Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Romans et contes», sayfa 17

Yazı tipi:

«A mon dégoût des autres femmes, répondit Octavien, à la rêverie invincible qui m’entraînait vers ses types radieux au fond des siècles comme des étoiles provocatrices, je comprenais que je n’aimerais jamais que hors du temps et de l’espace. C’était toi que j’attendais, et ce frêle vestige conservé par la curiosité des hommes m’a par son secret magnétisme mis en rapport avec ton âme. Je ne sais si tu es un rêve ou une réalité, un fantôme ou une femme, si comme Ixion je serre un nuage sur ma poitrine abusée, si je suis le jouet d’un vil prestige de sorcellerie, mais ce que je sais bien, c’est que tu seras mon premier et mon dernier amour.

– Qu’Éros, fils d’Aphrodite, entende ta promesse, dit Arria Marcella en inclinant sa tête sur l’épaule de son amant qui la souleva avec une étreinte passionnée. Oh! serre-moi sur ta jeune poitrine, enveloppe-moi de ta tiède haleine, j’ai froid d’être restée si longtemps sans amour.» Et contre son cœur Octavien sentait s’élever et s’abaisser ce beau sein, dont le matin même il admirait le moule à travers la vitre d’une armoire de musée; la fraîcheur de cette belle chair le pénétrait à travers sa tunique et le faisait brûler. La bandelette or et noir s’était détachée de la tête d’Arria passionnément renversée, et ses cheveux se répandaient comme un fleuve noir sur l’oreiller bleu.

Les esclaves avaient emporté la table. On n’entendit plus qu’un bruit confus de baisers et de soupirs. Les cailles familières, insouciantes de cette scène amoureuse, picoraient, sur le pavé mosaïque les miettes du festin en poussant de petits cris.

Tout à coup les anneaux d’airain de la portière qui fermait la chambre glissèrent sur leur tringle, et un vieillard d’aspect sévère et drapé dans un ample manteau brun parut sur le seuil. Sa barbe grise était séparée en deux pointes comme celle des Nazaréens, son visage semblait sillonné par la fatigue des macérations: une petite croix de bois noir pendait à son col et ne laissait aucun doute sur sa croyance: il appartenait à la secte, toute récente alors, des disciples du Christ.

A son aspect, Arria Marcella, éperdue de confusion, cacha sa figure sous un pli de son manteau, comme un oiseau qui met la tête sous son aile en face d’un ennemi qu’il ne peut éviter, pour s’épargner au moins l’horreur de le voir; tandis qu’Octavien, appuyé sur son coude, regardait avec fixité le personnage fâcheux qui entrait ainsi brusquement dans son bonheur.

«Arria, Arria, dit le personnage austère d’un ton de reproche, le temps de ta vie n’a-t-il pas suffi à tes déportements, et faut-il que tes infâmes amours empiètent sur les siècles qui ne t’appartiennent pas? Ne peux-tu laisser les vivants dans leur sphère, ta cendre n’est donc pas encore refroidie depuis le jour où tu mourus sans repentir sous la pluie de feu du volcan? Deux mille ans de mort ne t’ont donc pas calmée, et tes bras voraces attirent sur ta poitrine de marbre, vide de cœur, les pauvres insensés enivrés par tes philtres.

– Arrius, grâce, mon père, ne m’accablez pas, au nom de cette religion morose qui ne fut jamais la mienne; moi, je crois à nos anciens dieux qui aimaient la vie, la jeunesse, la beauté, le plaisir; ne me replongez pas dans le pâle néant. Laissez-moi jouir de cette existence que l’amour m’a rendue.

– Tais-toi, impie, ne me parle pas de tes dieux qui sont des démons. Laisse aller cet homme enchaîné par tes impures séductions; ne l’attire plus hors du cercle de sa vie que Dieu a mesurée; retourne dans les limbes du paganisme avec tes amants asiatiques, romains ou grecs. Jeune chrétien, abandonne cette larve qui te semblerait plus hideuse qu’Empouse et Phorkyas, si tu la pouvais voir telle qu’elle est.»

Octavien, pâle, glacé d’horreur, voulut parler; mais sa voix resta attachée à son gosier, selon l’expression virgilienne.

«M’obéiras-tu, Arria? s’écria impérieusement le grand vieillard.

– Non, jamais,» répondit Arria, les yeux étincelants, les narines dilatées, les lèvres frémissantes, en entourant le corps d’Octavien de ses beaux bras de statue, froids, durs et rigides comme le marbre. Sa beauté furieuse, exaspérée par la lutte, rayonnait avec un éclat surnaturel à ce moment suprême, comme pour laisser à son jeune amant un inéluctable souvenir.

«Allons, malheureuse, reprit le vieillard, il faut employer les grands moyens, et rendre ton néant palpable et visible à cet enfant fasciné,» et il prononça d’une voix pleine de commandement une formule d’exorcisme qui fit tomber des joues d’Arria les teintes pourprées que le vin noir du vase myrrhin y avait fait monter.

En ce moment, la cloche lointaine d’un des villages qui bordent la mer ou des hameaux perdus dans les plis de la montagne fit entendre les premières volées de la Salutation angélique.

A ce son, un soupir d’agonie sortit de la poitrine brisée de la jeune femme. Octavien sentit se desserrer les bras qui l’entouraient; les draperies qui la couvraient se replièrent sur elles-mêmes, comme si les contours qui les soutenaient se fussent affaissés, et le malheureux promeneur nocturne ne vit plus à côté de lui, sur le lit du festin, qu’une pincée de cendres mêlée de quelques ossements calcinés parmi lesquels brillaient des bracelets et des bijoux d’or, et que des restes informes, tels qu’on les dut découvrir en déblayant la maison d’Arrius Diomèdes.

Il poussa un cri terrible et perdit connaissance.

Le vieillard avait disparu. Le soleil se levait, et la salle ornée tout à l’heure avec tant d’éclat n’était plus qu’une ruine démantelée.

Après avoir dormi d’un sommeil appesanti par les libations de la veille, Max et Fabio se réveillèrent en sursaut, et leur premier soin fut d’appeler leur compagnon, dont la chambre était voisine de la leur, par un de ces cris de ralliement burlesques dont on convient quelquefois en voyage; Octavien ne répondit pas, pour de bonnes raisons. Fabio et Max, ne recevant pas de réponse, entrèrent dans la chambre de leur ami, et virent que le lit n’avait pas été défait.

«Il se sera endormi sur quelque chaise, dit Fabio, sans pouvoir gagner sa couchette; car il n’a pas la tête forte, ce cher Octavien; et il sera sorti de bonne heure pour dissiper les fumées du vin à la fraîcheur matinale.

– Pourtant il n’avait guère bu, ajouta Max par manière de réflexion. Tout ceci me semble assez étrange. Allons à sa recherche.»

Les deux amis, aidés du cicerone, parcoururent toutes les rues, carrefours, places et ruelles de Pompeï, entrèrent dans toutes les maisons curieuses où ils supposèrent qu’Octavien pouvait être occupé à copier une peinture ou à relever une inscription, et finirent par le trouver évanoui sur la mosaïque disjointe d’une petite chambre à demi écroulée. Ils eurent beaucoup de peine à le faire revenir à lui, et quand il eut repris connaissance, il ne donna pas d’autre explication, sinon qu’il avait eu la fantaisie de voir Pompeï au clair de la lune, et qu’il avait été pris d’une syncope qui, sans doute, n’aurait pas de suite.

La petite bande retourna à Naples par le chemin de fer, comme elle était venue, et le soir, dans leur loge, à San Carlo, Max et Fabio regardaient à grand renfort de jumelles sautiller dans un ballet, sur les traces d’Amalia Ferraris, la danseuse alors en vogue, un essaim de nymphes culottées, sous leurs jupes de gaze, d’un affreux caleçon vert monstre qui les faisait ressembler à des grenouilles piquées de la tarentule. Octavien, pâle, les yeux troubles, le maintien accablé, ne paraissait pas se douter de ce qui se passait sur la scène, tant, après les merveilleuses aventures de la nuit, il avait peine à reprendre le sentiment de la vie réelle.

A dater de cette visite à Pompeï, Octavien fut en proie à une mélancolie morne, que la bonne humeur et les plaisanteries de ses compagnons aggravaient plutôt qu’ils ne le soulageaient; l’image d’Arria Marcella le poursuivait toujours, et le triste dénoûment de sa bonne fortune fantastique n’en détruisait pas le charme.

N’y pouvant plus tenir, il retourna secrètement à Pompeï et se promena, comme la première fois, dans les ruines, au clair de lune, le cœur palpitant d’un espoir insensé, mais l’hallucination ne se renouvela pas; il ne vit que des lézards fuyant sur les pierres; il n’entendit que des piaulements d’oiseaux de nuit effrayés; il ne rencontra plus son ami Rufus Holconius; Tyché ne vint pas lui mettre sa main fluette sur le bras; Arria Marcella resta obstinément dans la poussière.

En désespoir de cause, Octavien s’est marié dernièrement à une jeune et charmante Anglaise, qui est folle de lui. Il est parfait pour sa femme; cependant Ellen, avec cet instinct du cœur que rien ne trompe, sent que son mari est amoureux d’une autre; mais de qui? C’est ce que l’espionnage le plus actif n’a pu lui apprendre. Octavien n’entretient pas de danseuse; dans le monde, il n’adresse aux femmes que des galanteries banales; il a même répondu très-froidement aux avances marquées d’une princesse russe, célèbre par sa beauté et sa coquetterie. Un tiroir secret, ouvert pendant l’absence de son mari, n’a fourni aucune preuve d’infidélité aux soupçons d’Ellen. Mais comment pourrait-elle s’aviser d’être jalouse de Marcella, fille d’Arrius Diomèdes, affranchi de Tibère?

LA MILLE ET DEUXIÈME NUIT

J’avais fait défendre ma porte ce jour-là; ayant pris dès le matin la résolution formelle de ne rien faire, je ne voulais pas être dérangé dans cette importante occupation. Sûr de n’être inquiété par aucun fâcheux (ils ne sont pas tous dans la comédie de Molière), j’avais pris toutes mes mesures pour savourer à mon aise ma volupté favorite.

Un grand feu brillait dans ma cheminée, les rideaux fermés tamisaient un jour discret et nonchalant, une demi-douzaine de carreaux jonchaient le tapis, et, doucement étendu devant l’âtre à la distance d’un rôti à la broche, je faisais danser au bout de mon pied une large babouche marocaine d’un jaune oriental et d’une forme bizarre; mon chat était couché sur ma manche, comme celui du prophète Mahomet, et je n’aurais pas changé ma position pour tout l’or du monde.

Mes regards distraits, déjà noyés par cette délicieuse somnolence qui suit la suspension volontaire de la pensée, erraient, sans trop les voir, de la charmante esquisse de la Madeleine au désert de Camille Roqueplan au sévère dessin à la plume d’Aligny et au grand paysage des quatre inséparables, Feuchères, Séchan, Diéterle et Despléchins, richesse et gloire de mon logis de poëte; le sentiment de la vie réelle m’abandonnait peu à peu, et j’étais enfoncé bien avant sous les ondes insondables de cette mer d’anéantissement où tant de rêveurs orientaux ont laissé leur raison, déjà ébranlée par le hatschich et l’opium.

Le silence le plus profond régnait dans la chambre; j’avais arrêté la pendule pour ne pas entendre le tic-tac du balancier, ce battement de pouls de l’éternité; car je ne puis souffrir, lorsque je suis oisif, l’activité bête et fiévreuse de ce disque de cuivre jaune qui va d’un coin à l’autre de sa cage et marche toujours sans faire un pas.

Tout à coup, et kling et klang, un coup de sonnette vif, nerveux, insupportablement argentin, éclate et tombe dans ma tranquillité comme une goutte de plomb fondu qui s’enfoncerait en grésillant dans un lac endormi; sans penser à mon chat, pelotonné en boule sur ma manche, je me redressai en tressaillant et sautai sur mes pieds comme lancé par un ressort, envoyant à tous les diables l’imbécile concierge qui avait laissé passer quelqu’un malgré la consigne formelle; puis je me rassis. A peine remis de la secousse nerveuse, j’assurai les coussins sous mes bras et j’attendis l’événement de pied ferme.

La porte du salon s’entr’ouvrit et je vis paraître d’abord la tête laineuse d’Adolfo-Francesco Pergialla, espèce de brigand abyssin au service duquel j’étais alors, sous prétexte d’avoir un domestique nègre. Ses yeux blancs étincelaient, son nez épaté se dilatait prodigieusement, ses grosses lèvres, épanouies en un large sourire qu’il s’efforçait de rendre malicieux, laissaient voir ses dents de chien de Terre-Neuve, il crevait d’envie de parler dans sa peau noire, et faisait toutes les contorsions possibles pour attirer mon attention.

«Eh bien! Francesco, qu’y a-t-il? Quand vous tourneriez pendant une heure vos yeux d’émail comme ce nègre de bronze qui avait une horloge dans le ventre, en serais-je plus instruit? Voilà assez de pantomime, tâchez de me dire, dans un idiome quelconque, ce dont il s’agit, et quelle est la personne qui vient me relancer jusqu’au fond de ma paresse.»

Il faut vous dire qu’Adolfo-Francesco Pergialla-Abdallah-Ben-Mohammed, Abyssin de naissance, autrefois mahométan, chrétien pour le quart d’heure, savait toutes les langues et n’en parlait aucune intelligiblement; il commençait en français, continuait en italien, et finissait en turc ou en arabe, surtout dans les conversations embarrassantes pour lui, lorsqu’il s’agissait de bouteilles de vin de Bordeaux, de liqueurs des îles ou de friandises disparues prématurément. Par bonheur, j’ai des amis polyglottes: nous le chassions d’abord de l’Europe; après avoir épuisé l’italien, l’espagnol et l’allemand, il se sauvait à Constantinople, dans le turc, où Alfred le pourchassait vivement: se voyant traqué, il sautait à Alger, où Eugène lui marchait sur les talons en le suivant à travers tous les dialectes de haut et bas arabe; arrivé là, il se réfugiait dans le bambara, le galla et autres dialectes de l’intérieur de l’Afrique, où d’Abadie, Combes et Tamisier pouvaient seuls le forcer. Cette fois, il me répondit résolûment en un espagnol médiocre, mais fort clair:

«Una mujer muy bonita con su hermana quien quiere hablar á usted.

– Fais-les entrer si elles sont jeunes et jolies; autrement, dis que je suis en affaires.»

Le drôle, qui s’y connaissait, disparut quelques secondes et revint bientôt suivi de deux femmes enveloppées dans de grands bournous blancs, dont les capuchons étaient rabattus.

Je présentai le plus galamment du monde deux fauteuils à ces dames; mais, avisant les piles de carreaux, elles me firent un signe de la main qu’elles me remerciaient, et, se débarrassant de leurs bournous, elles s’assirent en croisant leurs jambes à la mode orientale.

Celle qui était assise en face de moi, sous le rayon du soleil qui pénétrait à travers l’interstice des rideaux, pouvait avoir vingt ans; l’autre, beaucoup moins jolie, paraissait un peu plus âgée; ne nous occupons que de la plus jolie.

Elle était richement habillée à la mode turque; une veste de velours vert, surchargée d’ornements, serrait sa taille d’abeille; sa chemisette de gaze rayée, retenue au col par deux boutons de diamant, était échancrée de manière à laisser voir une poitrine blanche et bien formée; un mouchoir de satin blanc, étoilé et constellé de paillettes, lui servait de ceinture. Des pantalons larges et bouffants lui descendaient jusqu’aux genoux; des jambières à l’albanaise en velours brodé garnissaient ses jambes fines et délicates aux jolis pieds nus enfermés dans de petites pantoufles de maroquin gaufré, piqué, colorié et cousu de fils d’or; un caftan orange, broché de fleurs d’argent, un fez écarlate enjolivé d’une longue houppe de soie, complétaient cette parure assez bizarre pour rendre des visites à Paris en cette malheureuse année 1842.

Quant à sa figure, elle avait cette beauté régulière de la race turque: dans son teint, d’un blanc mat semblable à du marbre dépoli, s’épanouissaient mystérieusement, comme deux fleurs noires, ces beaux yeux orientaux si clairs et si profonds sous leurs longues paupières teintes de henné. Elle regardait d’un air inquiet et semblait embarrassée; par contenance, elle tenait un de ses pieds dans une de ses mains, et de l’autre jouait avec le bout d’une de ses tresses, toute chargée de sequins percés par le milieu, de rubans et de bouquets de perles.

L’autre, vêtue à peu près de même, mais moins richement, se tenait également dans le silence et l’immobilité. Me reportant par la pensée à l’apparition des bayadères à Paris, j’imaginai que c’était quelque almée du Caire, quelque connaissance égyptienne de mon ami Dauzats, qui, encouragée par l’accueil que j’avais fait à la belle Amany et à ses brunes compagnes, Sandiroun et Rangoun, venait implorer ma protection de feuilletoniste.

«Mesdames, que puis-je faire pour vous?» leur dis-je en portant mes mains à mes oreilles de manière à produire un salamalec assez satisfaisant.

La belle Turque leva les yeux au plafond, les ramena vers le tapis, regarda sa sœur d’un air profondément méditatif. Elle ne comprenait pas un mot de français.

«Holà, Francesco! maroufle, butor, belître, ici, singe manqué, sers-moi à quelque chose au moins une fois dans ta vie.»

Francesco s’approcha d’un air important et solennel.

«Puisque tu parles si mal français, tu dois parler fort bien arabe, et tu vas jouer le rôle de drogman entre ces dames et moi. Je t’élève à la dignité d’interprète; demande d’abord à ces deux belles étrangères qui elles sont, d’où elles viennent et ce qu’elles veulent.»

Sans reproduire les différentes grimaces dudit Francesco, je rapporterai la conversation comme si elle avait eu lieu en français.

«Monsieur, dit la belle Turque par l’organe du nègre, quoique vous soyez littérateur, vous devez avoir lu les Mille et une Nuits, contes arabes, traduits ou à peu près par ce bon M. Galland, et le nom de Scheherazade ne vous est pas inconnu?

– La belle Scheherazade, femme de cet ingénieux sultan Schahriar, qui, pour éviter d’être trompé, épousait une femme le soir et la faisait étrangler le matin? Je la connais parfaitement.

– Eh bien! je suis la sultane Scheherazade, et voilà ma bonne sœur Dinarzarde, qui n’a jamais manqué de me dire toutes les nuits: «Ma sœur, devant qu’il fasse jour, contez-nous donc, si vous ne dormez pas, un de ces beaux contes que vous savez.»

– Enchanté de vous voir, quoique la visite soit un peu fantastique; mais qui me procure cet insigne honneur de recevoir chez moi, pauvre poëte, la sultane Scheherazade et sa sœur Dinarzarde?

– A force de conter, je suis arrivée au bout de mon rouleau; j’ai dit tout ce que je savais. J’ai épuisé le monde de la féerie; les goules, les djinns, les magiciens et les magiciennes m’ont été d’un grand secours, mais tout s’use, même l’impossible; le très-glorieux sultan, ombre du padischa, lumière des lumières, lune et soleil de l’Empire du milieu, commence à bâiller terriblement et tourmente la poignée de son sabre; ce matin, j’ai raconté ma dernière histoire, et mon sublime seigneur a daigné ne pas me faire couper la tête encore; au moyen du tapis magique des quatre Facardins, je suis venue ici en toute hâte chercher un conte, une histoire, une nouvelle, car il faut que demain matin, à l’appel accoutumé de ma sœur Dinarzarde, je dise quelque chose au grand Schahriar, l’arbitre de mes destinées; cet imbécile de Galland a trompé l’univers en affirmant qu’après la mille et unième nuit le sultan, rassasié d’histoires, m’avait fait grâce; cela n’est pas vrai: il est plus affamé de contes que jamais, et sa curiosité seule peut faire contre-poids à sa cruauté.

– Votre sultan Schahriar, ma pauvre Scheherazade, ressemble terriblement à notre public; si nous cessons un jour de l’amuser, il ne nous coupe pas la tête, il nous oublie, ce qui n’est guère moins féroce. Votre sort me touche, mais qu’y puis-je faire?

– Vous devez avoir quelque feuilleton, quelque nouvelle en portefeuille, donnez-le-moi.

– Que demandez-vous, charmante sultane? je n’ai rien de fait, je ne travaille que par la plus extrême famine, car, ainsi que l’a dit Perse, fames facit poetridas picas. J’ai encore de quoi dîner trois jours; allez trouver Karr, si vous pouvez parvenir à lui à travers les essaims des guêpes qui bruissent et battent de l’aile autour de sa porte et contre ses vitres; il a le cœur plein de délicieux romans d’amour, qu’il vous dira entre une leçon de boxe et une fanfare de cor de chasse; attendez Jules Janin au détour de quelque colonne de feuilleton, et, tout en marchant, il vous improvisera une histoire comme jamais le sultan Schahriar n’en a entendu.»

La pauvre Scheherazade leva vers le plafond ses longues paupières teintes de henné avec un regard si doux, si lustré, si onctueux et si suppliant, que je me sentis attendri et que je pris une grande résolution.

«J’avais une espèce de sujet dont je voulais faire un feuilleton; je vais vous le dicter, vous le traduirez en arabe en y ajoutant les broderies, les fleurs et les perles de poésie qui lui manquent; le titre est déjà tout trouvé, nous appellerons notre conte la Mille et deuxième Nuit

Scheherazade prit un carré de papier et se mit à écrire de droite à gauche, à la mode orientale, avec une grande vélocité. Il n’y avait pas de temps à perdre: il fallait qu’elle fût le soir même dans la capitale du royaume de Samarcande.

Il y avait une fois dans la ville du Caire un jeune homme nommé Mahmoud-Ben-Ahmed, qui demeurait sur la place de l’Esbekick.

Son père et sa mère étaient morts depuis quelques années en lui laissant une fortune médiocre, mais suffisante pour qu’il pût vivre sans avoir recours au travail de ses mains: d’autres auraient essayé de charger un vaisseau de marchandises ou de joindre quelques chameaux chargés d’étoffes précieuses à la caravane qui va de Bagdad à la Mecque; mais Mahmoud-Ben-Ahmed préférait vivre tranquille, et ses plaisirs consistaient à fumer du tombeki dans son narguilhé, en prenant des sorbets et en mangeant des confitures sèches de Damas.

Quoiqu’il fût bien fait de sa personne, de visage régulier et de mine agréable, il ne cherchait pas les aventures, et avait répondu plusieurs fois aux personnes qui le pressaient de se marier et lui proposaient des partis riches et convenables, qu’il n’était pas encore temps et qu’il ne se sentait nullement d’humeur à prendre femme.

Mahmoud-Ben-Ahmed avait reçu une bonne éducation: il lisait couramment dans les livres les plus anciens, possédait une belle écriture, savait par cœur les versets du Coran, les remarques des commentateurs, et eût récité sans se tromper d’un vers les Moallakats des fameux poëtes affichés aux portes des mosquées; il était un peu poëte lui-même et composait volontiers des vers assonants et rimés, qu’il déclamait sur des airs de sa façon avec beaucoup de grâce et de charme.

A force de fumer son narguilhé et de rêver à la fraîcheur du soir sur les dalles de marbre de sa terrasse, la tête de Mahmoud-Ben-Ahmed s’était un peu exaltée: il avait formé le projet d’être l’amant d’une péri ou tout au moins d’une princesse du sang royal. Voilà le motif secret qui lui faisait recevoir avec tant d’indifférence les propositions de mariage et refuser les offres des marchands d’esclaves. La seule compagnie qu’il pût supporter était celle de son cousin Abdul-Malek, jeune homme doux et timide qui semblait partager la modestie de ses goûts.

Un jour, Mahmoud-Ben-Ahmed se rendait au bazar pour acheter quelques flacons d’atar-gull et autres drogueries de Constantinople, dont il avait besoin. Il rencontra, dans une rue fort étroite, une litière fermée par des rideaux de velours incarnadin, portée par deux mules blanches et précédée de zebeks et de chiaoux richement costumés. Il se rangea contre le mur pour laisser passer le cortége; mais il ne put le faire si précipitamment qu’il n’eût le temps de voir, par l’interstice des courtines, qu’une folle bouffée d’air souleva, une fort belle dame assise sur des coussins de brocart d’or. La dame, se fiant sur l’épaisseur des rideaux et se croyant à l’abri de tout regard téméraire, avait relevé son voile à cause de la chaleur. Ce ne fut qu’un éclair; cependant cela suffit pour faire tourner la tête du pauvre Mahmoud-Ben-Ahmed: la dame avait le teint d’une blancheur éblouissante, des sourcils que l’on eût pu croire tracés au pinceau, une bouche de grenade, qui en s’entr’ouvrant laissait voir une double file de perles d’Orient plus fines et plus limpides que celles qui forment les bracelets et le collier de la sultane favorite, un air agréable et fier, et dans toute sa personne je ne sais quoi de noble et de royal.

Mahmoud-Ben-Ahmed, comme ébloui de tant de perfections, resta longtemps immobile à la même place, et, oubliant qu’il était sorti pour faire des emplettes, il retourna chez lui les mains vides, emportant dans son cœur la radieuse vision.

Toute la nuit il ne songea qu’à la belle inconnue, et dès qu’il fut levé il se mit à composer en son honneur une longue pièce de poésie, où les comparaisons les plus fleuries et les plus galantes étaient prodiguées.

Ne sachant que faire, sa pièce achevée et transcrite sur une belle feuille de papyrus avec de belles majuscules en encre rouge et des fleurons dorés, il la mit dans sa manche et sortit pour montrer ce morceau à son ami Abdul, pour lequel il n’avait aucune pensée secrète.

En se rendant à la maison d’Abdul, il passa devant le bazar et entra dans la boutique du marchand de parfums pour prendre les flacons d’atar-gull. Il y trouva une belle dame enveloppée d’un long voile blanc qui ne laissait découvert que l’œil gauche. Mahmoud-Ben-Ahmed, sur ce seul œil gauche, reconnut incontinent la belle dame du palanquin. Son émotion fut si forte, qu’il fut obligé de s’adosser à la muraille.

La dame au voile blanc s’aperçut du trouble de Mahmoud-Ben-Ahmed, et lui demanda obligeamment ce qu’il avait et si, par hasard, il se trouvait incommodé.

Le marchand, la dame et Mahmoud-Ben-Ahmed passèrent dans l’arrière-boutique. Un petit nègre apporta sur un plateau un verre d’eau de neige, dont Mahmoud-Ben-Ahmed but quelques gorgées.

«Pourquoi donc ma vue vous a-t-elle causé une si vive impression?» dit la dame d’un ton de voix fort doux et où perçait un intérêt assez tendre.

Mahmoud-Ben-Ahmed lui raconta comment il l’avait vue près de la mosquée du sultan Hassan à l’instant où les rideaux de sa litière s’étaient un peu écartés, et que depuis cet instant il se mourait d’amour pour elle.

«Vraiment, dit la dame, votre passion est née si subitement que cela? je ne croyais pas que l’amour vînt si vite. Je suis effectivement la femme que vous avez rencontrée hier; je me rendais au bain dans ma litière, et comme la chaleur était étouffante, j’avais relevé mon voile. Mais vous m’avez mal vue, et je ne suis pas si belle que vous le dites.»

En disant ces mots, elle écarta son voile et découvrit un visage radieux de beauté, et si parfait, que l’envie n’aurait pu y trouver le moindre défaut.

Vous pouvez juger quels furent les transports de Mahmoud-Ben-Ahmed à une telle faveur; il se répandit en compliments qui avaient le mérite, bien rare pour des compliments, d’être parfaitement sincères et de n’avoir rien d’exagéré. Comme il parlait avec beaucoup de feu et de véhémence, le papier sur lequel ses vers étaient transcrits s’échappa de sa manche et roula sur le plancher.

«Quel est ce papier? dit la dame; l’écriture m’en paraît fort belle et annonce une main exercée.

– C’est, répondit le jeune homme en rougissant beaucoup, une pièce de vers que j’ai composée cette nuit, ne pouvant dormir. J’ai tâché d’y célébrer vos perfections; mais la copie est bien loin de l’original, et mes vers n’ont point les brillants qu’il faut pour célébrer ceux de vos yeux.»

La jeune dame lut ces vers attentivement, et dit en les mettant dans sa ceinture:

«Quoiqu’ils contiennent beaucoup de flatteries, ils ne sont vraiment pas mal tournés.»

Puis elle ajusta son voile et sortit de la boutique en laissant tomber avec un accent qui pénétra le cœur de Mahmoud-Ben-Ahmed:

«Je viens quelquefois, au retour du bain, acheter des essences et des boîtes de parfumerie chez Bedredin.»

Le marchand félicita Mahmoud-Ben-Ahmed de sa bonne fortune, et, l’emmenant tout au fond de sa boutique, il lui dit bien bas à l’oreille:

«Cette jeune dame n’est autre que la princesse Ayesha, fille du calife.»

Mahmoud-Ben-Ahmed rentra chez lui tout étourdi de son bonheur et n’osant y croire. Cependant, quelque modeste qu’il fût, il ne pouvait se dissimuler que la princesse Ayesha ne l’eût regardé d’un œil favorable. Le hasard, ce grand entremetteur, avait été au delà de ses plus audacieuses espérances. Combien il se félicita alors de ne pas avoir cédé aux suggestions de ses amis qui l’engageaient à prendre femme, et aux portraits séduisants que lui faisaient les vieilles des jeunes filles à marier qui ont toujours, comme chacun le sait, des yeux de gazelle, une figure de pleine lune, des cheveux plus longs que la queue d’Al Borack, la jument du Prophète, une bouche de jaspe rouge, avec une haleine d’ambre gris, et mille autres perfections qui tombent avec le haick et le voile nuptial: comme il fut heureux de se sentir dégagé de tout lien vulgaire, et libre de s’abandonner tout entier à sa nouvelle passion!

Il eut beau s’agiter et se tourner sur son divan, il ne put s’endormir; l’image de la princesse Ayesha, étincelante comme un oiseau de flamme sur un fond de soleil couchant, passait et repassait devant ses yeux. Ne pouvant trouver de repos, il monta dans un de ses cabinets de bois de cèdre merveilleusement découpé que l’on applique, dans les villes d’Orient, aux murailles extérieures des maisons, afin d’y profiter de la fraîcheur et du courant d’air qu’une rue ne peut manquer de former; le sommeil ne lui vint pas encore, car le sommeil est comme le bonheur, il fuit quand on le cherche; et, pour calmer ses esprits par le spectacle d’une nuit sereine, il se rendit avec son narguilhé sur la plus haute terrasse de son habitation.

L’air frais de la nuit, la beauté du ciel plus pailleté d’or qu’une robe de péri et dans lequel la lune faisait voir ses joues d’argent, comme une sultane pâle d’amour qui se penche aux treillis de son kiosque, firent du bien à Mahmoud-Ben-Ahmed, car il était poëte, et ne pouvait rester insensible au magnifique spectacle qui s’offrait à sa vue.

De cette hauteur, la ville du Caire se déployait devant lui comme un de ces plans en relief où les giaours retracent leurs villes fortes. Les terrasses ornées de pots de plantes grasses, et bariolées de tapis; les places où miroitait l’eau du Nil, car on était à l’époque de l’inondation; les jardins d’où jaillissaient des groupes de palmiers, des touffes de caroubiers ou de nopals; les îles de maisons coupées de rues étroites; les coupoles d’étain des mosquées; les minarets frêles et découpés à jour comme un hochet d’ivoire; les angles obscurs ou lumineux des palais formaient un coup d’œil arrangé à souhait pour le plaisir des yeux. Tout au fond, les sables cendrés de la plaine confondaient leurs teintes avec les couleurs laiteuses du firmament, et les trois pyramides de Giseh, vaguement ébauchées par un rayon bleuâtre, dessinaient au bord de l’horizon leur gigantesque triangle de pierre.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
22 ekim 2017
Hacim:
400 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre