Kitabı oku: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 7», sayfa 3
SARDANAPALE
Satrapes! veuillez m'entendre; toi, surtout, mon prêtre: car je me défie de toi plus que du guerrier, et je m'en défierais entièrement si tu n'étais pas d'ailleurs à demi guerrier. Séparons-nous en paix. – Je ne prononce pas le mot de pardon, – qu'il ne faut accorder qu'aux coupables; non, je ne le dirai pas, bien que votre salut dépende de ce mot, et, chose plus terrible encore, de mes propres craintes. Mais ne redoutez rien: – car je suis indulgent plutôt que craintif; – vous vivrez donc. Si j'étais ce que quelques-uns imaginent, le sang de vos têtes suspectes dégoutterait maintenant du haut des portes de notre palais dans la poussière desséchée, seule portion d'un royaume ambitionné qu'il leur serait réservé de couvrir et de dominer encore. Laissons cela. Comme je l'ai dit, je ne veux pas vous croire coupables, ni vous juger innocens: car des hommes meilleurs que vous et moi sont prêts à vous rendre justice; et si j'abandonnais votre sort à des juges plus sévères, je pourrais sacrifier, en leur permettant d'approfondir les preuves, deux hommes qui, quels qu'ils soient maintenant, étaient jadis honnêtes. Vous êtes libres.
ARBACES
Sire, cette clémence-
BELÈSES, l'interrompant
Est digne de vous-même; et, malgré notre innocence, nous rendons grâce-
SARDANAPALE
Prêtre! gardez vos actions de grâces pour Bélus: son descendant ne s'en soucie pas.
BELÈSES
Mais, étant innocent-
SARDANAPALE
Silence! – le crime est bavard. Si vous êtes fidèles, on vous a fait injure; et vous devez vous montrer affligés plutôt que reconnaissans.
BELÈSES
Tels serions-nous, si la justice était toujours écoutée par les souveraines puissances de la terre; mais souvent l'innocence doit recevoir comme une pure faveur son absolution.
SARDANAPALE
Cette sentence serait bien placée dans une homélie, mais encore dans toute autre occasion. Garde-la, je te prie, pour plaider la cause de ton souverain devant son peuple.
BELÈSES
J'espère qu'il n'y a pas de cause?
SARDANAPALE
Pas de cause, peut-être, mais beaucoup de causeurs. – Si, dans l'exercice de vos habituelles perquisitions sur la terre, vous rencontrez de ces gens-là, ou si vous lisez leur existence dans quelque mystérieux éclair des astres, vos habituelles chroniques, remarquez, je vous prie, qu'il existe entre le ciel et la terre des êtres plus pervers que celui qui gouverne une immense multitude d'hommes, et n'en fait mourir aucun; et qui, sans se haïr lui-même, aime assez ses semblables pour épargner ceux d'entre eux qui ne l'épargneraient pas, s'ils étaient jamais les maîtres: – mais rien de tout cela n'est prouvé. Satrapes! vous êtes libres de vos personnes et de vos épées: disposez-en comme il vous plaira; – dès cette heure, je n'ai rien à vous reprocher. Salemènes! suivez-moi.
(Sardanapale, Salemènes, la suite, etc., se retirent, laissant Arbaces et Belèses.)
ARBACES
Belèses!
BELÈSES
Eh bien! que vous semble?
ARBACES
Que nous sommes perdus.
BELÈSES
Que le royaume est à nous.
ARBACES
Comment! suspects comme nous le sommes! – le glaive suspendu sur nos têtes par un seul cheveu, et que peut briser, d'un instant à l'autre, la voix impérieuse qui nous a épargnés! En vérité, je ne vous comprends pas.
BELÈSES
Ne cherchez pas à comprendre; mais songeons à profiter du tems. L'heure nous appartient encore, – nos moyens sont les mêmes, – la nuit, celle que nous avions arrêtée: il n'y a rien de changé, si ce n'est que notre ignorance de tout soupçon s'est convertie en une certitude qui ne nous permet plus, sans être taxés de folie, le moindre délai.
ARBACES
Et pourtant-
BELÈSES
Comment! des doutes encore?
ARBACES
Il a épargné nos vies; – bien plus, il les a sauvées des coups de Salemènes.
BELÈSES
Et combien de tems les épargnera-t-il encore? jusqu'au premier moment d'ivresse.
ARBACES
Ou plutôt de sobriété. Cependant, il à agi avec noblesse; il nous a royalement pardonné une trahison bassement méditée-
BELÈSES
Dites courageusement.
ARBACES
L'un et l'autre, peut-être. Mais il m'a touché; et, quoi qu'il arrive, je n'irai pas plus loin.
BELÈSES
Perdre ainsi le monde!
ARBACES
Perdre tout, plutôt que ma propre estime.
BELÈSES
Pour moi, j'ai honte d'être forcé de devoir la vie à un tel roi de quenouille.
ARBACES
Nous ne la lui devons pas moins; et je rougirais bien plus de la ravir à qui nous l'accorda.
BELÈSES
Endure tout ce que tu voudras, les étoiles en ont autrement décidé.
ARBACES
Quand elles descendraient pour me tracer la route qui doit m'élever vers le trône, je ne les suivrais pas.
BELÈSES
Pure faiblesse, – pire que celle d'une femme malade rêvant de la mort, ou veillant au milieu des ténèbres, – Avance, – avance.
ARBACES
J'ai cru, quand il parlait, voir Nemrod lui-même, tel que le présente l'orgueilleuse statue placée au milieu des rois dont il semble le monarque, et formant lui seul le temple dont il ne doit être que l'ornement.
BELÈSES
Je vous disais que vous l'aviez beaucoup trop méprisé, et qu'il y avait encore en lui quelque chose de royal. Quoi donc, il n'en est qu'un plus digne adversaire.
ARBACES
Et nous de plus indignes: – oh! pourquoi nous a-t-il épargnés!
BELÈSES
Fort bien! – tu voudrais qu'il nous eût déjà immolés.
ARBACES
Non; – mais il eût mieux valu mourir ainsi que de vivre pour l'ingratitude.
BELÈSES
Oh! qu'il est des ames vulgaires! Tu n'as pas reculé devant ce que d'autres appellent trahison et lâche perfidie, – et soudain, parce qu'à propos de rien ou de quelque chose, cet impudent débauché s'est montré avec ostentation entre toi et Salemènes, te voilà converti, – faut-il le dire? – en Sardanapale! Je ne sais pas de nom plus ignominieux.
ARBACES
Il n'y a qu'une heure, quiconque m'aurait ainsi nommé n'aurait pas eu long-tems à vivre; – maintenant, je vous pardonne, comme il nous a lui-même pardonné. – Non, Sémiramis elle-même n'eût pas agi comme lui.
BELÈSES
En effet, la reine n'aimait pas les partageans de son royaume, pas même un époux.
ARBACES
Je le servirai fidèlement-
BELÈSES
Et humblement, sans doute?
ARBACES
Non, seigneur, noblement; car je le ferai avec loyauté. Je serai plus proche du trône que vous ne l'êtes du ciel; moins altier peut-être, mais ayant mieux le droit de l'être. Agissez comme vous l'entendrez: – vous avez des lois, des mystères, des interprétations du bien et du mal dont je manque pour m'éclairer; j'en suis réduit à n'écouter que les inspirations d'un cœur sans artifice. A présent, vous me connaissez.
BELÈSES
Avez-vous fini?
ARBACES
Oui, – avec vous.
BELÈSES
Et sans doute, vous songez à me trahir aussi bien qu'à me quitter?
ARBACES
Cette pensée est d'un prêtre, et non pas d'un soldat.
BELÈSES
Comme il vous plaira. – Laissons-là ces vains débats; consentez seulement à m'entendre.
ARBACES
Non: – je vois plus de danger dans votre esprit subtil que dans une armée entière.
BELÈSES
S'il en est ainsi, – j'avancerai seul.
ARBACES
Seul!
BELÈSES
Les trônes ne souffrent pas de partage.
ARBACES
Mais celui-ci est occupé.
BELÈSES
Moins que s'il ne l'était pas, – par un monarque avili. Songez-y, Arbaces: jusqu'à présent, je vous ai soutenu, chéri et encouragé; je consentais même à vous reconnaître pour maître, dans l'espérance de servir et de sauver l'Assyrie. Le ciel lui-même semblait sourire à mes projets: tout répondait à nos vœux, même ce dernier incident, lorsque tout d'un coup votre ardeur s'est convertie en un lâche assoupissement. Mais s'il en est ainsi, et plutôt que de voir mon pays abattu, je serai son libérateur ou la victime de son tyran, ou bien tous les deux: car souvent ils marchent ensemble; et si je réussis, Arbaces devient mon sujet.
ARBACES
Votre sujet!
BELÈSES
Pourquoi pas; mieux vaudra pour vous ce titre que de rester esclave, esclave gracié de la Sardanapale.
(Entre Pania.)
PANIA
Seigneurs, j'apporte un ordre du roi.
ARBACES
Il est plus tôt obéi que prononcé.
BELÈSES
Néanmoins, écoutons-le.
PANIA
De suite, et cette nuit même, retournez à vos satrapies respectives de Babylone et de Médie.
BELÈSES
Est-ce avec nos troupes?
PANIA
Mon ordre comprend les satrapes et toute leur suite.
ARBACES
Mais-
BELÈSES
Le roi sera obéi; dites que nous partons.
PANIA
J'ai l'ordre de vous voir partir, et non pas de porter votre réponse.
BELÈSES
Eh bien! nous allons vous suivre.
PANIA
Je vais me retirer pour ordonner la garde d'honneur qui convient à votre rang, et j'attendrai votre signal, pourvu que vous n'outrepassiez pas l'heure.
(Pania sort.)
BELÈSES
Ainsi donc, nous obéissons!
ARBACES
Sans doute.
BELÈSES
Oui, jusqu'aux portes qui ferment le palais, notre prison pour l'avenir; mais non pas plus loin.
ARBACES
Tu as saisi précisément la vérité. Le royaume lui-même et sa vaste étendue entr'ouvrent devant chacun de nos pas des cachots pour toi et pour moi.
BELÈSES
Des tombeaux.
ARBACES
Si je le croyais, cette bonne épée en creuserait un de plus que le mien.
BELÈSES
Elle aurait beaucoup à faire; mais j'espère bien mieux que tu n'augures. Essayons, pour le moment, de sortir d'ici comme nous pourrons. Tu t'accordes à croire avec moi que cet ordre est une sentence de condamnation?
ARBACES
Et quelle autre interprétation pourrait-on lui donner? c'est l'usage ordinaire des rois de l'Orient: pardon et poison; – des faveurs et un glaive; – un lointain voyage, un repos éternel. Combien de satrapes, sous le règne de son père: – car pour lui, je l'avoue, il n'est, ou du moins il n'était pas sanguinaire-
BELÈSES
Mais ne veut-il, ne peut-il à présent le devenir?
ARBACES
Je le crains. Combien de satrapes ai-je vus, au tems de son père, renvoyés dans leurs puissans gouvernemens, et qui trouvèrent des tombes sous leurs pas! Je ne sais pas comment; mais tels étaient les ennuis et la longueur du voyage, qu'ils ne manquaient pas de tomber malades en route.
BELÈSES
Ne songeons qu'à regagner l'air libre de la ville, nous abrégerons le chemin.
ARBACES
Peut-être saura-t-on bien l'abréger à la porte.
BELÈSES
Non; ils risqueraient trop. Ils entendent nous faire mourir isolément, non pas dans le palais ou dans les murs de la ville; nous y sommes trop connus, nous y aurions des partisans: s'ils avaient voulu se défaire ici de nous, nous ne serions déjà plus. Sortons.
ARBACES
Si je pensais qu'il ne voulût pas ma vie-
BELÈSES
Folie! Sortons. Quel serait autrement le projet du despote? Hâtons-nous de rejoindre nos troupes, et de marcher.
ARBACES
Où? vers nos provinces?
BELÈSES
Non; vers votre royaume. Nous avons du tems, du courage, de l'espoir, des forces, et des moyens que ne pourront vaincre leurs demi-mesures. – Partons.
ARBACES
Quoi! au milieu de mon repentir, vais-je retomber dans le crime!
BELÈSES
C'est une vertu de savoir se défendre soi-même: c'est la seule garantie de tous les droits. Partons, dis-je! sortons de ces lieux, l'air y devient épais et redoutable: ces murs exhalent une odeur de renfermé. – Ne leur laissons pas le tems d'un nouveau conseil: notre prompt départ prouvera notre dévouement; il empêchera notre brave escorte, l'honnête Pania, d'être, à quelques lieues de là, l'exécuteur de nouveaux ordres. Il n'y a donc pas d'autre choix. – Partons, dis-je.
(Il sort avec Arbaces, qui le suit avec résistance. – Entrent Sardanapale et Salemènes.)
SARDANAPALE
Eh bien, nous avons remédié à tout, et sans une goutte de sang, le pire des ingrédiens des prétendus remèdes; nous voilà préservés par l'exil de ces hommes.
SALEMÈNES
Oui; comme celui qui marche sur des fleurs l'est de la vipère réfugiée sous leurs tiges.
SARDANAPALE
Comment? que voudrais-tu de moi?
SALEMÈNES
Vous voir défaire ce que vous avez fait.
SARDANAPALE
Révoquer mon pardon?
SALEMÈNES
Raffermir la couronne qui chancelle sur vos tempes.
SARDANAPALE
Cela serait tyrannique.
SALEMÈNES
Cela serait prudent.
SARDANAPALE
Mais ne le sommes-nous pas assez; et quel danger peuvent-ils préparer sur les frontières?
SALEMÈNES
Ils n'y sont pas encore; – et si j'en étais cru, ils n'y seraient jamais.
SARDANAPALE
Mais, enfin, je t'ai prêté une oreille impartiale: – pourquoi ne les écouterais-je pas à leur tour?
SALEMÈNES
Vous pourrez le concevoir plus tard; en ce moment, je sors pour disposer la garde.
SARDANAPALE
Mais nous rejoindrez-vous pendant le banquet?
SALEMÈNES
Dispensez-moi, sire; – je ne suis pas un homme de table: je suis prêt à remplir tous les emplois, sauf celui de Bacchante.
SARDANAPALE
Néanmoins, il est bon de se réjouir de tems en tems.
SALEMÈNES
Et bon aussi que quelques-uns veillent pour ceux qui trop souvent se réjouissent. Permettez-vous que je m'éloigne?
SARDANAPALE
Oui: – encore un instant, mon généreux Salemènes, mon frère, mon excellent sujet, prince meilleur que je ne suis roi. Vous devriez être le monarque, et moi, – je ne sais quoi, et je ne m'en soucie; mais ne va pas croire que je sois insensible à ta prudente sollicitude, et aux chagrins rudes, mais affectueux, que te causent mes folies. Si j'épargnai, contre ton avis, l'existence de ces hommes; – ce n'est pas que je crusse tes avis erronés; mais laissons-les respirer; ne les chicanons pas sur leur vie: – donnons-leur le loisir de l'amender. Leur exil me permet de dormir tranquille, et leur mort m'en eût empêché.
SALEMÈNES
Ainsi, pour sauver des traîtres, vous courez le risque de tomber dans l'éternel sommeil: – vous leur évitez un moment d'angoisse, pour des années de crime. Permettez-moi de les forcer à demeurer tranquilles.
SARDANAPALE
Ne me tente pas: ma parole est donnée.
SALEMÈNES
Elle peut être reprise.
SARDANAPALE
C'est celle d'un roi.
SALEMÈNES
Elle devrait donc être vigoureuse. Cette demi-indulgence, qui se contente de l'exil, ne fait qu'ajouter à l'irritation. – Il faut qu'un pardon soit entier, ou qu'il ne soit pas prononcé.
SARDANAPALE
Et qui m'a persuadé, lorsque je m'étais contenté de les éloigner de ma présence, qui m'a pressé de les renvoyer dans leurs satrapies?
SALEMÈNES
En effet, je l'avais oublié: et si jamais ils gagnent leurs provinces, – vous devez, sire, me reprocher encore davantage ce conseil.
SARDANAPALE
Et s'ils ne les gagnent pas, songez-y, – sains et saufs; entendez-vous, sains et saufs, et en toute sécurité, songez à la vôtre.
SALEMÈNES
Permettez-moi de partir; on veillera à leur salut.
SARDANAPALE
Pars donc; et, je te prie, pense de ton frère avec plus de faveur.
SALEMÈNES
Sire, je servirai toujours, comme je le dois, mon souverain.
(Salemènes sort.)
SARDANAPALE, seul
Cet homme est d'un caractère trop sévère: il est rude et fier comme le roc, libre de toutes les entraves vulgaires de la terre. Moi, je suis d'une argile plus tendre et mélangée de fleurs. Mais, comme notre enveloppe, les produits doivent différer entre eux. Si je me trompe, c'est sur des points qui affectent bien légèrement ce sens que je ne puis désigner, mais qui m'inspire souvent de la tristesse et quelquefois de la satisfaction; génie qui semble placé sur mon cœur pour régler plutôt que pour rendre plus vifs ses mouvemens, et pour me faire des questions que jamais aucun mortel ne m'a faites, ni Baal lui-même, avec tous ses divins oracles: – lui dont, ici, le marbre n'empêche pas la majestueuse figure de se rider, comme les ombres du soir, et de sembler mobile, au point de me laisser croire que la statue va parler. Éloignons ces vaines pensées: je veux être tout à l'allégresse; – et puis, voici le plus fidèle héraut du plaisir.
(Entre Mirrha.)
MIRRHA
Roi! le ciel se couvre, le tonnerre commence à gronder, les nuages semblent approcher et recéler déjà dans leurs flancs les éclats d'une redoutable tempête. Voulez-vous donc quitter le palais?
SARDANAPALE
La tempête, dis-tu!
MIRRHA
Oui, mon cher seigneur.
SARDANAPALE
Pour ma part, je ne serais pas fâché de rompre la monotonie de la scène, et de contempler les élémens en guerre; mais ce plaisir contrasterait avec les vêtemens de soie et les figures paisibles de nos joyeux amis. Dis-moi, Mirrha, es-tu de ceux qui craignent le grondement des nuages?
MIRRHA
Dans mon pays, nous respectons leurs voix, comme les augures de Jupiter.
SARDANAPALE
Jupiter! – Ah! oui, votre Baal. – Le nôtre a du crédit aussi sur le tonnerre; et, de tems en tems, quelque éclat témoigne sa divinité, et même vient parfois briser ses propres autels.
MIRRHA
Ce serait un sinistre présage.
SARDANAPALE
Oui, – pour les prêtres. Eh bien! cette nuit, nous ne sortirons pas du palais: nous banquetterons à l'intérieur.
MIRRHA
Jupiter en soit donc loué! il a exaucé la prière que tu n'avais pas voulu entendre. Les dieux ont pour toi plus de tendresse que toi-même; et s'ils ont soulevé cette tempête entre toi et tes ennemis, c'est pour te protéger contre eux.
SARDANAPALE
S'il y a du péril, mon enfant, il est, je crois, le même dans ces murs et sur les bords du fleuve.
MIRRHA
Non, non; ces murs sont élevés, forts, et d'ailleurs garnis de gardes. Pour y pénétrer, la trahison doit franchir une foule de détours et de portes massives: mais dans le pavillon, elle ne trouvera aucune défense.
SARDANAPALE
Non, s'il y a trahison; mais ni dans le palais, ni dans la forteresse, ni sur les sommets, séjour des orages, où l'aigle repose au milieu d'impraticables rochers. La flèche sait atteindre le roi des airs: et celui de la terre n'est pas à l'abri du poignard meurtrier. Mais, calme-toi: innocens ou coupables, les hommes que tu crains sont bannis et déjà loin.
MIRRHA
Ils vivent encore?
SARDANAPALE
Quoi, si cruelle aussi!
MIRRHA
Je ne puis frémir de la juste exécution d'un châtiment mérité, sur ceux qui menacent votre vie: s'il en était autrement, je ne mériterais pas de conserver la mienne. D'ailleurs, vous avez le conseil du noble Salemènes.
SARDANAPALE
Ma surprise est extrême: l'indulgence et la sévérité se réunissent contre moi pour me forcer à la vengeance.
MIRRHA
C'est là une de nos vertus en Grèce.
SARDANAPALE
Elle n'en est pas plus royale. – Je ne l'observerai pas; ou si je m'y laisse entraîner, ce sera à l'égard des rois: – de mes égaux.
MIRRHA
Mais ces hommes cherchent à devenir tels.
SARDANAPALE
Mirrha, cela est trop de ton sexe; c'est la peur qui t'inspire.
MIRRHA
Oui, pour vous.
SARDANAPALE
Peu importe: – c'est toujours la peur. J'ai étudié les femmes; une fois soulevées par le ressentiment, elles aspirent, par suite de leur timidité, à la vengeance, avec une persévérance que je ne veux pas prendre pour modèle. Je vous croyais, vous autres Grecques, exemptes de cette faiblesse, aussi bien que de la puérile mollesse des femmes asiatiques.
MIRRHA
Mon seigneur, je n'aime pas à faire parade de mon amour ni de mes qualités; j'eus part à votre splendeur, je partagerai, quoi qu'il arrive, votre destinée. Un jour peut venir où vous trouverez dans une esclave plus de dévouement que dans les innombrables sujets de votre empire. Mais puissent les dieux ne le pas permettre! J'aime mieux être aimée sur la foi de ce que j'éprouve moi-même, que de vous en donner jamais la preuve au milieu de peines que mes tendres soins pourraient ne pas assez adoucir.
SARDANAPALE
La peine ne saurait pénétrer où existe le parfait amour; ou, si elle se présente, c'est pour le rendre encore plus vif, et s'évanouir loin de ceux qu'elle ne saurait atteindre. Rentrons. – L'heure approche; et il faut nous préparer à recevoir les hôtes qui doivent embellir notre fête.
(Ils sortent.)
FIN DU DEUXIÈME ACTE
ACTE III
SCÈNE PREMIÈRE
(La salle du palais illuminée. – Sardanapale et ses hôtes sont à table. Une tempête au dehors, et de tems en tems le tonnerre.)
SARDANAPALE
Remplis la coupe! Nous sommes ici dans l'ordre: c'est ici mon vrai royaume, entre de beaux yeux et des figures aussi heureuses que belles! Ici, le chagrin ne saurait pénétrer.
ZAMES
Ni partout ailleurs: – où est le roi, brille aussitôt le plaisir.
SARDANAPALE
Cela ne vaut-il pas mieux que les chasses de Nemrod, ou les courses de ma fière grand'-mère à la recherche de royaumes qu'elle n'aurait pu gouverner, si elle en eût fait la conquête?
ALTADA
Quelque grands qu'ils fussent, et comme le fut toute la royale race, nul de ceux qui ont précédemment régné n'a pourtant atteint la gloire de Sardanapale, qui mit toute sa joie dans la paix, la plus solide des gloires.
SARDANAPALE
Et dans le plaisir, cher Altada, vers lequel la gloire n'est qu'un chemin. Que recherchons-nous? le plaisir. Nous devons abréger la route qui y conduit; nous ne la poursuivons pas à travers les cendres de l'humanité, et nous évitons de signaler par autant de tombeaux chacun de nos pas.
ZAMES
Non; tous les cœurs sont heureux; toutes les voix s'accordent pour bénir le roi de paix, qui tient l'univers en joie.
SARDANAPALE
En es-tu bien sûr? J'ai ouï parler différemment; quelques-uns parlent de traîtres.
ZAMES
Sire, les traîtres sont ceux qui parlent ainsi2. Cela est impossible. Dans quel but?
SARDANAPALE
Dans quel but? tu as raison: – Remplis la coupe; nous n'y songerons plus. Il n'y a pas de traîtres: ou s'il en est, ils sont partis.
ALTADA
Amis, faites-moi raison! Vidons tous, à genoux, une coupe à la santé du roi, – du monarque, dis-je, du dieu Sardanapale!
ZAMES et les hôtes s'agenouillent, et s'écrient:
Au roi plus puissant que Baal son père, au dieu Sardanapale! (Le tonnerre interrompt leur toast, quelques-uns se relèvent effrayés.) Pourquoi vous relever, mes amis? Ses ancêtres divins expriment, par cette éclatante voix, leur consentement à nos vœux.
MIRRHA
Dis plutôt leurs menaces. Souffriras-tu, roi, cette ridicule impiété?
SARDANAPALE
Impiété! – Eh bien! si mes aïeux et prédécesseurs sont des dieux, je ne déshonorerai pas leur lignée. Mais levez-vous, mes pieux amis; réservez votre dévotion pour le maître du tonnerre: mes vœux sont d'être aimé, et non pas déifié.
ALTADA
Vous êtes l'un et l'autre; – et vous le serez toujours par vos fidèles sujets.
SARDANAPALE
Le tonnerre semble redoubler: voilà une horrible nuit.
MIRRHA
Oh! oui, pour les dieux qui n'ont pas de palais où puissent être à l'abri leurs adorateurs.
SARDANAPALE
Il est vrai, Mirrha; et si je pouvais transformer mon royaume en un vaste asile pour les malheureux, je le ferais.
MIRRHA
Tu n'es donc pas dieu, puisque tu ne peux exécuter le grand et noble vœu que tu formes.
SARDANAPALE
Et vos dieux donc, que sont-ils? eux qui le peuvent et ne le font pas?
MIRRHA
Ne parle pas de cela, de crainte de les provoquer.
SARDANAPALE
En effet; ils n'aiment pas mieux que les mortels la censure. Une pensée me frappe, mes amis: s'il n'existait pas de temple, croyez-vous qu'il y eût des adorateurs de l'air? – c'est-à-dire, quand il est triste et furieux comme en ce moment.
MIRRHA
Le Perse prie sur ses montagnes.
SARDANAPALE
Oui, quand brille le soleil.
MIRRHA
Mais moi, je demanderais, si ce palais était renversé et détruit, combien de flatteurs baiseraient la poussière sur laquelle marchait le roi?
ALTADA
La belle Ionienne parle avec trop de dédain d'une nation qu'elle ne connaît pas assez; les Assyriens ne savent de plaisir que celui de leur roi: ils sont fiers de leurs hommages.
SARDANAPALE
Eh bien! mes hôtes, pardonnez la vivacité d'expression de la belle Grecque.
ALTADA
Lui pardonner, sire! nous lui devons honneur, comme à tout ce qui vous appartient. Mais quel est ce bruit?
ZAMES
Ce bruit! rien que les éclats de portes lointaines frappées du vent.
ALTADA
Il a retenti comme le cri de-Écoutez encore.
ZAMES
C'est la pluie tombant par torrens sur le toit.
SARDANAPALE
N'en parlons plus. Mirrha, mon amour, as-tu préparé ta lyre? Chante-moi une pièce de Sapho; de celle, tu sais, qui, dans ton pays, se précipita-
(Entre Pania, l'épée et les vêtemens ensanglantés et en désordre. Les hôtes se lèvent tous effrayés.)
PANIA, aux gardes
Assurez-vous des portes; courez de toutes vos forces vers les murs. Aux armes! aux armes! le roi est en péril. Monarque, excusez cette hâte: – ma fidélité l'exige.
SARDANAPALE
Explique-toi.
PANIA
Les craintes de Salemènes étaient fondées: les perfides satrapes-
SARDANAPALE
Vous êtes blessé: – qu'on lui présente du vin. Reprenez vos sens, cher Pania.
PANIA
Ce n'est rien: – c'est une légère blessure. Je suis plus accablé de l'empressement que j'ai mis à avertir mon prince, que du sang répandu pour le défendre.
MIRRHA
Eh bien! les rebelles?
PANIA
À peine Arbaces et Belèses eurent-ils atteint leur demeure dans la ville, qu'ils refusèrent de marcher: et quand je voulus user du pouvoir qui m'était délégué, ils invoquèrent leurs troupes, qui se soulevèrent aussitôt en furie.
MIRRHA
Tous?
PANIA
Beaucoup trop.
SARDANAPALE
Ne va pas, en mettant une borne à ta franchise, épargner la vérité à mes oreilles.
PANIA
Ma faible garde était fidèle; – et ce qui en reste le demeure encore.
MIRRHA
Est-ce là tout ce qu'il y a de fidèle dans l'armée?
PANIA
Non: – les Bactriens, conduits par Salemènes, qui, toujours oppressé de violens soupçons sur les gouverneurs de Médie, était alors en marche. Les Bactriens sont nombreux; ils font aux rebelles une résistance opiniâtre, disputent le terrain pas à pas, et forment un cercle autour du palais: c'est là qu'ils songent à réunir toutes leurs forces, et à protéger le roi. (Il hésite.) Je suis chargé de-
MIRRHA
Il n'est pas tems d'hésiter.
PANIA
Le prince Salemènes supplie donc le roi de s'armer lui-même, quoique pour un moment, et de se montrer en soldat: dans cette circonstance, sa seule présence ferait plus que n'en saurait faire une armée.
SARDANAPALE
Alors donc, mes armes!
MIRRHA
Tu le veux bien?
SARDANAPALE
Sans doute. Allons! – mais ne cherchez pas le bouclier; il est trop lourd: – une légère cuirasse et mon épée. Où sont les rebelles?
PANIA
Le plus vif combat se donne maintenant à une stade, à peu près, des murs extérieurs.
SARDANAPALE
Je puis donc monter à cheval. Sféro, faites préparer mon cheval. – Il y a dans nos cours assez d'espace pour faire agir la moitié des cavaliers arabes.
(Sféro sort.)
MIRRHA
Combien je t'aime!
SARDANAPALE
Je n'en ai jamais douté.
MIRRHA
Mais, à présent, je te connais.
SARDANAPALE, à l'un des suivans
Apportez-moi aussi ma lance. – Où est Salemènes?
PANIA
Où doit être un soldat: dans le fort de la mêlée.
SARDANAPALE
Cours vers lui. – La route est-elle libre encore entre le palais et l'armée?
PANIA
Elle l'était quand j'accourus ici, et je n'ai nulle crainte: nos troupes étaient déterminées, et la phalange formée.
SARDANAPALE
Dis-lui, pour le présent, qu'il épargne sa personne, et que, pour moi, je n'épargnerai pas la mienne: – ajoute que j'arrive.
PANIA
Ce mot est à lui seul la victoire.
(Pania sort.)
SARDANAPALE
Altada, – Zames, avancez et armez-vous: tout dépend de la célérité, à la guerre. Voyez à ce que les femmes soient mises en sûreté dans les appartemens secrets: qu'on leur laisse une garde, avec l'ordre exprès de ne quitter leur poste qu'avec leur vie. – Zames, vous la commanderez. Altada, armez-vous, et revenez ici: votre poste est près de notre personne.
(Zames, Altada et tous les autres sortent, excepté Mirrha. – Entrent Sféro et autres, avec les armes du roi, etc.)
SFÉRO
Roi, voici votre armure.
SARDANAPALE, s'en revêtant
Donnez-moi la cuirasse; – bien: mon baudrier; puis mon épée: et le casque, j'oubliais, où est-il? c'est bien. – Non, il est trop lourd: vous vous êtes trompé, aussi, – ce n'est pas lui que je voulais, mais celui que surmonte un diadème.
SFÉRO
Sire, les pierres précieuses qui l'entourent le mettraient trop en vue pour être placé sur votre tête sacrée; – Veuillez me croire, celui-ci, bien que moins riche, est d'une meilleure trempe.
SARDANAPALE
Vous croyez! Êtes-vous aussi devenu rebelle? Apprenez que votre devoir est d'obéir: retournez; – mais, non, – il est trop tard: je sortirai sans lui.
SFÉRO
Au moins, prenez celui-ci.
SARDANAPALE
Prendre le Caucase! mais ce serait une montagne sur mes tempes.
SFÉRO
Sire, le dernier soldat ne s'avance pas aussi exposé au combat. Tout le monde vous reconnaîtra, – car l'orage a cessé, et la lune a reparu dans tout son éclat.
SARDANAPALE
Je sors pour qu'on me reconnaisse, et, par ce moyen, j'y réussirai plus tôt. Allons, – ma lance! me voici armé. (Il s'avance; puis s'arrêtant tout court, à Sféro.) Sféro, j'oubliais; – apportez le miroir3.
SFÉRO
Un miroir, sire?
SARDANAPALE
Oui, le miroir d'acier poli trouvé parmi les dépouilles de l'Inde; – mais hâte-toi. (Sféro sort.) Mirrha, retire-toi dans un lieu de sûreté. Pourquoi n'as-tu pas déjà suivi les autres femmes?
MIRRHA
Parce que c'est ici ma place.
SARDANAPALE
Mais quand je la quitterai? -
MIRRHA
Je vous suivrai.
SARDANAPALE
Au combat, vous!
MIRRHA
Dans ce cas-là, je ne serais pas la première fille grecque qui s'y fût montrée. Mais j'attendrai ici votre retour.
SARDANAPALE
La place est spacieuse: c'est la première qu'on occupera, si nous sommes vaincus; et s'il en arrive ainsi, je ne retournerai pas-
MIRRHA
Nous ne nous en rejoindrons pas moins.
SARDANAPALE
Comment?
MIRRHA
Aux lieux où tous finiront par se rejoindre: – dans les enfers! Nous y réunirons nos ombres, s'il est, comme je le crois; des rives au-delà du Styx; et nos cendres, s'il n'en est pas.
SARDANAPALE
Aurais-tu bien le courage de l'oser?
MIRRHA
J'oserai tout, si ce n'est de survivre à ce que j'aimais, pour devenir la proie d'un rebelle: séparons-nous, et montre toute ta valeur.
(Rentre Sféro, avec le miroir.)
SARDANAPALE, se regardant
Cette cuirasse me va bien, le baudrier mieux encore; mais le casque, pas du tout. (Il jette le casque, après l'avoir essayé de nouveau.) À mon avis, je ne suis pas trop mal dans ce costume; à présent, il s'agit d'en faire l'épreuve. Altada! où est Altada?
SFÉRO
Sire, il attend au dehors: il doit vous présenter votre bouclier.
SARDANAPALE
En effet, j'oubliais qu'il est mon porte-bouclier, par droit de naissance dérivé d'âge en âge. Embrasse-moi, Mirrha; encore une fois, – encore, – et quoi qu'il arrive, aime-moi: ma première gloire serait de me rendre plus digne de ta tendresse.
MIRRHA
Partez, et soyez vainqueur!
(Sardanapale et Sféro sortent.)
MIRRHA
Me voilà seule: tous sont partis, et peut-être un bien petit nombre reviendront. Qu'il triomphe seulement, et que je meure! S'il est vaincu, je n'en mourrai pas moins, car je ne veux pas lui survivre. Il a touché mon cœur, je ne sais comment et pourquoi. Ce n'est pas parce qu'il est roi; son royaume chancelle en ce moment autour de son trône; la terre s'entr'ouvre pour ne lui laisser d'autre place qu'un tombeau: et je l'aime encore davantage. Pardonne, ô puissant Jupiter! à cet amour monstrueux pour un barbare qui méconnaît l'Olympe! Oui, je l'adore maintenant, bien plus encore que-Écoutons: – quels cris de guerre! ils semblent approcher. S'il en était ainsi (elle tire une petite fiole), ce subtil poison de Colchos, que mon père apprit à composer sur les rivages d'Euxin, et qu'il m'enseigna à conserver, pourrait m'affranchir! Et déjà, depuis long-tems, il m'eût affranchie; mais j'aimais, j'aimais au point d'oublier que je fusse esclave, dans les lieux même où tous, à l'exception d'un seul, sont esclaves et fiers de leur servitude, quand, à leur tour, ils voient sous leurs ordres un seul être plus bas et plus méprisable qu'eux. C'est ainsi que nous oublions que des fers portés comme ornement n'en sont pas moins des chaînes. – Encore ce bruit!.. – Et puis, le cliquetis des armes: – et puis-