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Kitabı oku: «Partie carrée», sayfa 14

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L'idée de revoir ce qu'ils prétendaient aimer le mieux au monde les rendit si tristes, qu'ils se sentirent près de fondre en larmes et de se jeter dans les bras l'un de l'autre pour ne plus se quitter. Mais la position devenait embarrassante, et sir Benedict Arundell ne pouvait plus toujours s'appeler M. Smith et lady Édith Harley, comtesse de Volmerange, Mme Smith, nom tout à fait prosaïque et vulgaire.

Le lendemain, ils demandèrent des chevaux de poste pour Calais, et, quelques heures après, ils attendaient sur la jetée le départ du paquebot.

XX

Le cheval accroché au passage par Volmerange était de noble race et léger comme le vent; en quelques minutes, il emporta son cavalier hors du centre de la bataille, ou plutôt de la boucherie, car ce n'était plus qu'un massacre confus d'éléphants, de chevaux et d'hommes. La déroute était complète.

Pendant quelque temps, Volmerange entendit hurler les éléphants dans le lointain, et vit, sur le terrain rougi par les reflets du bois incendié, galoper devant lui l'ombre de son cheval comme un monstre fantasmagorique qu'il aurait poursuivi; le cheval lui-même s'irritait de cette ombre difforme, s'élançait avec fureur et penchait la tête pour la saisir aux dents.

Peu à peu les fuyards qui, dans les premiers élans de la course de Volmerange, galopaient à ses côtés, étaient restés en arrière: le cri des éléphants ne se faisait plus entendre, et la nuit avait repris sa couleur bleuâtre. Volmerange courait toujours à fond de train le long du Godaveri. Son cheval, avec un instinct merveilleux, évitait les fondrières, sautait par-dessus les troncs d'arbres renversés, devinait les terrains peu solides, et cela, sans ralentir aucunement sa rapidité.

Après avoir mis cinq ou six lieues entre le champ de bataille et lui, Volmerange diminua le train de sa monture, et, guidé par une lumière qui brillait au bord du fleuve, il arriva à la cabane d'un pêcheur occupé à raccommoder ses filets, et qui se prosterna devant lui après l'avoir aidé à descendre de cheval.

Un banc recouvert de saptaparna s'adossait à la hutte; le comte s'y assit, et, s'adressant au pêcheur en idiome indostani, il lui demanda s'il ne pourrait lui donner d'autres vêtements et lui procurer une barque pour descendre le fleuve.

– Je le puis, répondit le pêcheur, qui avait reconnu sa qualité à ses insignes; mais Votre Seigneurie ne voudra peut-être pas revêtir l'humble habit d'un pauvre Indien de la dernière caste, d'un misérable soudra qui n'est pas digne de balayer avec son front la poussière de votre chemin.

– Plus l'habit sera misérable, plus il me convient dit Volmerange en entrant dans la cabane.

Aidé par le pêcheur, il se débarrassa de son costume guerrier et revêtit le modeste sayon, sous lequel il eût été difficile de reconnaître le brillant chef de l'insurrection. Le pêcheur, par surcroît de prudence, lui conseilla de se brunir la figure et les mains avec du jus de coloquinte, car son teint un peu blanc aurait pu le trahir.

Ces précautions prises, le pêcheur détacha sa barque, et le cheval, qui s'était avancé jusqu'au bord de l'eau, voyant qu'on n'avait plus besoin de lui, s'élança, après avoir humé l'air bruyamment, du côté de la colline où se trouvait sans doute son pâturage.

Nous ne suivrons pas jour par jour Volmerange dans sa navigation, qui fut longue; bornons-nous à dire qu'il regagna heureusement la côte, et, après avoir récompensé le pêcheur avec une des pierres précieuses qui ornaient la poignée de son sabre, il monta sur un vaisseau français qui naviguait dans le golfe du Bengale et s'était arrêté à l'embouchure du fleuve pour faire de l'eau.

Comme il revenait seul, ou tout au plus accompagné par le souvenir de deux femmes mortes, Édith noyée par lui et Priyamvada tuée à ses côtés par une balle, il ne mit pas, à beaucoup près, quoique la distance fût grande, le même temps à revenir en Europe qu'Édith et sir Benedict Arundell.

Une force secrète le ramenait malgré lui à Londres, d'où tant de raisons auraient dû l'éloigner. Peut-être obéissait-il à ce magnétisme singulier que les hommes ressentent comme les animaux, et qui les fait revenir au même endroit après chaque violente attaque de la destinée qui les en a fait sortir, comme des taureaux dans la place, qui retournent toujours à leur querencia jusqu'à ce qu'ils meurent.

La fin malheureuse de Priyamvada, quoique, dans le tumulte des événements, il n'eût pas eu le temps de la pleurer comme elle le méritait, avait beaucoup frappé le comte. Il se voyait comme circonvenu par une espèce de noire fatalité, et se résolut à vivre solitairement, de peur de porter malheur à ceux qu'il aimerait.

Il vivait donc isolé, ne sortant que le soir, ou n'allant que dans les endroits déserts, non qu'il eût besoin de se cacher, car, avant de partir pour l'Inde, il avait envoyé à lord et lady Harley les lettres d'Édith, avec ces mots au bas: Justice est faite. Cette fable avait été répandue par la famille que la jeune femme, emmenée en Italie par le comte pour savourer incognito les joies de la lune de miel, était morte à Naples, d'une fièvre gagnée dans les marais Pontins.

Cela n'avait rien de précisément invraisemblable, et le monde, qui ne s'occupe pas beaucoup de ceux qu'il ne voit pas, s'était contenté de cette raison spécieuse, que la douleur de lord et de lady Harley rendait d'ailleurs très croyable.

Un soir, le comte de Volmerange se promenait dans la partie la plus déserte d'Hyde-Park.

Une jeune femme, suivie à quelque distance d'un domestique en livrée et dont la mise élégante et riche annonçait une personne appartenant à la plus haute aristocratie, marchait d'un pas léger le long de la pièce d'eau qui s'étend dans cet endroit solitaire du parc où ne passent ordinairement que les amoureux, les poètes et les mélancoliques, et quelquefois aussi les voleurs; car un homme de fort mauvaise mine, sortant tout à coup d'un massif d'arbres, s'élança vers elle, et, saisissant son châle, que retenait une forte épingle de pierreries, fit des efforts pour arracher ce riche tissu.

Le domestique accourut; mais un coup de poing appliqué en pleine face, d'après les plus saines règles de la boxe, l'envoya rouler à quatre pas, le nez saignant et la bouche meurtrie.

Le voleur tirait toujours le châle à lui et la jeune femme, presque étranglée, pouvait à peine appeler au secours par de faibles cris étouffés dans sa gorge.

Arrivé au détour de l'allée, Volmerange vit le groupe aux prises, et, d'un bond tombant au milieu de l'aventure, rétablit l'équilibre par un coup de canne en travers qui coupa la figure du voleur comme un coup de sabre, et le fit s'enfuir, hurlant de douleur malgré l'intérêt qu'il avait à se taire.

La jeune femme avait éprouvé une frayeur si vive, qu'elle chancelait sur ses jambes et que Volmerange fut obligé d'abandonner la poursuite du larron pour le soin de la soutenir.

Lorsqu'elle fut un peu revenue à elle, Volmerange allait se retirer après avoir salué gravement; mais la jeune femme, étendant la main, l'arrêta dans son mouvement de retraite et lui dit d'une voix timide et suppliante:

– Oh! monsieur, soyez chevaleresque jusqu'au bout, et daignez me reconduire à ma voiture. Mon pauvre garde du corps Daniel est en assez piteux état, et je crains que, me voyant seule de nouveau, les malfaiteurs ne reviennent à la charge.

Il n'y avait guère moyen de dire non à une demande formulée ainsi; et, bien que Volmerange se fût bien promis de ne plus s'occuper désormais d'aucune femme, il ne put s'empêcher d'offrir assez gracieusement, pour un misanthrope qui s'était proposé de dépasser les sauvageries de Timon d'Athènes, le bras qu'on lui demandait avec une instance que la frayeur rendait presque caressante.

La voiture stationnait à un endroit assez éloigné du parc, en sorte que le trajet à parcourir pour la rejoindre donna aux deux personnes, si brusquement mises en rapport, le moyen de faire une espèce de connaissance.

Une femme avec qui vous avez fait deux cents pas, la sentant sur votre bras, palpitante d'une forte émotion, appuyant sa main parce que ses pieds tremblent, n'est plus une inconnue pour vous.

Aussi Volmerange, qui avait eu le temps de remarquer la beauté de la jeune femme et de deviner son esprit aux quelques phrases échangées pendant la route, ralentit involontairement le pas, lorsqu'il vit, arrêtée près d'une des portes du parc, la voiture étincelante de vernis et splendidement armoriée au marchepied de laquelle on devait se quitter.

– Me refuseriez-vous cette grâce, dit-elle, après s'être installée dans sa boîte de satin, et avant que le valet de pied eût refermé la portière, de savoir le nom de mon libérateur? Je suis miss Amabel Vyvyan.

– Et moi, je me nomme le comte de Volmerange, répondit-il en faisant une profonde inclination.

Miss Amabel Vyvyan, car c'était elle, faisait tous les jours, à la mode des jeunes Anglaises, une promenade à pied dans cette portion du parc, et, quoique cet événement eût dû la dégoûter de ses excursions pédestres, elle revint le lendemain à l'heure accoutumée.

Peut-être avait-elle un vague pressentiment que la protection, en cas d'accident, ne lui manquerait pas, car elle prit la même allée que la veille, et longea comme d'habitude la Serpentine river. Sans bien s'en rendre compte, elle voulait donner une récompense délicate au courage de Volmerange, et cette récompense, c'était de lui fournir l'occasion de la voir encore une fois.

Probablement, de son côté, Volmerange eut l'idée que miss Amabel Vyvyan n'était pas en sûreté, malgré le laquais qui la suivait de loin, dans cette partie de Hyde-Park, car il vint se promener le lendemain à cet endroit juste à la même heure.

Ni l'un ni l'autre ne parurent étonnés de se revoir, et ils causèrent quelque temps ensemble, peut-être quelques minutes de plus que les strictes convenances ne le permettaient, et Volmerange, de crainte de mauvaise rencontre, reconduisit miss Amabel jusqu'à sa voiture.

Au bout de quelque temps, le comte fut présenté dans les règles à lady Eleanor Braybrooke, qui le trouva charmant et le vit avec plaisir faire chez elle de fréquentes et longues visites; car la positive lady trouvait que miss Amabel poussait trop loin la fidélité à son veuvage imaginaire.

Ce que nous avons à dire blesse la poétique des romans qui n'admet qu'un amour unique, éternel, mais ceci n'est pas un roman; miss Amabel Vyvyan, qui avait sincèrement cru que, Benedict disparu ou mort, elle ne pourrait jamais aimer personne, fut toute surprise lorsqu'elle sentit battre ce cœur qu'elle pensait à tout jamais éteint sous la cendre d'une première déception. Le nom du comte de Volmerange annoncé par le valet de chambre avait toujours le privilège de faire monter un peu de rose aux joues de camélia de miss Amabel.

Le soir, lorsque, après deux ou trois heures de charmante causerie avec Volmerange, elle noyait sa tête dans son oreiller de point d'Angleterre, et se livrait à ce petit examen de conscience que fait avant de s'endormir toute jolie femme sur les coquetteries de la journée, elle trouvait qu'elle avait répondu par un regard indulgent à une œillade ardente, disserté trop longtemps sur des points de métaphysique amoureuse, et pas retiré assez vite ses doigts de la poignée de main d'adieu. Lorsqu'elle était tout à fait endormie, ses rêves était hantés plutôt par l'image de Volmerange que par celle de Benedict.

Les deux couples de Sainte-Margareth avaient fait un chassé croisé physique et moral, et, par une espèce de symétrie bizarre, lorsque Benedict aimait Édith, miss Amabel Vyvyan aimait Volmerange, qui le lui rendait. Le hasard, dans ces combinaisons renversées, semblait se faire un jeu de contrarier la volonté humaine. Aucune union projetée ne s'était accomplie, nul serment juré n'avait été tenu.

Les caractères, en apparence faits pour s'entendre, s'étaient épris de leurs contraires. Au plan rationnel de ces existences, un pouvoir inconnu avait substitué un scénario fantasque, extravagant, décousu; l'unité de lieu et d'action avait été violée par ce grand romantique qui arrange les drames humains, et qu'on nomme l'imprévu.

Lady Braybrooke, qui avait à cœur de voir Amabel mariée, après ce qu'elle appelait l'affront de Benedict, ne cessait de vanter Volmerange à sa nièce; ces éloges étaient naturellement accompagnés d'anathèmes contre le premier fiancé. Rien de formel n'avait encore été prononcé, et cependant les cœurs s'étaient entendus. Volmerange était soupirant en pied; il donnait le bras à lady Eleanor Braybrooke, et, lorsque la tante et la nièce allaient au théâtre, il avait toujours une place au fond de la loge derrière miss Amabel; et, il faut l'avouer, les plus belles décorations, les scènes les plus pathétiques avaient beaucoup de peine à faire lever ses yeux, occupés à suivre les lignes onduleuses du col d'Amabel et de ses blanches épaules; aussi, quoi qu'il allât souvent au théâtre, personne n'était moins au fait du répertoire, et lady Eleanor Braybrooke s'étonnait quelquefois qu'un jeune homme si intelligent profitât si peu des belles choses qu'il paraissait écouter avec tant d'attention.

Amabel avait bien, de temps à autre, de vagues appréhensions que Benedict ne reparût subitement et ne vint lui reprocher sa trahison; car aucune femme n'admet qu'on puisse lui être infidèle, bien qu'elle ne manque jamais d'excellentes raisons pour justifier de son côté une pareille faute; mais les mois passaient, et l'obscurité la plus profonde planait toujours sur la mystérieuse disparition de Benedict. La jeune femme s'était donc rassurée peu à peu à l'endroit de cette revendication posthume, et commençait à aimer Volmerange sans trop d'épouvante. Celui-ci avait oublié tout à fait Édith et même Priyamvada.

Ses aventures avec cette dernière lui produisaient l'effet d'une hallucination d'opium. Ce teint doré, ces yeux peints, ces colliers de perles, ces parfums exotiques, ces promenades à dos d'éléphant, ces rendez-vous dans les pagodes, ces batailles à travers les forêts barrées de lianes, toutes ces scènes étranges semblaient au comte des souvenirs qui n'appartenaient pas à la réalité.

Si Priyamvada eût vécu, toute charmante qu'elle était, elle eût certainement embarrassé Volmerange. Qu'eût-on dit, au bal d'Almack, d'une femme qui avait des boucles d'oreilles dans le nez et un tatouage de garotchana sur le front?

Cependant le comte ne pouvait s'empêcher d'éprouver un sentiment de tristesse en pensant à la beauté parfaite, à l'amour ardent et au dévouement sans bornes de la pauvre Indienne: ces qualités, quoiqu'un peu excentriques et choquantes, valaient bien un regret.

Pendant toutes ces alternatives, miss Édith et sir Benedict Arundell, que nous avons laissés sur la jetée de Calais, s'étaient embarqués et étaient arrivés en Angleterre.

Avant d'entrer dans Londres, ils s'étaient séparés, et avaient pris chacun une maison dans un square retiré de Londres. La fiction du mariage de M. et Mme Smith ne pouvait être soutenue plus longtemps, et, d'ailleurs, miss Édith Harley n'était-elle pas comtesse de Volmerange, et sir Benedict Arundell l'époux de miss Amabel Vyvyan, ou peu s'en faut? Ne venaient-ils pas de Sainte-Hélène avec l'idée de rentrer dans le giron conjugal? Ne fallait-il pas aussi pousser jusqu'au bout l'épreuve philosophique?

Volmerange avait reçu un billet d'Amabel, qui lui demandait de venir la prendre avec sa tante, pour aller au concert de la princesse ***. Il était tout habillé et prêt à partir, lorsque son valet de chambre vint lui dire qu'une femme voilée demandait à parler à Sa Seigneurie.

– Une femme voilée! quelle singulière visite à pareille heure! Il y a pourtant longtemps que je ne hante plus les coulisses de Drury-Lane, et nous ne sommes pas dans la saison de l'Opéra. Qui diable cela peut-il être? Une mère à principes qui vient me proposer sa fille pour demoiselle de compagnie?

– Milord, que répondrai-je à cette dame? dit le valet de chambre en insistant pour avoir une réponse.

– Dites-lui qu'elle écrive son nom et ce qu'elle demande sur sa carte.

– C'est ce que j'ai eu l'honneur de lui dire, répondit le valet; mais elle a prétendu qu'elle désirait ne pas se nommer et ne voulait parler qu'à vous-même.

– Est-elle jeune ou vieille, laide ou jolie? demanda le comte par excès de précaution.

– Milord, autant qu'on peut juger de la beauté d'une femme voilée, elle est jolie, et, à la souplesse de sa démarche, on peut juger qu'elle est jeune.

Le comte jeta les yeux sur la pendule et vit qu'il pouvait disposer, d'une demi-heure avant de se rendre chez Amabel, et il dit au valet de chambre d'introduire la dame mystérieuse.

Cette visite singulière, cette insistance à ne pas se nommer, ce voile soigneusement rabattu, tout cela avait une tournure romanesque faite pour séduire l'imagination assez vive du comte. Cependant il éprouvait malgré lui une espèce de terreur vague et de frisson involontaire; – il se vit par hasard dans une glace et se trouva pâle.

La pièce où le comte se tenait était vaste, d'un luxe sévère, éclairée par une seule lampe dont la lumière, concentrée sur un seul point, laissait le reste de la chambre dans l'ombre. Il pleuvait, et la pluie battait les vitres avec un tintement qui rappelait une certaine nuit de tempête…

Une attente anxieuse contrastant avec la légèreté de ses réponses au valet de chambre poignait le cœur de Volmerange; et, lorsque la porte s'ouvrit pour donner passage à l'inconnue, le léger craquement des gonds lui fit faire un soubresaut nerveux.

L'ombre baignait la porte: le comte ne put d'abord bien distinguer la femme qui venait d'entrer.

Avec la politesse d'un gentleman qu'il était, il fit trois pas au-devant d'elle.

La lumière de la lampe éclairait alors en plein la nouvelle venue.

Le valet de chambre avait bien jugé: ce n'était pas une laideur, mais bien un secret ou une pudeur que recouvrait le voile.

La beauté traversait confusément le tissu, comme un feu qui brille derrière une toile métallique. On ne la voyait pas, mais on la sentait belle.

Elle était vêtue d'une longue robe blanche, qui s'arrangeait à petits plis fins et fripés comme ceux des draperies de Phidias, et sur laquelle tranchaient, avec une grâce coquette et funèbre, les réseaux noirs des dentelles de la mantille.

– Madame, dit Volmerange, ne relèverez-vous pas ce voile? Puisque vous avez la confiance de venir chez moi à cette heure, ces précautions sont inutiles; votre secret ne court aucun danger; vous me cachez votre nom, laissez-moi voir au moins, votre figure.

– Vous le voulez? répondit l'inconnue d'une voix douce et pénétrante.

Cette voix connue fit courir un frisson dans les cheveux de Volmerange.

La dame, d'une main blanche, fluette, et dont la forme réveillait mille souvenirs dans la mémoire du comte, commença à remonter lentement les plis noirs de la dentelle.

D'abord apparut un menton charmant marqué d'un petit signe qui remplit Volmerange de trouble, puis une bouche d'un rose vivace qui porta sa terreur au plus haut point, et ensuite un nez grec et d'adorables yeux bruns qui le rendirent fou d'épouvante.

Tenant ainsi son voile relevé au-dessus de sa tête avec sa belle main de marbre, dans une attitude digne d'une statue antique, elle s'offrait placidement aux regards égarés de Volmerange, qui s'était reculé de trois pas et tremblait comme la feuille.

– Oh! râla-t-il d'une voix sourde, qui êtes-vous donc?

– Je suis lady Édith, comtesse de Volmerange.

– Non, tu mens; tu es un spectre! ta robe doit être mouillée, tu sors de la Tamise; va-t'en! laisse-moi! Je t'ai noyée, tu le sais bien, comme j'en avais le droit. Ah! ah! quelle étrange aventure! est-ce que Dolfos va revenir aussi? Ce serait très drôle! dit le comte en éclatant de rire.

Il était fou.

XXI

Miss Amabel, en toilette de bal, regardait dans une glace l'effet produit par une branche de bruyère du Cap, coquettement posée sur ses beaux cheveux. Jamais elle n'avait été plus jolie.

L'attente de l'être aimé allumait dans sa beauté une clarté intérieure qui la rendait rayonnante. Il est si doux, dans ces instants-là, de se sentir belle et d'augmenter l'amour par l'admiration.

Blanche, rose, éclatante, avec sa robe qui semblait taillée dans les pétales d'une fleur, et sa tunique de gaze, plus frêle et plus transparente que les ailes des lilullules, rattachée par des bouquets pareils à ceux de sa coiffure, elle avait l'air d'une sylphide qui se passait le caprice d'aller en soirée.

La femme de chambre, ayant accompli son office, se retira.

Amabel restée seule, car lady Eleanor Braybrooke, ayant beaucoup à réparer dans l'édifice de ses charmes, demeurait bien plus de temps que sa nièce entre les mains de ses femmes, éprouva cette espèce de désœuvrement qui s'empare des personnes habillées trop tôt pour une fête.

Elle avait écrit à Volmerange de venir à neuf heures, il en était huit à peine; c'était donc une heure d'inaction et d'immobilité, car en se livrant à quelque occupation elle eût pu compromettre la fraîcheur de sa toilette.

Pour passer le temps, elle prit un livre et lut distraitement quelques pages; puis elle ouvrit le piano et fit jaillir quelques fusées de gammes en rasant de son ongle étincelant l'ivoire poli du clavier; mais le pétillement des notes et la vibration des cordes la rendaient nerveuse. Elle ferma le piano et se leva.

Un de ses bracelets trop larges lui glissait sur la main et la gênait. Elle prit son coffre à bijoux pour en choisir un autre; en remettant le coffre à sa place, ses yeux tombèrent sur la cassette où étaient renfermées les lettres que lui avait écrites Benedict au temps de leurs amours.

Ce jour-là se trouvait être précisément l'anniversaire du mariage si bizarrement interrompu à l'église de Sainte-Margareth.

Cette date, qui revint à la mémoire de miss Amabel à la vue de la cassette la fit soupirer, et, l'esprit mû d'une fantaisie mélancolique, elle tira une lettre de la liasse, et debout près de la cheminée, car ses épaules décolletées et ses bras nus la rendaient frileuse, elle se mit à lire.

«Chère Amabel, disait la lettre écrite pendant une courte absence, comment vais-je vivre ces trois jours qu'il me faut passer loin de vous, moi qui suis accoutumé à votre douce présence, moi qui vois tous les soirs briller votre âme dans vos yeux et votre esprit sur votre sourire? La seule chose qui puisse me faire supporter cette séparation est l'idée que bientôt rien ne pourra plus nous désunir, et que nos existences couleront comme deux flots qui se confondent.»

Cette lecture plongea miss Amabel dans une rêverie profonde.

– A quoi bon garder, se dit-elle, ces témoignages d'une passion menteuse?

Et elle jeta la lettre au feu.

Elle en prit une seconde qu'elle lut, et qu'elle envoya rejoindre la première dans l'ardent foyer: elle remonta ainsi, lettre par lettre, tout le cours de cet amour évanoui. A mesure qu'elle avait respiré le vague parfum de souvenir enfermé dans les plis du vélin, elle rendait à la flamme ces débris d'un temps qui n'existait plus.

– Neuf heures, dit-elle en jetant la dernière lettre de la cassette; et Volmerange qui ne vient pas!

Le papier, après s'être allumé sur les charbons, avait, par suite d'un écroulement de braises, roulé à terre devant la cheminée.

Près de s'éteindre, mais ravivée sans doute par quelque souffle, la lettre, plus qu'à demi consumée, lança un jet bleu; la flamme près d'expirer, cherchant un aliment, mordit le bord de la robe de gaze d'Amabel, et monta en serpentant dans les plis de l'étoffe légère.

Amabel se vit tout à coup entourée d'une clarté flamboyante et d'une atmosphère embrasée; elle courut au cordon de la sonnette; mais, folle d'épouvante et de douleur, elle le cherchait à gauche tandis qu'il était à droite, et la flamme, excitée par ces mouvements, l'enveloppait victorieuse et triomphante.

La pauvre enfant se roulait par terre pour éteindre le feu, et tâchait d'arracher ses vêtements en poussant des cris.

Au même moment, la porte s'ouvrait et le domestique annonça:

– Sir Benedict Arundell!

– Sauvez-moi! sauvez-moi! cria du milieu de la flamme la malheureuse Amabel.

Benedict et le domestique se précipitèrent; mais il était trop tard, et, dans le délire d'une agonie horrible, elle fixait ses yeux effarés sur son ancien fiancé et murmurait à travers son râle:

– Benedict ici! Oh! je suis trop punie!

Le domestique, épouvanté, hors de lui, s'élança pour aller chercher du secours, un médecin, de l'eau, tandis que Benedict tâchait d'étouffer le feu qui brûlait encore les vêtements de dessous d'Amabel sous un tapis arraché d'une table.

Quand le secours arriva, Amabel venait d'expirer.

Benedict éperdu se sauva, ne pouvant supporter cet affreux spectacle, et personne, dans cette catastrophe, ne fit attention à sa venue et à sa sortie.

Quelques jours après, on remit à lady Eleanor Braybrooke quelques lettres à demi brûlées ramassées sur le plancher, qui expliquèrent la cause de cet affreux événement. Lady Braybrooke, à travers ses larmes, déchiffra les quelques lignes mutilées qui restaient, et comprit que ces fragments de papier, cause de l'accident, étaient des lettres d'amour de Benedict, découverte qui augmenta encore la haine que la bonne dame lui avait vouée.

Bizarre coïncidence, fatalité inexplicable! Les lettres d'amour de Benedict avaient repris Amabel au moment où elle en attendait un autre. Une âme superstitieuse eût pu voir là un châtiment. Mais le châtiment de quoi? de l'innocence sans doute? à moins que l'innocence ne paye la rançon du crime, par une loi de réversibilité dont la raison nous échappe.

Les deux visites de Benedict et de miss Édith n'avaient pas eu un résultat heureux et leur expérience avait tourné comme la plupart des expériences philosophiques.

Arrivé au terme de cette histoire, ou, pour mieux dire, de l'épisode que nous en pouvions raconter, nous sentons le besoin d'élucider par quelques explications générales les portions de ce récit qui, sans cela, resteraient peut-être obscures.

Dans les dernières années de l'Empire, des amitiés contractées au collège, des relations nouées dans le monde ou ailleurs, des goûts pareils pour les travaux et les plaisirs, une certaine conformité audacieuse de pensée, des coups de fortune bizarres avaient réuni en Angleterre des hommes de divers pays, de divers rangs, mais tous esprits supérieurs, volontés bien trempées et remarquables chacun dans leur genre.

Une sorte de franc-maçonnerie involontaire n'avait pas tardé à s'établir entre eux: ils se reconnaissaient dans le monde et se disaient dans l'embrasure d'une fenêtre de ces mots rapides qui résument tout et contiennent une philosophie dans un sourire imperceptible, dans un léger haussement d'épaules. Beaucoup parmi eux étaient riches, d'autres puissants; ceux-ci possédaient l'audace, ceux-là l'habileté; quelques-uns étaient grands poètes ou profonds politiques.

Les amusements ordinaires d'un club, le vin, les cartes, les chevaux et les femmes ne pouvaient suffire à des gens pareils, blasés sur les émotions de l'orgie et du jeu, et dont plusieurs auraient pu montrer des listes de noms plus longues et mieux choisies que celles de don Juan. Ils cherchèrent donc un but à leur activité, et voici ce qu'ils trouvèrent: la victoire de la Volonté sur le Destin.

Constitués en une espèce de tribunal secret, ils citèrent à leur barre l'histoire contemporaine, se donnant pour mission de casser ses arrêts lorsqu'ils n'étaient pas jugés justes. En un mot, ils voulurent refaire les événements et corriger la Providence.

Ces joueurs intrépides, plus hardis que les géants et les titans de la Fable, essayèrent de regagner contre Dieu les parties perdues sur le tapis vert du monde, et s'engagèrent par des serments les plus formidables à s'entr'aider dans ces entreprises.

Le soulèvement de l'Inde, le rétablissement de Napoléon sur un trône plus élevé, l'affranchissement de l'Espagne, la délivrance de la Grèce, où plus tard Byron, qui faisait partie de cette junte, trouva la mort, tels étaient les plans que ces hommes s'étaient tracés.

Les divers mouvements et révoltes qui eurent lieu vers ces temps-là étaient leur ouvrage. Ils avaient guidé les Mahrattes contre les Anglais, agité la Péninsule, préparé l'insurrection de Grèce, et tenté d'enlever l'empereur, à qui un empire oriental rêvé dans sa jeunesse avait été préparé dans l'Inde, d'où il serait revenu en Europe en suivant à rebours le chemin d'Alexandre.

Ces grands esprits, ces volontés inflexibles, qui remaniaient la carte de l'univers et voulaient faire subir leurs ordres au hasard, n'avaient cependant pas réussi dans leurs combinaisons. Arrivés au bout de toutes les voies, ils avaient été renversés par ce petit souffle qui n'est peut-être autre chose que l'esprit de Dieu.

Tous leurs laborieux entassements s'étaient écroulés on ne sait pourquoi. Malgré tous leurs efforts, les fatalités inexplicables continuaient leur marche aveugle. Le destin maintenait ses décisions.

Ce qui leur paraissait le bon droit essuyait des défaites, ce qui leur semblait injuste triomphait: le génie se tordait toujours sur la croix et la médiocrité florissait sous sa couronne d'or. Un obstacle imprévu, une trahison, une mort inopportune ou quelque autre obstacle déjouaient leurs mesures au moment où elles allaient réussir. Ils essayaient de remonter le cours des choses et se sentaient, malgré leurs prodigieux efforts, emportés par le courant invincible.

La plupart s'acharnaient avec cette fureur du joueur malheureux, avec ce délire de l'orgueil aux prises avec l'impossible. Insensés, ils jetaient une poignée de poussière contre le ciel, et, comme Xerxès, eussent volontiers fait donner le fouet à la mer. D'autres, plus forts, en étaient arrivés à soupçonner ce que, faute d'autre mot, nous appellerons «les mathématiques du hasard;» ils pressentaient que les événements étaient déterminés par une gravitation dont la loi restait à trouver pour un Newton de l'avenir, et, s'ils le contrariaient, c'était par une curiosité d'expérimentateur; ils agitaient le monde comme un physicien remue un verre pour mêler les liquides et les voir ensuite reprendre leur place selon leur pesanteur spécifique.

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12+
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28 eylül 2017
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