Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Jean Ziska», sayfa 8

Yazı tipi:

X

Tant de succès firent ouvrir les yeux au parti catholique sur l'importance et la force de la révolution. Un moment vint où, n'espérant plus la conjurer, il résolut de l'accepter, afin de n'être point brisé par elle. Sigismond ne pouvait inspirer d'affection à personne: il avait mécontenté tous ses amis. Les Rosemberg furent des premiers à l'abandonner, et une diète générale fut assemblée à Czaslaw, où presque toute la noblesse déclara qu'elle se détachait du parti de l'empereur. Quant à la religion, les Hussites, qui voulaient des gages, eurent bon marché de ces consciences si orthodoxes, et leur firent accepter leur quatre articles calixtins sans difficulté. Mais à ces quatre articles ils en ajoutaient un cinquième, qui portait l'engagement de ne reconnaître pour roi que l'élu de la diète nationale. Les villes de la Moravie, à qui on avait écrit d'adhérer à ces cinq articles ou de s'attendre à la guerre, envoyèrent des députés à cette diète pour faire savoir qu'elles se rangeraient aisément aux quatre premiers, mais que le cinquième était grave et demandait le temps de la réflexion. Ces actes officiels fout assez voir que la foi catholique était peu brillante à cette époque; que Rome n'était plus qu'une puissance temporelle, représentée par l'empereur plus que par le pape, et que si l'on n'eût craint une lutte politique avec ces potentats, on se fût volontiers raillé des décisions des conciles.

On ne nous dit pas si Ziska fut présent à cette diète, mais il est certain qu'il y donna les mains, et qu'il ne rejeta pas l'alliance des seigneurs catholiques contre Sigismond. Le gros des Taborites se laissait guider par lui; mais les Picards, et ceux qui avaient été exaltés par eux et qui s'intitulaient déjà nouveaux Taborites ou Taborites réformés, l'en blâmèrent ouvertement. Ces Taborites picards étaient assez nombreux à Prague. Partout ailleurs ils eussent été sous la main terrible de Ziska. A Prague, ils pouvaient se glisser encore inaperçus entre les divers partis. Jean le Prémontré les échauffait de sa parole ardente et de son zèle fougueux. Il déclamait contre l'alliance avec les catholiques, signalait les Wartemberg et les Rosemberg surtout, comme capables de toutes les lâchetés et de toutes les trahisons, prédisait qu'ils perdraient la révolution et vendraient la Bohème au premier souverain qui voudrait acheter leur vote et leurs armes: la suite des événements prouva bien qu'il ne s'était pas trompé.

Malgré ces protestations, les catholiques furent acceptés, et, à leur tour, ils protestèrent contre Sigismond et contre l'Église. Conrad, archevêque de Prague, celui qui avait récemment couronné l'empereur, embrassa solennellement le Hussitisme et rompit avec Rome. Ulric de Rosemberg, cet athée superstitieux qui avait des visions, qui avait déjà abjuré deux fois, la première pour Jean Huss et la seconde pour Martin V, ce traître qui avait servi sous Ziska, et ensuite sous Sigismond, présida la diète avec l'archevêque, et proclama, en son propre nom et au nom de tous les membres du clergé et de la noblesse, les quatre articles calixtins et la déchéance de l'empereur au trône de Bohème. Il y a cependant des réserves perfides dans cette déclaration. Il y est dit textuellement qu'on défendra les quatre articles «envers et contre tous,» à moins que peut-être on ne nous enseigne mieux par l'Écriture sainte, ce que les docteurs de l'académie de Prague n'ont encore pu faire. A propos de la déchéance de Sigismond, il est dit encore: «Que de notre vie, à moins que Dieu par quelque fatalité secrète ne semble le vouloir ainsi, nous ne recevrons Sigismond, parce qu'il nous a trompés, etc.»

Cette convention fut faite au nom de Prague, des citoyens de Tabor, de toute la noblesse des villes, etc. Sans rien statuer pour l'avenir, le parti catholique et le juste-milieu, qui s'entendaient tacitement pour avoir un roi étranger, élurent vingt personnes intègres et graves pour administrer le royaume pendant la vacance; quatre consuls des villes de Prague représentant la bourgeoisie, cinq seigneurs représentant la grandesse de Bohème, sept gentilshommes représentant la petite noblesse, etc. A la tête des gentilshommes était nommé Jean Ziska, et le nombre des représentants de cette classe montre qu'elle était la plus nombreuse et la plus influente. Il était dit que ces régents auraient plein pouvoir; mais la foule de réticences et de cas réservés qui suit cet article montre la mauvaise foi des catholiques; ce sont autant de portes ouvertes pour s'échapper quand le vent de la fortune fera flotter les étendards de ces nobles vers un autre point de l'horizon. En cas de division dans le conseil des régents, la diète constituait deux prêtres comme conseils. L'un de ces deux prêtres dictateurs mourut de la peste en voyage; l'autre, Jean de Przibam, dès qu'il fut de retour à Prague, eut affaire au terrible moine Jean, qui l'accusa d'avoir outrepassé son mandat de député, et le fit condamner et chasser de la ville. Le Prémontré avait alors beaucoup d'influence à Prague. Peu de temps après, il accusa de trahison Jean Sadlo, gentilhomme qui avait livré les Bohémiens aux Allemands dans un combat, et l'ayant appelé à comparaître sous de bonnes promesses, il le fit saisir de nuit et décapiter dans la maison de ville de la vieille Prague. Les catholiques et les Calixtins qui commençaient à s'inquiéter du Prémontré, espèce de Montagnard à la tête d'un club de Jacobins, firent de grandes lamentations sur le meurtre de Jean Sadlo, et le revendiquèrent dans les deux camps comme un membre fidèle de leur communion; ce qui ne prouve pas beaucoup en faveur de la loyauté de ce Jean Sadlo.

Pendant que ces événements se passaient à Prague, Sigismond députait des ambassadeurs à la diète de Czaslaw. Ils eurent beaucoup de peine à s'y faire admettre, et ayant commencé leur discours par de longues louanges de l'empereur, ils furent brusquement interrompus par Ulric de Rosemberg, qui se montrait alors des plus acharnés contre son maître: «Laissez cela, leur dit-il, et nous montrez vos lettres de créance.» La lettre de l'empereur était mêlée de fiel et de miel. Il offrait la paix, son amitié, presque la liberté des cultes, la réparation des injures et des dommages commis par son armée: tout cela aux catholiques et au juste-milieu. Mais il donnait à entendre qu'il sévirait avec rigueur contre les Taborites, et menaçait, si on ne les abandonnait à sa colère, d'amener en Bohème ses voisins et ses amis: quand même, ajoutait il, nous saurions que cela ne se pourrait faire sans que vous en souffrissiez des pertes irréparables pour vous et votre postérité, et sans un déshonneur qui vous exposerait aux railleries mordantes du reste du monde. Cette lettre maladroite et dure irrita tous les esprits. On eût peut-être sacrifié les Taborites, si on eût pu prendre confiance à la parole de Sigismond; mais on le connaissait trop: il avait eu le tort de se montrer. La réponse de la diète fut belle et fière.

«Très-illustre prince et roi, puisque votre auguste Majesté nous promet d'écouter nos griefs et nous invite à les lui faire connaître, les voici: – Vous avez permis, au grand déshonneur de notre patrie, qu'on brûlât maître Jean Huss, qui était allé à Constance avec un sauf-conduit de Votre Majesté. Tous les hérétiques ont eu la liberté de parler au concile; il n'y a eu que nos excellents hommes à qui on l'ait refusée. Vous avez fait brûler maître Jérôme de Prague, homme de bien et de science, qui y était allé également sous la foi publique. Vous avez fait proscrire, frapper d'anathème et excommunier la Bohème, et vous avez fait publier cette bulle d'excommunication à Breslaw, à la honte et à la ruine de la Bohème; car vous avez excité et ameuté contre nous tous les pays circonvoisins, comme contre des hérétiques publics. Les princes étrangers que vous avez déchaînés contre nous ont mis la Bohême à feu et à sang, sans épargner ni âge, ni sexe, ni condition, ni séculier, ni religieux. Vous avez fait tirer par des chevaux et brûler à Breslaw Jean de Crasa, notre concitoyen, parce qu'il approuvait la communion sous les deux espèces. Vous avez fait trancher la tête à des citoyens de Breslaw pour une faute qui, à la vérité, avait été commise contre Wenceslas, mais qui avait été pardonnée. Vous avez aliéné le duché de Brabant, que Charles IV votre père avait acquis par de rudes travaux (Herculeis laboribus). Vous avez engagé la Marche de Brandebourg sans le consentement de la nation. Vous avez fait transporter hors du royaume la couronne impériale, comme pour nous exposer aux railleries et aux mépris de l'univers. Vous avez emporté les saintes reliques qui nous faisaient honneur, les divers joyaux amassés par nos ancêtres et légués aux monastères. Vous avez aliéné, contre nos droits et coutumes, la mense royale28 et tout l'argent qui y était destiné à l'entretien des veuves et des orphelins. En un mot, vous avez violé et enlevé tous nos titres, droits et privilèges, tant en Bohème qu'en Moravie; et, par cette raison, vous êtes cause de tous nos désordres publics. C'est pourquoi nous prions Votre Majesté de nous restituer toutes ces choses et d'ôter de dessus nous tous ces opprobres; de rendre à la nation, les trois provinces qui en ont été détachées à l'insu des trois ordres du royaume; de rapporter la couronne de Bohême, les choses sacrées de l'empire, les joyaux, la mense, les lettres publiques, les diplômes et tout ce qui a été soustrait; d'empêcher les nations voisines, et surtout celles qui sont comprises dans la Bohême (la Moravie, la Silésie, le Brabant, la Lusace et le Brandebourg), de nous troubler et de répandre notre sang. Nous prions aussi Votre Majesté de nous faire savoir sa résolution claire et nette, à l'endroit des quatre articles dont nous sommes absolument résolus de ne pas nous départir, non plus que de nos droits, constitutions, privilèges et bonnes coutumes, etc.»

Il paraît que cette pièce a en latin un cachet de grandeur ou, pour mieux dire, de grandesse imposante qui montre ce que la haute seigneurie de Bohème avait été jadis, plutôt que ce qu'elle était désormais. Ces grands qui invoquaient leurs antiques privilèges, et qui faisaient consister l'honneur de la patrie dans leurs joyaux et dans leurs parchemins, ne voyaient pas par où ils étaient sérieusement menacés; et en disputant à l'empereur les franchises de la nation, ils ne sentaient pas que la nation, désabusée de tout prestige, n'était plus là pour les leur faire reconquérir au prix de son sang. Le peuple voulait ces franchises pour lui-même, et non plus seulement pour ces grands et pour ces monastères qu'il écrasait et dévastait pour son propre compte. Le peuple voulait faire partie de ce corps respectable qu'on appelait le royaume; et la haute noblesse, en ne donnant pas sincèrement les mains à son admission, ne faisait, en bravant l'empereur, qu'une inutile provocation. Il eût fallu opter. Elle crut pouvoir se soutenir par elle-même contre l'ennemi du dehors et contre celui du dedans. Les Taborites et les Picards protestèrent tout bas; et au jour du danger, les nobles ne purent recouvrer leurs privilèges qu'en s'humiliant et en s'avilissant sous les pieds de l'empereur.

Sigismond répondit encore une fois qu'il était innocent de la mort de Jean Huss et de Jérôme de Prague, et que son intercession en faveur de la Bohème lui avait valu au concile des choses fort dures à digérer; que ce n'était pas la Bohème en elle-même qui avait été flétrie et condamnée, mais de mauvaises gens qui avaient pillé, brûlé, etc.; en d'autres termes, que la noblesse n'avait pas été compromise dans la proscription et pouvait se réhabiliter, grâce à lui; mais que ces mauvaises gens, c'est-à-dire le peuple et ses apôtres, devaient être châtiés et déshonorés à la face du monde. L'empereur prétendait n'avoir emporté la couronne, les titres, les joyaux et les reliques que pour les soustraire aux outrages; que d'ailleurs ces mêmes grands qui lui reprochaient cette action comme un vol, l'y avaient autorisé eux-mêmes, de leurs conseils et de leurs sceaux. Il comptait remettre à l'arbitrage des princes ses voisins et ses amis les désordres et les dommages dont on l'accusait en Bohème. Il concluait en promettant à la grandesse une augmentation de privilèges, en reprochant avec amertume au peuple la destruction de Wisrhad, des temples augustes et des belles églises de Prague, et en le menaçant de la colère de ses amis, c'est-à-dire de l'invasion étrangère, s'il ne respectait l'église de Saint-Weit et la forteresse de Saint-Wenceslas.

Pendant qu'on parlementait ainsi, Sigismond, comptant toujours sur ses armées, fit entrer en Bohème vingt mille Silésiens qui massacraient hommes et femmes, coupaient les pieds, les mains et le nez aux enfants. Aussi lâches que féroces, ils prirent la fuite sur la seule nouvelle que Ziska marchait contre eux. Les paysans et les troupes taborites des villes voisines, s'étant rassemblés à la hâte, voulurent les poursuivre jusqu'en Silésie. Mais le seigneur Czinko de Wartemberg, celui que le moine Jean avait déjà désigné comme un traître, entra en composition avec les ennemis, et défendit à ses gens d'incommoder leur retraite. Ambroise, curé calixtin de Graditz, souleva le peuple contre Czinko; et les paysans l'auraient assommé avec leurs fléaux ferrés, s'il ne se fût retiré au plus vite. Ambroise écrivit à Prague pour l'accuser de trahison, et vraisemblablement le Prémontré se hâta de prêcher contre lui. Il est probable qu'on eût pu conquérir la Silésie sans la défection de ce Wartemberg. Mais les grands justifièrent leur collègue, et le juste-milieu passa condamnation.

XI

La plupart des historiens placent à l'année 1421, au milieu de laquelle nous voici arrivés, la persécution principale de la secte des Picards par Jean Ziska. Voici ce qu'ils racontent:

Une fois, Ziska apprit qu'une secte (les uns disent qu'elle était composée de quarante personnes, les autres d'une grande multitude) s'était emparée d'une île dans la rivière de Lusinitz (je ne pense pas qu'aucune rivière ait d'île assez grande pour être occupée par une grande multitude). Cette secte était venue de France (de la Gaule Belgique) avec un prêtre nommé Picard, qui se disait fils de Dieu, et se faisait appeler Adam. Il faisait des mariages, ce qui n'empêchait pas que les femmes fussent communes entre eux; assertion fort contradictoire. Ils allaient nus, satisfaisaient leurs passions au milieu de leurs offices religieux, se livraient à mille dérèglements qu'on ne peut même indiquer, et tout cela au nom de leur croyance, avec un fanatisme sérieux, se disant les seuls hommes libres, les seuls enfants de Dieu, les êtres purs par excellence, qui ne pouvaient pécher, parce qu'ils étaient arrivés à l'état de perfection et de sainteté qui n'admet plus la notion du mal. «Il en sortit un jour quarante de l'île, qui forcèrent les villages voisins et tuèrent plus de deux cents paysans, les appelant enfants du diable. Ziska les assiégea dans leur île, s'en rendit maître, et les passa tous au fil de l'épée, à la réserve de deux, de qui il voulait apprendre quelle était leur superstition,» et des femmes dont plusieurs accouchèrent en prison sans qu'on pût les convertir. Ulric de Rosemberg se donna le plaisir de les faire brûler. Elles souffrirent le feu en riant et en chantant. Les historiens appellent cette secte du nom de Picards, d'Adamites et de Nicolaïtes, indifféremment, et disent qu'elle se montra aussi en Moravie, dans une île de rivière; qu'elle y pratiquait les mêmes délires, et y professait la même croyance. Elle y fut immolée par les catholiques, et souffrit les supplices avec le même enthousiasme.

On raconte que d'autres fois, à différentes époques, Ziska persécuta les Picards, et enfin qu'il les poursuivit à outrance en 1421. Deux de leurs prêtres, dont l'un était surnommé Loquis, à cause de son éloquence, furent arrêtés d'abord par un gentilhomme calixtin, et relâchés à la prière des Taborites; puis arrêtés de nouveau à Chrudim, ils furent attachés à un poteau par le capitaine de la ville, qui demanda à Loquis, en lui assénant un grand coup de poing sur la tête, ce qu'il pensait de l'Eucharistie. Martin Loquis répondit tranquillement que le dogme de la présence réelle était une profanation et une idolâtrie. Là-dessus les Calixtins voulurent les brûler. Mais le curé calixtin de Graditz, ce même Ambroise qui avait montré tant d'énergie dans l'affaire des Silésiens, intercéda pour les prisonniers, qui furent remis entre ses mains. Il les emmena à Graditz, les garda quinze jours, et tâcha vainement de les amener à ses sentiments. L'archevêque calixtin Conrad les fit conduire à Raudnitz, et les garda huit mois dans un cachot, défendant au peuple de les visiter, de peur de la contagion. Ziska les réclama afin de les envoyer brûler pour l'exemple à Prague; mais les consuls de Prague s'y opposèrent, craignant une sédition dans la ville, parce que Martin Loquis y avait beaucoup de partisans. Ils préférèrent envoyer un consul avec un bourreau à Raudnitz, afin que Conrad punît les prisonniers à son gré. L'archevêque calixtin les fit torturer, «et ils nommèrent dans les tourments quelques-uns de ceux qui étaient dans leurs sentiments sur l'Eucharistie. L'archevêque les exhortant de nouveau à revenir de leurs erreurs: Ce n'est pas nous qui sommes séduits, répondirent-ils en souriant, c'est vous qui, trompés par le clergé, vous mettez à genoux devant la créature.» Enfin ils furent conduits au supplice; «et comme on les exhortait à se recommander aux prières du peuple: Ce n'est pas nous, dirent-ils encore, qui avons besoin de prières; que ceux qui en ont besoin en demandent. Ils furent tous deux jetés dans un tonneau plein de poix ardente.»

Il résulte bien clairement de ces faits que les Calixtins avaient tellement pris le dessus en Bohème, qu'on ne professait plus ouvertement la négation de la présence réelle, et que ceux qui le faisaient subissaient le martyre. Il en résulte clairement aussi que le nombre de ceux qu'on appelait outrageusement Picards (c'était un terme de mépris que les sectes ennemies se renvoyaient depuis longtemps l'une à l'autre, sans qu'aucune voulût l'accepter, si ce n'est peut-être les Adamites de la rivière) était considérable, puisqu'on craignait la fureur du peuple en les immolant devant lui. Les suites du martyre de Loquis le prouveront de reste.

Il n'y avait de commun, entre les principes de Loquis ou des nouveaux Taborites, et ceux d'Adam et de ses adeptes habitants des îles, que la négation de la présence réelle. Voilà sans doute pourquoi les historiens les confondirent, soit par erreur, soit par malice. Les Picards, qui ne différaient guère des Vaudois acceptés depuis longtemps, étaient chers aux Taborites, et tellement mêles à eux, que toute l'armée de Tabor montrait assez, par sa manière de communier sans appareil, sans observer le jeûne, sans exclure les enfants ni les fous, en un mot, sans aucune des prescriptions de l'église calixtine, qu'elle était picarde, c'est-à-dire qu'elle ne croyait pas à la présence réelle29. Ce dogme catholique eût donc peut-être été abjuré à cette époque par toutes les nations, si la conjuration taborite eût triomphé en Bohême. Mais les temps n'étaient pas mûrs. Le peuple n'était pas assez fort pour triompher des hautes classes, et les hautes classes ne se sentaient pas ou ne se croyaient pas assez fortes pour triompher des souverains, lesquels, à leur tour, n'osaient pas lutter contre l'Église. Le dogme populaire devait donc échouer là, et, après d'héroïques efforts, périr en laissant après lui une mystérieuse propagande, impuissante pour quelque temps encore contre les dogmes Officiels.

Nous laisserons à Martin Loquis, à Jean le Prémontré, et à leurs nombreux adeptes, le surnom de Picards, sans nous préoccuper des pédantesques dissertations qu'on pourrait faire sur cette matière. Ce serait le droit d'un historien de leur inventer un nom qui exprimât leur véritable croyance; mais je ne puis m'arroger ce droit, et, pour rester clair, je laisserai ce nom, qui fut si injurieux et qui ne l'est plus, à ces martyrs de la vérité.

«Cependant, que ferons-nous donc, dit M. de Beausobre, dans son intéressante dissertation, de ces Adamites de la rivière de Lusinitz?» M. de Beausobre les distingue complètement des autres Picards immolés aussi par Ziska, qui ne voulait pas les distinguer; et M. de Beausobre a raison. Mais peut-être se laisse-t-il égarer par sa généreuse candeur, lorsqu'il s'efforce de prouver que les Adamites n'ont jamais existé, ou bien qu'ils ne pratiquaient ni la promiscuité, ni la nudité, ni les abominations qu'on leur impute. Sans entrer dans l'ingénieuse mais puérile discussion des textes, des mots à double sens, des dates et des rapprochements, il me semble qu'on peut admettre, avec les historiens de tous les partis qui l'ont attestée, l'existence de ces Adamites. Pour cela il suffit de se reporter à la source de toutes les idées élaborées dans le Taborisme, à la grande prédiction taborite que nous avons rapportée et rajustée, pour la rendre intelligible. Cette prédiction impliquait deux époques. L'une de travail, de souffrance, d'action, de colère, de vengeance et d'extermination, durant laquelle, de leur autorité privée, les nouveaux croyants distinguaient ce qui est juste et injuste, ce qu'il fallait observer et ce qu'il fallait abolir, enfin, ce qui, selon eux, était bien ou mal. L'autre époque était un idéal de perfection, de repos, de douceur, de tolérance, de fraternité et d'innocence, dans lequel, à la venue de Jésus-Christ sur la terre, on devait entrer immédiatement après l'extermination de la race impie et de la vieille société. Dans ce temps-là, il ne devait plus y avoir ni écritures, ni prêtres, ni préceptes, parce que les hommes étant arrivés à l'état paradisiaque, le mal serait banni de la terre, et tout serait bien. Ce rêve de perfection mal compris, et appliqué sans idéal à la réalité présente, suffisait pour engendrer la secte des Adamites. La prédiction des Taborites n'était pas nouvelle. Elle était renouvelée des Vaudois, qui la leur avaient apportée sous d'autres formes deux siècles auparavant. La secte des Adamites n'était pas nouvelle non plus; elle avait été apportée de France; elle avait traversé plusieurs époques et plusieurs contrées. Elle était même éternelle, comme la virtualité de toutes les idées et aussi ancienne de manifestation que le christianisme. Elle ne devait pas finir absolument en Bohème; on l'a revue sous d'autres formes chez les Anabaptistes de Munster; on l'a revue plus récemment encore dans de malheureux essais pour l'émancipation des femmes. C'est une de ces sectes exubérantes, excessives et délirantes, dont j'ai promis, au commencement de ce récit, de parler un peu, et voici ce peu que j'ai à en dire.

Toujours l'homme a rêvé l'idéal, soit au ciel, soit sur la terre. Chacun a construit cet idéal selon la portée de son intelligence ou l'ardeur de ses désirs, selon la fièvre de ses instincts ou la sublimité de ses sentiments. Les Taborites, en rêvant sur la terre les jouissances célestes, la fraternité la plus tendre, l'amour le plus chaste (les sens ne devaient plus avoir de part à la reproduction de l'espèce), montraient combien de charité, d'austérité, de dévouement et de justice brûlait au fond de ces âmes farouches, emportées, dans leur projet sublime, par la fureur des temps et l'implacabilité du fanatisme. Les Adamites, au contraire, en voulant réaliser, au milieu des excès du présent, la liberté absolue de l'avenir, se montraient insensés. De plus, en rêvant cette liberté grossière et brutale, ils faisaient bien voir que leur fanatisme était du dernier ordre, et qu'en voulant arriver à l'innocence des anges, ils ne savaient arriver qu'à celle des bêtes. Cependant ils s'aimaient entre eux, ils s'appelaient frères, et pratiquaient une fraternité absolue; ils souffrirent le supplice en riant et en chantant. Ils furent martyrs, eux aussi, de leur foi; car leurs femmes ne pratiquaient pas, comme celles de la régence, une dévotion et un libertinage opposés, en principe, l'un à l'autre. Elles croyaient à la sainteté de leurs bacchanales: elles étaient folles. Fallait-il les brûler ou les plaindre? Et aujourd'hui qu'on ne brûle plus, ne faut-il pas plaindre et convertir celles qui professent le dogme immonde du la promiscuité? Heureusement le nombre des hypocrites est si grand, que celui des fous et des folles est très-restreint. Il ne menace point la société comme on a feint de le croire. Le dogme de la promiscuité ne laisse que des traces passagères dans les guerres de religion. Il rentra promptement dans la nuit chaque fois qu'il voulut reprendre à la vie; et de nos jours, quoi qu'on en dise, il n'a frappé que de malheureuses têtes dévouées à l'erreur, préparées à l'ivresse par quelque défectuosité de l'intelligence. Les plus belles mains ont eu quelquefois des verrues. Les chirurgiens les coupent et les brûlent en vain: elles passent d'elles-mêmes quand l'enfance passe. L'adamisme disparaîtra de la terre quand la véritable loi du mariage sera proclamée.

Pour en revenir à l'histoire du redoutable aveugle, il est probable que Ziska extermina les insulaires de la rivière de Lusinitz30, par un mouvement spontané d'indignation contre leurs pratiques, et pour se défaire d'un voisinage agressif qui s'était annonce par des hostilités. Quant aux Picards son intention est plus mystérieuse, et les historiens ne font pas de difficulté de l'attribuer à la pureté de ses principes calixtins. Cependant quand on se rappelle que Ziska, en d'autres temps, s'était montré zélé taborite, qu'il avait donné la communion, qu'il avait prophétisé; quand on le voit jusque-là vivant en si bonne intelligence, et se rendant si cher à ces Taborites qui avaient nié la présence réelle et qui n'y croyaient pas, on peut présumer que Ziska châtiait dans Loquis et redoutait dans le Prémontié des hommes d'une politique plus hardie encore et d'une influence plus immédiate que les siennes31. Ziska voulait sauver la Bohème selon un plan conçu avec autant de prudence que de courage. L'audace ne lui manquait pas plus que la ruse. Il s'alliait au parti calixtin dans l'occasion, et s'en détachait de même. A un moment donné, il pensa devoir sacrifier des hommes qui lui semblaient, par leur fougueuse sincérité, devoir compromettre la révolution. Il craignit que la négation du dogme de la présence réelle, négation qui entraînait de si profondes conséquences, n'effarouchât le nombreux et puissant juste-milieu, et ne le brouillât lui-même sans retour avec ces classes dont il croyait que son oeuvre ne pouvait se passer. Ziska se trompait en espérant faire marcher de front les résistances de divers ordres de l'État contre l'empereur. En ce moment, il était enivré sans doute de l'adhésion du parti catholique, et il concevait de grandes espérances. Il éprouva bientôt ce qu'il devait attendre de ces alliances impossibles.

28.C'était un trésor public dont le roi ne pouvait disposer qu'en faveur des pauvres.
29.Jean Huss croyait à cette présence réelle. Lors de la première grande communion des Taborites eu pleine campagne, au début de la révolution, presque tous étaient à peu près Calixtins. Mais la conférence de Prague et la prophétie taborite qu'en peu de temps on s'était désabuse de ce dogme. La négation de la présence réelle fit de continuels progrès. Contenue par Ziska, elle éclata après sa mort, et tout le Taborisme fut Picard, anti-adorateur de l'Eucharistie. Ziska ne sut jamais ou ne voulut jamais savoir combien il avait de Picards dans son armée. Les villes sacrées de la prédiction qui, en tout temps, lui furent d'un si héroïque secours, étaient d'origine vaudoise. Elles avaient embrassé le Joannisme dès le douzième siècle, en donnant asile aux Vaudois fugitifs persécutés en France.
30.Ou Lausnitz.
31.Il est bien certain que ces Picards blâmaient la conduite de Ziska à l'égard de la religion. Ils le raillaient de se faire dire la messe selon les missels par des prêtres calixtins, et appelaient ces prêtres lingers (lintearios) à cause de leurs surplis de toile. Les Calixtins de Ziska (car il y avait des Taborites Calixtins, c'est-à-dire des hommes qui, comme lui, suivaient la religion de Prague et la politique de Tabor) raillaient à leur tour ces prêtres réformateurs, et les appelaient les cordonniers de Ziska, parce que, dit-on, ils portaient les mêmes souliers à l'office et en campagne. Cette explication me semble un peu gratuite. Les cordonniers avaient joué le rôle le plus énergique à Prague, dans les proclamations religieuses et dans les émeutes. Ils faisaient pendant aux boucliers des séditions de Paris à la même époque, et je pense que l'appellation de cordonnier était devenue synonyme, en Bohême, de celle de sans-culotte dans notre révolution.