Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Le parfum de la Dame en noir», sayfa 11

Yazı tipi:

«Oh! oh! fit-il à voix basse, elle est là…

– Qui?

– La Dame en noir!… Vous ne sentez pas que tout l'escalier en est embaumé?»

Et il se dissimula derrière une porte en me priant de continuer mon chemin sans plus m'occuper de lui; ce que je fis.

Quelle ne fut pas ma stupéfaction, en poussant la porte de ma chambre, de me trouver face à face avec Mathilde!…

Elle poussa un léger cri et disparut dans l'ombre, s'envolant comme un oiseau surpris. Je courus à l'escalier et me penchai sur la rampe. Elle glissait le long des marches comme un fantôme. Elle fut bientôt au rez-de-chaussée et je vis au-dessous de moi Rouletabille qui, penché sur la rampe du premier palier, regardait, lui aussi.

Et il remonta jusqu'à moi.

«Hein! fit-il, qu'est-ce que je vous avais dit!… La malheureuse!»

Il paraissait à nouveau très agité.

«J'ai demandé huit jours à M. Darzac… Il faut que tout soit fini dans vingt-quatre heures ou je n'aurai plus la force de rien!…»

Et il s'affala tout à coup sur une chaise.

«J'étouffe!… gémit-il, j'étouffe!» Et il arracha sa cravate. «De l'eau!» J'allais lui chercher une carafe, mais il m'arrêta: «Non!… c'est l'eau du ciel qu'il me faut!» Et il montra le poing au ciel noir qui ne crevait toujours point.

Dix minutes, il resta assis sur cette chaise, à penser. Ce qui m'étonnait, c'est qu'il ne me posait aucune question sur ce que la Dame en noir était venue faire chez moi. J'aurais été bien embarrassé de lui répondre. Enfin, il se leva:

«Où allez-vous?

– Prendre la garde à la poterne.»

Il ne voulut même point venir dîner et demanda qu'on lui apportât là sa soupe, comme à un soldat. Le dîner fut servi à huit heures et demie à la Louve. Robert Darzac, qui venait de quitter le vieux Bob, déclara que celui-ci ne voulait pas dîner. Mrs. Edith, craignant qu'il ne fût souffrant, s'en fut tout de suite à la Tour Ronde. Elle ne voulut point que Mr Arthur Rance l'accompagnât. Elle paraissait en fort mauvais termes avec son mari. La Dame en noir arriva sur ces entrefaites avec le professeur Stangerson. Mathilde me regarda douloureusement, avec un air de reproche qui me troubla profondément. Ses yeux ne me quittaient point. Personne ne mangea. Arthur Rance ne cessait de regarder la Dame en noir. Toutes les fenêtres étaient ouvertes. On suffoquait. Un éclair et un violent coup de tonnerre se succédèrent rapidement et, tout à coup, ce fut le déluge. Un soupir de soulagement détendit nos poitrines oppressées. Mrs. Edith revenait juste à temps pour n'être point noyée par la pluie furieuse qui semblait devoir engloutir la presqu'île.

Elle raconta avec animation qu'elle avait trouvé le vieux Bob le dos courbé devant son bureau, et la tête dans les mains. Il n'avait point répondu à ses questions. Elle l'avait secoué amicalement, mais il avait fait l'ours. Alors, comme il tenait obstinément ses mains sur ses oreilles, elle l'avait piqué, avec une petite épingle à tête de rubis, dont elle retenait à l'ordinaire les plis du fichu léger qu'elle jetait le soir sur ses épaules. Il avait grogné, lui avait attrapé la petite épingle à tête de rubis et l'avait jetée en rageant sur son bureau. Et puis, il lui avait enfin parlé brutalement, comme il ne l'avait encore jamais fait: «Vous, madame ma nièce, laissez-moi tranquille.» Mrs. Edith en avait été si peinée qu'elle était sortie sans ajouter un mot, se promettant de ne plus remettre, ce soir-là, les pieds à la Tour Ronde. En sortant de la Tour Ronde, Mrs. Edith avait tourné la tête pour voir une fois encore son vieil oncle et elle avait été stupéfaite de ce qu'il lui avait été donné d'apercevoir. Le plus vieux crâne de l'humanité était sur le bureau de l'oncle sens dessus dessous, la mâchoire en l'air toute barbouillée de sang, et le vieux Bob, qui s'était toujours conduit d'une façon correcte avec lui, le vieux Bob crachait dans son crâne! Elle s'était enfuie, un peu effrayée.

Là-dessus, Robert Darzac rassura Mrs. Edith en lui disant que ce qu'elle avait pris pour du sang était de la peinture. Le crâne du vieux Bob était badigeonné de la peinture de Robert Darzac.

Je quittai le premier la table pour courir à Rouletabille, et aussi pour échapper au regard de Mathilde. Qu'est-ce que la Dame en noir était venue faire dans ma chambre? Je devais bientôt le savoir.

Quand je sortis, la foudre était sur nos têtes et la pluie redoublait de force. Je ne fis qu'un bond jusqu'à la poterne. Pas de Rouletabille! Je le trouvai sur la terrasse B'', surveillant l'entrée de la Tour Carrée et recevant tout l'orage sur le dos.

Je le secouai pour l'entraîner sous la poterne.

«Laisse donc, me disait-il… Laisse donc! C'est le déluge! Ah! comme c'est bon! comme c'est bon! Toute cette colère du ciel! Tu n'as donc pas envie de hurler avec le tonnerre, toi! Eh bien, moi, je hurle, écoute! Je hurle!… Je hurle!… Heu! heu! heu!… Plus fort que le tonnerre!… Tiens! on ne l'entend plus!…»

Et il poussa dans la nuit retentissante, au-dessus des flots soulevés, des clameurs de sauvage. Je crus, cette fois, qu'il était devenu vraiment fou. Hélas! Le malheureux enfant exhalait en cris indistincts l'atroce douleur qui le brûlait, dont il essayait en vain d'étouffer la flamme dans sa poitrine héroïque: la douleur du fils de Larsan!

Et tout à coup je me retournai, car une main venait de me saisir le poignet et une forme noire s'accrochait à moi dans la tempête:

«Où est-il?… Où est-il?»

C'était Mme Darzac qui cherchait, elle aussi, Rouletabille. Un nouvel éclat de la foudre nous enveloppa. Rouletabille, dans un affreux délire, hurlait au tonnerre à se déchirer la gorge. Elle l'entendit. Elle le vit. Nous étions couverts d'eau, trempés par la pluie du ciel et par l'écume de la mer. La jupe de Mme Darzac claquait dans la nuit comme un drapeau noir et m'enveloppait les jambes. Je soutins la malheureuse, car je la sentais défaillir, et, alors, il arriva ceci que, dans ce vaste déchaînement des éléments, au cours de cette tempête, sous cette douche terrible, au sein de la mer rugissante, je sentis tout à coup son parfum, le doux et pénétrant et si mélancolique parfum de la Dame en noir!… Ah! je comprends! Je comprends comment Rouletabille, s'en est souvenu par-delà les années… Oui, oui, c'est une odeur pleine de mélancolie, un parfum pour tristesse intime… Quelque chose comme le parfum isolé et discret et tout à fait personnel d'une plante abandonnée, qui eût été condamnée à fleurir pour elle toute seule, toute seule… Enfin! C'est un parfum qui m'a donné de ces idées- là et que j'ai essayé d'analyser comme ça, plus tard… parce que Rouletabille m'en parlait toujours… Mais c'était un bien doux et bien tyrannique parfum qui m'a comme enivré tout d'un coup, là, au milieu de cette bataille des eaux et du vent et de la foudre, tout d'un coup, quand je l'ai eu saisi. Parfum extraordinaire! Ah! extraordinaire, car j'avais passé vingt fois auprès de la Dame en noir sans découvrir ce que ce parfum avait d'extraordinaire, et il m'apparaissait dans un moment où les plus persistants parfums de la terre – et même tous ceux qui font mal à la tête – sont balayés comme une haleine de rose par le vent de mer. Je comprends que lorsqu'on l'avait, je ne dis pas senti, mais saisi (car enfin tant pis si je me vante, mais je suis persuadé que tout le monde ne pourrait à son gré comprendre le parfum de la Dame en noir, et il fallait certainement pour cela être très intelligent, et il est probable que, ce soir-là, je l'étais plus que les autres soirs, bien que, ce soir-là, je ne dusse rien comprendre à ce qui se passait autour de moi). Oui, quand on avait saisi une fois cette mélancolique et captivante, et adorablement désespérante odeur, – eh bien, c'était pour la vie! Et le coeur devait en être embaumé, si c'était un coeur de fils comme celui de Rouletabille; ou embrasé, si c'était un coeur d'amant, comme celui de M. Darzac; ou empoisonné, si c'était un coeur de bandit, comme celui de Larsan… Non! non, on ne devait plus pouvoir s'en passer jamais! Et, maintenant, je comprends Rouletabille et Darzac et Larsan et tous les malheurs de la fille du professeur Stangerson!…

Donc, dans la tempête, s'accrochant à mon bras, la Dame en noir appelait Rouletabille et une fois encore Rouletabille nous échappa, bondit, se sauva à travers la nuit en criant: «Le parfum de la Dame en noir! Le parfum de la Dame en noir!…»

La malheureuse sanglotait. Elle m'entraîna vers la tour. Elle frappa de son poing désespéré à la porte que Bernier nous ouvrit, et elle ne s'arrêtait point de pleurer. Je lui disais des choses banales, la suppliant de se calmer, et cependant j'aurais donné ma fortune pour trouver des mots qui, sans trahir personne, lui eussent peut-être fait comprendre quelle part je prenais au drame qui se jouait entre la mère et l'enfant.

Brusquement elle me fit entrer à droite, dans le salon qui précédait la chambre du vieux Bob, sans doute parce que la porte en était ouverte. Là, nous allions être aussi seuls que si elle m'avait fait entrer chez elle, car nous savions que le vieux Bob travaillait tard dans la Tour du Téméraire.

Mon Dieu! Dans cette soirée horrible, le souvenir de ce moment que je passai en face de la Dame en noir n'est pas le moins douloureux. J'y fus mis à une épreuve à laquelle je ne m'attendais point et quand, à brûle-pourpoint, sans qu'elle prît même le temps de nous plaindre de la façon dont nous venions d'être traités par les éléments – car je ruisselais sur le parquet comme un vieux parapluie – elle me demanda: «Il y a longtemps, Monsieur Sainclair, que vous êtes allé au Tréport?» je fus plus ébloui, étourdi, que par tous les coups de foudre de l'orage. Et je compris que, dans le moment même que la nature entière s'apaisait au dehors, j'allais subir, maintenant que je me croyais à l'abri, un plus dangereux assaut que celui que le flot des mers livre vainement depuis des siècles au rocher d'Hercule! Je dus faire mauvaise contenance et trahir tout l'émoi où me plongeait cette phrase inattendue. D'abord, je ne répondis point; je balbutiai, et certainement je fus tout à fait ridicule. Voilà des années que ces choses se sont passées. Mais j'y assiste encore comme si j'étais mon propre spectateur. Il y a des gens qui sont mouillés et qui ne sont point ridicules. Ainsi la Dame en noir avait beau être trempée et, comme moi, sortir de l'ouragan, eh bien, elle était admirable avec ses cheveux défaits, son col nu, ses magnifiques épaules que moulait la soie légère d'un vêtement, lequel apparaissait à mes yeux extasiés comme une loque sublime, jetée par quelque héritier de Phidias sur la glaise immortelle qui vient de prendre la forme de la beauté! Je sens bien que mon émotion, même après tant d'années, quand je songe à ces choses, me fait écrire des phrases qui manquent de simplicité. Je n'en dirai point plus long sur ce sujet. Mais ceux qui ont approché la fille du professeur Stangerson me comprendront peut-être, et je ne veux ici, vis-à-vis de Rouletabille, qu'affirmer le sentiment de respectueuse consternation qui me gonfla le coeur devant cette mère divinement belle, qui, dans le désordre harmonieux où l'avait jetée l'affreuse tempête – physique et morale – où elle se débattait, venait me supplier de trahir mon serment. Car j'avais juré à Rouletabille de me taire, et voilà, hélas! Que mon silence même parlait plus haut que ne l'avait jamais fait aucune de mes plaidoiries.

Elle me prit les mains et me dit sur un ton que je n'oublierai de ma vie:

«Vous êtes son ami. Dites-lui donc que nous avons assez souffert tous deux!»

Et elle ajouta avec un gros sanglot:

«Pourquoi continue-t-il à mentir?»

Moi, je ne répondais rien. Qu'est-ce que j'aurais répondu? Cette femme avait été toujours si «distante», comme on dit maintenant, vis-à-vis de tout le monde en général et de moi en particulier. Je n'avais jamais existé pour elle… et voilà qu'après m'avoir fait respirer le parfum de la Dame en noir elle pleurait devant moi comme une vieille amie…

Oui, comme une vieille amie… Elle me raconta tout, j'appris tout, en quelques phrases pitoyables et simples comme l'amour d'une mère… tout ce que me cachait ce petit sournois de Rouletabille. Évidemment, ce jeu de cache-cache ne pouvait durer et ils s'étaient bien devinés tous les deux. Poussée par un sûr instinct, elle avait voulu définitivement savoir ce que c'était que ce Rouletabille qui l'avait sauvée et qui avait l'âge de l'autre… et qui ressemblait à l'autre. Et une lettre était venue lui apporter à Menton même la preuve récente que Rouletabille lui avait menti et n'avait jamais mis les pieds dans une institution de Bordeaux. Immédiatement, elle avait exigé du jeune homme une explication, mais celui-ci s'y était âprement dérobé. Toutefois, il s'était troublé quand elle lui avait parlé du Tréport et du collège d'Eu et du voyage que nous avions fait là-bas avant de venir à Menton.

«Comment l'avez-vous su?» m'écriai-je, me trahissant aussitôt.

Elle ne triompha même point de mon innocent aveu, et elle m'apprit d'une phrase tout son stratagème. Ce n'était point la première fois qu'elle venait dans nos chambres quand je l'avais surprise le soir même… Mon bagage portait encore l'étiquette récente de la consigne eudoise.

«Pourquoi ne s'est-il point jeté dans mes bras, quand je les lui ai ouverts? gémit-elle. Hélas! Hélas! s'il se refuse à être le fils de Larsan, ne consentira-t-il jamais à être le mien?»

Rouletabille s'était conduit d'une façon atroce pour cette femme qui avait cru son enfant mort, qui l'avait pleuré désespérément, comme je l'appris plus tard, et qui goûtait enfin, au milieu de malheurs incomparables, à la joie mortelle de voir son fils ressuscité… Ah! le malheureux!… La veille au soir, il lui avait ri au nez, quand elle lui avait crié, à bout de forces, qu'elle avait eu un fils et que ce fils c'était lui! Il lui avait ri au nez en pleurant!… Arrangez cela comme vous voudrez! C'est elle qui me l'a dit et je n'aurais jamais cru Rouletabille si cruel, ni si sournois, ni si mal élevé.

Certes! il se conduisait d'une façon abominable! Il était allé jusqu'à lui dire qu'il n'était sûr d'être le fils de personne, pas même d'un voleur! C'est alors qu'elle était rentrée dans la Tour Carrée et qu'elle avait désiré mourir. Mais elle n'avait pas retrouvé son fils pour le perdre sitôt et elle vivait encore! J'étais hors de moi! Je lui baisais les mains. Je lui demandais pardon pour Rouletabille. Ainsi, voilà quel était le résultat de la politique de mon ami. Sous prétexte de la mieux défendre contre Larsan, c'est lui qui la tuait! Je ne voulus pas en savoir davantage! J'en savais trop! Je m'enfuis! J'appelai Bernier qui m'ouvrit la porte! Je sortis de la Tour Carrée, en maudissant Rouletabille! Je croyais le trouver dans la Cour du Téméraire, mais celle-ci était déserte.

À la poterne, Mattoni venait de prendre la garde de dix heures. Il y avait une lumière dans la chambre de mon ami. J'escaladai l'escalier branlant du Château Neuf. Enfin! Voici sa porte: je l'ouvre, je l'enfonce. Rouletabille est devant moi:

«Que voulez-vous, Sainclair?»

En quelques phrases hachées, je lui narre tout, et il connaît mon courroux.

«Elle ne vous a pas tout dit, mon ami, réplique-t-il d'une voix glacée. Elle ne vous a pas dit qu'elle me défend de toucher à cet homme!…

– C'est vrai, m'écriai-je… je l'ai entendue!…

– Eh bien! Qu'est-ce que vous venez me raconter, alors? continue- t-il, brutal. Vous ne savez pas ce qu'elle m'a dit hier?… Elle m'a ordonné de partir! Elle aimerait mieux mourir que de me voir aux prises avec mon père!»

Et il ricane, ricane.

«Avec mon père!… Elle le croit sans doute plus fort que moi!…»

Il était affreux en parlant ainsi.

Mais, tout à coup, il se transforma et rayonna d'une beauté fulgurante. «Elle a peur pour moi!… eh bien, moi, j'ai peur pour elle!… Et je ne connais pas mon père… Et je ne connais pas ma mère!»

À ce moment, un coup de feu déchire la nuit, suivi du cri de la mort! Ah! revoilà le cri, le cri de la galerie inexplicable! Mes cheveux se dressent sur ma tête et Rouletabille chancelle comme s'il venait d'être frappé lui-même!…

Et puis, il bondit à la fenêtre ouverte et une clameur désespérée emplit la forteresse: Maman! Maman! Maman!

XI
L'attaque de la Tour Carrée

J'avais bondi derrière lui, je l'avais pris à bras le corps, redoutant tout de sa folie. Il y avait dans ses cris: «Maman! Maman! Maman!» une telle fureur de désespoir, un appel ou plutôt une annonce de secours tellement au-dessus des forces humaines que je pouvais craindre qu'il n'oubliât qu'il n'était qu'un homme, c'est-à-dire incapable de voler directement de cette fenêtre à cette tour, de traverser comme un oiseau ou comme une flèche cet espace noir qui le séparait du crime et qu'il remplissait de son effrayante clameur. Tout à coup, il se retourna, me renversa, se précipita, dévala, dégringola, roula, se rua à travers couloirs, chambres, escaliers, cours, jusqu'à cette tour maudite qui venait de jeter dans la nuit le cri de mort de la galerie inexplicable!

Et moi, je n'avais encore eu que le temps de rester à la fenêtre, cloué sur place par l'horreur de ce cri. J'y étais encore quand la porte de la Tour Carrée s'ouvrit et quand, dans son cadre de lumière, apparut la forme de la Dame en noir! Elle était toute droite et bien vivante, malgré le cri de la mort, mais son pâle et spectral visage reflétait une terreur indicible. Elle tendit les bras vers la nuit et la nuit lui jeta Rouletabille, et les bras de la Dame en noir se refermèrent et je n'entendis plus que des soupirs et des gémissements, et encore ces deux syllabes que la nuit répétait indéfiniment: «Maman! Maman!»

Je descendis à mon tour dans la cour, les tempes battantes, le coeur désordonné, les reins rompus. Ce que j'avais vu sur le seuil de la Tour Carrée ne me rassurait en aucune façon. C'est en vain que j'essayais de me raisonner: Eh! quoi, au moment même où nous croyions tout perdu, tout, au contraire, n'était-il point retrouvé? Le fils n'avait-il point retrouvé la mère? La mère n'avait-elle point enfin retrouvé l'enfant?… Mais pourquoi… pourquoi ce cri de mort quand elle était si vivante? Pourquoi ce cri d'angoisse avant qu'elle apparût, debout, sur le seuil de la tour?

Chose extraordinaire, il n'y avait personne dans la Cour du Téméraire quand je la traversai. Personne n'avait donc entendu le coup de feu? Personne n'avait donc entendu les cris? Où se trouvait M. Darzac? Où se trouvait le vieux Bob? Travaillaient-ils encore dans la batterie basse de la Tour Ronde? J'aurais pu le croire, car j'apercevais, au niveau du sol de cette tour, de la lumière. Et Mattoni? Mattoni, lui non plus, n'avait donc rien entendu?… Mattoni qui veillait sous la poterne du jardinier? Eh bien! Et Bernier! et la mère Bernier! Je ne les voyais pas. Et la porte de la Tour Carrée était restée ouverte! Ah! le doux murmure: «Maman! Maman! Maman!» Et je l'entendais, elle, qui ne disait que cela en pleurant: «Mon petit! mon petit! mon petit!» Ils n'avaient même pas eu la précaution de refermer complètement la porte du salon du vieux Bob. C'est là encore qu'elle avait entraîné, qu'elle avait emporté son enfant!

… Et ils y étaient seuls, dans cette pièce, à s'étreindre, à se répéter: «Maman! Mon petit!…» Et puis ils se dirent des choses entrecoupées, des phrases sans suite… des stupidités divines… «Alors, tu n'es pas mort!»… Sans doute, n'est-ce pas? Eh bien, c'était suffisant pour les faire repartir à pleurer… Ah! ce qu'ils devaient s'embrasser, rattraper le temps perdu! Ce qu'il devait le respirer, lui, le parfum de la Dame en noir!… Je l'entendis qui disait encore: «Tu sais, maman, ce n'est pas moi qui avais volé!…» Et l'on aurait pensé, au son de sa voix, qu'il avait encore neuf ans en disant ces choses, le pauvre Rouletabille. «Non! mon petit!… non, tu n'as pas volé!… Mon petit! mon petit!…» Ah! ce n'était pas ma faute si j'entendais… mais j'en avais l'âme toute chavirée… C'était une mère qui avait retrouvé son petit, quoi!…

Mais où était Bernier? J'entrai à gauche dans la loge, car je voulais savoir pourquoi on avait crié et qui est-ce qui avait tiré.

La mère Bernier se tenait au fond de la loge qu'éclairait une petite veilleuse. Elle était un paquet noir sur un fauteuil. Elle devait être au lit quand le coup de feu avait éclaté et elle avait jeté sur elle, à la hâte, quelque vêtement. J'approchai la veilleuse de son visage. Les traits étaient décomposés par la peur.

«Où est le père Bernier? demandai-je.

– Il est là, répondit-elle en tremblant.

– Là?… Où, là?…»

Mais elle ne me répondit pas.

Je fis quelques pas dans la loge et je trébuchai. Je me penchai pour savoir sur quoi je marchais; je marchais sur des pommes de terre. Je baissai la veilleuse et j'examinai le parquet. Le parquet était couvert de pommes de terre; il en avait roulé partout. La mère Bernier ne les avait donc pas ramassées depuis que Rouletabille avait vidé le sac?

Je me relevai, je retournai à la mère Bernier:

«Ah çà! fis-je, on a tiré!… Qu'est-ce qu'il y a eu?

– Je ne sais pas», répondit-elle.

Et, aussitôt, j'entendis qu'on refermait la porte de la tour, et le père Bernier apparut sur le seuil de la loge.

«Ah! c'est vous, monsieur Sainclair?

– Bernier!… Qu'est-il arrivé?

– Oh! rien de grave, monsieur Sainclair, rassurez-vous, rien de grave… (Et sa voix était trop forte, trop «brave» pour être aussi assurée qu'elle le voulait paraître.) Un accident sans importance… M. Darzac, en posant son revolver sur sa table de nuit, l'a fait partir. Madame a eu peur, naturellement, et elle a crié; et, comme la fenêtre de leur appartement était ouverte, elle a bien pensé que M. Rouletabille et vous aviez entendu quelque chose, et elle est sortie tout de suite pour vous rassurer.

– M. Darzac était donc rentré chez lui?…

– Il est arrivé ici presque aussitôt que vous avez eu quitté la tour, monsieur Sainclair. Et le coup de feu est parti presque aussitôt qu'il est entré dans sa chambre. Vous pensez que, moi aussi, j'ai eu peur! Ah! je me suis précipité!… M. Darzac m'a ouvert lui-même. Heureusement, il n'y avait personne de blessé.

– Aussitôt mon départ de la tour, Mme Darzac était donc rentrée chez elle?

– Aussitôt. Elle a entendu M. Darzac qui arrivait à la tour et elle l'a suivi dans leur appartement. Ils y sont allés ensemble.

– Et M. Darzac? Il est resté dans sa chambre?

– Tenez, le voilà!…»

Je me retournai; je vis Robert Darzac; malgré le peu de clarté de l'appartement, je vis qu'il était atrocement pâle. Il me faisait signe. Je m'approchai de lui et il me dit:

«Écoutez, Sainclair! Bernier a dû vous raconter l'accident. Ce n'est pas la peine d'en parler à personne, si l'on ne vous en parle pas. Les autres n'ont peut-être pas entendu ce coup de revolver. C'est inutile d'effrayer les gens, n'est-ce pas?… Dites-donc! J'ai un service personnel à vous demander.

– Parlez, mon ami, fis-je, je vous suis tout acquis, vous le savez bien. Disposez de moi, si je puis vous être utile.

– Merci, mais il ne s'agit que de décider Rouletabille à aller se coucher; quand il sera parti, ma femme se calmera, elle aussi, et elle ira se reposer. Tout le monde a besoin de se reposer. Du calme, du calme, Sainclair! Nous avons tous besoin de calme et de silence…

– Bien, mon ami, comptez sur moi!»

Je lui serrai la main avec une naturelle expansion, une force qui attestait mon dévouement; j'étais persuadé que tous ces gens-là nous cachaient quelque chose, quelque chose de très grave!…

Il entra dans sa chambre, et je n'hésitai pas à aller retrouver Rouletabille dans le salon du vieux Bob.

Mais, sur le seuil de l'appartement du vieux Bob, je me heurtai à la Dame en noir et à son fils qui en sortaient. Ils étaient tous deux si silencieux et avaient une attitude si incompréhensible pour moi, qui avais entendu les transports de tout à l'heure et qui m'attendais à trouver le fils dans les bras de sa mère, que je restai en face d'eux sans dire un mot, sans faire un geste. L'empressement que mettait Mme Darzac à quitter Rouletabille en une circonstance aussi exceptionnelle m'intrigua à un point que je ne saurais dire, et la soumission avec laquelle Rouletabille acceptait son congé m'anéantissait. Mathilde se pencha sur le front de mon ami, l'embrassa et lui dit: «Au revoir, mon enfant» d'une voix si blanche, si triste, et en même temps si solennelle, que je crus entendre l'adieu déjà lointain d'une mourante. Rouletabille, sans répondre à sa mère, m'entraîna hors de la tour. Il tremblait comme une feuille.

Ce fut la Dame en noir elle-même qui ferma la porte de la Tour Carrée. J'étais sûr qu'il se passait dans la tour quelque chose d'inouï. L'histoire de l'accident ne me satisfaisait en rien; et il n'est point douteux que Rouletabille n'eût pensé comme moi, si sa raison et son coeur n'eussent encore été tout étourdis de ce qui venait de se passer entre la Dame en noir et lui!… Et puis, qui me disait que Rouletabille ne pensait pas comme moi?

… Nous étions à peine sortis de la Tour Carrée que j'entreprenais Rouletabille. D'abord je le poussai dans l'encoignure du parapet qui joignait la Tour Carrée à la Tour Ronde, dans l'angle formé par l'avancée, sur la cour, de la Tour Carrée.

Le reporter, qui s'était laissé conduire par moi docilement, comme un enfant, dit à voix basse:

«Sainclair, j'ai juré à ma mère que je ne verrais rien, que je n'entendrais rien de ce qui se passerait cette nuit à la Tour Carrée. C'est le premier serment que je fais à ma mère, Sainclair; mais ma part de paradis pour elle! Il faut que je voie et que j'entende…»

Nous étions là non loin d'une fenêtre encore éclairée, ouvrant sur le salon du vieux Bob et surplombant la mer. Cette fenêtre n'était point fermée, et c'est ce qui nous avait permis, sans doute, d'entendre distinctement le coup de revolver et le cri de la mort malgré l'épaisseur des murailles de la tour. De l'endroit où nous nous trouvions maintenant, nous ne pouvions rien voir par cette fenêtre, mais n'était-ce pas déjà quelque chose que de pouvoir entendre?… L'orage avait fui, mais les flots n'étaient pas encore apaisés et ils se brisaient sur les rocs de la presqu'île d'Hercule avec cette violence qui rendait toute approche de barque impossible! Ainsi pensai-je dans le moment à une barque, parce que, une seconde, je crus voir apparaître ou disparaître – dans l'ombre – une ombre de barque. Mais quoi! C'était là évidemment une illusion de mon esprit qui voyait des ombres hostiles partout, – de mon esprit certainement plus agité que les flots.

Nous nous tenions là, immobiles, depuis cinq minutes, quand un soupir – ah! ce long, cet affreux soupir! un gémissement profond comme une expiration, comme un souffle d'agonie, une plainte sourde, lointaine comme la vie qui s'en va, proche comme la mort qui vient, nous arriva par cette fenêtre et passa sur nos fronts en sueur. Et puis, plus rien… non, on n'entendait plus rien que le mugissement intermittent de la mer, et, tout à coup, la lumière de la fenêtre s'éteignit. La Tour Carrée, toute noire, rentra dans la nuit. Mon ami et moi nous étions saisi la main et nous nous commandions ainsi, par cette communication muette, l'immobilité et le silence. Quelqu'un mourait, là, dans la tour! Quelqu'un qu'on nous cachait! Pourquoi? Et qui? Qui? Quelqu'un qui n'était ni Mme Darzac, ni M. Darzac, ni le père Bernier, ni la mère Bernier, ni, à n'en point douter, le vieux Bob: quelqu'un qui ne pouvait pas être dans la tour.

Penchés à tomber au-dessus du parapet, le cou tendu vers cette fenêtre qui avait laissé passer cette agonie, nous écoutions encore. Un quart d'heure s'écoula ainsi… un siècle. Rouletabille me montra alors la fenêtre de sa chambre, restée éclairée. Je compris. Il fallait aller éteindre cette lumière et redescendre. Je pris mille précautions; cinq minutes plus tard, j'étais revenu auprès de Rouletabille. Il n'y avait plus maintenant d'autre lumière dans la Cour du Téméraire que la faible lueur au ras du sol dénonçant le travail tardif du vieux Bob dans la batterie basse de la Tour Ronde et le lumignon de la poterne du jardinier où veillait Mattoni. En somme, en considérant la position qu'ils occupaient, on pouvait très bien s'expliquer que ni le vieux Bob ni Mattoni n'eussent rien entendu de ce qui s'était passé dans la Tour Carrée, ni même, dans l'orage finissant, des clameurs de Rouletabille poussées au-dessus de leurs têtes. Les murs de la poterne étaient épais et le vieux Bob était enfoui dans un véritable souterrain.

J'avais eu à peine le temps de me glisser auprès de Rouletabille, dans l'encoignure de la tour et du parapet, poste d'observation qu'il n'avait point quitté, que nous entendions distinctement la porte de la Tour Carrée qui tournait avec précaution sur ses gonds. Comme j'allais me pencher au delà de l'encoignure, et allonger mon buste sur la cour, Rouletabille me rejeta dans mon coin, ne permettant qu'à lui-même de dépasser de la tête le mur de la Tour Carrée; mais, comme il était très courbé, je violai la consigne et je regardai par-dessus la tête de mon ami, et voici ce que je vis:

D'abord, le père Bernier, bien reconnaissable malgré l'obscurité, qui, sortant de la Tour, se dirigeait sans faire aucun bruit du côté de la poterne du jardinier. Au milieu de la cour il s'arrêta, regarda du côté de nos fenêtres, le front levé sur le Château Neuf, et puis il se retourna du côté de la tour et fit un signe que nous pouvions interpréter comme un signe de tranquillité. À qui s'adressait ce signe? Rouletabille se pencha encore; mais il se rejeta brusquement en arrière, me repoussant.

Quand nous nous risquâmes à regarder à nouveau dans la cour, il n'y avait plus personne. Enfin, nous vîmes revenir le père Bernier, ou plutôt nous l'entendîmes d'abord, car il y eut entre lui et Mattoni une courte conversation dont l'écho assourdi nous arrivait. Et puis nous entendîmes quelque chose qui grimpait sous la voûte de la poterne du jardinier, et le père Bernier apparut avec, à côté de lui, la masse noire et tout doucement roulante d'une voiture. Nous distinguions bientôt que c'était la petite charrette anglaise, traînée par Toby, le poney d'Arthur Rance. La Cour du Téméraire était de terre battue et le petit équipage ne faisait pas plus de bruit sur cette terre que s'il avait glissé sur un tapis. Enfin, Toby était si sage et si tranquille qu'on eût dit qu'il avait reçu les instructions du père Bernier. Celui-ci, arrivé à côté du puits, releva encore la tête du côté de nos fenêtres et puis, tenant toujours Toby par la bride, arriva sans encombre à la porte de la Tour Carrée; enfin, laissant devant la porte le petit équipage, il entra dans la tour. Quelques instants s'écoulèrent qui nous parurent, comme on dit, des siècles, surtout à mon ami qui s'était mis à nouveau à trembler de tous ses membres sans que j'en pusse deviner la raison subite.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
20 temmuz 2018
Hacim:
360 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Ortalama puan 4,2, 14 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre