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Kitabı oku: «La petite Fadette», sayfa 10

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XXVII

Mais, comme il n'est secret qui puisse durer, voilà qu'un beau jour de dimanche, Sylvinet, passant le long du mur du cimetière, entendit la voix de son besson qui parlait à deux pas de lui, derrière le retour que faisait le mur. Landry parlait bien doucement; mais Sylvinet connaissait si bien sa parole, qu'il l'aurait devinée, quand même il ne l'aurait pas entendue.

– Pourquoi ne veux-tu pas venir danser? disait-il à une personne que Sylvinet ne voyait point. Il y a si longtemps qu'on ne t'a point vue t'arrêter après la messe, qu'on ne trouverait pas mauvais que je te fasse danser, moi qui suis censé ne plus quasiment te connaître. On ne dirait pas que c'est par amour, mais par honnêteté, et parce que je suis curieux de savoir si après tant de temps tu sais encore bien danser.

– Non, Landry, non, – répondit une voix que Sylvinet ne reconnut point, parce qu'il y avait longtemps qu'il ne l'avait entendue, la petite Fadette s'étant tenue à l'écart de tout le monde, et de lui particulièrement. – Non, disait-elle, il ne faut pas qu'on fasse attention à moi, ce sera le mieux, et si tu me faisais danser une fois, tu voudrais recommencer tous les dimanches, et il n'en faudrait pas tant pour faire causer. Crois ce que je t'ai toujours dit, Landry, que le jour où l'on saura que tu m'aimes sera le commencement de nos peines. Laisse-moi m'en aller, et quand tu auras passé une partie du jour avec ta famille et ton besson, tu viendras me rejoindre où nous sommes convenus.

– C'est pourtant triste de ne jamais danser! dit Landry; tu aimais tant la danse, mignonne, et tu dansais si bien! Quel plaisir ça me serait de te tenir par la main et de te faire tourner dans mes bras, et de te voir, si légère et si gentille, ne danser qu'avec moi!

– Et c'est justement ce qu'il ne faudrait point reprit-elle. Mais je vois bien que tu regrettes la danse, mon bon Landry, et je ne sais pas pourquoi tu y as renoncé. Va donc danser un peu; ça me fera plaisir de songer que tu t'amuses, et je t'attendrai plus patiemment.

– Oh! tu as trop de patience, toi! dit Landry d'une voix qui n'en marquait guère, mais moi, j'aimerais mieux me faire couper les deux jambes que de danser avec des filles que je n'aime point, et que je n'embrasserais pas pour cent francs.

– Eh bien! si je dansais, reprit la Fadette, il me faudrait danser avec d'autres qu'avec toi, et me laisser embrasser aussi.

– Va-t'en, va-t'en bien vitement, dit Landry; je ne veux point qu'on t'embrasse.

Sylvinet n'entendit plus rien que des pas qui s'éloignaient, et, pour n'être point surpris aux écoutes par son frère, qui revenait vers lui, il entra vivement dans le cimetière et le laissa passer.

Cette découverte-là fut comme un coup de couteau dans le cœur de Sylvinet. Il ne chercha point à découvrir quelle était la fille que Landry aimait si passionnément. Il en avait bien assez de savoir qu'il y avait une personne pour laquelle Landry le délaissait et qui avait toutes ses pensées, au point qu'il les cachait à son besson, et que celui-ci n'en recevait point la confidence. – Il faut qu'il se défie de moi, pensa-t-il, et que cette fille qu'il aime tant le porte à me craindre et à me détester. Je ne m'étonne plus de voir qu'il est toujours si ennuyé à la maison, et si inquiet quand je veux me promener avec lui. J'y renonçais, croyant voir qu'il avait le goût d'être seul; mais, à présent, je me garderai bien d'essayer à le troubler. Je ne lui dirai rien; il m'en voudrait d'avoir surpris ce qu'il n'a pas voulu me confier. Je souffrirai tout seul, pendant qu'il se réjouira d'être débarrassé de moi.

Sylvinet fit comme il se promettait, et même il le poussa plus loin qu'il n'était besoin, car non-seulement il ne chercha plus à retenir son frère auprès de lui, mais encore, pour ne le point gêner, il quittait le premier la maison et allait rêvasser tout seul dans son ouche, ne voulant point aller dans la campagne: – Parce que, pensait-il, si je venais à y rencontrer Landry, il s'imaginerait que je l'épie et me ferait bien voir que je le dérange.

Et peu à peu son ancien chagrin, dont il s'était quasiment guéri, lui revint si lourd et si obstiné qu'on ne tarda pas à le voir sur sa figure. Sa mère l'en reprit doucement; mais, comme il avait honte, à dix-huit ans, d'avoir les mêmes faiblesses d'esprit qu'il avait eues à quinze, il ne voulut jamais confesser ce qui le rongeait.

Ce fut ce qui le sauva de la maladie; car le bon Dieu n'abandonne que ceux qui s'abandonnent eux-mêmes, et celui qui a le courage de renfermer sa peine est plus fort contre elle que celui qui s'en plaint. Le pauvre besson prit comme une habitude d'être triste et pâle; il eut, de temps en temps, un ou deux accès de fièvre, et, tout en grandissant toujours un peu, il resta assez délicat et mince de sa personne. Il n'était pas bien soutenu à l'ouvrage, et ce n'était point sa faute, car il savait que le travail lui était bon; et c'était bien assez d'ennuyer son père par sa tristesse, il ne voulait pas le fâcher et lui faire tort par sa lâcheté. Il se mettait donc à l'ouvrage, et travaillait de colère contre lui-même. Aussi en prenait-il souvent plus qu'il ne pouvait en supporter; et le lendemain il était si las qu'il ne pouvait plus rien faire.

– Ce ne sera jamais un fort ouvrier, disait le père Barbeau; mais il fait ce qu'il peut, et quand il peut, il ne s'épargne même pas assez. C'est pourquoi je ne veux point le mettre chez les autres; car, par la crainte qu'il a des reproches et le peu de force que Dieu lui a donné, il se tuerait bien vite, et j'aurais à me le reprocher toute ma vie.

La mère Barbeau goûtait fort ces raisons-là et faisait tout son possible pour égayer Sylvinet. Elle consulta plusieurs médecins sur sa santé, et ils lui dirent, les uns qu'il fallait le ménager beaucoup, et ne plus lui faire boire que du lait, parce qu'il était faible; les autres, qu'il fallait le faire travailler beaucoup et lui donner du bon vin, parce qu'étant faible, il avait besoin de se fortifier. Et la mère Barbeau ne savait lequel écouter, ce qui arrive toujours quand on prend plusieurs avis.

Heureusement que, dans le doute, elle n'en suivit aucun, et que Sylvinet marcha dans la route que le bon Dieu lui avait ouverte, sans y rencontrer de quoi le faire verser à droite ou à gauche, et il traîna son petit mal, sans être trop foulé, jusqu'au moment où les amours de Landry firent un éclat, et où Sylvinet vit augmenter sa peine de toute celle qui fut faite à son frère.

XXVIII

Ce fut la Madelon qui découvrit le pot aux roses; et, si elle le fit sans malice, encore en tira-t-elle un mauvais parti. Elle s'était bien consolée de Landry, et, n'ayant pas perdu beaucoup de temps à l'aimer, elle n'en avait guère demandé pour l'oublier. Cependant il lui était resté sur le cœur une petite rancune qui n'attendait que l'occasion pour se faire sentir, tant il est vrai que le dépit chez les femmes dure plus que le regret.

Voici comment la chose arriva. La belle Madelon, qui était renommée pour son air sage et pour ses manières fières avec les garçons, était cependant très-coquette en dessous, et pas moitié si raisonnable ni si fidèle dans ses amitiés que le pauvre grelet, dont on avait si mal parlé et si mal auguré. Adonc la Madelon avait déjà eu deux amoureux, sans compter Landry, et elle se prononçait pour un troisième, qui était son cousin, le fils cadet au père Caillaud de la Priche. Elle se prononça si bien qu'étant surveillée par le dernier à qui elle avait donné de l'espérance, et craignant qu'il ne fît un éclat, ne sachant où se cacher pour causer à loisir avec le nouveau, elle se laissa persuader par celui-ci d'aller babiller dans le colombier où justement Landry avait d'honnêtes rendez-vous avec la petite Fadette.

Cadet Caillaud avait bien cherché la clef de ce colombier, et ne l'avait point trouvée parce qu'elle était toujours dans la poche de Landry; et il n'avait osé la demander à personne, parce qu'il n'avait pas de bonnes raisons pour en expliquer la demande. Si bien que personne, hormis Landry, ne s'inquiétait de savoir où elle était. Cadet Caillaud, songeant qu'elle était perdue, ou que son père la tenait dans son trousseau, ne se gêna point pour enfoncer la porte. Mais, le jour où il le fit, Landry et Fadette se trouvaient là, et ces quatre amoureux se trouvèrent bien penauds en se voyant les uns les autres. C'est ce qui les engagea tous également à se taire et à ne rien ébruiter.

Mais la Madelon eut comme un retour de jalousie et de colère, en voyant Landry, qui était devenu un des plus beaux garçons du pays et des plus estimés, garder, depuis la Saint-Andoche, une si belle fidélité à la petite Fadette, et elle forma la résolution de s'en venger. Pour cela, sans en rien confier à Cadet Caillaud, qui était honnête homme et ne s'y fût point prêté, elle se fit aider d'une ou deux jeunes fillettes de ses amies lesquelles, un peu dépitées aussi du mépris que Landry paraissait faire d'elles en ne les priant plus jamais à danser, se mirent à surveiller si bien la petite Fadette, qu'il ne leur fallut pas grand temps pour s'assurer de son amitié avec Landry. Et sitôt qu'elles les eurent épiés et vus une ou deux fois ensemble, elles en firent grand bruit dans tout le pays, disant à qui voulait les écouter, et Dieu sait si la médisance manque d'oreilles pour se faire entendre et de langues pour se faire répéter, que Landry avait fait une mauvaise connaissance dans la personne de la petite Fadette.

Alors toute la jeunesse femelle s'en mêla, car lorsqu'un garçon de belle mine et de bon avoir s'occupe d'une personne, c'est comme une injure à toutes les autres, et si l'on peut trouver à mordre sur cette personne-là, on ne s'en fait pas faute. On peut dire aussi que, quand une méchanceté est exploitée par les femmes, elle va vite et loin.

Aussi, quinze jours après l'aventure de la tour à Jacot, sans qu'il fût question de la tour, ni de Madelon, qui avait eu bien soin de ne pas se mettre en avant, et qui feignait même d'apprendre comme une nouvelle ce qu'elle avait dévoilé la première à la sourdine, tout le monde savait, petits et grands, vieilles et jeunes, les amours de Landry le besson avec Fanchon le grelet.

Et le bruit en vint jusqu'aux oreilles de la mère Barbeau, qui s'en affligea beaucoup et n'en voulut point parler à son homme. Mais le père Barbeau l'apprit d'autre part, et Sylvain, qui avait bien discrètement gardé le secret de son frère, eut le chagrin de voir que tout le monde le savait.

Or, un soir que Landry songeait à quitter la Bessonnière de bonne heure, comme il avait coutume de faire, son père lui dit, en présence de sa mère, de sa sœur aînée et de son besson: – Ne sois pas si hâteux de nous quitter, Landry, car j'ai à te parler; mais j'attends que ton parrain soit ici, car c'est devant ceux de la famille qui s'intéressent le plus à ton sort, que je veux te demander une explication.

Et quand le parrain, qui était l'oncle Landriche, fut arrivé, le père Barbeau parla en cette manière:

– Ce que j'ai à te dire te donnera un peu de honte, mon Landry; aussi n'est-ce pas sans un peu de honte moi-même, et sans beaucoup de regret, que je me vois obligé de te confesser devant ta famille. Mais j'espère que cette honte te sera salutaire et te guérira d'une fantaisie qui pourrait te porter préjudice.

Il paraît que tu as fait une connaissance qui date de la dernière Saint-Andoche, il y aura prochainement un an. On m'en a parlé dès le premier jour, car c'était une chose imaginante que de te voir danser tout un jour de fête avec la fille la plus laide, la plus malpropre et la plus mal famée de notre pays. Je n'ai pas voulu y prêter attention, pensant que tu en avais fait un amusement, et je n'approuvais pas précisément la chose, parce que, s'il ne faut pas fréquenter les mauvaises gens, encore ne faut-il pas augmenter leur humiliation et le malheur qu'ils ont d'être haïssables à tout le monde. J'avais négligé de t'en parler, pensant, à te voir triste le lendemain, que tu t'en faisais reproche à toi-même et que tu n'y retournerais plus. Mais voilà que, depuis une semaine environ, j'entends dire bien autre chose, et, encore que ce soit par des personnes dignes de foi, je ne veux point m'y fier, à moins que tu ne me le confirmes. Si je t'ai fait tort en te soupçonnant, tu ne l'imputeras qu'à l'intérêt que je te porte et au devoir que j'ai de surveiller ta conduite: car, si la chose est une fausseté, tu me feras grand plaisir en me donnant ta parole et en me faisant connaître qu'on t'a desservi à tort dans mon opinion.

– Mon père, dit Landry, voulez-vous bien me dire de quoi vous m'accusez, et je vous répondrai selon la vérité et le respect que je vous dois.

– On t'accuse, Landry, je crois te l'avoir suffisamment donné à entendre, d'avoir un commerce malhonnête avec la petite fille de la mère Fadet, qui est une assez mauvaise femme; sans compter que la propre mère de cette malheureuse fille a vilainement quitté son mari, ses enfants et son pays pour suivre les soldats. On t'accuse de te promener de tous les côtés avec la petite Fadette, ce qui me ferait craindre de te voir engager par elle dans de mauvaises amours, dont toute ta vie tu pourrais avoir à te repentir. Entends-tu, à la fin?

– J'entends bien, mon cher père, répondit Landry, et souffrez-moi encore une question avant que je vous réponde. Est-ce à cause de sa famille, ou seulement à cause d'elle-même, que vous regardez la Fanchon Fadette comme une mauvaise connaissance pour moi?

– C'est sans doute à cause de l'une et de l'autre, reprit le père Barbeau avec un peu plus de sévérité qu'il n'en avait mis au commencement; car il s'était attendu à trouver Landry bien penaud, et il le trouvait tranquille et comme résolu à tout. C'est d'abord, fit-il, qu'une mauvaise parenté est une vilaine tache, et que jamais une famille estimée et honorée comme est la mienne ne voudrait faire alliance avec la famille Fadet. C'est ensuite que la petite Fadet, par elle-même, n'inspire d'estime et de confiance à personne. Nous l'avons vue s'élever et nous savons tous ce qu'elle vaut. J'ai bien entendu dire, et je reconnais pour l'avoir vu deux ou trois fois, que depuis un an elle se tient mieux, ne court plus avec les petits garçons et ne parle mal à personne. Tu vois que je ne veux pas m'écarter de la justice; mais cela ne me suffit pas pour croire qu'une enfant qui a été si mal élevée puisse jamais faire une honnête femme, et connaissant la grand'mère comme, je l'ai connue, j'ai tout lieu de craindre qu'il n'y ait là une intrigue montée pour te soutirer des promesses et te causer de la honte et de l'embarras. On m'a même dit que la petite était enceinte, ce que je ne veux point croire à la légère, mais ce qui me peinerait beaucoup, parce que la chose te serait attribuée et reprochée, et pourrait finir par un procès et du scandale.

Landry, qui, depuis le premier mot, s'était bien promis d'être prudent et de s'expliquer avec douceur, perdit patience. Il devint rouge comme le feu, et se levant: – Mon père, dit-il, ceux qui vous ont dit cela ont menti comme des chiens. Ils ont fait une telle insulte à Fanchon Fadet, que si je les tenais là, il faudrait qu'ils eussent à se dédire ou à se battre avec moi, jusqu'à ce qu'il en restât un de nous par terre. Dites-leur qu'ils sont des lâches et des païens et qu'ils viennent donc me le dire en face, ce qu'ils vous ont insinué en traîtres, et nous en aurons beau jeu!

– Ne te fâche pas comme cela, Landry, dit Sylvinet tout abattu de chagrin: mon père ne t'accuse point d'avoir fait du tort à cette fille; mais il craint qu'elle ne se soit mise dans l'embarras avec d'autres, et qu'elle ne veuille faire croire, en se promenant de jour et de nuit avec toi, que c'est à toi de lui donner une réparation.

XXIX

La voix de son besson adoucit un peu Landry; mais les paroles qu'il disait ne purent passer sans qu'il les relevât.

– Frère, dit-il, tu n'entends rien à tout cela. Tu as toujours été prévenu contre la petite Fadette, et tu ne la connais point. Je m'inquiète bien peu de ce qu'on peut dire de moi; mais je ne souffrirai point ce qu'on dit contre elle, et je veux que mon père et ma mère sachent de moi, pour se tranquilliser, qu'il n'y a point sur la terre deux filles aussi honnêtes, aussi sages, aussi bonnes, aussi désintéressées que cette fille-là. Si elle a le malheur d'être mal apparentée, elle en a d'autant plus de mérite à être ce qu'elle est, et je n'aurais jamais cru que des âmes chrétiennes pussent lui reprocher le malheur de sa naissance.

– Vous avez l'air vous-même de me faire un reproche, Landry, dit le père Barbeau en se levant aussi, pour lui montrer qu'il ne souffrirait pas que la chose allât plus loin entre eux. Je vois à votre dépit, que vous en tenez pour cette Fadette plus que je n'aurais souhaité. Puisque vous n'en avez ni honte ni regret, nous n'en parlerons plus. J'aviserai à ce que je dois faire pour vous prévenir d'une étourderie de jeunesse. A cette heure, vous devez retourner chez vos maîtres.

– Vous ne vous quitterez pas comme ça, dit Sylvinet en retenant son frère, qui commençait à s'en aller. Mon père, voilà Landry qui a tant de chagrin de vous avoir déplu qu'il ne peut rien dire. Donnez-lui son pardon et l'embrassez, car il va pleurer à nuitée, et il serait trop puni par votre mécontentement.

Sylvinet pleurait, la mère Barbeau pleurait aussi, et aussi la sœur aînée, et l'oncle Landriche. Il n'y avait que le père Barbeau et Landry qui eussent les yeux secs; mais ils avaient le cœur bien gros, et on les fit s'embrasser. Le père n'exigea aucune promesse, sachant bien que, dans les cas d'amour, ces promesses-là sont chanceuses, et ne voulant point compromettre son autorité; mais il fit comprendre à Landry que ce n'était point fini et qu'il y reviendrait. Landry s'en alla courroucé et désolé. Sylvinet eût bien voulu le suivre; mais il n'osa, à cause qu'il présumait bien qu'il allait faire part de son chagrin à la Fadette, et il se coucha si triste que, de toute la nuit, il ne fit que soupirer et rêver de malheur dans la famille.

Landry s'en alla frapper à la porte de la petite Fadette. La mère Fadet était devenue si sourde qu'une fois endormie rien ne l'éveillait, et depuis quelque temps Landry, se voyant découvert, ne pouvait causer avec Fanchon que le soir dans la chambre où dormaient la vieille et le petit Jeanet; et là encore, il risquait gros, car la vieille sorcière ne pouvait pas le souffrir et l'eût fait sortir avec des coups de balai bien plutôt qu'avec des compliments. Landry raconta sa peine à la petite Fadette, et la trouva grandement soumise et courageuse. D'abord elle essaya de lui persuader qu'il ferait bien, dans son intérêt à lui, de reprendre son amitié et de ne plus penser à elle. Mais quand elle vit qu'il s'affligeait et se révoltait de plus en plus, elle l'engagea à l'obéissance en lui donnant à espérer du temps à venir.

– Écoute, Landry, lui dit-elle, j'avais toujours eu prévoyance de ce qui nous arrive, et j'ai souvent songé à ce que nous ferions, le cas échéant. Ton père n'a point de tort, et je ne lui en veux pas; car c'est par grande amitié pour toi qu'il craint de te voir épris d'une personne aussi peu méritante que je le suis. Je lui pardonne donc un peu de fierté et d'injustice à mon endroit; car nous ne pouvons pas disconvenir que ma première petite jeunesse a été folle, et toi-même me l'as reproché le jour où tu as commencé à m'aimer. Si, depuis un an, je me suis corrigée de mes défauts, ce n'est pas assez de temps pour qu'il y prenne confiance, comme il te l'a dit aujourd'hui. Il faut donc que le temps passe encore là-dessus, et, peu à peu, les préventions qu'on avait contre moi s'en iront, les vilains mensonges qu'on fait à présent tomberont d'eux-mêmes. Ton père et ta mère verront bien que je suis sage et que je ne veux pas te débaucher ni te tirer de l'argent. Ils rendront justice à l'honnêteté de mon amitié, et nous pourrons nous voir et nous parler sans nous cacher de personne; mais en attendant, il faut que tu obéisses à ton père, qui, j'en suis certaine, va te défendre de me fréquenter.

– Jamais je n'aurai ce courage-là, dit Landry, j'aimerais mieux me jeter dans la rivière.

– Eh bien! si tu ne l'as pas, je l'aurai pour toi, dit la petite Fadette; je m'en irai, moi, je quitterai le pays pour un peu de temps. Il y a déjà deux mois qu'on m'offre une bonne place en ville. Voilà ma grand'mère si sourde et si âgée, qu'elle ne s'occupe presque plus de faire et de vendre ses drogues, et qu'elle ne peut plus donner ses consultations. Elle a une parente très-bonne, qui lui offre de venir demeurer avec elle, et qui la soignera bien, ainsi que mon pauvre sauteriot…

La petite Fadette eut la voix coupée, un moment, par l'idée de quitter cet enfant, qui était, avec Landry, ce qu'elle aimait le plus au monde; mais elle reprit courage et dit:

– A présent, il est assez fort pour se passer de moi. Il va faire sa première communion, et l'amusement d'aller au catéchisme avec les autres enfants le distraira du chagrin de mon départ. Tu dois avoir observé qu'il est devenu assez raisonnable, et que les autres garçonnets ne le font plus guère enrager. Enfin, il le faut, vois-tu, Landry; il faut qu'on m'oublie un peu, car il y a, à cette heure, une grande colère et une grande jalousie contre moi dans le pays. Quand j'aurai passé un an ou deux au loin, et que je reviendrai avec de bons témoignages et une bonne renommée, laquelle j'acquerrai plus aisément ailleurs qu'ici, on ne nous tourmentera plus, et nous serons meilleurs amis que jamais.

Landry ne voulut pas écouter cette proposition-là; il ne fit que se désespérer, et s'en retourna à la Priche dans un état qui aurait fait pitié au plus mauvais cœur.

Deux jours après, comme il menait la cuve pour la vendange, Cadet Caillaud lui dit:

– Je vois, Landry, que tu m'en veux, et que, depuis quelque temps, tu ne me parles pas. Tu crois sans doute que c'est moi qui ai ébruité tes amours avec la petite Fadette, et je suis fâché que tu puisses croire une pareille vilenie de ma part. Aussi vrai que Dieu est au ciel, jamais je n'en ai soufflé un mot, et mêmement c'est un chagrin pour moi qu'on t'ait causé ces ennuis-là; car j'ai toujours fait grand cas de toi, et jamais je n'ai fait injure à la petite Fadette. Je puis même dire que j'ai de l'estime pour cette fille depuis ce qui nous est arrivé au colombier, dont elle aurait pu bavarder pour sa part, et dont jamais personne n'a rien su, tant elle a été discrète. Elle aurait pu s'en servir pourtant, à seules fins de tirer vengeance de la Madelon, qu'elle sait bien être l'auteur de tous ces caquets; mais elle ne l'a point fait, et je vois, Landry, qu'il ne faut point se fier aux apparences et aux réputations. La Fadette, qui passait pour méchante, a été bonne; la Madelon, qui passait pour bonne, a été bien traître, non-seulement envers la Fadette et envers toi, mais encore avec moi, qui, pour l'heure, ai grandement à me plaindre de sa fidélité.

Landry accepta de bon cœur les explications de Cadet Caillaud, et celui-ci le consola de son mieux de son chagrin.

– On t'a fait bien des peines, mon pauvre Landry, lui dit-il en finissant; mais tu dois t'en consoler par la bonne conduite de la petite Fadette. C'est bien, à elle, de s'en aller, pour faire finir le tourment de ta famille, et je viens de le lui dire à elle-même, en lui faisant mes adieux au passage.

– Qu'est-ce que tu me dis là, Cadet? s'exclama Landry; elle s'en va? elle est partie?

– Ne le savais-tu pas? dit Cadet. Je pensais que c'était chose convenue entre vous, et que tu ne la conduisais point pour n'être pas blâmé. Mais elle s'en va, pour sûr; elle a passé au droit de chez nous il n'y a pas plus d'un quart d'heure, et elle avait son petit paquet sous le bras. Elle allait à Château-Meillant, et, à cette heure, elle n'est pas plus loin que Vieille-Ville, ou bien la côte d'Urmont.

Landry laissa son aiguillon accoté au frontal de ses bœufs, prit sa course et ne s'arrêta que quand il eut rejoint la petite Fadette, dans le chemin de sable qui descend des vignes d'Urmont à la Fremelaine.

Là, tout épuisé par le chagrin et la grande hâte de sa course, il tomba en travers du chemin, sans pouvoir lui parler, mais en lui faisant connaître par signes qu'elle aurait à marcher sur son corps avant de le quitter.

Quand il se fut un peu remis, la Fadette lui dit:

– Je voulais t'épargner cette peine, mon cher Landry, et voilà que tu fais tout ce que tu peux pour m'ôter le courage. Sois donc un homme, et ne m'empêche pas d'avoir du cœur; il m'en faut plus que tu ne penses, et quand je songe que mon pauvre petit Jeanet me cherche et crie après moi, à cette heure, je me sens si faible que, pour un rien, je me casserais la tête sur ces pierres. Ah! je t'en prie, Landry, aide-moi au lieu de me détourner de mon devoir; car, si je ne m'en vas pas aujourd'hui, je ne m'en irai jamais, et nous serons perdus.

– Fanchon, Fanchon, tu n'as pas besoin d'un grand courage, répondit Landry. Tu ne regrettes qu'un enfant qui se consolera bientôt, parce qu'il est enfant. Tu ne te soucies pas de mon désespoir; tu ne connais pas ce que c'est que l'amour; tu n'en as point pour moi, et tu vas m'oublier vite, ce qui fait que tu ne reviendras peut-être jamais.

– Je reviendrai, Landry; je prends Dieu à témoin que je reviendrai dans un an au plus tôt, dans deux ans au plus tard, et que je t'oublierai si peu que je n'aurai jamais d'autre ami ni d'autre amoureux que toi.

– D'autre ami, c'est possible, Fanchon, parce que tu n'en retrouveras jamais un qui te soit soumis comme je le suis; mais d'autre amoureux, je n'en sais rien: qui peut m'en répondre?

– C'est moi qui t'en réponds!

– Tu n'en sais rien toi-même, Fadette, tu n'as jamais aimé, et quand l'amour te viendra, tu ne te souviendras guère de ton pauvre Landry. Ah! si tu m'avais aimé de la manière dont je t'aime, tu ne me quitterais pas comme ça.

– Tu crois, Landry? dit la petite Fadette en le regardant d'un air triste et bien sérieux. Peut-être bien que tu ne sais ce que tu dis. Moi, je crois que l'amour me commanderait encore plus ce que l'amitié me fait faire.

– Eh bien, si c'était l'amour qui te commande, je n'aurais pas tant de chagrin. Oh! oui, Fanchon, si c'était l'amour, je crois quasiment que je serais heureux dans mon malheur. J'aurais de la confiance dans ta parole et de l'espérance dans l'avenir; j'aurais le courage que tu as, vrai!.. Mais ce n'est pas de l'amour, tu me l'as dit bien des fois, et je l'ai vu à ta grande tranquillité à côté de moi.

– Ainsi tu crois que ce n'est pas l'amour; dit la petite Fadette; tu en es bien assuré?

Et, le regardant toujours, ses yeux se remplirent de larmes qui tombèrent sur ses joues, tandis qu'elle souriait d'une manière bien étrange.

– Ah! mon Dieu! mon bon Dieu! s'écria Landry en la prenant dans ses bras, si je pouvais m'être trompé!

– Moi, je crois bien que tu t'es trompé, en effet, répondit la petite Fadette, toujours souriant et pleurant; je crois bien que, depuis l'âge de treize ans, le pauvre Grelet a remarqué Landry et n'en a jamais remarqué d'autre. Je crois bien que, quand elle le suivait par les champs et par les chemins, en lui disant des folies et des taquineries pour le forcer à s'occuper d'elle, elle ne savait point encore ce qu'elle faisait, ni ce qui la poussait vers lui. Je crois bien que, quand elle s'est mise un jour à la recherche de Sylvinet, sachant que Landry était dans la peine, et qu'elle l'a trouvé au bord de la rivière, tout pensif, avec un petit agneau sur ses genoux, elle a fait un peu la sorcière avec Landry, afin que Landry fût forcé à lui en avoir de la reconnaissance. Je crois bien que, quand elle l'a injurié au gué des Roulettes, c'est parce qu'elle avait du dépit et du chagrin de ce qu'il ne lui avait jamais parlé depuis. Je crois bien que, quand elle a voulu danser avec lui, c'est parce qu'elle était folle de lui et qu'elle espérait lui plaire par sa jolie danse. Je crois bien que, quand elle pleurait dans la carrière du Chaumois, c'était pour le repentir et la peine de lui avoir déplu. Je crois bien aussi que, quand il voulait l'embrasser et qu'elle s'y refusait, quand il lui parlait d'amour et qu'elle lui répondait en paroles d'amitié, c'était par la crainte qu'elle avait de perdre cet amour-là en le contentant trop vite. Enfin je crois que, si elle s'en va en se déchirant le cœur, c'est par l'espérance qu'elle a de revenir digne de lui dans l'esprit de tout le monde, et de pouvoir être sa femme, sans désoler et sans humilier sa famille.

Cette fois Landry crut qu'il deviendrait tout à fait fou. Il riait, il criait et il pleurait; et il embrassait Fanchon sur ses mains, sur sa robe; et il l'eût embrassée sur ses pieds, si elle avait voulu le souffrir; mais elle le releva et lui donna un vrai baiser d'amour dont il faillit mourir; car c'était le premier qu'il eût jamais reçu d'elle, ni d'aucune autre, et, du temps qu'il en tombait comme pâmé sur le bord du chemin, elle ramassa son paquet, toute rouge et confuse qu'elle était, et se sauva en lui défendant de la suivre et en lui jurant qu'elle reviendrait.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
210 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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