens! gémit-il.

–Mais oui, les chiens!… répéta l'homme, hostile… Est-il embêtant, ce gros-là… vous ne sortirez d'ici que quand je vous le dirai, à la fin! Il faut bien compter une heure avant que Tobie leur porte à manger… Alors, vous pourrez passer… ils ne prendront pas le temps d'aboyer… Quand ils mangent, ils ne connaissent plus rien, ni personne… entendez-vous… quand ils mangent!

L'homme ajouta:

–Quelle vie!… Quelle existence!…

–Une heure encore, soupira Lalouette, qui décidément maudissait le jour où il avait eu l'idée de se faire académicien.

–Moi, je suis bien ici depuis des années!… répliqua l'homme.

Cela sortit de la gorge sur un tel ton farouche que les deux académiciens, l'ancien et le nouveau, eurent honte de leur lâcheté! M. Lalouette lui-même assura:

–Nous vous sauverons!

Sur quoi le prisonnier se mit à pleurer comme un enfant.

Quel spectacle!

Patard et Lalouette le virent seulement alors dans toute sa misère. Ses vêtements étaient déchirés, mais ils n'étaient point cependant malpropres. Ces déchirures, ces lambeaux évoquaient plutôt l'idée d'une lutte récente, et les deux visiteurs songèrent que le prisonnier tout à l'heure, s'était fait taire par le géant.

Mais quel était donc le sort prodigieux de ce misérable dans sa cage? Les propos entendus tout à l'heure conduisaient à l'imagination d'un si abominable crime que M. Patard, qui croyait connaître depuis longtemps le grand Loustalot, ne pouvait pas, ne voulait pas s'y arrêter! Et cependant, comment expliquer, autrement que par le crime lui-même, la présence de l'homme derrière les barreaux… de l'homme qui passait au grand Loustalot des formules chimiques pour ne pas mourir de faim?

M. Lalouette, lui, avait compris tout net l'affreuse chose. Il n'hésitait plus. Il était certain maintenant que le grand Loustalot avait enfermé un génie dans une cage et que c'était ce génie-là qui avait fourni à l'illustre savant toutes les inventions qui avaient répandu sa gloire sur le monde. Avec son esprit précis il se représentait la chose avec des contours définitifs. Il voyait, d'un côté de la grille, le grand Loustalot avec un morceau de pain, et, de l'autre, le génie prisonnier avec ses inventions. Et l'échange se faisait à travers les barreaux.

Le grand Loustalot devait, comme on pense, bien tenir à conserver pour lui tout seul un secret aussi formidable. Il devait y tenir certainement plus qu'à la vie de trois académiciens… On l'avait bien vu, hélas!… et il semblait assez logique qu'il dût y tenir encore assez pour lui sacrifier deux victimes de plus. Quand on est entré dans la voie du crime, on ne sait jamais quand on s'arrêtera.

Et c'est bien à cause de la grande netteté avec laquelle il se représentait tout le drame, que M. Lalouette avait une si grande hâte de quitter ces lieux dangereux et qu'il ne se consolait point de prolonger de pareilles transes, une heure encore.

Cependant, M. Hippolyte Patard, dont le cerveau horrifié luttait pour repousser des conclusions que M. Lalouette avait acceptées sans plus tarder, M. Patard occupait le loisir forcé qui lui était fait à tâcher à débrouiller la vraie situation du prisonnier.

Les paroles mystérieuses prononcées par Martin Latouche et répétées par Babette lui revenaient à la mémoire épouvantée: «Ce n'est pas possible, avait dit Latouche, ce serait le plus grand crime de la terre!» Oui, oui, le plus grand crime de la terre! Hélas! M. Patard ne devait-il pas lui aussi se rendre à la hideuse vérité!

Le prisonnier derrière ses barreaux, avait laissé tomber sa tête dans ses deux mains, et il paraissait accablé sous le poids d'une douleur surhumaine. Au-dessus de lui, le lumignon, accroché assez haut pour qu'il n'y pût atteindre, éclairait les choses d'une façon fantastique et donnait aux objets épars dans le cachot une forme telle, derrière les barreaux, qu'on eût pu se croire en face du Laboratoire du diable, tout à fait effrayant, avec les ombres agrandies des cornues et des alambics, et les monstrueuses panses de ses fourneaux éteints.

L'homme gisait comme une loque au milieu de toute cette alchimie.

M. Patard l'appela à plusieurs reprises, sans qu'il eût l'air de l'entendre. Tout là-haut les chiens grondaient toujours et M. Lalouette n'avait garde d'ouvrir la porte par laquelle il rêvait cependant de filer comme une flèche.

C'est alors que la loque—l'homme aux lambeaux—remua un peu et que son ombre aux yeux hagards fit entendre des paroles terribles.

–La preuve que le secret de Toth existe, c'est qu'ils sont morts. Voyez-vous! voyez-vous! voyez-vous! Il était descendu un jour si furieux que la maison en tremblait. Et moi aussi, je tremblais. Car je me disais: Ça y est! Oh! ça y est! Il va falloir que j'invente encore quelque chose! Chaque fois qu'il me demande quelque chose de très difficile, il m'épouvante…

Alors, il m'a, comme un petit enfant qui a peur qu'on ne lui donne pas sa tartine… Quelle misère, n'est-ce pas?… Mais c'est un bandit!

Il y eut des râles sauvages dans la gorge de l'homme.

Et puis:

–Ah! Il m'a bien tenaillé, avec son secret de Toth! Moi je n'en avais jamais entendu parler. Il m'a dit qu'un saltimbanque prétendait qu'on pouvait tuer avec ce secret-là, par le nez, les yeux, la bouche et les oreilles… Et il me disait qu'à côté de ce saltimbanque qu'il appelait Eliphas, je n'étais qu'un âne… Il m'a humilié devant Tobie!… C'en était indécent!… et j'ai bien souffert!… Ah! quelle quinzaine!… quelle quinzaine nous avons passée!… je me la rappellerai longtemps… et il ne m'a laissé tranquille que quand je lui eus livré les parfums tragiques… les rayons assassins… et la chanson qui tue! Il a su s'en servir à ce que je vois.

L'homme ricana affreusement.

Puis il s'étala de tout son long par terre, étendant les bras et les jambes avec lassitude.

–Ah! que je suis fatigué! soupira-t-il… Mais il me faut des détails. Je voudrais bien savoir si on a vu briller le soleil de sacristie?

M. Hippolyte Patard sursauta. Il se rappela cette définition étrange et remarquable qu'un docteur avait faite des stigmates retrouvés sur le visage de Maxime d'Aulnay. Et il dit dans un souffle:

–Oui, oui, c'est bien cela!… le soleil de sacristie!

–Il y était, n'est-ce pas?… Il avait éclaté sur le visage…

C'était forcé!… ça, mon cher monsieur! c'est la mort par la lumière! Ça ne peut pas faire autrement! ça fait comme une explosion!… ou plutôt comme si le visage avait explosé!…

Mais l'autre, qu'est-ce qu'il avait?… parce que, vous comprenez, mon cher monsieur, il me faut des détails… Oh! je me doutais bien, allez, que le bandit aurait encore fait des siennes, puisque je l'ai entendu raconter à Tobie qu'ils étaient morts tous les trois. Mais les détails, ça me manque, dans ma situation. Tantôt entre eux, devant moi, ils parlent… et tantôt ils se taisent… Ah! c'est un impitoyable bandit! Mais l'autre… qu'est-ce qu'il avait? Quels stigmates? Qu'est-ce qu'on a trouvé?

–Mais je crois qu'on n'a rien trouvé, répondit Patard.

–Ah! on n'aura rien trouvé avec le parfum plus tragique…

–Ça ne laisse pas de traces… c'est enfantin!… ça se met dans une lettre… on l'ouvre, on la lit et on le respire!… Bonsoir!… plus personne!… mais on ne tue pas tout le monde comme ça!… on finirait par se méfier, bien sûr… Oui, oui, on finirait par se méfier… Il a dû tuer le troisième avec…

Ici, le grondement des chiens sembla tellement se rapprocher que la conversation en fut suspendue. On n'entendait plus dans la cave que la respiration haletante des trois hommes… puis la voix des molosses s'éloigna ou plutôt diminua d'intensité.

–On ne leur donnera donc pas à manger, ce soir? murmura Dédé.

Patard, dont le cœur battait à se rompre, depuis l'atroce révélation, put encore dire:

–Il y en a un, je crois, qui a eu une hémorragie… car on lui a trouvé un peu de sang au bout du nez!

–Parbleu!… Parbleu! Parbleu! grinça Dédé…—et ses dents faisaient, l'une contre l'autre, un bruit insupportable.

Parbleu! Celui-là est mort par le son!… Il y a eu fatalement…

Oh! c'est bien cela!… une hémorragie interne de l'oreille et il y a eu un écoulement sanguin par la trompe d'Eustache, écoulement qui a gagné l'arrière-gorge et puis le nez!… Nous y sommes! nous y sommes, ma parole!

Et l'homme, tout à coup, se redressant avec une agilité de singe, fut debout. On eût dit qu'il sautait aux barreaux et qu'il s'y accrochait, tel un quadrumane. Patard recula brusquement, redoutant que l'autre ne lui saisît encore ce qui lui restait de cheveux.

–Oh! n'ayez pas peur!… n'ayez pas peur!

L'homme se laissa retomber sur ses pattes et marcha dans son cachot-laboratoire à grandes enjambées.

Il redressait la taille, il redressait la tête… Quand il passait sous le lumignon, on apercevait son vaste front.

–Voyez-vous, mon cher monsieur!… Tout cela est bien terrible, mais tout de même, on peut être fier de son invention!… Ça, c'est réussi!… Ce n'est point de la mort pour rire que j'ai mise là-dedans… non, non! C'est de la vraie mort que j'ai enfermée dans la lumière et dans le son!… Ça m'a donné beaucoup de mal!… mais vous savez, quand on a l'idée, le reste n'est plus rien à faire!… Il s'agit d'avoir l'idée et ce ne sont point les idées qui me manquent!… Demandez-le au grand, à l'illustre Loustalot… Ah! la réalisation d'une idée comme celle-là, avec moi, ça ne traîne pas!… C'est vraiment magnifique!

L'homme arrêta sa marche, leva l'index et dit:

–Vous savez qu'il existe dans le spectre des rayons ultraviolets? Ces rayons, qui sont des rayons chimiques, agissent vigoureusement sur la rétine… On a signalé des accidents très graves avec ces rayons!… oh! très graves!… Maintenant, écoutez-moi bien… vous connaissez peut-être ces sortes de lampes-longs-tubes, à lueur blafarde, verdâtre, et dans lesquelles le mercure volatilisé… Ah çà! m'écoutez-vous? ou ne m'écoutez-vous pas? s'écria l'homme si haut et si fort que Lalouette, épouvanté, se laissa tomber à genoux, suppliant l'étrange professeur de se taire, et que M. Patard gémit:

–Oh! plus bas!… au nom du ciel, plus bas!

Mais cette humiliation d'élève ne désarma point le maître qui, tout à sa conférence et à l'orgueil de prôner les mérites de son invention devant cet exceptionnel auditoire, continua d'une voix forte, nette, dominatrice:

–…Ces lampes dans lesquelles le mercure volatilisé produit une lumière vraiment diabolique… Tenez, je crois bien que j'en ai là…

L'homme chercha, remua des choses… et ne trouva pas.

En haut, les chiens ne se taisaient toujours point. Ils avaient senti les visiteurs, et c'est ce qui les faisait si insupportables.

«Ils ne se tairont, bien sûr, qu'avec de la viande dans la gueule», pensait M. Lalouette, et cette pensée qui ne le quittait décidément pas, malgré l'éloquence du professeur ne le ranimait nullement et le laissait à genoux, comme si, avant le trépas, il n'avait plus que la force de demander pardon au Seigneur de la stupide vanité qui l'avait poussé à briguer un honneur qui est généralement réservé à des gens qui savent au moins lire. L'homme continuait son dangereux cours, redressant plus haut encore le front d'orgueil et scandant ses phrases de grands gestes tranchants.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
21 temmuz 2018
Hacim:
180 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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