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Kitabı oku: «Jacques», sayfa 13

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XXXIX.
D'OCTAVE A M. ***

De la vallée de Saint-Léon.

Tu m'as souvent dit que j'étais fou, mon cher Herbert, et je commence à le croire. Ce qu'il y a de certain, c'est que je suis fort content de l'être, car sans cela je serais fort malheureux.

Si tu veux savoir où je suis et de quoi je suis occupé, j'aurai quelque embarras à le répondre. Je suis dans un pays où je n'ai jamais mis le pied, que je ne connais pas, où je n'ose marcher que sous un déguisement. Quant à mes occupations, elles consistent à errer autour d'un vieux château, à jouer du hautbois au clair de la lune, et à recevoir de temps en temps un coup de cravache sur les doigts.

Tu as dû être peu surpris de mon brusque départ, quand tu auras su que Sylvia avait quitté Genève un mois auparavant. Tu auras supposé que j'étais allé la rejoindre, et tu ne te seras pas trompé. Mais ce que tu ne supposes certainement pas, c'est que, sans invitation et même sans permission, je me sois mis à courir sur ses traces. Elle a quitté son ermitage du Léman avec la bizarrerie qu'elle met dans toutes ses résolutions, et par suite d'une de ces idées spontanées qui lui viennent au moment où l'on se croit le plus tranquille et le plus heureux des hommes à ses pieds. Étrange créature, trop passionnée ou trop froide pour l'amour, je ne sais, mais, à coup sûr, trop belle et trop supérieure à son sexe pour passer devant les yeux d'un homme sans le rendre un peu fou. Je savais que M. Jacques était marié, et je pensais bien qu'elle était allée s'installer auprès de lui; car, depuis plusieurs mois, elle m'annonçait ce projet chaque fois qu'elle était de mauvaise humeur et qu'elle voulait me désespérer. Mais je ne savais pas si M. Jacques était maintenant en Touraine ou en Dauphiné; car dans l'orgueilleux billet que Sylvia avait laissé pour moi à l'ermitage, elle n'avait pas daigné me dire où elle portait ses pas; c'est donc absolument au hasard que je suis venu ici. Je me suis installé dans la cabane d'un vieux garde-chasse avare et sournois, que j'ai choisi pour hôte sur sa mauvaise mine, et qui pour de l'argent m'aiderait à assassiner tous les hommes et à enlever toutes les femmes du pays. C'est donc au milieu des bois que peuvent me chercher tes conjectures, dans la plus romantique vallée du monde, protégé par un déguisement de chasseur braconnier plutôt que vêtu en honnête homme, braconnant en effet sous la protection de mon hôte, et préparant avec lui, tous les soirs, le souper que nous avons conquis les armes à la main; dormant sur un grabat, lisant quelques chapitres de roman à l'ombre des grands chênes de la forêt, hasardant des excursions sentimentales et mystérieuses autour de la demeure de mon inhumaine, ni plus ni moins que le comte Almaviva, et t'écrivant sur un genou, à la lueur d'une torche de résine. Ce qu'il y a de plus ridicule dans tout cela, c'est que je le fais sérieusement, et que je suis vraiment triste et amoureux comme un ramier. Cette Sylvia fait le désespoir de ma vie, et je donnerais un de mes bras pour ne l'avoir jamais rencontrée. Tu la connais assez pour concevoir ce qu'un homme aussi peu charlatan que moi doit avoir à souffrir de ses caprices romanesques et du dédain superbe qu'elle a pour tout ce qui sort du monde idéal où elle s'enferme. Il y a bien un peu de ma faute dans mon malheur. Je l'ai trompée, ou plutôt je me suis trompé moi-même en lui faisant croire que j'étais un transfuge de ce monde-là, et que je me sentais capable d'y retourner. Oui, je l'ai cru en effet, et, dans les premiers jours, j'ai été tout à fait l'homme qu'elle devait ou qu'elle pouvait aimer. Mais peu à peu l'indolence et la légèreté de mon caractère ont repris le dessus. La raison m'a fait de nouveau entendre sa voix, et Sylvia m'a semblé ce qu'elle est en effet, enthousiaste, exagérée, un peu folle.

Mais cette découverte ne suffisait pas pour m'empêcher de l'aimer à la passion. L'exagération, qui rend les filles de province si ridicules, rendait Sylvia si belle, si frappante, si inspirée, que c'est là peut-être son plus grand charme et sa plus puissante séduction. Mais elle l'a reçu de Dieu pour son malheur et pour celui de ses amants, car elle peut se faire admirer, et ne peut persuader. Orgueilleuse jusqu'à la folie, elle veut agir comme si nous étions encore au temps de l'âge d'or, et prétend que tous ceux qui osent la soupçonner sont des lâches et des pervers. Du moment que j'ai vu avec inquiétude la singularité de sa conduite, et que j'ai pris de la jalousie à cause de la liberté de ses démarches, j'ai donc été perdu dans son esprit; et précipité de cette région céleste où elle m'avait fait asseoir avec elle, je suis tombé dans le monde fangeux des humains, où cette belle sylphide n'a jamais daigné poser son pied d'ivoire. De ce moment, notre amour a été une suite de ruptures et de raccommodements. Je me souviens que tu m'as dit, un jour que je te racontais tristement une de ces querelles après la réconciliation: «De quoi te plains-tu?» Ah! mon ami, tu peux connaître les femmes; mais tu ne connais pas Sylvia. Avec elle, le moindre tort est de la plus terrible importance, et chaque nouvelle faute creuse une tombe où s'ensevelit une partie de son amour. Elle pardonne, il est vrai; mais ce pardon est pire que sa colère. La colère est violente est pleine d'émotion; le pardon de Sylvia est froid et inexorable comme la mort. En proie à mille soupçons, tourmenté, incertain, tantôt craignant d'être dupe de la plus insigne coquette, tantôt craignant d'avoir outragé la plus pure des femmes, j'ai vécu malheureux auprès d'elle, mais je n'ai jamais eu la force de m'en détacher. Vingt fois elle m'a chassé, et vingt fois j'ai été lui demander ma grâce après avoir vainement essayé de vivre sans elle. Dans les premiers jours de mon bannissement, j'espérais m'applaudir d'avoir recouvré ma liberté et mon repos. Je me laissais aller délicieusement au bien-être de l'indifférence et de l'oubli. Mais bientôt l'ennui me faisait regretter les agitations et les nobles souffrances de la passion. Je jetais mes regards autour de moi pour chercher un autre amour; mais l'indolence de mon esprit et l'activité de mon caractère m'éloignaient également des autres femmes. Mon caractère me portait à leur préférer la chasse, la pêche, tous ces plaisirs énergiques de la campagne que Sylvia partageait avec moi. Mon esprit s'effrayait de recommencer un apprentissage et de tenter une nouvelle conquête. Et puis quelle femme peut être comparée à Sylvia pour la beauté, l'intelligence, la sensibilité et la noblesse du coeur? Oui, quand je l'ai perdue, je lui rends justice, je m'étonne et m'indigne d'avoir pu soupçonner une femme si grande, et dont la conduite hautaine me prouve à quel point elle était incapable de descendre au mensonge. Mais quand je la retrouve, je souffre de son caractère raide et inflexible, de son humeur violente, de son mysticisme intolérant et de ses exigences bizarres. Elle ne se plie à aucune de mes imperfections; elle ne pardonne à aucun de mes défauts; elle tire argument de tout pour me démontrer à quel point son âme est supérieure à la mienne, et rien n'est plus funeste à l'amour que cet examen mutuel de deux coeurs jaloux et orgueilleux de se surpasser. Le mien se lassait bien vite de cette lutte; j'aurais mieux aimé un amour moins difficile et moins sublime. Sylvia m'accablait de son dédain, et quelquefois me prouvait la pauvreté de mon coeur avec tant de chaleur et d'éloquence, que je me persuadais n'être pas né pour l'amour et que je n'oserais me persuader encore que je suis digne de le connaître. Mais, s'il en est ainsi, pourquoi suis-je né, et à quoi Dieu me destine-t-il en ce monde? Je ne vois pas vers quoi ma vocation m'attire. Je n'ai aucune passion violente, je ne suis ni joueur, ni libertin, ni poète; j'aime les arts, et je m'y entends assez pour y trouver un délassement et une distraction; mais je n'en saurais faire une occupation prédominante. Le monde m'ennuie en peu de temps; je sens le besoin d'y avoir un but, et nul autre but ne m'y semble désirable que d'aimer et d'être aimé. Peut-être serais-je plus heureux et plus sage si j'avais une profession; mais ma modeste fortune, qu'aucun désordre n'a entamée, m'a laissé la liberté de m'abandonner à cette vie oisive et facile à laquelle je me suis habitué. M'astreindre aujourd'hui à un travail quelconque me serait odieux. J'aime la vie des champs, mais non pas sans une compagne qui me fasse goûter les plaisirs de l'esprit et du coeur, au sein de cette vie matérielle où l'effroi de la solitude me gagnerait bientôt. Peut-être suis-je propre au mariage; j'aime les enfants, je suis doux et rangé, je crois que je ferais un très-honnête bourgeois dans quelque ville du second ordre de notre paisible Helvétie. Je pourrais me faire estimer comme cultivateur et père de famille; mais je voudrais que ma femme fût un peu plus lettrée que celles qui tricotent un bas bleu du matin au soir. Et moi-même je craindrais de m'abrutir en lisant mon journal et en fumant au milieu de mes dignes concitoyens et des pots de bière; presque aussi simples et inoffensifs les uns que les autres.

Enfin, il me faudrait trouver une femme inférieure à Sylvia, et supérieure à toutes celles que je pourrais obtenir, à ma connaissance. Mais, avant tout, il faudrait guérir de l'amour que j'ai pour Sylvia, et c'est une maladie dont mon âme est encore loin d'être délivrée.

Ne sachant que faire, je suis venu ici essayer encore mon destin. D'abord j'avais l'intention de me jeter à ses pieds, comme à l'ordinaire, et puis le caprice m'a pris de l'épier un peu, de consulter l'opinion de ce qui l'entoure, de la connaître, et de la voir enfin sans qu'elle s'en doutât, afin de m'ôter de l'esprit, une fois pour toutes, les soupçons qui m'ont tourmenté si souvent, et qui me tourmenteront peut-être encore; car Sylvia a un talent extraordinaire pour les faire naître, un mépris profond pour les explications les plus faciles, et moi une pauvre tête qui se crée promptement des tourments cruels. Je n'ai pu obtenir aucune des lumières que je cherchais, car mon impératrice Sylvia n'est ici que depuis trois semaines, et on n'avait jamais entendu parler d'elle dans le pays. Si elle savait que ces idées m'ont passé par la tète, elle ne me pardonnerait jamais; mais elle le saura d'autant moins que le cours de mes observations est à peu près terminé. Hier, elle m'a reconnu sous mon déguisement et m'a accueilli d'une manière fort impertinente. Je serai donc obligé de me montrer. Jacques me connaît et me découvrirait bientôt. Ils riraient peut-être ensemble à mes dépens, si je ne prenais le parti d'aller en rire moi-même avec eux.

Ce Jacques est certes un galant homme, dont le caractère froid et l'extérieur réservé ne m'ont jamais permis beaucoup de familiarité, et contre lequel jusqu'ici je me suis senti d'ailleurs des mouvements de jalousie épouvantables. A présent, j'ai des raisons pour savoir que j'ai été injuste et grossier dans mes soupçons. Mais je lui en veux un peu d'avoir été de moitié dans la fierté superbe avec laquelle Sylvia a refusé longtemps de me rassurer en m'expliquant leur parenté et leurs relations. Je lui en veux aussi d'être pour Sylvia le type de tout ce qu'il y a de plus grand et de plus beau dans le monde, la seule âme digne de voler sur la même ligne que la sienne dans les champs de l'empyrée, en un mot l'objet d'un amour platonique et d'un culte romanesque dont je ne suis plus jaloux, mais qui me cause assez de mortification. Je n'en serai pas moins l'ami et le serviteur de M. Jacques en toute occasion; mais si, avant de lui donner une poignée de main, je pouvais le taquiner un peu et me venger de Sylvia en me montrant épris d'une autre, cela me divertirait.

Pour t'expliquer cette nouvelle folie, il faut que tu saches que M. Jacques a le plus joli joyau de petite femme couleur de rose qu'on puisse imaginer. Moins belle que Sylvia, elle est certainement plus gentille, et, à coup sûr, son âme romanesque à sa manière est moins altière et moins cruelle. J'en ai pour gage un bracelet qui m'a été jeté par une fenêtre avec de très-douces paroles, un soir que je croyais adresser à ma tigresse les accents passionnés de mon hautbois. Je suis loin d'être assez fat pour en tirer grande vanité, car je ne sache pas qu'elle ait encore pu voir ma figure, et ce soir-là elle n'avait pas même entrevu mon spectre; c'est donc au son du hautbois, à l'enivrement d'un soir de printemps et à quelque rêve de pensionnaire en vacances qu'elle aura accordé ce gage de protection. Je suis un trop honnête homme et un héros de roman trop maladroit pour abuser sérieusement de cette petite coquetterie; mais il m'est bien permis de faire durer encore le roman pendant quelques jours. J'ai débuté par un baiser, qui peut-être a laissé quelque émotion dans le coeur de la blonde Fernande, quand elle a su qu'elle avait été embrassée avec Sylvia, dans l'obscurité, par un autre que son mari. Ne me trouves-tu pas devenu bien scélérat par dépit, moi qui le suis si peu par nature? Ce soir-là, vraiment, j'étais tout occupé de Sylvia; j'étais entré par une des portes de glace du salon qui donne sur les bosquets du jardin, avec l'intention d aller ouvertement demander pardon à Sylvia des torts que j'ai et de ceux que je n'ai pas. Elles jouaient du piano; il faisait sombre; elles ne s'aperçurent pas de la présence d'un tiers. Je m'assis sur le sofa. Une d'elles vint s'asseoir auprès de moi sans me voir. J'allais la saisir dans mes bras, quand je reconnus au piano la voix de Sylvia. J'écoutai une petite conversation sentimentale qu'elles eurent ensemble, et, au moment où elles me découvrirent, j'embrassai Sylvia, et j'allais parler, lorsque Fernande, me prenant pour son mari et m'entendant embrasser sa compagne, approcha son visage du mien, avec une petite manière d'enfant jaloux à laquelle je t'aurais bien défié de résister. Je ne sais comment, dans l'obscurité, mes lèvres rencontrèrent les siennes. Ma foi! je fus si troublé de cette aventure que je m'enfuis sans leur faire savoir que je n'étais pas Jacques. Depuis ce temps, je sais par mon vieux hôte, qui est l'oncle de Rosette, soubrette de ces dames, que la belle Fernande a des terreurs paniques, et n'entend pas remuer une feuille dans le parc ou trotter une souris dans le château, sans se trouver mal. Rien n'est plus propre à l'audace d'un lutin que les frayeurs et les évanouissements de sa châtelaine; heureusement pour Fernande, je ne suis ni audacieux ni amoureux à ce point.

Mais ces aventures m'amusent et m'occupent; j'ai vingt-quatre ans, cela m'est bien permis. Le beau temps, le clair de lune, cette vallée sauvage et pittoresque, ces grands bois pleins d'ombre et de mystère; ce château à mine vénérable, qui est assis gravement sur le doux penchant d'une colline; ces chasseurs qui arpentent la vallée et la font retentir des hurlements des chiens et des sons du cor; ces deux chasseresses, plus belles que toutes les nymphes de Diane, l'une brune, grande, fière et audacieuse, l'autre blanche, timide et sentimentale, montées toutes deux sur des chevaux superbes et galopant sans bruit sur la mousse des bois: tout cela ressemble à un rêve, et je voudrais ne pas m'éveiller.

XL.
DE FERNANDE A CLÉMENCE

Mardi.

Cette histoire se complique et commence à me causer beaucoup de trouble et de chagrin: J'ai eu grand tort de cacher tout cela à Jacques; mais à présent, chaque jour de silence agrandit ma faute, et je crains réellement ses reproches el sa colère. La colère de Jacques! je ne sais ce que c'est, je ne puis croire qu'il me la fasse jamais connaître; et pourtant, comment un mari peut-il apprendre tranquillement que sa femme a reçu d'un autre une déclaration d'amour?

Oui, Clémence, voilà où m'a conduite cette fatale méprise du bracelet. Hier soir, j'étais dans ma chambre avec mes enfants et Rosette; ma fille semblait souffrante et ne pouvait s'endormir. Je dis à Rosette d'emporter la lumière, qui peut-être l'incommodait. J'étais depuis quelque temps dans l'obscurité avec ma petite sur mes genoux, et je tâchais de l'apaiser en chantant; mais elle ne criait que plus fort, et cela commençait à m'inquiéter, lorsque le son du hautbois s'éleva, de l'autre extrémité de l'appartement, comme une voix plaintive et douce. L'enfant se tut aussitôt et resta comme ravi à l'écouter; pour moi, je retenais ma respiration; la surprise et la peur me rendaient incapable de mouvement. L'inconnu était dans ma chambre, seul avec moi! Je n'osais appeler, je n'osais fuir. Rosette entra comme le hautbois venait de se taire, et s'émerveilla de voir la petite silencieuse et calmée. «Va chercher de la lumière, bien vite, bien vite, lui dis-je, j'ai une peur épouvantable; pourquoi m'as-tu laissée seule? – Il va falloir que madame reste encore seule, répondit-elle, pendant que j'irai chercher la lumière en bas. – Ah! mon Dieu! pourquoi n'en as-tu pas dans ta chambre? lui répondis-je. Non! n'y va pas, ne me laisse pas ainsi. N'as-tu rien entendu, Rosette? Es-tu sûre qu'il n'y ait personne avec nous dans la chambre? – Je ne vois personne que madame, les enfants et moi, et je n'ai entendu que la flûte. – Qui est-ce qui jouait de la flûte? – Je ne sais pas; monsieur, apparemment; quel autre dans la maison saurait en jouer! – Est-ce toi qui es là, Jacques? m'écriai-je; si c'est toi, ne t'amuse pas à m'effrayer, car je mourrais de peur.» Je savais bien que ce n'était pas Jacques, mais je parlais ainsi pour forcer notre persécuteur à s'expliquer ou à se retirer. Personne ne répondit. Rosette ouvrit les rideaux, et, au clair de la lune, examina tous les recoins de l'appartement sans y découvrir personne. Elle trouvait, sans doute, mes frayeurs bien ridicules, et j'en eus honte moi-même; je lui dis d'aller chercher de la lumière, et quand elle fut sortie, j'allai tirer le verrou derrière elle. Mais c'était bien inutile, car l'inconnu entra par la fenêtre. Je ne sais comment il s'y prit, et si de la galerie supérieure il a eu l'audace de se risquer sur ma persienne, ou si, à l'aide d'une échelle, il sera venu d'en bas; le fait est qu'il entra aussi tranquillement que dans la rue. La colère me donna des forces, et je m'élançai devant le berceau de mes enfants, en criant au secours; mais il s'agenouilla au milieu de la chambre, en me disant d'une voix douce: «Comment est-il possible que vous ayez peur d'un homme qui voudrait pouvoir vous prouver son dévouement en mourant pour vous? – Je ne sais qui vous êtes, Monsieur, lui répondis-je d'une voix tremblante; mais, à coup sûr, vous êtes bien insolent d'entrer ainsi dans ma chambre; partez, partez! que je ne vous revoie jamais, ou j'avertirai mon mari de votre conduite. – Non, dit-il en se rapprochant, vous ne le ferez pas; vous aurez pitié d'un homme au désespoir.» Je vis en ce moment le bracelet, et l'idée me vint de le redemander. Je le fis d'un ton d'autorité et en jurant que j'avais cru le jeter à mon mari. «Je suis prêt à vous obéir en tout, dit-il d'un air résigné; reprenez-le, mais sachez que vous me reprenez le seul honneur et le seul espoir de ma vie.» Alors il s'agenouilla de nouveau tout près de moi et me tendit son bras. Je n'osais reprendre moi-même le bracelet; il eût fallu toucher sa main ou seulement son vêtement, et je ne trouvais pas cela convenable. Alors il crut que j'hésitais, car il me dit: «Vous avez compassion de moi, vous consentez à me le laisser, n'est-ce pas, ô ma chère Fernande!» Et il saisit ma main, qu'il baisa plusieurs fois très-insolemment. Je me mis à crier, et des pas se firent entendre aussitôt dans la galerie voisine; mais avant que l'on eût le temps d'entrer, l'inconnu avait disparu, comme un chat, par la fenêtre.

Jacques et Sylvia frappèrent alors à la porte, que j'avais fermée au verrou et que je ne songeais plus à ouvrir, tout en leur criant d'entrer au nom du ciel. Cette circonstance du verrou, qui se trouvait fatalement liée à l'entrée d'un homme dans ma chambre, m'empêcha de raconter ce qui s'était passé; je dis que j'avais entendu le hautbois, que j'avais envoyé Rosette chercher de la lumière, qu'elle m'avait enfermée par mégarde; que j'avais cru entendre du bruit dans ma chambre et que j'avais perdu la tête. Comme on me tient pour folle de peur, on ne m'en demanda pas davantage. Rosette assura bien avoir entendu le hautbois en traversant la galerie, on fit quelques recherches dans la maison et dans le jardin. On ne trouva personne, et on décréta, en riant, qu'on ferait venir un piquet de gendarmerie pour me garder. Sylvia alla chercher le dolman et le shako de Jacques, et s'en affubla avec de fausses moustaches; elle se planta ainsi derrière moi le sabre en main, affectant de suivre tous mes pas par la chambre pour me servir d'escorte. Elle était jolie comme un ange avec ce costume. Nous avons ri jusqu'à minuit, et le reste de la nuit s'est passé fort tranquillement. Mais mon esprit est bien agité! Je sens que je suis engagée dans une aventure folle et imprudente, qui peut-être aura des suites fatales. Fasse te ciel qu'elles retombent toutes sur moi seule!

Jeudi.

Je viens de recevoir le billet suivant, qui a été remis à Rosette par son oncle le garde-chasse: «Belle et douce Fernande, ne soyez pas irritée contre moi, et ne vous méprenez pas sur les motifs de ma conduite. Vous pouvez me sauver du malheur éternel et me rendre le plus heureux des amis et des amants; j'aime Sylvia, et j'en ai été aimé. Je ne sais par quel crime irréparable j'ai perdu sa confiance et mérité sa colère. Je ne renoncerai à elle qu'avec la vie; et j'espère en vous, en vous seule. Vous avez une âme aimante et généreuse, je le sais; je vous connais plus que vous ne pensez. Le bracelet que vous avez cru jeter à voire mari et que je vous rendrai, si vous ne l'accordez à la sainte amitié d'un frère, est à mes yeux un gage de confiance et de salut. Pardonnez-moi de vous avoir effrayée; j'espérais pouvoir vous parler en secret; je vois que cela sera impossible si vous ne m'accordez vous-même cette grâce; et vous me l'accorderez, n'est-ce pas, bel ange aux cheveux blonds? Votre mission sur la terre est de consoler les infortunés. J'irai vous attendre ce soir sous le grand ormeau des quatre sentiers, à l'entrée du Val-Brun; faites-vous accompagner, si vous voulez, d'une personne sûre, mais que ce ne soit pas votre mari. Il me connaît, et je me flatte de posséder son estime et son amitié; mais en ce moment-ci il m'est contraire, et si vous ne travaillez à me justifier, je n'ai aucun espoir de rentrer en grâce. Si vous ne venez pas, je déposerai votre bracelet sous la pierre du grand ormeau; vous l'y ferez prendre; mais il sera teint du sang «D'OCTAVE.»

Qu'en penses-tu? que dois-je faire? Mais à quoi sert de te le demander? Tu ne me répondras que dans huit jours, et il faut qu'avant ce soir j'aie pris un parti. Accorder un rendez-vous à ce jeune homme, surtout quand je sais que Jacques n'est pas dans ses intérêts, pour le réconcilier avec Sylvia, c'est une grande imprudence peut-être selon le monde; selon ma conscience je n'y vois pourtant aucun mal. S'il y a des inconvénients, il n'y en a que pour moi, qui risque de déplaire à Jacques et d'encourir ses reproches, tandis que je puis rendre, si je réussis, un service à Sylvia et à Octave, peut-être assurer le bonheur de leur vie entière; car il n'est pas de bonheur sans l'amour. Sylvia cache en vain son chagrin; je vois maintenant pourquoi ses pensées sont si noires et son avenir si sombre à ses yeux. Si elle a pu aimer ce jeune homme, il doit être au-dessus du commun et avoir une belle âme; car Sylvia est bien exigeante dans ses affections, et trop fière pour avoir jamais pu s'attacher à un être qui n'en eût pas été digne. Je vois bien maintenant qu'elle a reconnu son amant dans le chasseur qu'elle a si bien corrigé de l'envie d'être prévenant avec elle, et je vois aussi, dans ce coup de cravache, accompagné d'un silence si complet sur sa découverte, plus de moquerie malicieuse que de véritable colère. Je parie qu'elle meurt d'envie qu'on amène son ami à ses genoux; il est impossible qu'il en soit autrement; cet Octave l'aime à la folie, puisqu'il fait des choses si extraordinaires pour la retrouver. Il a une figure charmante, du moins à ce qu'il m'a semblé quand je l'ai entrevu dans ma chambre au clair de la lune. Jacques est sévère et inexorable, il traite trop Sylvia comme un homme; il ne devine pas les faiblesses du coeur d'une femme, et ne comprend pas, comme moi, ce que son courage doit cacher d'ennui et de souffrance. Si je refuse d'aider cette réconciliation, c'en est peut-être fait de son bonheur; peut-être se condamnera-t-elle à une éternelle solitude; et ce jeune homme, s'il allait se tuer en effet! Je l'en croirais assez capable; il semble véritablement épris. Que faire? Je n'ose me décider à rien; heureusement j'aurai le temps d'y penser d'ici à ce soir.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
400 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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