Kitabı oku: «Kourroglou», sayfa 5
«Le soleil est levé sur la colline de l'Orient. Elle est le jardin des fleurs. Les roses ouvrent leurs boutons sur ses joues. Que nul ennemi n'ose regarder dans le jardin de l'amant!.. O Nighara! celui qui touchera ta ceinture une fois seulement deviendra immortel.»
CINQUIÈME RENCONTRE
Le soir approchait. La fraîcheur de l'eau calmait les souffrances de Kourroglou. La princesse se dit: «Il répète sans cesse le nom de Kourroglou. Ah! si c'était lui-même! Parle, avoue la vérité, lui dit-elle, es-tu Kourroglou?» Et comme il l'assurait, elle reprit: «Kourroglou est, dit-on, de la même taille que mon père le sultan. Je vais te faire essayer sa robe royale. Si elle est trop longue pour toi, je ferai enfoncer des clous dans tes talons afin que tu deviennes plus grand. Si elle est trop courte, je te ferai couper les pieds. Si elle est trop large, je te ferai ouvrir le ventre, et on le remplira de paille pour te grossir.»
Kourroglou dit: «Tu me punis selon le code d'Abou-Horeyra. N'importe, j'essaierai la robe.»
Il sortit de l'eau, et Nighara, de ses propres mains, lui passa la robe. Elle semblait avoir été faite pour lui. Alors ils jetèrent leur main autour du cou l'un de l'autre, et entrèrent dans le pavillon, où, suivant la coutume turque, ils burent dans la même coupe. Alors la princesse dit: «As-tu amené ici ton fameux cheval Kyrat? – Oui, je l'ai amené. – Il faut donc que tu trouves pour moi un autre cheval aussi bon que Kyrat.»
Kourroglou voyant les progrès qu'il faisait dans le coeur de la princesse se mit à chanter:
«Humide, humide est la neige que l'on voit au sommet des grandes montagnes! Tes yeux brillants soufflent la fraîcheur sur mon coeur embrasé! Mon cher amour est couvert d'habits couleur de rose; elle est tout entière d'une teinte rose. L'eau qu'elle boit est aussi pure que l'azur du ciel. Ses yeux sont enivrés d'amour et de vin.
«Je suis Kourroglou. Ne suis-je pas libre de me promener dans ces bosquets? Je ne puis marcher en liberté dans le monde, car le monde est trop étroit pour moi.»
Kourroglou ayant combiné son plan avec la princesse, reprit ses habits de mollah et sortit du harem comme il y était entré. Il fut arrêté à la porte par les gardes, qui lui dirent: «Saint homme, puisque tu as accès auprès de la princesse, commande-lui, au nom du ciel, de nous faire toucher notre paie; car, depuis le départ du sultan son père, nous n'avons pas reçu une obole.
– Je vous jure que je vous ferai payer, dit Kourroglou, et, en attendant, pour lui marquer votre mécontentement, vous devez abandonner vos postes, et vous refuser à escorter la princesse.»
Ayant donné cet avis charitable, le fourbe retourne chez sa vieille hôtesse, et va ensuite acheter au bazar un beau poulain de trois ans, le ramène à l'étable, prépare lui-même la selle, et, au lever du soleil, en entendant les trompettes sonner pour annoncer une promenade de la princesse hors la ville, il paie magnifiquement sa vieille, lui conseille de se cacher afin de n'être point persécutée à cause de lui, et monté sur Kyrat, suivi par le poulain attaché à son étrier, il s'en va sur la route attendre Nighara, qui bientôt arrive dans son chariot. Il l'enlève des bras de ses femmes, la met en croupe et s'enfuit avec elle dans le désert. Là, tombant de fatigue, il s'étend sur le gazon et cède au sommeil. La princesse lui demande s'il compte dormir longtemps. «Mon sommeil est de deux sortes, lui dit-il. Le plus court est de trois journées, le plus long est de sept journées. Mais écoute, ma bien-aimée. Kyrat a le don de pressentir l'approche de mes ennemis. Quand l'ennemi se met en route pour me poursuivre, Kyrat hennit; quand l'ennemi est à moitié chemin, Kyrat devient inquiet et souffle avec ses narines; quand l'ennemi est tout près de se montrer, Kyrat gratte la terre et l'écume lui vient à la bouche.» La princesse se plaint vainement du long somme dont son amant la menace en plein désert et au milieu des dangers. Il faut que Kourroglou dorme ou qu'il périsse; à cette robuste organisation il faut un repos semblable à celui de la mort. Elle examine Kyrat avec inquiétude, et quand elle a vu signaler le départ et la marche de l'ennemi, quand elle a remarqué ses sabots grattant la terre et sa bouche couverte d'écume, elle éveille Kourroglou, ainsi qu'elle a été avertie par lui de le faire. Aussitôt il se lève, rattache les sangles de son coursier, fait monter Nighara sur l'autre, et attend de pied ferme le jeune sultan Burji, qui accourt à la délivrance de sa soeur Nighara. Kourroglou, par ses terribles chansons, porte l'épouvante dans le coeur des guerriers du prince, et bientôt, s'élançant au milieu d'eux, il les disperse comme un troupeau de gazelles. Mais Burji-Sultan, résolu à reconquérir sa soeur, s'élance seul contre lui. «Que faire? dit Kourroglou dans son coeur; si je tue le frère de ma bien-aimée, elle ne me le pardonnera jamais et remplira ma vie d'amertume.» Nighara se prend à pleurer. «O Kourroglou! je n'ai qu'un frère, ne le tue pas. – Mon amie, ne crains rien,» dit Kourroglou. Et, s'adressant au prince: «Le chef de tes écuries ne gagne pas le pain qu'il mange; il n'a pas seulement serré les sangles de ton cheval. Je t'avertis que tu roules sur ta selle. Descends et raccourcis tes sangles, tu combattras ensuite contre moi.»
Le Turc crédule descend pour arranger sa selle. Pendant ce temps, Kourroglou s'approche avec précaution, le renverse, s'assied sur lui et feint de vouloir le tuer. Burji pleure et se lamente: «Le sultan mon père n'avait qu'une fille et un fils; tu enlèves l'une, tu vas tuer l'autre. Toute la famille va être éteinte. – Je t'accorde la vie à condition que tu me donnes ta soeur en mariage. Je suis aussi savant qu'un mollah; j'ai lu les sept volumes des commentaires arabes sur le Koran; je sais par coeur toutes les formules usitées dans les mariages.» Le prince prononce avec lui la prière nuptiale consacrée par le Koran, et lui accorde sa soeur. Kourroglou le relève, l'embrasse au front, et lui dit: «Désormais, au nom et par l'autorité du sultan Murad ton père, je gouverne et règne à Chamly-Bill. Où aurait-il trouvé un meilleur parti pour sa fille?»
En continuant leur route vers Chamly-Bill, Kourroglou et Nighara traversent encore quelques aventures. Ils pénètrent dans le camp d'un jeune Européen qui tombe amoureux de Nighara, et veut l'enlever à son époux. Kourroglou est forcé de détruire sa suite et de piller ses trésors; il est même au moment de le tuer pour lui apprendre à vivre, lorsque Nighara, touchée de l'amour de ce jeune homme, le fait sauver, et menace Kourroglou d'avaler un poison mortel caché dans l'anneau qu'elle porte au doigt s'il n'abandonne pas sa poursuite. Kourroglou se soumet, et continue son voyage avec elle. Nighara montait à cheval aussi bien que lui-même, et pouvait fournir une course aussi hardie, aussi rapide que la sienne. Ils surprirent une caravane, se firent payer une riche redevance, et là, encore, Nighara obtint grâce de la vie pour le marchand.
Elle blâmait beaucoup son époux de commettre toutes ces violences. Il lui répondit avec la franchise d'un honnête Turcoman: Je ne laboure ni ne trafique; il faut donc que je vole. L'argument était sans réplique. Enfin ils atteignent les portes de Chamly-Bill. Les brigands vinrent à leur rencontre avec des acclamations, des chants et des décharges de mousqueterie. «Guerrier, dit la princesse à Kourroglou, lequel d'entre eux est Ayvaz? Montre-le-moi.
Improvisation de Kourroglou:
«Regarde ici, mon cher amour: ce cavalier est Ayvaz. Regarde-le, et préserve mon âme du lit de feu de la jalousie. Regarde, voilà Ayvaz; mais ne tombe point amoureuse de lui. Dans sa main étincelle un bouclier hezzare. Le miel de l'éloquence est sur sa langue; et la ligne du pinceau de la main du Tout-Puissant est sur l'arc de ses sourcils. Regarde; mais n'en tombe pas amoureuse. Ce n'est qu'un garçon de quatorze ans. Une plume de grue est sur sa tête. Ce cavalier est Ayvaz, oui, Ayvaz lui-même.»
Il présenta alors son épouse à ses compagnons en leur disant: «Nous devons tous l'honorer, elle est la fille du sultan de Turquie;» et Nighara s'étant assise sur le seuil de la porte de la forteresse, les sept cent soixante-dix-sept cavaliers de la garde sacrée de Kourroglou se prosternèrent devant elle, «O Dieu! s'écria Kourroglou, sois béni et ton nom glorifié! Je dois à ta seule bonté d'avoir réalisé mes plus chères espérances!» Il frappa les cordes de sa guitare et chanta ainsi:
«Les nuages de l'adversité ont été dissipés par la foi de Kourroglou. Ils se sont évanouis comme la brume du matin. Voici mon Ayvaz.»
Nighara fit son entrée couchée sur les riches coussins d'un palanquin d'honneur. Toutes les femmes et toutes les esclaves de Kourroglou vinrent à sa rencontre, et l'introduisirent respectueusement dans le harem. Belly-Ahmed fut tiré de sa prison et récompensé par un des premiers grades dans la troupe. Ce même jour, on célébra le mariage de Kourroglou et celui d'Ayvaz, auquel le maître donna une femme. Les musiciens, danseurs et jongleurs vinrent en foule. Le vin coula par torrents, et il coule encore à cette heure, dit ordinairement le khan pour clore cette rapsodie.
SIXIÈME RENCONTRE
Dans un des districts de l'Anatolie vit une grande tribu de nomades connus sous le nom de Haniss. Elle est composée de trente mille familles qui sont toutes riches et qui habitent un pays magnifique. Chacun de ces chefs consacre sa vie à quelque objet favori. L'un aime les beaux vêlements, un autre préfère les femmes, et un troisième est passionné pour les chiens de chasse ou les faucons. Leur chef, Hassan-Pacha, aimait les chevaux par-dessus tout. Quand il entendait parler d'un beau cheval, il n'épargnait ni argent ni peine pour se le procurer.
Un jour, Hassan-Pacha vint dans ses écuries, et, après avoir examiné plusieurs de ses chevaux, il dit à son vizir: «Certainement, aucun roi, dans les cinq parties du monde, ne peut se vanter d'avoir une écurie comme celle-ci.» Le vizir répliqua: «Aucun roi, il est vrai, n'a d'écurie comme celle-ci; mais Kourroglou a un cheval à Chamly-Bill, du nom de Kyrat, et Keyvan lui-même, celui qui gouverne les sept cieux, ne possède pas son pareil. – O mon vizir! je suis prêt à donner tout ce que j'ai pour acquérir ce joyau. – Pacha, ce n'est pas chose facile. Kourroglou ne manque pas d'argent, et il n'y a aucune possibilité de lui prendre son cheval de force. – Vizir, à l'homme qui m'amènera ce cheval je donnerai la moitié de mon pouvoir; s'il dit: «Ce n'est pas assez,» je lui donnerai la moitié de mes richesses; et si cela même ne le contente pas, j'ai sept filles, il aura la liberté de choisir la plus belle pour sa femme. Va, et fais proclamer à son de trompe, dans la direction des quatre vents, à tous les camps de notre tribu, l'ordre suivant: «Qu'il soit bey ou mendiant, vieux ou jeune, il sera mon gendre celui qui m'amènera Kyrat.»
Il y avait dans la tribu de Haniss un certain marmiton nommé Hamza, dont la tête et les sourcils étaient chauves, et qui était marqué de petite vérole. Cet homme, ayant entendu la proclamation, accourut auprès du vizir nu-pieds et à peine vêtu. «Que proclame-t-on ainsi, vizir? – Qu'est-ce que cela te fait, à toi, vilaine tête chauve? – Je demande seulement de quoi il s'agit?» Le vizir le mit au fait, et ajouta: «L'homme qui réussira sera riche. – Qu'ai-je besoin d'argent? dit Hamza; douze livres d'écorce de melon d'eau que l'on me donne à manger chaque jour dans les cuisines suffisent à mon appétit.» Le pacha promet de partager son pouvoir et ses richesses, et de donner l'une de ses sept filles pour femme à celui qui lui amènera Kyrat. Aussitôt Hamza dressa les oreilles. «Vizir, j'ai vu les sept filles du pacha; mais s'il consentait à me donner la plus jeune… – Celui qui amènera le cheval aura le droit de choisir.» Hamza se frappa la poitrine avec ses deux mains, et dit: «Regarde-moi, regarde-moi; je suis l'homme qui choisira. – En vérité? dis-moi comment, par exemple. – Le pacha aura Kyrat; mais il faut que tu me conduises d'abord en sa présence.» Le vizir pensa: depuis tant de jours que nous faisons publier cette proclamation, il ne s'est encore trouvé personne qui voulût en profiter. Voici le premier et le dernier; il faut le faire voir au pacha.
Hamza fut introduit devant le pacha. «Est-ce toi, pauvre tête fêlée, qui as promis de m'amener Kyrat? – Moi-même; mais que me donneras-tu pour cela, pacha? – Je te donnerai la moitié de mes richesses. – Je n'ai pas besoin de richesses, – Je te donnerai la moitié de mon pouvoir. – Je n'ai pas besoin de ton pouvoir; qu'en ferais-je? – Tu choisiras celle de mes filles que tu voudras. – Pacha, je ne puis croire à tes paroles. – Que puis-je faire de plus pour te convaincre? – Jure, en baisant le Koran, que, dans le cas où tu violerais ta parole, tu divorceras d'avec chacune de tes sept femmes.» Le pacha en fit le serment. Hamza lui dit: «Je suis depuis longtemps amoureux de la plus jeune de tes filles; si je perds la vie dans cette expédition, je n'en aurai nul regret; si, au contraire, je ramène le cheval, j'aurai ta fille.» Le pacha dit: «Tu l'auras;» et il baisa le Koran.
Hamza partit en hâte pour Chamly-Bill, où l'arrivée d'un pauvre diable comme lui fut à peine remarquée. Après un mois de séjour dans ce lieu, il pensa dans son coeur: «Tâchons de pêcher Daly-Ahmed avec l'hameçon de l'amitié. Je trouverai peut-être ainsi moyen de m'introduire dans l'écurie.» Il entra alors dans la cour de l'écurie avec circonspection et à pas lents. Après avoir déchiré sa chemise sur sa poitrine, il ramassa un tas de fumier; et, se jetant dessus, il se mit à pleurer et à gémir à haute voix. Les larmes coulaient de ses yeux comme la pluie d'un nuage. Daly-Mehter, écuyer de Kourroglou, passait justement de ce côté; il vit un malheureux, tout nu et en larmes, assis sur ce tas de fumier. Son coeur fut ému de pitié. Tout le monde sait que les fous26 sont très-portés à la pitié: «Pourquoi cries-tu ainsi, tête chauve?» Hamza répondit: «Puisse-je devenir ton esclave! Je suis orphelin et étranger; grâce à la laideur de mon front chauve, personne ne veut me prendre à son service. Je désirerais pourtant trouver un maître qui put me donner un morceau de pain.» Daly-Mehter pensa: «Tout le monde vit du pain de Kourroglou; je prendrai cet homme à l'écurie, et je le nourrirai.» Pour commencer, il releva ses manches jusqu'au coude; et remplissant un vase d'eau chaude, il lava la tête d'Hamza, et, l'ayant nettoyé entièrement, il lui donna ses vieux habits pour se vêtir. Hamza le chauve montra tant de zèle et d'habileté dans son service, que la raison de Daly-Mehter lui échappait d'étonnement. Un des deux meilleurs chevaux de cette écurie était Kyrat, qui était attaché, par une jambe, à une chaîne dont Kourroglou portait toujours la clef dans sa poche. L'autre, monté habituellement par Ayvaz, se nommait Durrat. Ce cheval était aussi attaché séparément, et la clef de son cadenas était dans la poche de Daly-Mehter.
Toutes ces circonstances furent bientôt connues de Hamza, qui commença à désespérer de pouvoir jamais s'emparer de Kyrat. Kourroglou vint un jour à l'écurie, et trouva Daly-Mehter endormi. Il regarda, et vit un misérable en guenilles et à tête pelée, qui étrillait Kyrat avec une brosse et un morceau de drap. Kourroglou et Hamza ne s'étaient jamais vus auparavant. Kyrat était tendu comme un arc, sous la pression de la puissante main de Hamza; et sa robe était toute luisante, par le fait de son excellent pansement. Kourroglou trembla de toutes ses jambes, et pensa dans son coeur: «L'homme sous le bras duquel Kyrat est plié ainsi ne peut pas être un homme ordinaire.» Il cria: «Chien pelé, tu vas emporter la peau du cheval: est-ce là la manière de l'étriller?» Hamza prit un gros marteau de fer dans une niche, et, le levant sur Kourroglou, il cria: «Que viens-tu faire dans cette écurie? Va-t'en, vagabond.» Car, il lui avait été enjoint par Daly-Mehter de ne permettre à personne d'entrer dans l'écurie. Kourroglou dit: «Fou, comment oses-tu lever ta main sur moi?» Daly-Mehter fut tiré de son sommeil par ce bruit. Il se releva, et salua son maître: «Quel est cet homme que tu as engagé à mon service? – Puissé-je devenir ta victime! Des milliers de gens vivent de ton pain. Cette tête chauve est très-habile et très-adroite, et peut, aussi bien que tant d'autres, profiter de tes largesses. – Je ne refuse mon pain à personne; qu'il en mange autant qu'il voudra; mais, à juger de ses jambes et de toute son allure, je n'attends rien de bon de lui; il a l'air d'un voleur de chevaux. – Oh! non, seigneur; s'il était de fer, on ne pourrait faire plus de cinq aiguilles de ce pauvre diable!»
Hamza comprit alors que c'était là Kourroglou, il jeta son marteau à terre, et, dans sa terreur, il courut se cacher sous le bat d'une mule. Kourroglou, avant de quitter l'écurie, dit à Daly-Mehter: «Attache toujours un oeil vigilant sur mon cheval; ne donne ta confiance à personne.» Il ne poussa pas plus loin cette enquête.
Plus Hamza restait attaché à l'écurie, plus il reconnaissait l'impossibilité de voler Kyrat. Il dit donc dans son coeur: «Si ce n'est Kyrat, ce sera au moins Durrat. Le premier est père du second, et sa mère était une jument arabe. Hassan-Pacha ne les a jamais vus ni l'un ni l'autre: il me croira, il me donnera sa fille; et s'il arrive jamais à connaître la vérité, il ne me l'ôtera pas, après que je l'aurai épousée.»
Pendant la nuit il apprêta la selle de Durrat et tous les harnais qui en dépendaient. Daly-Mehter était ivre quand il revint du palais de Kourroglou, et voyant que Hamza pleurait amèrement, le visage appuyé sur ses mains, comme s'il était devenu veuf, il demanda: «Qu'as-tu, Hamza? – Seigneur, comment puis-je m'empêcher de pleurer? Chaque nuit tu vas avec Kourroglou boire du vin rouge, et tu ne t'es jamais dit: Apportons en quelques gouttes au pauvre orphelin. Hélas! qu'est-ce que cela, du vin? je n'en ai jamais vu. Est-ce doux ou acide?»
Daly-Mehter se leva, prit le bidon de l'écurie, et s'en fut au cellier de Kourroglou. Ayant rempli le bidon, il le rapporta, le mit devant Hamza et lui dit: «Bois, tête chauve.» Hamza remplit un vase jusqu'au bord, et le tendit à Daly-Mehter. «Seigneur, essaie le premier; que je voie comment tu bois.» Daly-Mehter vida le vase jusqu'à la dernière goutte, et dit: «Voici la manière de boire.» Hamza remplit le vase à son tour, et l'ayant approché de ses lèvres, il donna une secousse si adroite, qu'il répandit tout le breuvage par-dessus son épaule, sans que Daly-Mehter s'en aperçût. De cette manière, il grisa si bien l'écuyer, que ce dernier à la fin tomba comme mort sur le plancher. Hamza dit dans son coeur: «Il n'est pas convenable que je me montre sous ces haillons.» Il ôta donc ses vieux habits, et ayant dépouillé Daly-Mehter, il changea de vêtements avec lui. Il trouva dans la poche de l'ivrogne la clé de la chaîne de Durrat, conduisit le cheval hors de l'écurie, lui mit la selle sur le dos, et s'en fut comme une étoile Filante sur la route qui conduisait au camp de la tribu de Haniss.
Kourroglou vint de bonne heure à l'écurie; il n'avait point de ceinture, car il sortait du harem. Il regarda et vit Kyrat à sa place ordinaire, mais Durrat avait disparu. Il devina, tout de suite que la tête chauve l'avait volé. Il appela l'écuyer. Daly-Mehter se releva, se frotta les yeux, et salua. «Vilain, que signifient ces haillons que je vois sur toi? Quel est ce tour de jongleur?»
Le pauvre écuyer regardait ses habits, et n'en pouvait croire ses yeux. «Où est Durrat? – Seigneur, Hamza doit l'avoir emmené pour le promener ou le faire boire. – Ne le disais-je pas, que c'était un voleur de chevaux? Vite, que l'on selle Kyrat!»
Kourroglou, armé, monta au sommet de la plus proche montagne, sur laquelle ses sentinelles avancées étaient postées; il examina le pays, à l'aide d'un télescope, jusqu'à ce qu'il découvrit enfin le fuyard. Il le vit volant comme une flèche vers ses tentes.
Il fut transporté de rage et rugit sur la montagne: «Misérable voleur, où fuis-tu, où fuis-tu? Tu peux aller aussi loin que Istambul; je t'y suivrai, et je m'emparerai de toi.»
La voix de Kourroglou, quand il était en colère, pouvait s'entendre à un mille de distance. Hamza la reconnut de loin, et dit: «O père céleste, la vie est douce: Malheur, malheur à moi!» Il regarda devant lui, et vit un village à peu de distance. Il dit dans son coeur: «Si je pouvais gagner ce village, mon âme pourrait encore être sauvée.» On voyait un profond ravin à l'entrée du village. «Qui peut dire, pensa Hamza, si, avant que j'aie atteint ce village, Kourroglou n'aura pas brûlé mon père!»
Au fond du ravin se trouvait un moulin; le meunier était absent, et les roues restaient oisives. Hamza y courut, attacha la bride de Durrat à la porte, et entra dans le bâtiment désert. Là, il trouva la robe du meunier qu'il mit sur lui, et il se frotta de farine de la tète aux pieds.
On sait que lorsqu'un homme a fait une course rapide, ses yeux sont comme couverts d'un brouillard, et que sa vue n'est pas très-claire pendant quelque temps. Kourroglou ne reconnut pas Hamza, et demanda: «Meunier, où est le cavalier qui monte le cheval attaché à ta porte?
– O mon agha! le cavalier s'est précipité ici, saisi d'une telle crainte, qu'il a couru sa cacher sous la roue.»
Kourroglou, tout tremblant de rage, descendit de cheval: «Tiens mon cheval.» Il tira alors son poignard, et courut à la recherche du voleur. Kyrat avait cette qualité, qu'il obéissait en toute chose à quiconque le recevait en dépôt de la main de Kourroglou. Il se laissa guider comme un enfant. Hamza, qui n'était pas sot, jeta la robe de meunier à bas, et sauta sur Kyrat. Il essaya d'un temps de galop, et revint attendre tranquillement Kourroglou, qui, ayant tourné sens dessus dessous tout ce qu'il y avait dans le moulin, et n'y trouvant pas une âme, sortit et vit Durrat à la porte. Aux pieds de Durrat, la robe du meunier gisait par terre; un peu plus loin on voyait le victorieux Hamza sous sa propre forme, monté sur Kyrat. Il pensa dans son coeur: «J'ai fait là un marché capital! plaise à Dieu que je ne le regrette pas quand il sera trop tard!» Et il s'écria: «Hamza-Beg! – Quel est ton plaisir, noble guerrier? – Nous allons revenir à la maison, mais nous irons au pas, les chevaux sont fatigués. – Où dis-tu que tu veux aller? – A Chamly-Bill. Tu m'as offensé sans raison; et je suis venu le chercher en personne. – Ne plaisante pas davantage, Kourroglou. J'ai cherché le cheval dans le ciel, mais, Dieu soit loué, je l'ai trouvé sur la terre. Tu as daigné me faire présent de Kyrat, de ta propre main. Puisses-tu jouir d'une vie et d'un bonheur sans fin! Seulement ne me demande pas de te suivre. – Je t'en conjure, je l'en prie, Hamza, je deviendrai ton esclave! Dis, sont-ce des richesses, un cheval, une femme, que tu convoites? Guerrier, je te jure que tu auras toute chose en abondance. Tu as le choix; tout ce que je possède t'appartient. – Je ne serai pas la dupe de ta ruse. Ce que je désire ne t'appartient pas: je te ferai connaître la vérité. J'aime la plus jeune des filles de Hassan-Pacha, qui a promis de me la donner pour femme, en échange de Kyrat. Depuis six mois et plus, je languissais de désespoir a Chamly-Bill. Maintenant regarde, j'emmène Kyrat, et tu es toi-même la cause de mon bonheur. Puisses-tu vivre heureux et longtemps! Je m'en vais prendre femme. – Hamza-Beg! rends-moi seulement le cheval, et je t'apporterai sur mon sabre la tête de Hassan-Pacha. – Ce serait une conduite basse de ma part; quelle preuve de courage montrerais-je aux yeux de ma fiancée?»
Les prières et les promesses de Kourroglou ne servirent à rien. Hamza jura par la plus pure essence de Dieu qu'il ne rendrait pas le cheval. Kourroglou poussa un profond soupir du fond de sa poitrine, et dit: «Hamza-Beg! permets-moi de chanter un air qui me vient à la mémoire.»
Improvisation. – «Sans Kyrat, la vie et le monde ne sont qu'un fardeau pour moi. Pauvre Kourroglou! maintenant que Kyrat a quitté tes mains, tu dois te frapper la tête de douleur, Kourroglou!»
Hamza regardait Kourroglou pendant que celui-ci continuait de chanter ainsi:
Improvisation. – «Tu as dû demander Kyrat à Dieu même. La queue de Kyrat était un bouquet de fleurs. Monter sur lui c'était monter le bonheur en personne. O Kourroglou! que Dieu le le rende! Je me noie dans une mer profonde; le chagrin de la perle de Kyrat se pose comme une pierre sur mon âme, et m'entraîne dans l'abîme. Je suis un paysan, un meunier, loin de moi cette épée, Kourroglou, tu devras maintenant crier «du blé, du blé27!»
Kourroglou avait l'air d'un fou, il disait: «Sans Kyrat je ne mérite pas d'être un guerrier.»
Hamza dit: «O Kourroglou! tes paroles ont brûlé mon foie. Va à Chamly-Bill, et demeure en repos pendant six mois. A la fin de ce temps, tu peux prendre l'habit d'un Aushik28, et venir au camp de la tribu de Haniss. Je vais y mener Kyrat, et j'épouserai la fille du pacha; mais je te jure que de même que j'ai reçu Kyrat de tes propres mains, de même je te rendrai de mes propres mains les rênes et le cheval. – Comment puis-je savoir, ô Hamza-Beg, si tu es sincère ou non dans tes paroles? – Je jure par le plus pur être de Dieu. J'ai l'âme noble, et je te le répète encore, je conduirai moi-même Kyrat par la bride, et je te le rendrai.»
Cela dit, il tourna la tête de Kyrat, et s'en fut vers le camp de la tribu de Haniss. Kourroglou contempla son bien-aimé cheval jusqu'à ce qu'il eût disparu dans l'éloignement. Triste, et les yeux baissés, il retourna sur ses pas et monta sur Durrat. Tous les bandits étaient sortis de Chamly-Bill afin de voir quelle figure ferait Hamza, ramené par Kourroglou; mais quand ils virent leur chef seul et monté sur Durrat, ils se dirent entre eux: «Kourroglou aura été attrapé par cette adroite tête pelée.» Ils eurent peur de la colère de Kourroglou, et se dispersèrent dans toutes les directions. Chacun d'eux comme un rat, se cacha dans quelque trou. Ayvaz seul fut assez hardi pour parler, et dit: «Agha, tu as fait un bon marché; Durrat pour Kyrat! As-tu pris le voleur? – Va-t'en, sot enfant!» Le jeune homme effrayé s'éloigna.
Kourroglou s'en fut dans le harem, et, pendant les six mois qui suivirent, il ne bougea pus de la chambre de Nighara. Au bout de ce temps, il dit: «Nighara, Hamza m'a fait une promesse: il faut que j'aille là-bas et que j'y meure ou que je revienne avec Kyrat.»
Il se leva, revêtit l'habit d'un Aushik, et, après avoir pris congé de sa femme, il partit.
En s'approchant du camp des Haniss, il se préparait à passer une large rivière, quand il remarqua sur le sable la trace des pieds d'un cheval qui l'avait franchie en un saut, d'une rive à l'autre. Il dit dans son coeur: «Nul cheval au monde, excepté mon Kyrat, ne pourrait accomplir une chose semblable. Hamza a dû venir ici avec lui.»
Étant entré dans le camp, il mit un temps considérable à faire le tour des tentes nombreuses et des cordes tendues qui en marquaient les limites. Fidèle à son rôle, il chantait tout le temps de sa plus belle voix, charmant et égayant tous ceux qu'il rencontrait; et toutes ses chansons étaient à l'éloge du cheval.
Cette nouvelle parvint bientôt aux oreilles du pacha; ce seigneur était de mauvaise humeur, parce que depuis le jour où Kyrat lui avait été amené par Hamza, il n'avait pu encore monter ce cheval, qui était attaché dans l'écurie et ne souffrait que personne s'approchât de lui, si ce n'est Hamza-Beg. Le pacha ordonna que Kourroglou fût amené en sa présence. Il lui fit un accueil gracieux, et lui permit de s'asseoir dans sa tente. «On dit que tu es habile dans l'art de louer les chevaux: tu arrives justement dans un lieu où tu peux voir une écurie qui n'a pas sa pareille dans tout l'univers.» Kourroglou eut peur que Hamza-Beg ne le trahit; il regarda, et, voyant que ce dernier était absent, il chanta l'éloge suivant:
Improvisation. – «Laissez-moi chanter l'éloge d'un cheval arabe. Sa crinière doit être comme si elle était de fils de soie; ses pieds ne doivent pas être charnus. Ils sont exactement entourés de peau; ses sabots ont l'air d'avoir été tournés; ses fers ne doivent pas peser plus d'un okha d'argent; il doit être robuste et d'une taille moyenne; son cou doit être long, mince et uni comme un ruban. Quand on le sort de l'écurie, il bondit et se joue de mille manières.» – Bravo, Aushik! cria le pacha, je n'ai jamais entendu louer le cheval avec tant de méthode. Le célèbre Kyrat qu'Hamza-Beg m'a amené possède toutes les qualités que tu as énumérées; mais de quel usage est-il pour moi? Il est si méchant et si fou, que je ne puis pas le monter.
Kourroglou dit: «Longue vie au pacha! un cheval fou est le meilleur à monter. – Pour quelle raison?»
Kourroglou chanta ainsi:
Improvisation. – «Un noble cheval marche hardiment, comme s'il cherchait à renverser son cavalier. Il secoue ses oreilles et tire si fort les rênes que le cavalier doit le tenir ferme et ne donner aucun repos à ses mains. Le cheval d'un guerrier-bélier doit être fou comme son maître.»
Le pacha appela ses serviteurs: «Faites venir Hamza-Beg devant moi. Je désire qu'il écoute ces belles louanges du cheval.»
Hamza-Beg avait épousé la plus jeune fille du pacha, et il avait été élevé au rang de grand vizir.
Il vint, vêtu d'un riche habit de fourrure; son turban était du plus beau cachemire, et il avait une suite de trois cents hommes.
Il entra, et, saluant à peine de la tête le pacha, il s'assit sans qu'on le lui dit et s'étendit sur son siége.
Kourroglou fut grandement surpris de voir tant de splendeur et de gravité dans un homme qui, six mois auparavant, n'était qu'un marmiton. Il se leva humblement de sa place et fit un profond salut. Un frisson glacial courut sur toute sa peau, et, en saluant, il plaça la main sur son coeur. Ce geste signifiait: Hamza-Beg! sois miséricordieux et ne me trahis pas! Hamza-Beg, en réponse, plaça la main sur ses yeux, ce qui voulait dire: «Ne crains rien et prends patience29!»
Le pacha dit: «Nul doute que l'Aushik ne soit lui-même un bon cavalier.» Il se tourna vers Kourroglou et dit: «Aushik, serais-tu dans le cas de monter mon cheval?» Kourroglou se mit à pleurer et à se plaindre de ce qu'on voulait, sans doute, lui donner quelque cheval fou qui le tuerait et rendrait ses enfants orphelins. Le pacha dit: «N'aie pas peur. Tu auras deux cents tumans de moi. Si le cheval te tuait, l'argent serait remis à ta veuve et à tes orphelins, comme le prix de ton sang. Si tu peux descendre vivant de dessus son dos, je te donnerai l'argent comme récompense.» Kourroglou dit: «Puisse le pacha nager dans le bonheur, et puisse son règne être long! Je suis content. Si je meurs, puisses-tu vivre de longs jours, seigneur!» Le pacha donna ordre au vizir d'aller chercher Kyrat.