Kitabı oku: «Correspondance, 1812-1876 — Tome 5», sayfa 12
DCXXXIV
A M. ANDRÉ BOUTET, A PALAISEAU
Nohant, 15 avril 1807.
Cher ami, Je prends acte de votre bonne promesse pour les vacances ou pour un autre moment de l'année où vous serez le mieux disponible. Nous nous entendrons pour que je ne sois pas en excursion dans ce moment-là. Nous philosopherons au grand soleil, si Dieu nous donne un meilleur été que l'autre. Mais je crois notre philosophie bien droite et bien claire. Le désir maladif de se perdre dans les questions métaphysiques s'apaise quand on en a tâté sérieusement.
Si le cher papa35, qui croit découvrir des choses rebattues, avait fait quelques vraies études, il affirmerait de moins en moins la nature spéciale et le rôle spécial de Dieu. Contentons-nous de vivre du sentiment qui nous pousse à rêver une perfection relative, et à y croire d'autant plus que nous nous sentons devenir meilleurs.
Au reste, pour en revenir au papa, sa lettre était bonne comme lui et moins fanatique de certitude que la précédente. Sa chimère est celle d'un esprit généreux; sa vanité, celle d'un coeur très pur.
Quand on voit le genre humain perdu de bêtise et de vice, et la vieillesse, aussi bien que la jeunesse d'à présent, tourner à l'égoïsme et au matérialisme, on est heureux de trouver dans sa famille une belle âme dont les défauts et les travers ne sont que l'excès de qualités sérieuses et d'instincts touchants. Aimez-vous donc quand même. Ne faut-il pas que la famille s'essaye aux habitudes de tolérance et de libre pensée qui doivent gouverner les sociétés futures?
Nous sommes malheureusement encore les fils de ceux qui s'envoyaient mutuellement à la guillotine, et les petits-fils de ceux qui s'envoyaient au bûcher, pour cause d'idées contraires. Il faut bien que nous apprenions à porter en nous notre propre pensée et nos propres croyances, sans exiger que les antres nous suivent et sans aimer moins ceux qui ne nous suivent pas. Ce n'est pas un idéal si bleu à entrevoir. La raison, d'accord en ceci avec le sentiment, admet déjà la tolérance: reste l'habitude à prendre. Essayons, chacun chez nous.
Maurice est très content que Miss Mary vous amuse. Il en était un peu dégoûté à cause des si et des mais de la Revue, qui prend à tâche de décourager tous ses rédacteurs, et qui, au fond, est bien plus avec les princes libertins et les duchesses amoureuses et dévotes de F... qu'avec les Sand et consorts. Mais je lui remonte le moral, parce que son roman est véritablement un progrès sur ceux qui précèdent.
Embrassez, pour Lina et pour moi, toute la chère famille. Aurore vous envoie des baisers à poignée en se maniérant de la façon la plus comique.
G. SAND.
DCXXXV
A M. LOUIS VIARDOT, A PARIS36
Nohant, 24 avril 1867,
Mon cher incrédule, C'est très bien, très bien dit et pensé. Je ne vous dis pas non. Seulement je vous dis: Il y a plus que ça. Vous êtes dans le vrai; mais le vrai n'est pas un chemin fermé; au delà du but atteint, il y a encore autre chose qui est encore le vrai, et ainsi toujours jusqu'à la fin des siècles de l'humanité. Si la raison et l'expérience fermaient le livre de la vie intellectuelle, elles ne vaudraient pas beaucoup mieux que les chimères d'un spiritualisme mal entendu. Je pense, moi, que vous n'avez pas assez tenu compte de l'importance du sentiment dans les éléments de la certitude. Vous trouvez trop commode de le supprimer comme une aimable hypothèse; vous oubliez qu'il a juste autant de valeur que la raison, et que l'induction ne le cède en rien à la déduction. Je ne vous donnerai pas la clef qui ouvrira les deux portes à la fois pour nous faire pénétrer dans le monde des idées complètes. Je ne l'ai pas, je suis trop bête; mais je sais bien qu'il y a une double entrée, et que vous ne frappez qu'à une seule. Sur ce, continuez à frapper; cela né peut faire que du bien; car le seul malice sont les portes qui ne s'ouvrent pas. Je vous embrasse avec amitié.
Et je dis à Pauline:
Fille chérie, vous me tentez bien; mais, hélas! vous ne savez pas comme je suis vieille depuis six mois. J'avais arrangé ma vie pour avoir un peu de liberté, et j'en aurais si je me portais bien. Mais me voilà à chaque instant faible et bonne à rien. Le printemps me ranime, et tout à coup m'écrase. Vais-je reprendre mon activité et la jeunesse de soixante-trois ans que je croyais revenue l'année dernière? C'est ambitieux, et, s'il faut me résigner à mon vrai âge, c'est comme Dieu voudra. Que Louis me pardonne cette hypothèse; moi, j'en ai l'habitude, et je n'accuse pas Dieu quand je suis malade; mais je lui demande tout de même de me donner la force d'aller vous voir, ma chère fille, avant de prendre des béquilles. Nous verrons ce qu'il décidera, ce vieux bon Dieu. Quand il fera chaud, bien chaud, peut-être que je serai vaillante encore une fois.
Je vous embrasse maternellement, comme toujours.
DCXXXVI
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET
Nohant, 9 mai 1867.
Cher ami, Je vas bien, je travaille, j'achève Cadio. Il fait chaud, je vis, je suis calme et triste, je ne sais guère pourquoi. Dans cette existence si unie, si tranquille et si douce que j'ai ici, je suis dans un élément qui me débilite moralement en me fortifiant au physique; et je tombe dans des spleens de miel et de rosés qui n'en sont pas moins des spleens. Il me, semble que tous ceux que j'ai aimés m'oublient et que c'est justice, puisque je vis en égoïste, sans avoir rien à faire pour eux.
J'ai vécu de dévouements formidables qui m'écrasaient, qui dépassaient mes forces et que je maudissais souvent. Et il se trouve que, n'en ayant plus à exercer, je m'ennuie d'être bien. Si la race humaine allait très bien ou très mal, on se rattacherait à un intérêt général, on vivrait d'une idée, illusion ou sagesse. Mais tu vois où en sont les esprits, toi qui tempêtes avec énergie contre les trembleurs. Cela se dissipe, dis-tu? mais c'est pour recommencer! Qu'est-ce que c'est, qu'une société qui se paralyse au beau milieu de son expansion, parce que demain peut amener un orage? Jamais la pensée du danger n'a produit de pareilles démoralisations. Est-ce que nous sommes déchus à ce point qu'il faille nous prier de manger en nous jurant que rien ne viendra troubler notre digestion? Oui, c'est bête, c'est honteux. Est-ce le résultat du bien-être, et la civilisation va-t-elle nous pousser à cet égoïsme maladif et lâche?
Mon optimisme a reçu une rude atteinte dans ces derniers temps. Je me faisais une joie, un courage à l'idée de te voir ici. C'était comme une guérison que je mijotais; mais te voilà inquiet de ta chère vieille mère, et certes je n'ai pas à réclamer.
Enfin, si je peux, avant ton départ pour Paris, finir le Çadio auquel je suis attelée sous peine de n'avoir plus de quoi payer mon tabac et mes souliers, j'irai t'embrasser avec Maurice. Sinon, je t'espérerai pour le milieu de l'été. Mes enfants, tout déconfits de ce retard, veulent t'espérer aussi, et nous le désirons d'autant plus que ce sera signe de bonne santé pour la chère maman.
Maurice s'est replongé dans l'histoire naturelle; il veut se perfectionner dans les micros; j'apprends par contre-coup. Quand j'aurai fourré dans ma cervelle le nom et la figure de deux ou trois mille espèces imperceptibles, je serai bien avancée, n'est-ce pas? Eh bien, ces études-là sont de véritables pieuvres qui vous enlacent et qui vous ouvrent je ne sais quel infini. Tu demandes si c'est la destinée de l'homme de boire l'infini; ma foi, oui, n'en doute pas, c'est sa destinée, puisque c'est son rêve et sa passion.
Inventer, c'est passionnant aussi; mais quelle fatigue, après! Comme on se sent vidé et épuisé intellectuellement, quand on a écrivaillé des semaines et des mois sur cet animal à deux pieds qui a seul le droit d'être représenté dans les romans! Je vois Maurice tout rafraîchi et tout rajeuni quand il retourne à ses bêtes et à ses cailloux, et, si j'aspire à sortir de ma misère, c'est pour m'enterrer aussi dans les études qui, au dire des épiciers, ne-servent à rien. Ça vaut toujours mieux que de dire la messe et de sonner l'adoration du Créateur.
Est-ce vrai, ce que tu me racontes de G...? est-ce possible? je ne peux pas croire ça. Est-ce qu'il y aurait, dans l'atmosphère que la terre engendre en ce moment, un gaz, hilarant ou autre, qui empoigne tout à coup la cervelle et portera faire des extravagances, comme il y a eu, sous la première révolution, un fluide exaspérateur qui portait à commettre des cruautés? Nous sommes tombés de l'enfer du Dante dans celui de Scarron.
Que penses-tu, toi, bonne tête et bon coeur, au milieu de cette bacchanale? Tu es eu colère, c'est bien. J'aime mieux ça que si tu en riais; mais quand tu t'apaises et quand tu réfléchis?
Il faut pourtant trouver un joint pour accepter l'honneur le devoir et la fatigue de vivre? Moi, je me rejette dans l'idée d'un éternel voyage dans des mondes plus amusants; mais il faudrait y passer vite et changer sans cesse. La vie que l'on craint tant de perdre est toujours trop longue pour ceux qui comprennent vite ce qu'ils voient. Tout s'y répète et s'y rabâche.
Je t'assure qu'il n'y a qu'un plaisir: apprendre ce qu'on ne sait pas, et un bonheur: aimer les exceptions. Donc, je t'aime et je t'embrasse tendrement.
Je suis inquiète de Sainte-Beuve. Quelle perte ce serait! Je suis contente si Bouilhet est content. Est-ce une position et une bonne?
DCXXXVII
A M. ARMAND BARBÈS, A LA HAYE
Nohant, 12 mai 1867.
Ami, Je ne crois pas à l'invasion, ce n'est pas là ce qui me préoccupe. Je crains une révolution orléaniste, je me trompe peut-être. Chacun voit de l'observatoire où le hasard le place. Si les Cosaques voulaient nous ramener les Bourbons ou les d'Orléans, ils n'auraient pas beau jeu, ce me semble, et ces princes auraient peu de succès. Mais, si la bourgeoisie, plus habile que le peuple, ourdit une vaste conspiration et réussit à apaiser, avec les promesses dont tous les prétendants sont prodigues, les besoins de liberté qui se manifestent, quelle reculade et quelle nouveau leurre!
On est las du présent, cela est certain. On est blessé d'être joué par un manque de confiance trop évident, on a soif de respirer. On rêve toute sorte de soulagements et d'inconséquences. On se démoralise, on se fatigue, et la victoire sera au plus habile. Quel remède? On a encouragé l'esprit prêtre, on a laissé les couvents envahir la France et les sales ignorantins s'emparer de l'éducation; on a compté qu'ils serviraient le principe d'autorité en abrutissant les enfants, sans tenir compte de celle vérité que qui n'apprend pas à résister ne sait jamais obéir.
Y aura-t-il un peuple dans vingt ans d'ici? Dans les provinces, non, je le crains bien.
Vous craignez les Huns! moi, je vois chez nous des barbares bien plus redoutables, et, pour résister à ces sauvages enfroqués, je vois le monde de l'intelligence tourmenté, de fantaisies qui n'aboutissent à rien, qu'à subir le hasard des révolutions sans y apporter ni conviction ni doctrine. Aucun idéal! Les révolutions tendent à devenir des énigmes dont il sera impossible d'écrire l'histoire et de saisir le vrai sens, tant elles seront compliquées d'intrigues et traversées d'intérêts divers, spéculant sur la paresse d'esprit du grand nombre. Il faut en prendre son parti, c'est une époque de dissolution où l'on veut essayer de tout et tout user avant de s'unir dans l'amour du vrai. Le vrai est trop simple, il faut y arriver toujours par le compliqué. Laissons passer ces tourbillons. Ils retardent les courants, ils ne les retiennent pas.
L'avenir est beau quand même, allez! un avenir plus éloigné que nous ne l'avions pressenti dans notre jeunesse. La jeunesse devance toujours le possible; mais nous pouvons nous endormir tranquilles. Ce siècle a beaucoup fait et fera beaucoup encore; et nous, nous avons fait ce que nous avons pu. D'un monde meilleur, nous verrons peut-être que le blé lève dans celui-ci.
Adieu, cher ami de mon coeur. Je vas bien à présent et je travaille. Ce beau temps va sûrement vous soulager. Maurice vous embrasse.
G. SAND.
DCXXXVIII
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET
Nohant, 30 mai 1867.
Te voilà chez toi, vieux de mon coeur, et il faudra que j'aille t'y embrasser avec Maurice. Si tu es toujours plongé dans le travail, nous ne ferons qu'aller et venir. C'est si près de Paris, qu'il ne faut point se gêner. Moi, j'ai fait Cadio, ouf!!! Je n'ai plus qu'à le relicher un peu. C'est une maladie que de porter si longtemps cette grosse machine dans sa trompette. J'ai été si interrompue par la maladie réelle, que j'ai eu de la peine à m'y remettre. Mais je me porte comme un charme depuis le beau temps et je vas prendre un bain de botanique.
Maurice en prend un d'entomologie. Il fait trois lieues avec un ami de sa force pour aller chercher, au milieu d'une lande immense, un animal qu'il faut regarder à la loupe. Voilà le bonheur! c'est d'être bien toqué. Mes tristesses se sont dissipées en faisant Cadio; à présent, je n'ai plus que quinze ans, et tout me paraît pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Ça durera ce que ça pourra. Ce sont des accès d'innocence, où l'oubli du mal équivaut à l'inexpérience de l'âge d'or.
Comment va la chère mère? Elle est heureuse de te retrouver près d'elle!
Et le roman? Il doit avancer, que diable! Marches-tu un peu? es-tu plus raisonnable?
L'autre jour, il y avait ici des gens pas trop bêtes qui ont parlé de Madame Bovary très bien, mais qui goûtaient moins Salammbô. Lina s'est mise dans une colère rouge, ne voulant pas permettre à ces malheureux la plus petite objection; Maurice a dû la calmer, et, là-dessus, il a très bien apprécié l'ouvrage, en artiste et en savant; si bien que les récalcitrants ont rendu les armes. J'aurais voulu écrire ce qu'il a dit. Il parle peu, et souvent mal; cette fois, c'était, extraordinairement réussi.
Je veux donc te dire non pas adieu, mais au revoir, dès que je pourrai. Je t'aime beaucoup, mon cher vieux, tu le sais. L'idéal serait de vivre à longues années avec un bon et grand coeur comme toi. Mais alors on ne voudrait plus mourir, et, quand on est vieux de fait comme moi, il faut bien se tenir prêt à tout.
Je t'embrasse tendrement, Maurice aussi. Aurore est la personne la plus douce et la plus farceuse. Son père la fait boire en disant: Dominus vobiscum! puis elle boit, et répond: Amen! La voilà qui marche. Quelle merveille que le développement d'un petit enfant! On n'a jamais fait cela. Suivi jour par jour, ce serait précieux à tous égards. C'est de ces choses que nous voyons tous sans les voir.
Adieu encore; pense à ton vieux troubadour, qui pense à toi sans cesse.
DCXXXIX
AU MÊME
Nohant, 14 juin 1867.
Cher ami, Je pars avec mon fils et sa femme pour passer quinze jours à Paris, peut-être plus si la reprise de Villemer me mène plus tard. Donc, ta bonne chère mère, que, je ne veux pas manquer, non plus, a tout le temps d'aller voir ses filles. J'attendrai à Paris que tu me dises si elle est de retour, ou bien, si je vous fais une vraie visite, vous me donnerez l'époque qui vous ira le mieux.
Mon intention, pour le moment, était tout bonnement d'aller passer une heure avec vous, et Lina était tentée d'en être; je lui aurais montré Rouen, et puis nous eussions été t'embrasser, pour revenir le soir à Paris; car la chère petite a toujours l'oreille et le coeur au guet quand elle est séparée d'Aurore, et ses jours de vacances lui sont comptés par une inquiétude continuelle que je comprends bien. Nous irons donc en courant te serrer les mains. Si cela ne se peut pas, j'irai seule plus tard quand le coeur t'en dira, et, si tu vas dans le Midi, je remettrai jusqu'à ce que tout s'arrange sans entraver en quoi que ce soit les projets de ta mère ou les tiens. Je suis très libre, moi. Donc, ne t'inquiète pas, et arrange ton été sans te préoccuper de moi.
J'ai trente-six projets aussi; mais je ne m'attache à aucun; ce qui m'amuse, c'est ce qui me prend et m'emmène à l'improviste. Il en est du voyage comme du roman: ce qui passe est ce qui commande. Seulement, quand on est à Paris, Rouen n'est pas un voyage, et je serai toujours à même, quand je serai là, de répondre à ton appel. Je me fais un peu de remords de te prendre des jours entiers de travail, moi qui ne m'ennuie jamais de flâner, et que tu pourrais laisser des heures entières sous un arbre, ou devant deux bûches allumées avec la certitude que j'y trouverai quelque chose d'intéressant. Je sais si bien vivre hors de moi! ça n'a pas toujours été comme ça. J'ai été jeune aussi et sujette aux indigestions. C'est fini!
Depuis que j'ai mis le nez dans la vraie nature, j'ai trouvé là un ordre, une suite, une placidité de révolutions qui manquent à l'homme, mais que l'homme peut, jusqu'à un certain point, s'assimiler, quand il n'est pas trop directement aux prises avec les difficultés de la vie qui lui est propre. Quand ces difficultés reviennent, il faut bien qu'il s'efforce d'y parer; mais, s'il a bu à la coupe du vrai éternel, il ne se passionne plus trop pour ou contre le vrai éphémère et relatif.
Mais pourquoi est-ce que je te dis cela? C'est que cela vient au courant de la plume; car, en y pensant bien, ton état de surexcitation est probablement plus vrai, ou tout au moins plus fécond et plus humain que ma tranquillité sénile. Je ne voudrais pas te rendre semblable à moi, quand même, au moyen d'une opération magique, je le pourrais. Je ne m'intéresserais pas à moi, si j'avais l'honneur de me rencontrer. Je me dirais que c'est assez d'un troubadour à gouverner et j'enverrais l'autre à Chaillot.
A propos de bohémiens, sais-tu qu'il y a des bohémiens de mer? J'ai découvert, aux environs de Tamaris, dans des rochers perdus, de grandes barques bien abritées, avec des femmes, des enfants, une population côtière, très restreinte, toute basanée; péchant pour manger, sans faire grand commerce; parlant une langue à part que les gens du pays ne comprennent pas; ne demeurant nulle part que dans ces grandes barques échouées sur le sable, quand la tempête les tourmente dans leurs anses de rochers; se mariant entre eux, inoffensifs et sombres, timides ou sauvages; ne répondant pas quand on leur parle. Je ne sais plus comment on les appelle. Le nom que l'on m'a dit a glissé, mais je pourrais me le faire redire. Naturellement les gens du pays les abominent et disent qu'ils n'ont aucune espèce de religion: si cela est, ils doivent être supérieurs à nous. Je m'étais aventurée toute seule au milieu d'eux. «Bonjour, messieurs.» Réponse: un léger signe de tête. Je regarde leur campement, personne ne se dérange. Il semble qu'on ne me voie pas. Je leur demande si ma curiosité les contrarie. — Un haussement d'épaules comme pour dire: «Qu'est-ce que ça nous fait?» Je m'adresse à un jeune garçon qui refaisait très adroitement des mailles à un filet; je lui montre une pièce de cinq francs en or. Il regarde d'un autre côté. Je lui en montre une en argent. Il daigne la regarder. «La veux-tu?» Il baisse le nez sur son ouvrage. Je la place près de lui, il ne bouge pas. Je m'éloigne, il me suit des yeux. Quand-il croit que je ne le vois plus, il prend la pièce, et va causer, avec un groupe. J'ignore ce qui se passe. J'imagine qu'on joint tout cela au fonds commun. Je me mets à herboriser à quelque distance, en vue, pour savoir si on viendra me demander autre chose ou me remercier. Personne ne bouge. Je retourne comme par hasard de leur côté, même silence, même indifférence. Une heure après, j'étais au haut de la falaise et je demandais au garde-côte ce que c'était que ces gens-là qui ne parlaient ni français, ni italien, ni patois. Il me dit alors le nom, que je n'ai pas retenu.
Dans son idée, c'étaient des Mores, restés à la côte depuis le temps des grandes invasions de la Provence, et il ne se trompait peut-être pas. Il me dit qu'il m'avait vue au milieu d'eux, du haut de son guettoir, et que j'avais eu tort, parce que c'étaient des gens capables de tout; mais, quand je lui demandai quel mal ils faisaient, il m'avoua qu'ils n'en faisaient aucun. Ils vivaient du produit de leur pêche et surtout des épaves qu'ils savaient recueillir avant les plus alertes. Ils étaient l'objet du plus parfait mépris. Pourquoi? Toujours la même histoire. Celui qui ne fait pas comme tout le monde ne peut faire que le mal.
Si tu vas dans ce pays-là, tu pourras peut-être en rencontrer à la pointe du Brusq. Mais ce sont des oiseaux de passage, et il y a des années où ils ne paraissent plus.
Je n'ai pas seulement aperçu le Paris-Guide. On me devait pourtant bien un exemplaire; car j'y ai donné quelque chose sans réclamer aucun payement. C'est à cause de ça, probablement, qu'on m'a oubliée. Pour conclure, je serai à Paris du 20 juin au 5 juillet. Donne-moi là de les nouvelles, toujours rue des Feuillantines,97. Je resterai peut-être davantage, mais je n'en sais rien. Je t'embrasse tendrement, mon grand vieux. Marche un peu, je t'en supplie. Je ne crains rien pour le roman; mais je crains pour le système nerveux prenant trop la place du système musculaire. Moi, je vais très bien, sauf des coups de foudre où je tombe sur mon lit pendant quarante-huit heures sans vouloir qu'on me parle. Mais c'est rare, et, pourvu que je ne me laisse pas attendrir pour qu'on me soigne, je me relève parfaitement guérie.
Tendresses de Maurice. L'entomologie l'a repris cette année; il trouve des merveilles. Embrasse ta mère pour moi et soigne-la bien. Je vous aime de tout mon coeur.
M. Desplanches. Voir la lettre DCIII, qui lui est adressée.
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Après avoir reçu son opuscule intitulé Libre Examen, apologie d'un incrédule.
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