Kitabı oku: «Correspondance, 1812-1876 — Tome 5», sayfa 16
DCLXX
A MADAME EDMOND ADAM, A PARIS
Nohant, 8 juin 1868.
Chers enfants, Quand vous verra-t-on? On vous attend maintenant tout l'été, sans aucun autre projet que le bonheur de vous embrasser tous trois.
Me voilà bien reposée de toutes mes agitations et inquiétudes: je me porte comme trois Turcs, ma Lina aussi, et nos deux fillettes viennent à ravir. Aurore est devenue plus impétueuse que cet hiver; mais elle a un si bon fonds, que ses petites colères ne sont que d'un instant, et les gentillesses reprennent le dessus aussitôt. Elle stupéfait madame Villot par son intelligence et ses petites grâces spontanées. Elle est timide et ne se livre qu'au bout de deux ou trois jours. Son père en est toujours fou. Nous vivons dans le plus grand calme sans ouvrir un journal, et nous plongeant tous les jours dans l'Indre et dans la botanique ou autres drôleries innocentes et saines. Enfin, si nos enfants gardent la vie et la santé, nous sommes des gens très heureux dans notre solitude berrichonne. Le pays n'est pas beau; mais il est aimable et doux, excepté pour les pieds. Vous apporterez de bonnes chaussures, si vous voulez faire quelques pas dehors.
Venez quand vous aurez assez des amusements de votre installation dans une nouvelle existence.
On tâchera d'amuser Toto et de vous distraire. Apportez votre ou vos romans. Vous me les lirez; ça peut servir d'avoir un écouteur attentif, sincère et jaloux de vous conserver votre individualité.
Je suis contente que les Lettres vous plaisent; Buloz en lisant que vous êtes païenne a été effrayé, et m'a demandé si vraiment vous consentiez à ce que votre nom fut en toutes lettres. J'ai dû lui dire que vous aviez lu l'épreuve avant lui, avec droit absolu de correction et de suppression47.
Tendresses de nous tous, chère Juliette, et pour Toto et pour Adam. A bientôt, n'est-ce pas?
G. SAND.
DCLXXI
A M. LOUIS VIARDOT, A BADEN
Nohant, 10 juin 1868.
Cher ami, Vous m'avez écrit le 10 avril: «Dites-moi vos projets quand vous les saurez vous-même.» Voici: j'ai passé tout le mois de mai à Paris... tenue sur le qui-vive par la situation d'une jeune amie condamnée par les médecins. C'était une grossesse dont la solution leur paraissait impossible. La nature a fait un miracle: la mère et l'enfant se portent bien. Mais j'ai dû consacrer à ces jours de crise et d'effroi la quinzaine scientifiquement que la planète s'est faite toute seule que je me réservais, et puis un déménagement à faire à la vapeur, et, après tout cela, un peu de fatigue, et le besoin d'aller revoir ma marmaille chérie. A présent, voilà un gros travail à faire, trois mois sans désemparer. Ce ne sera donc qu'au mois de septembre que je puis espérer un peu de liberté. Allez donc aux eaux, si vous n'y êtes déjà... Moi, j'ai pesté un peu d'être à Paris durant ce radieux mois de mai. Mais j'étais inquiète, et je tenais à assister une jeune femme qui, en d'autres temps, m'a donné des soins dévoués. C'est la femme de mon petit ami Lambert, que vous connaissez, le peintre d'animaux. Il a beaucoup de talent à présent, et une compagne incomparable, et même un petit enfant venu par miracle, et très joli.
Mais rien n'est si joli que ma petite Aurore, elle est aimable et intelligente comme était votre Claudie à son âge. L'autre fillette grossit comme un petit champignon, et Bouli (qu'on appelle toujours Bouli), est heureux en ménage comme pas un. Il est toujours passionné pour l'histoire naturelle. Nous avons chez nous Micro, un ami dont Pauline se souvient peut-être, le frère maigre, doux, hérissé, fantastique de notre vieille Élisa Tourangin. Il est absolument le même qu'autrefois, et, comme autrefois, il passe ses journées à analyser l'aile d'un papillon ou la capsule d'une plante. La toquade botanique a bien aussi passé pas mal en moi, et, à propos d'histoire naturelle, j'ai bien lu et commenté tout ce qui s'écrit pour prouver et se défera de même. Soit; mais je reste dans un mélange de spiritualisme et de panthéisme qui se combine en moi sans trouble. Chacun vit du vin qu'il s'est versé, et en boit ce que son cerveau en peut porter. Je ne vois pas la nécessité de forcer son entendement, et de détruire en soi certaines facultés précieuses pour faire pièce aux dévots. Les dévots n'existent plus. Il n'y a aujourd'hui que des imbéciles ou des tartufes. Je ne leur fais pas l'honneur de me modifier pour les combattre. Je trouve que c'est pour la science une assez bonne campagne à faire que d'aller son train en tant que science, puisque chacun de ses pas enfonce l'Église un peu plus avant sous la terre. Il n'est pas nécessaire, il n'est pas utile peut-être, de tant affirmer le néant, dont nous ne savons rien. La vérité doit servir de drapeau dans une bataille; n'habillons pas à notre guise cette dame nue, qui ne s'est pas encore montrée sans voiles à nos regards. Tâchons de l'engager à se découvrir, mais n'exigeons pas qu'elle apparaisse sous des traits d'emprunt. Il me semble qu'en ce moment, on va trop loin dans l'affirmation d'un réalisme étroit et un peu grossier, dans la science comme dans l'art.
Ceci, cher ami, n'est pas un reproche â votre adresse. Vous avez vécu longtemps de la philosophie très spiritualiste de Reynaud et de Leroux. Vous l'avez quittée sans subir d'autre influence que celle de vos réflexions, et vous avez usé du droit sacré de la liberté. Tant d'autres ont quitté les idées dont nous vivions alors pour se jeter dans le catholicisme, que votre protestation est digne et légitime. Et moi aussi, j'ai marché un peu plus loin, en avant ou de côté, je l'ignore, en arrière peut-être. N'importe, j'ai réfléchi aussi, et je me suis insensiblement modifiée. Mais, tout en réclamant avec ardeur le droit que la science a de nous dire tout ce qu'elle sait, et même tout ce qu'elle suppose, je ne conçois pas qu'elle nous dise: «Croyez cela avec moi, sous peine de rester avec les hommes du passé. Détruisons pour prouver, abattons tout pour reconstruire.» — Je réponds: Bornez-vous à prouver, et ne nous commandez rien. Ce n'est pas le rôle de la science d'abattre à coups de colère et à l'aidé des passions. Laissez le mépris tuer le surnaturel imbécile, et ne perdez pas le temps à raisonner contre ce qui ne raisonne pas. Apprenez et enseignez. Ce n'est pas avoir la vérité que de dire: «Il est nécessaire de croire que nous avons la vérité.» C'est parler comme le prêtre. La science est le chemin qui mène à la vérité, cela est certain; mais elle est encore loin du but, soit qu'elle affirme, soit qu'elle nie la clef de voûte de l'univers.
Je ne vous chicane donc que sur ce que vous me dites dans votre lettre: «Il faut que la foi brûle et tue la science, ou que la science chasse et dissipe la foi.» Cette mutuelle extermination ne me paraît pas le fait d'une bataille, ni l'oeuvre d'une génération. La liberté y périrait. Il faut que tous les esprits sincères cherchent, et que par la force des choses, la vérité triomphe. Tout ce qui est bien démontré est vite acquis à l'heure qu'il est. C'est la vérité qui doit exterminer le mensonge. Nos indignations et nos enthousiasmes la serviront sans doute; mais une simple découverte comme la vaccine en dit plus contre le discernement de la Providence, ou la justice divine, qui envoyait à son gré la mort ou la guérison, que toutes les polémiques, quelque triomphantes qu'elles nous paraissent.
Mais c'est assez distinguer. Unissons-nous dans l'amour du vrai et le culte de la libre pensée. C'est le premier point de ma religion, et vous devez croire, que votre incrédulité ne me scandalise point. À vous de coeur. Amitiés et tendresses de nous tous à la grande Pauline et à vous et à tous les enfants. J'espère que tout va bien, vous en tête, et que vous ne me laisserez pas longtemps sans avoir de vos nouvelles.
G. SAND.
DCLXXII
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET
Nohant, 21 juin 1868.
Me voilà encore à t'embêter avec l'adresse de M. Du Camp, que tu ne m'as jamais donnée. Je viens de lire son livre des Forces perdues; je lui avais promis de lui en dire mon avis et je lui tiens parole. Écris l'adresse, puis donne au facteur, et merci.
Te voilà seul aux prises avec le soleil, dans ta villa charmante!
Que ne suis-je la... rivière qui te berce de son doux murmure et qui t'apporte la fraîcheur dans ton antre! Je causerais discrètement avec toi entre deux pages de ton roman, et je ferais taire ce fantastique grincement de chaîne48 que tu détestes et dont l'étrangeté ne me déplaisait pourtant pas. J'aime tout ce qui caractérise un milieu, le roulement des voitures et le bruit des ouvriers à Paris, les cris de mille oiseaux à la campagne, le mouvement des embarcations sur les fleuves. J'aime aussi le silence absolu, profond, et, en résumé, j'aime tout ce qui est autour de moi, n'importe où je suis; c'est de l'idiotisme auditif, variété nouvelle. Il est vrai que je choisis mon milieu et ne vais pas au Sénat.
Tout va bien chez nous, mon troubadour. Les enfants sont beaux, on les adore; il fait chaud, j'adore ça. C'est toujours la même rengaine que j'ai à le dire, et je t'aime comme le meilleur des amis et des camarades. Tu vois, ça n'est pas nouveau. Je garde bonne et forte impression de ce que tu m'as lu; ça m'a semblé si beau, qu'il n'est pas possible que ce ne soit pas bon. Moi, je ne fiche rien; la flânerie me domine. Ça passera; ce qui ne passera pas, c'est mon amitié pour toi.
Tendresses des miens, toujours.
DCLXXIII
A M. JOSEPH DESSAGER, A ISCHL (AUTRICHE)
Nohant, 5 juillet 1868.
Comme c'est aimable à toi, mon Christini, de ne pas oublier ce 5 juillet, qui, tout en m'ajoutant des années, me réjouit toujours comme s'il m'en ôtait, parce qu'il me renouvelle le doux souvenir de mes amis éloignés. Si fait, va, nous nous reverrons. On n'est pas plus vieux à soixante et dix ans qu'à trente, quand on a conservé l'intelligence, le coeur et la volonté. Tu n'as rien perdu de tout cela; la seule infirmité dont tu te plaignes, c'est l'affaiblissement de la vue. Cela ne t'empêche pas de voir la nature et de me ramasser de très petites fleurettes, la linaria pettiosierana, et d'apprécier le magnifique spectacle de ton lac et de tes montagnes. Oui, c'est beau, ton pays, et je te l'envie, d'autant plus qu'il soutient contre l'intolérance et l'ambition cléricale une lutte qui humilie la France.
Quant au déclin de l'art chez toi et chez nous, oui, c'est vrai: mais c'est une éclipse. Les étoiles ont des défaillances de lumière, les hommes peuvent bien en avoir! Ne désespérons jamais, mon ami! tout ce qui s'éteint en apparence est un travail occulte de renouvellement; et nous-mêmes, aujourd'hui, c'est toujours vie et mort, sommeil et réveil. Notre état normal résume si bien notre avenir infini!
J'ai aujourd'hui soixante-quatre printemps. Je n'ai pas encore senti le poids des ans. Je marche autant, je travaille autant, je dors aussi bien. Ma vue est fatiguée aussi; je mets depuis si longtemps des lunettes, que c'est une question de numéro, voilà tout. Quand je ne pourrai plus agir, j'espère que j'aurai perdu la volonté d'agir. Et puis on s'effraye de l'âge avancé, comme si on était sûr d'y arriver. On ne pense pas à la tuile qui peut tomber du toit. Le mieux est de se tenir toujours prêt et de jouir des vieilles années mieux qu'on n'a su jouir des jeunes. On perd tant de temps et on gaspille tant la vie à vingt ans! Nos jours d'hiver comptent double; voilà notre compensation. Ce qui ne passe ni ne change, c'est l'amitié. Elle augmente, au contraire, puisqu'elle s'alimente de sa durée. Nous parlons bien souvent de toi, ici. Mes enfants t'aiment avec religion; nos deux petites filles sont charmantes. Aurore parle comme une grande personne. Elle est extraordinairement intelligente et bonne. Tu la verras; tu reviendras, tu nous charmeras encore avec ton piano. Nous t'aimons, cher maestro; nous t'aimons bien! tu voudras nous embrasser encore, et jamais pour la dernière fois. Ce mot n'a pas de sens.
G. SAND.
DCLXXIV
A M. GUILLAUME GUIZOT, A PARIS
Nohant, 12 juillet 1868.
On peut, on doit aimer les contraires quand les contraires sont grands. On peut être l'élève pieux de Jean-Jacques, on doit être l'ami respectueux de Montaigne. Rousseau est un réhabilité; Montaigne est pur, il est le galant homme dans toute l'acception du mot. Sa conscience est si nette, sa raison si droite, son examen si sincère, qu'il peut se passer des grands élans de Jean-Jacques. Celui-ci avait les ardeurs d'une âme agitée. Aucun trouble n'autorisait Montaigne à la plainte. S'il n'a pas songé au mal des autres, c'est que l'image du bien était trop forte en lui pour qu'il entrevît clairement l'image contraire. Il pensait que l'homme porte en lui tous ses éléments de sagesse et de bonheur. Il ne se trompait pas; et, en parlant de lui-même, en s'observant, en se peignant, en livrant son secret, il enseignait tout aussi utilement que les philosophes enthousiastes et les moralistes émus.
Je ne vois pas d'antithèse réelle entre ces deux grands esprits. Je vois, au contraire, un heureux rapprochement à tenter, et des points de contact bien remarquables, non dans leurs méthodes, mais dans leurs résultantes. Il est bon d'avoir ces deux maîtres: l'un corrige l'autre.
Pour mon compte, je ne suis pas le disciple de Jean-Jacques jusqu'au Contrat social: c'est peut-être grâce à Montaigne; et je ne suis pas le disciple de Montaigne jusqu'à l'indifférence: c'est, à coup sûr, grâce à Jean-Jacques.
Voilà ce que je vous réponds, monsieur, sans vouloir relire ce que j'ai dit de Montaigne il y a vingt ans. Je ne m'en rappelle pas un mot, et je ne voudrais pas me croire obligée de ne pas modifier ma pensée, en avançant dans la vie. Il y a plus de vingt ans que je n'ai relu Montaigne en entier; mais, ou j'ai la main heureuse, ou l'affection que je lui porte est solide; car, chaque fois que je l'ouvre, je puise en lui un élément de patience et un détachement nouveau de ce que l'on appelle classiquement les faux biens de la vie.
J'ose me persuader que le couronnement d'un beau et sérieux travail sur Montaigne serait précisément, monsieur, toute critique faite librement, sévèrement même, si telle est votre impression, un parallèle à établir entre ces deux points extrêmes: le socialisme de Jean-Jacques Rousseau et l'individualisme de Montaigne. Soyez le trait d'union; car il y a là deux grandes causes à concilier. La vérité est au milieu, à coup sûr; mais vous savez mieux que moi qu'elle ne peut supprimer ni l'un ni l'autre.
Pardon de mon griffonnage. Le temps me manque. Recevez l'expression de mes sentiments.
G. SAND.
DCLXXV
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET
Nohant, 31 juillet 1868.
Je t'écris à Croisset quand même, je doute que tu sois encore à Paris par cette chaleur de Tolède; à moins que les ombrages de Fontainebleau ne t'aient gardé. Quelle jolie forêt, hein? mais c'est surtout en hiver, sans feuilles, avec ses mousses fraîches, qu'elle a du chic. As-tu vu les sables d'Arbonne? il y a là un petit Sahara qui doit être gentil à l'heure qu'il est.
Nous, nous sommes très heureux ici. Tous les jours, un bain dans un ruisseau toujours froid et ombragé; le jour, quatre heures de travail; le soir, récréation et vie de polichinelle. Il nous est venu un Roman comique en tournée, partie de la troupe de l'Odéon, dont plusieurs vieux amis, à qui nous avons donné à souper à la Châtre: deux nuits de suite avec toute leur bande, après la représentation; chants et rires avec champagne frappé, jusqu'à trois heures du matin, au grand scandale des bourgeois, qui faisaient des bassesses pour en être. Il y avait là un drôle de comique normand, un vrai Normand qui nous a chanté de vraies chansons de paysans dans le vrai langage. Sais-tu qu'il y en a d'un esprit et d'un malin tout à fait gaulois? Il y a là une mine inconnue, des chefs-d'oeuvre de genre. Ça m'a fait aimer encore plus la Normandie. Tu connais peut-être ce comédien. Il s'appelle Fréville: c'est lui qui est chargé, dans le répertoire, de faire les valets lourdauds et de recevoir les coups de pied au c... Sorti du théâtre, c'est un garçon charmant et amusant comme dix. Ce que c'est que la destinée!
Nous avons eu chez nous des hôtes charmants, et nous avons mené joyeuse vie, sans préjudice des Lettres d'un voyageur dans la Revue, et des courses botaniques dans des endroits sauvages très étonnants. Le plus beau de l'affaire, ce sont les petites filles. Gabrielle, un gros mouton qui dort et rit toute la journée; Aurore, plus fine, des yeux de velours et de feu, parlant à trente mois comme les autres à cinq ans, et adorable en toute chose. On la retient pour qu'elle n'aille pas trop vite.
Tu m'inquiètes en me disant que ton livre accusera les patriotes de tout le mal; est-ce bien vrai, ça? et puis les vaincus! c'est bien assez d'être vaincu par sa faute sans qu'on vous crache au nez toutes vos bêtises. Aie pitié: il y a eu tant de belles âmes quand même! Le christianisme a été une toquade, et j'avoue qu'en tout temps, il est une séduction quand on n'en voit que le côté tendre; il prend le coeur. Il faut songer au mal qu'il a fait pour s'en débarrasser. Mais je ne m'étonne pas qu'un coeur généreux comme celui de Louis Blanc ait rêvé de le voir épuré et ramené à son idéal. J'ai eu aussi cette illusion; mais, aussitôt qu'on fait un pas dans le passé, on voit que ça ne peut pas se ranimer, et je suis bien sûre qu'a cette heure Louis Blanc sourit de son rêve. Il faut penser à cela aussi!
Il faut se dire que tous ceux qui avaient une intelligence ont terriblement marché depuis vingt ans et qu'il ne serait pas généreux de leur reprocher ce qu'ils se reprochent probablement à eux-mêmes.
Quant à Proudhon, je ne l'ai jamais cru de bonne foi. C'est un rhéteur de génie, à ce qu'on dit. Moi, je ne le comprends pas: c'est un spécimen d'antithèse perpétuelle, sans solution. Il me fait l'effet d'un de ces sophistes dont se moquait le vieux Socrate.
Je me fie à toi pour le sentiment du généreux. Avec un mot de plus ou de moins, on peut donner le coup de fouet sans blessure quand la main est douce dans la force. Tu es si bon, que tu ne peux pas être méchant.
Irai-je à Croisset cet automne? Je commence à craindre que non et que Cadio ne soit en répétition. Enfin je tâcherai de m'échapper de Paris, ne fût-ce qu'un jour.
Mes enfants t'envoient des amitiés. Ah diable! il y a eu une jolie prise de bec pour Salammbô; quelqu'un que tu ne connais pas se permettait de ne pas aimer ça. Maurice l'a traité de bourgeois, et, pour arranger l'affaire, la petite Lina, qui est rageuse, a déclaré que son mari avait eu tort de dire un mot pareil, vu qu'il aurait dû dire imbécile. Voilà. Je me porte comme un Turc. Je t'aime et je t'embrasse.
DCLXXVI
A MADAME PAULINE VILLOT, A PARIS
Nohant, août 1868.
Merci, chère bonne cousine, pour l'amitié avec laquelle vous me jugez. Je ne mérite pas l'éloge, mais je mérite l'amitié; oui, car je sais vous apprécier et vous aimer.
Mon cher monde va bien. Gabrielle prend un regard d'une expression très caressante. Lolo parle souvent de sa cousine Villot.
Elle n'oublie pas, mais elle persiste dans ses idées de propriété sur Fadet49. Elle est néanmoins très bonne et très aimante pour son âge, et, chaque jour, elle fait un progrès extraordinaire. Cela m'effraye bien un peu; je n'ose penser à ce que je deviendrais s'il fallait encore perdre cet enfant-là; toute ma philosophie échoue!
N'y pensons pas; je m'étais juré de ne plus trop aimer, c'est impossible. La passion me domine encore dans la fibre maternelle. Heureux ceux qui aiment faiblement!
Mais je ne veux pas vous attrister, vous brisée aussi; nous sommes très heureux; tout va bien, et il me prend des terreurs. C'est injuste et lâche.
Dites-moi ce que vous faites, et si vous trouvez quelque part un peu de fraîcheur. Ici, la zone torride recommence; mais nous aimons tant le chaud, que nous ne voulons pas en sentir l'excès.
Dites nos tendresses à Frédéric, et recevez-les toutes aussi.
G. SAND.
L'épreuve de la Lettre d'un voyageur publiée dans la Revue des Deux Mondes du 1er juin 1868.
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La chaîne du bateau remorqueur descendant ou remontant la Seine.
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Le chien légendaire de Nohant.
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