Kitabı oku: «Correspondance, 1812-1876. Tome 1», sayfa 3

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XVI
A LA MÊME

Nohant, 4 septembre 1827.

Ma chère maman,

Me voici de retour, depuis cinq ou six jours. J'ai été absolument empêchée d'écrire durant mon voyage. Toujours en route, soit à cheval, soit à pied; je n'ai pas eu un instant pour me reposer et pour rendre compte de mes courses. Madame Defos, que j'ai vue avant d'aller au Mont-Dore, et en en revenant, m'a dit vous avoir donné de nos nouvelles. J'étais donc sûre que vous ne seriez point inquiète de nous. Cette chère dame nous a reçus avec une bonté parfaite. J'ai fait connaissance avec mademoiselle Eugénie32, qui est fort aimable et fort aimée dans Clermont et dans sa maison.

Votre adorateur, comme vous l'appelez, est aussi fort aimable et fort spirituel. Il nous a lu beaucoup de vers charmants, dont une partie fut faite en votre honneur, comme ceux de Victoire, Sophie, Antoinette, que vous connaissez. Aglaé33 était très bien quand nous sommes passés la première fois; à notre retour, elle était dans ses crises. Elle avait pris Maurice en grippe, bien qu'il fût fort tranquille. Moi, je n'étais pas trop rassurée et j'ai renvoyé le petit aussitôt après dîner, sous prétexte qu'il était fatigué.

J'ai été voir le couvent de Saint-Joseph du haut en bas. Nous avons dîné tous ensemble, pris des glaces, etc. Clermont est une ville agréable, située dans un des plus beaux pays de la terre. Madame Defos est parfaitement logée, sur une place immense, en face des beaux coteaux de la Limagne et du Puy-de-Dôme, qui s'élève comme un géant à l'horizon. La maison qu'elle habite est une des plus belles de la ville et passerait pour belle, même à Paris. Je pense que vous serez bien aise d'apprendre ces détails et de savoir votre tante dans une position douce et agréable. Elle serait heureuse sans le fardeau qu'elle supporte avec tant de patience et de douceur. Elle en est sur les dents. C'est un enfant acariâtre qu'il faut endurer tout le jour et veiller la nuit; elle se sacrifie à l'intérêt de ce malheureux enfant, qui ne peut pas lui en savoir gré, avec une résignation et une tendresse dont le coeur d'une mère est seul capable.

Nous avons beaucoup couru au Mont-Dore, aux environs, à Clermont, à Pontgibaud, où sont les mines de plomb, à Aubusson, où sont les belles manufactures de tapis. Enfin ce que nous avons fait en peu de temps est remarquable. J'ai pris la douche, j'ai été au bal, j'ai galopé à cheval, j'ai versé en voiture, et je pourrais faire une très longue relation de ce court voyage; mais je vous en épargne l'ennui.

Je me borne à vous dire, ma chère maman, que tout le monde se porte à merveille, gendre, fille et petit-fils. J'ai un appétit effrayant et j'ai pris l'habitude de dormir, que je trouve très agréable.

XVII
A M. CARON, A PARIS

Nohant, 22 novembre 1827.

Il y a bien longtemps, mon bon ami, que je veux vous écrire, et ma mauvaise santé, de jour en jour plus détraquée, m'empêche de faire rien qui vaille, de m'appliquer même au travail qui m'est le plus agréable, c'est-à-dire de m'entretenir avec les gens que j'aime. Au lieu de cela, il faut m'ennuyer en cérémonies depuis une semaine avec des gens occupés de politique et d'élections, que je comprends fort peu, mais qu'il faut avoir l'air de comprendre sous peine d'impolitesse, et devant qui il faut sembler s'intéresser prodigieusement au succès de choses dont on entend parler pour la première fois. Casimir avait l'air tout ce temps d'un chef de parti; et, grâce à ses efforts, des députés parfaitement libéraux ont été nommés dans tous les collèges environnants. J'en suis charmée, et je le suis encore davantage de voir cette corvée terminée et de ne plus voir la fièvre sur tous les visages.

Casimir m'a dit que vous aviez été malade, mon cher Caron. Donnez-nous de vos nouvelles; vous nous oubliez tout à fait, et vous avez tort; car vous avez toujours en nous de vrais et fidèles amis.

Ne craignez donc aucun refroidissement de notre part: ma mauvaise santé et les ennuyeuses élections ont été la seule cause de mon long silence. Casimir m'a dit que vous aviez éprouvé beaucoup de chagrins. Quelle qu'en soit la cause, croyez que je les partage du fond du coeur et qu'ils ne me trouveront jamais indifférente.

Voici l'ami Dutheil et le beau docteur34 qui me chargent de vous assurer de leur amitié et me forcent de vous dire adieu. Mais, auparavant, nous nous réunissons en corps pour vous prier de venir vous reposer ici de tous vos ennuis et boire sur eux le fleuve d'oubli, composé de vin de Champagne dont Casimir à découvert une nouvelle source dans sa cave.

Je crois que je serai obligée d'aller passer une huitaine à Paris pour consulter sur ma santé. Vous seriez bien aimable de me ramener ici et d'y passer une partie de l'hiver. Vous êtes bien sûr que j'emmènerai Pauline.

Adieu, mon cher Latreille; je vous embrasse de tout mon coeur et compte que vous accueillerez ma proposition favorablement.

AURORE.

XVIII
A M. CARON, A PARIS

Nohant, 1er avril 1828.

Mon cher Caron,

Il y a bien longtemps que je veux vous écrire; mais mon Maurice a été si malade pendant tout l'hiver, et moi, j'ai été si tourmentée de ses maux et des miens, que je n'ai donné signe de vie à personne; ce dont je reçois de vifs reproches de tous côtés.

Quoique vous y mettiez plus d'indulgence que les autres, en ne me grondant pas, je ne veux pas abuser plus longtemps de votre longanimité, et je viens enfin vous dire que je ne vous ai point oublié; car nous parlons de vous bien souvent, avec mon mari et nos amis de la Châtre, qui demandent toujours quand vous viendrez. Je voudrais bien avoir une bonne réponse à leur donner et je n'en perds pas l'espérance; car vous trouverez bien quelque temps à nous consacrer et vous savez qu'il y a ici de bon vin et de bons garçons.

J'espère que, dans quelques jours, nous aurons du beau temps qui me rendra moins maussade et mieux portante. Pour le présent, je suis tout à fait ganache et misérable, ne pouvant bouger de ma chambre et à peine de mon lit. Je suis grosse par-dessus le marché, et cela fait une complication de maux peu agréable. Il ne me faudrait pas moins que vous pour me rendre ma bonne humeur et la santé.

Que faites-vous maintenant, mon gros ami? avez-vous guéri ce vilain rhume qui vous fatiguait si fort, et êtes-vous un peu au courant de votre nouvel état de choses? Il y a bien longtemps aussi que Casimir dit tous les jours qu'il veut vous demander de vos nouvelles. Mais vous savez comme il est paresseux de l'esprit et enragé des jambes. Le froid, la boue, ne l'empêchent point d'être toujours dehors, et, quand il rentre, c'est pour manger ou ronfler.

Votre belle Pauline est-elle toujours aussi grosse et aussi bonne? Maurice est un lutin achevé. Il a été abîmé d'une coqueluche qui lui a ôté, pendant deux mois, le sommeil et l'appétit. Heureusement il va à merveille maintenant.

Quand vous viendrez, je veux que vous m'ameniez Pauline; vous savez que j'en aurai bien soin, et elle est si aimable et si douce, qu'elle ne vous sera guère à charge en route.

Voyez-vous souvent la famille Saint-Agnan35? J'ai été si paresseuse envers elle, que je ne sais ce qu'elle devient.

Maurice, qui s'endort sur mes genoux et me fatigue beaucoup, m'empêche de vous en dire davantage. Je laisse à Casimir le soin de vous répéter que nous vous aimons toujours et vous désirons vivement.

XIX
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS

Nohant, 7 avril 1828.

Ma chère maman,

Vous me traitez bien sévèrement, juste au moment où je venais de vous écrire, ne m'attendant guère à vous voir fâchée contre moi. Vous me prêtez une foule de motifs d'indifférence dont vous ne me croyez certainement pas coupable. J'aime à croire qu'en me grondant, vous avez un peu exagéré mes torts, et qu'au fond du coeur vous me rendiez plus de justice; car, vous m'aviez cru insensible à de si graves reproches, vous ne me les auriez pas faits.

J'espère qu'en apprenant que ma maladie avait été la seule cause de ce long silence, vous m'avez entièrement pardonné. Dites-le-moi bien vite; c'est un mauvais traitement pour moi que vos reproches, et j'ai besoin, pour me mieux porter, de savoir que vous m'avez rendu vos bontés.

J'ai appris de la famille Maréchal36 des nouvelles qui m'ont bien profondément affligée. J'en suis malade de chagrin et d'inquiétude. Je viens pourtant de recevoir une lettre d'Hippolyte m'annonçant que Clotilde est beaucoup mieux. Mais sa fille est morte! pauvre Clotilde, qu'elle est malheureuse! si bonne et si aimable! Elle ne méritait pas ces cruels chagrins. Elle ignore encore la perte de son enfant; mais il faudra qu'elle l'apprenne, et combien ce nouveau malheur lui sera amer! Je suis sûre que ma pauvre tante a le coeur brisé. Tout est chagrin et misère ici-bas.

Vous me mandez que Caroline est malade. Qu'a-t-elle donc? J'espère que cela n'est pas sérieux, puisque vous m'en parlez si brièvement. Veuillez m'en parler avec plus de détails, ma chère maman, ainsi que de vous-même. Je ne sais si c'est pour me punir que vous me donnez de mauvaises nouvelles sans y ajouter un mot pour les adoucir. Ce serait trop de sévérité.

Maurice va à merveille. Il est tous les jours plus aimable et plus joli.

Mais je me reproche de vanter mon bonheur, quand je pense à cette pauvre Clotilde, dont le sort, à cet égard, est si différent. L'aisance et les plaisirs ne sont rien au coeur d'une mère en comparaison de ses enfants. Si je perdais Maurice, rien sur la terre ne m'offrirait de consolation dans la retraite où je vis. Il m'est si nécessaire, qu'en son absence, je ne passe pas une heure sans m'ennuyer.

Ne me laissez pas plus longtemps avec le chagrin de vous savoir mécontente. Écrivez-moi, ma chère maman; j'ai le coeur bien triste, et un mot de vous en ôterait un grand poids.

Casimir vous embrasse tendrement.

XX
A M. CARON, A PARIS

Nohant, 16 avril 1828.

Je reçois à l'instant votre lettre, mon bon Caron. Elle me fait tant de plaisir, que j'y veux répondre tout de suite. Vous êtes mille fois aimable de vous être décidé à nous venir trouver. Nous en sautons de joie, Casimir et moi. Je vais, par le même courrier, renouveler mon invitation à madame Saint-Agnan, que j'aurai le plus grand plaisir à recevoir, comme je le lui ai dit vingt fois et comme, j'espère, elle n'en doute pas.

Je ne sais combien de filles elle m'amènera. Je sais qu'il y en a une en pension; mais, les eût-elles toutes, la maison est assez grande pour les loger, et nous avons des poulets dans la cour en suffisante quantité pour approvisionner un régiment.

J'ai encore une demande à vous faire: c'est, au cas où madame Saint-Agnan voudrait emmener une femme de chambre, de l'en dissuader, comme si cela venait de vous, en lui disant qu'elle n'en aura pas besoin ici, puisque j'en ai une qui n'a rien à faire et qui sera à son service. Je ne voudrais pas qu'elle s'aperçût de ma répugnance à cet égard, parce qu'elle croirait peut-être que j'y mets de la mauvaise grâce. Elle se tromperait; car je serai enchantée de la recevoir, elle et sa famille. Vous savez aussi que ce n'est pas la crainte de nourrir une personne de plus, puisqu'il s'en nourrit dans ma maison plus que je ne le sais souvent moi-même. Je crains ici les domestiques étrangers, parce que mes Berrichons sont de simples et bons paysans ignorant toutes les rubriques des gens de Paris.

L'année dernière, la femme de chambre de madame Angel avait mis la maison en révolution par ses plaintes, ses propos. Les uns me demandaient leur compte pour aller à Paris, où elle se faisait fort de les placer; les autres voulaient doubler leurs gages, etc., etc. Je vous entretiens de ces balivernes parce qu'un mot dit en passant à madame Saint-Agnan peut m'épargner ces petits désagréments. Si cependant elle insiste, qu'il n'en soit plus question et prenez que je n'ai rien dit. Vous pensez qu'une aussi petite considération ne refroidira pas le plaisir que j'aurai à la voir.

Adieu, mon bon ami; venez au plus vite. Votre chambre vous attend; le lit de Pauline sera auprès du vôtre, ou, si vous voulez dans ma chambre, à côté de celui de Maurice. Nous vous attendons avec une grande impatience, et je vous embrasse de tout mon coeur.

Votre fille

AURORE.

Les amis de la Châtre vont être bien joyeux de la bonne nouvelle de votre arrivée.

XXI
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS

Nohant, 4 août 1828.

Ma chère maman,

Il est vrai que j'ai été bien longtemps sans vous écrire; mai je n'ai pas cessé de demander de vos nouvelles à Hippolyte. Il pourra vous le dire aussi, trois fois de suite je lui ai demandé votre adresse sans qu'il me l'envoyât. J'ai cherché dans vos lettres précédentes. Je n'y ai pas trouvé celle que vous m'avez désignée. Ce n'est que sa dernière lettre (qui m'est arrivée à peu près en même temps que la vôtre) qui me l'a apprise. J'étais fort contrariée, je vous assure, de ne savoir où vous étiez. Je suis enfin bien heureuse de vous savoir installée de nouveau à Paris, bien portante et avec la société de votre enfant37. Embrassez-le bien de ma part, je vous en prie et gardez-le le plus longtemps possible; car j'ai bien envie de le voir.

A cet égard, je ne sais pas du tout quand j'aurai le bonheur de vous embrasser. Je crois que je ferai tranquillement mes couches ici, où je serai plus commodément et plus économiquement pour passer les premiers mois de ma nourriture. Si nos affaires nous le permettent, je fais le projet d'aller passer, cet hiver, quelque temps près de vous. Ma santé est assez bonne, quoique, depuis quelques semaines, je souffre beaucoup de l'estomac. En ne mangeant pas, j'y échappe. Cela me coûte fort, car j'ai des faims très exigeantes, que je ne puis satisfaire sans les payer de plusieurs jours de souffrance et de diète.

Je ne suis pas très forte, et la moindre course en voiture me fatigue beaucoup. A cela près, je vais bien. Je suis si grosse, que tout le monde pense que je me suis trompée dans mon calcul et que j'accoucherai très prochainement: je ne crois pourtant pas que ce soit avant deux mois.

Casimir me charge de vous dire qu'il est très mécontent de l'inexactitude de M. Puget à votre égard. Il ne peut vous adresser à M. Lambert, qui n'est plus notaire et qui n'habite plus Paris. Il chargera de vos affaires, dès le prochain trimestre, une personne sûre et parfaitement exacte. J'ai vu Léontine un instant. Elle se portait bien. Je vais la chercher demain pour quelques jours.

Adieu, ma chère maman; reposez-vous bien de vos fatigues, afin que je puisse aussi vous recevoir. Ce ne sera jamais assez tôt, au gré de mon impatience. Je vous embrasse tendrement; Casimir et Maurice se joignent à moi.

Le cher père est très occupé de sa moisson. Il a adopté une manière de faire battre le blé qui termine en trois semaines les travaux de cinq à six mois. Aussi il sue sang et eau. Il est en blouse, le râteau à la main, dès le point du jour.

Les ouvriers sont forcés de l'imiter; mais ils ne s'en plaignent pas, car le vin de pays n'est point ménagé pour eux. Nous autres femmes, nous nous installons sur les tas de blé dont la cour est remplie. Nous lisons, nous travaillons beaucoup, nous songeons fort peu à sortir. Nous faisons aussi beaucoup de musique.

Adieu, chère maman; rappelez-moi à l'amitié du vicomte. Maurice est mince comme un fuseau, mais droit et décidé comme un homme. On le trouve très beau, son regard est superbe.

XII
A M. CARON, A PARIS

15 novembre, 1828.

Je n'ose pas dire, mon bon révérend, que j'ai bien du regret de ne vous pas voir. Ce serait être égoïste que de s'affliger de vos succès. Mais, sauf la joie bien vraie que j'éprouve à vous voir satisfait et dont vous ne pouvez pas douter, il m'est bien permis, à part moi, d'être fâchée de votre absence, et de regretter votre aimable personne.

J'ai l'espoir que vous n'oublierez point notre sincère affection dans le cours de vos prospérités, et que, quand vos affaires vous laisseront quelque répit, vous viendrez passer ici ce temps de liberté, dormir la grasse matinée, flâner avec l'ami Duteil et faire jurer Casimir en le gagnant aux échecs.

Vous avez ici votre appartement, votre nourriture, éclairage, blansissage, etc., moyennant la somme modique de deux francs cinquante centimes par semaine, et, de plus, vous aurez ce qui ne s'achète pas, des coeurs qui vous aiment bien véritablement.

Cette lettre vous sera remise par votre ami Duteil, qui, je crois, a le projet de vous demander de le prendre en pension pour trois semaines. C'est un compagnon aimable, et c'est pour la même raison qu'il désire loger avec vous, si vous le trouvez bon.

Adieu, mon vénérable octogénaire. Que votre barque vogue au gré de vos désirs! C'est ce que je vous souhaite, au nom du Père, etc.

Je vous embrasse de tout mon coeur, et désire que vous terminiez heureusement et vite afin de revenir nous voir.

AURORE.

Comment va la grosse Pauline38? Embrassez-la de ma part et de celle de Maurice. On dit que vous avez une nouvelle Corinne pour cuisinière, je vous en fais mon compliment.

XXIII
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS

Nohant, 27 décembre 1828.

Mon garde champêtre, qui est mon fournisseur et mon pourvoyeur, et qui, de plus, est ancien voltigeur et bel esprit, a fait ce matin, ma chère maman, une assez belle chasse. Je fais mettre dès demain ma cuisinière à l'oeuvre, et, quoiqu'elle ait beaucoup moins de génie que le garde champêtre, j'espère qu'elle en aura assez pour confectionner un bon pâté que je vous enverrai pour vos étrennes dès qu'il sera refroidi. Mon ami Caron, à qui j'adresse un envoi de même genre, vous fera passer ce qui vous revient.

Agréez en même temps, chère mère, tous mes voeux et mes embrassements du jour de l'an; ayez une bonne santé, de la gaieté, et venez nous voir, voilà mes souhaits.

Je suis charmée que vous ayez trouvé mes confitures bonnes. Je comptais vous en adresser un second volume; mais mon essai n'a pas été aussi heureux que le premier. Entraînée par l'ardeur du dessin, j'ai laissé brûler le tout et je n'ai plus trouvé sur mes fourneaux qu'une croûte noire et fumante qui ressemblait au cratère d'un volcan beaucoup plus qu'à un aliment quelconque.

Puisque nous sommes sur ce chapitre, je vous dirai que vous avez très bien fait de ne rien donner à mon envoyé. Il en eût été très choqué. Il veut bien se considérer comme mon ami et mon voisin, mais non comme un commissionnaire. Il vous eût dit qu'il était né natif de Nohant, qu'il se rendait mon messager uniquement par amitié, mais qu'il avait trop de sentiments, etc. Enfin il vous aurait dit peut-être de très belles choses, mais vous avez bien fait de ne le pas payer. Il est très glorieux, je suis sûre, de pouvoir dire qu'il nous a rendu service.

Je ne sais pas si mon projet d'aller à Paris s'effectuera. J'ai même tout lieu de croire qu'il ira grossir le nombre immense de projets en l'air qui sont en dépôt dans la lune avec tout ce qui se perd sur la terre. Ma fille est bien petite et bien délicate pour voyager par ce mauvais temps. Du reste, elle est fraîche et jolie à croquer. Maurice se porte bien aussi, et vous souhaite une bonne année; il embrasse son cousin Oscar. Veuillez, chère maman, être encore mon remplaçant dans le choix des étrennes à Oscar (ce que je laisse à votre disposition).

Je vous embrasse de toute mon âme, Casimir en prend sa part.

AURORE.

XXIV
A M. CARON, A PARIS

Nohant, 20 janvier 1829.

Il est très vrai que je suis une paresseuse, mon digne vieillard et bon ami. Vous savez que je suis de force à me laisser brûler les pieds plutôt que de me déranger, et à vous couvrir une lettre de pâtés plutôt que de tailler ma plume. Chacun sa nature. Vous n'êtes pas mal feugnant aussi, quand vous vous en mêlez. Mais ce n'est jamais quand il s'agit d'obliger; j'ai pu m'en convaincre mille fois, et j'ai même honte d'abuser si souvent de votre extrême bonté.

Je vous ai demandé dans quelque lettre qui se sera perdue:

Les Mémoires de Barbaroux, les Mémoires de madame Roland, et les Poésies de Victor Hugo.

J'ai deux volumes de Paul-Louis Courier intitulés Mémoires, Correspondance et Opuscules inédits. Il doit avoir paru un troisième volume contenant des fragments de Xénophon, l'Ane de Lucius, Daphnis et Chloé, etc. En outre, je voudrais avoir son meilleur volume contenant les pamphlets politiques et opuscules littéraires, imprimé clandestinement à Bruxelles in-8°. Celui-là sera peut-être difficile à trouver. Aidez-vous d'Hippolyte, qui s'aidera d'Ajasson, pour me le dépister. Veuillez avoir ma lettre dans votre poche, quand vous irez chez le libraire, afin de ne pas vous tromper ni m'acheter ce que j'ai déjà.

Ne confondez pas les Mémoires de Barbaroux le girondin sur la Révolution, avec quelque chose de nouveau que son fils C.-O. Barbaroux vient de publier à la suite ou au commencement d'une biographie de la Chambre des pairs. J'attendrai pour lire l'histoire des vivants qu'ils soient morts, et, si je suis morte avant eux, je m'en passerai.

Cela ne veut pas dire que je dédaigne les oeuvres des contemporains; seulement la postérité jugera les hommes mieux que nous. Je voudrais avoir quelque chose de Benjamin Constant et surtout de Royer-Collard. Mais quoi! je ne suis pas au courant de ces publications. Veuillez m'aider, m'envoyer ce qu'il y a de plus remarquable et le plus à la portée d'une bête comme moi.

En voilà-t-il assez? Je vous plains bien sincèrement, mon vieux, si vous avez beaucoup de femmes comme moi sur les bras.

Pour faire diversion à ces factures, car mes lettres ne sont pas autre chose, je vous envoie le récit lamentable d'une histoire récemment arrivée à la Châtre. Vous savez qu'il y a sept ou huit sociétés qui ne se mêlent point. Vous savez que Périgny et moi, qui avons la prétention d'être philosophes, nous invitons tout le monde.

Moi, je ne reçois pas cette année; mais, lui, il a commencé. La première soirée s'est assez bien passée, moyennant que les plus huppées ont été stupéfaites de surprise en se voyant amalgamées avec ce qu'elles appellent de la canaille, quoique cette canaille les vaille et plus. Le maître de musique et sa femme, fort gentille, ont surtout causé par leur admission, une indignation, et les bonnes personnes de dire que M. de Périgny comblait d'honnêtetés le musicien susdit afin d'économiser cinq francs par soirée.

Voulant mettre à profit cet incident, mais ne voulant pas mettre en scène l'innocent musicien et son innocente moitié, nous avons, Duteil et moi (auteurs indignes de cette chanson), offert nos propres individus aux traits de la satire, nous maltraitant soi-même (nous avions tenu l'orchestre à nous deux, la première soirée); nous détournons par cette ruse adroite les soupçons qui se dirigeraient sur nous si nous ne gardions le secret sur notre génie poétique, car nous en pinçons. Il a pu, à Paris, vous chanter des complaintes de notre façon; que vous en semble? Nous avons tant d'esprit, que nous en sommes zonteux nous-mêmes. Nous avons montré la susdite chanson à M. et madame de Périgny, qui en ont beaucoup ri et nous ont autorisés à la répandre clandestinement, à condition qu'ils ne soient pas reconnus en avoir eu connaissance.

Voyez-vous d'ici la bonne figure qu'ils vont faire, et vous aussi, quand, d'un air piteux, on viendra vous raconter qu'un libelle impertinent, arme à deux tranchants, et dans lequel nous sommes particulièrement maltraités, circule dans la ville? Voyez-vous l'air de philosophie et de générosité avec lequel nous témoignerons notre mépris de cet outrage? J'oubliais de vous dire qu'à la seconde soirée il n'est venu personne que ce maître de musique, Casimir et moi; la chanson, d'ailleurs, vous l'apprendra; mais vous saurez que j'avais l'honneur de faire partie des trois invités qui font une si pauvre figure à la fin du dernier couplet. Nous attendons à demain pour voir si la cabale continue. Moi, je n'en aurai pas le démenti, et j'irai pour voir. Vous voilà au courant des cancans.

J'écrirai à Félicie quand je pourrai. En attendant, dites-lui que je l'embrasse, que je ne me soucie guère d'apprendre les modes, qu'il me suffit qu'elle se porte bien et ne m'oublie pas. Au reste, je lui dirai cela moi-même dans quelques jours. Je verrai demain toutes vos amoureuses et m'acquitterai de vos commissions.

Bonsoir, mon vieux; portez-vous bien, dormez quinze heures sur seize, et aimez toujours votre fille

AURORE

Casimir vous embrasse, et Maurice embrasse Pauline. A propos, j'ai un ménage entier de porcelaine de Verneuil39 pour elle; mais comment le lui envoyer? le port coûtera plus que la chose ne vaut; fixez-moi là-dessus.

LA SOIRÉE ADMINISTRATIVE
ou
LE SOUS-PRÉFET PHILOSOPHE

Air: Tous les bourgeois de Chartres

1
 
Habitants de la Châtre Nobles, bourgeois, vilains. D'un petit
gentillâtre Apprenez les dédains.
Ce jeune homme, égaré par la philosophie40,
Oubliant, dans sa déraison,
Les usages et le bon ton,
Vexe la bourgeoisie
 
2
 
Voyant que, dans la ville, Plus d'un original Tranche de
l'homme habile Et se dit libéral;
A nos tendres moitiés qui frondent la noblesse
Il crut plaire en donnant un bal
Où chacun pût d'un pas égal
Aller comme à la messe.
 
3
 
Un écorcheur d'oreilles, Ci-devant procureur41. Croit faire
des merveilles Avec madame Orreur42.
Sur son piano discord quand l'une nous assomme,
L'autre nous fait grincer des dents,
Le tout pour épargner cinq francs
Au ménage économe.
 
4
 
Juges et militaires, Médecins, avocats, Chirurgiens et
notoires, Chacun prend ses ébats.
On entendit pourtant plus d'une grande dame,
Pinçant la lèvre et clignant l'oeil,
Murmurer dans son noble orgueil:
«Voyez! quel amalgame!»
 
5
 
Guidant la contredanse, Périgny tout en eau, Croyait par sa
prudence Nous dorer le gâteau.
L'avant-deux n'était pas la chose délicate:
Mais, quand on fut au moulinet,
C'est en vain que le sous-préfet
Cria: «Donnez la patte!…»
 
6
 
Quand finit ce supplice, Chaque dame aussitôt Demande sa
pelisse, Sa bonne et son falot,
Et toutes en sortant se disaient dans la rue,
En retroussant leur falbala:
«Jamais on ne me reprendra
En pareille cohue
 
7
 
La semaine suivante Le punch est préparé, La maîtresse est
brillante, Le salon est ciré.
vint trois invités de chétive encolure.
Dans la ville on disait: «Bravo!
On donne un bal incognito
A la sous-préfecture!»
 
32.Fille de M. Defos.
33.Autre fille de M. Defos.
34.Charles Delaveau.
35.Amie de George Sand habitant Paris.
36.Oncle et tante de George Sand
37.Oscar Cazamajou, son petit-fils.
38.Nièce de Caron.
39.Village de potiers près de Nohant.
40.Pérnigy.
41.Duteil.
42.Aurore.
Yaş sınırı:
0+
Litres'teki yayın tarihi:
26 temmuz 2019
Hacim:
300 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
İndirme biçimi:
Metin
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