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Kitabı oku: «Le secrétaire intime», sayfa 11

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XVIII

Pendant le reste de la nuit, Saint-Julien fut en proie à des angoisses plus vives que toutes celles qu'il avait déjà éprouvées. Décidément il méprisait Quintilia; car la découverte de cette dernière turpitude confirmait toutes les autres. Pour mentir ainsi, il fallait avoir l'assurance que donne une longue carrière de vices. «Mais, se disait Saint-Julien, pourquoi prendre tant de soin aven moi et si peu avec les autres? Pourquoi ne s'est-elle pas confiée à moi comme elle se confie à Spark? Elle ne le connaît pas, et elle se jette dans ses bras aujourd'hui sans avoir le moindre souci du mépris qu'il aura pour elle demain matin. Assez orgueilleuse pour repousser les insolentes prétentions de Gurck et de Steinach, elle se livre le même soir à un pauvre étudiant dont elle sait à peine le nom. Pourquoi ne s'est-elle pas montrée à moi telle qu'elle est? Je l'aurais aimée peut-être, et du moins l'affection que j'aurais eue pour elle ne m'aurait pas rendu malheureux. Franche, hardie et galante, je l'aurais aimée comme un homme. J'aurais été discret comme la Ginetta, s'il l'avait fallu; et du moins, lorsque j'aurais causé avec elle, je n'aurais pas été sur un continuel qui-vive. Je n'aurais pas joué un rôle ridicule; je ne me serais pas laissé subjuguer par de fausses vertus. Une telle femme ne m'eût pas inspiré d'amour; mais, du moment qu'elle m'aurait loyalement avoué ses faiblesses, je ne me serais pas cru en droit de la mépriser. Par combien de hautes facultés et de qualités nobles ne pouvait-elle pas racheter un vice! J'aurais été tolérant, l'amitié peut l'être. Croyait-elle ne pouvoir faire de moi son ami sans monter sur un piédestal et sans diviniser en elle la boue humaine? Elle n'est pas si craintive, elle qui fait gloire de pardonner à ceux que les hommes condamnent. Croyait-elle pouvoir se farder de tant de perfections sans me forcer à l'aimer passionnément? Oh! elle n'est pas si ingénue; elle sait ce qu'elle veut et ce qu'elle peut. Mais que voulait-elle de moi? Elle m'a pris par caprice comme elle avait pris Dortan, comme elle prend Spark; et pourtant elle n'a pas fait de moi son amant. Elle m'a traité comme un personnage politique dont l'estime lui serait utile, et elle a mis en œuvre toute l'habileté d'une fille de Satan pour me fermer les yeux à l'évidence. Oh! la savante comédie que de me jeter une clef qui ouvrait sans doute un coffre vide, et de me dire tout ce qui devait empêcher un homme d'honneur de la ramasser! Elle a pleuré vraiment! et moi aussi. Ô dérision! Est-ce ainsi, mon Dieu, qu'on se joue de ceux qui croient en votre nom! Mais enfin pourquoi ces raffinements d'hypocrisie avec moi? Elle laisse croire aux autres tout ce que bon leur semble; elle ne s'est jamais expliquée avec Galeotto, et c'est pour moi seul qu'elle s'impose un rôle si magnifique.»

Julien rentra au palais et se retourna cent fois dans son lit, cherchant toujours une réponse à cette question. Il n'en trouva pas d'autre que celle que Galeotto lui avait faite: c'est que Quintilia, en femme raffinée voulait essayer de tout, même de ce dont elle n'était pas capable; c'est qu'elle voulait satisfaire sa vanité ou sa curiosité en inspirant un véritable amour, en contemplant du sein de la débauche le spectacle, nouveau pour elle, des souffrances timides d'un cœur pur. Ce n'était qu'un essai à faire, une scène ou deux a bien jouer, un amusement à se donner gratis; c'était une partie engagée avec un partenaire qui mettait tout son avoir et qui devait perdre ou gagner sans qu'elle risquât rien au jeu.

Cette idée transporta Julien de colère; il ne put dormir et alla courir les bois toute la journée. Il aperçut Spark dans un sentier et s'éloigna précipitamment. Il ne savait plus que penser de son ami. Tantôt il le regardait comme un intrigant spirituel, capable de parler des jours entiers sur la vertu, mais capable aussi de frayer gaiement avec le vice; tantôt il le regardait comme un intrigant plus fourbe que Quintilia elle-même et faisant pour elle le métier d'espion.

Il rentra le soir, harassé de fatigue, et monta à sa chambre, incertain s'il se coucherait ou s'il se ferait servir à souper. Il trouva sa porte fermée en dedans au verrou, et une espèce de voix de bal masqué lui glissa qui est là? au travers de la serrure.

«Parbleu! qui est là vous-même? répondit-il, je suis moi, et je veux rentrer chez moi.»

Aussitôt la parte s'ouvrit, et il recula de surprise en voyant Galeotto. «Silence! pas d'exclamations! dit le page; j'ai trouvé plaisant de me cacher dans le palais même et de choisir ta chambre pour mon asile. Je me suis glissé, avec la nuit, par les jardins, et j'ai pris le petit escalier. Me voici installé, personne ne s'en doute; mais que Dieu te maudisse pour m'avoir fait attendre ainsi ton retour! Je n'ai pas soupé, je meurs de faim. Ah ça! toi qui peux circuler dans les corridors, va me chercher bien vite quelque perdrix froide aux citrons, avec deux ou trois bouteilles du meilleur vin qui te tombera sous la main; et si dans ton chemin tu vois passer quelque gelée aux roses ou quelque pastèque confite d'Alexandrie, ne néglige pas de t'approprier ces douceurs. Un page italien ne se nourrit pas comme un groom anglais; et depuis que j'ai changé de régime, je me sens tout spleenétique.»

Saint-Julien ne fut pas fâché de retrouver son malicieux compagnon; l'ironie était la seule distraction dont il se sentît capable en cet instant. Il se glissa dans les offices, et revint avec un faisan, deux bouteilles de vin de Chypre et un gâteau de pistaches.

Ils fermèrent les fenêtres, baissèrent les rideaux et poussèrent tous les verrous, après quoi ils se mirent à souper. Les railleuses folies de Galeotto et la chaleur du vin fouettèrent peu à peu les esprits de Julien, et, au lieu de s'endormir sur sa chaise, comme d'abord il en avait menacé son compagnon, il tomba dans un état d'exaltation moitié fébrile et moitié bachique qui divertit singulièrement le malin page. Après une heure de babil, il se calma tout à coup, et devint si sombre que Galeotto, n'en pouvant plus tirer une parole, prit le parti de se jeter sur le lit et de s'assoupir.

Saint-Julien ressentait d'assez vives douleurs à la tête et à la poitrine; mais il était tout à fait dégrisé, il ne lui restait qu'une exaltation nerveuse qui le disposait à la colère.

«Non, se disait-il en marchant lentement dans sa chambre, à la lueur rouge d'une lampe prête à s'éteindre, non, il n'en sera pas ainsi. Je n'aurai pas été pris pour jouet et pour passe-temps; on ne m'aura pas mis dans une collection pour me regarder à la loupe comme un des insectes de M. Cantharide; je ne m'en irai pas sottement promener au loin la blessure que m'a faite une flèche empoisonnée, tandis qu'on fera la description de mon cerveau lunatique et la dissection de mes phrases de roman entre une séance métaphysique et une joyeuse prouesse de nuit. Je ne laisserai pas incruster l'épisode du secrétaire intime dans les annales galantes de la cour ou dans les mémoires secrets de la princesse. Si M. Spark ou quelque autre rédige le chapitre, je veux lui fournir un dénouement digne de l'exposition. Voyons! voyons! Galeotto, ne dors pas comme une huître, et dis-moi la première parole qu'on adresse à une princesse quand on sort de dessous son lit.

– Ah! c'est selon, dit Galeotto en bâillant; on se jette à genoux et on demande pardon d'une voix étouffée; ou bien, et c'est le mieux, on ne dit rien, et on demande pardon plus tard.

– Si elle crie, que fait-on?

– Fi donc! est-ce qu'une femme crie?

– Mais si elle se met en colère?

– Est-ce qu'on est un sot?

– On n'en est pas dupe, bien. Mais si la crainte d'être surprise et l'inopportunité du moment lui donnaient de la vertu…

– Quand on a entrepris de pareilles choses, on n'hésite pas, quels que soient les premiers obstacles. Être insolent à demi, c'est faire la plus sotte figure possible; il vaudrait cent fois mieux ne l'être pas du tout. En toutes choses, pour réussir il faut oser; et quand on est audacieux on a quatre-vingt-dix-neuf chances pour soi, tandis que la vertu des femmes n'en a qu'une.

– Soit… Bonsoir, Galeotto. Dans une heure j'aurai disparu comme Max le bâtard, ou je serai vengé comme il convient à un homme.

– Par le diable! es-tu devenu fou, Julien? Où vas-tu? qu'as-tu dans la cervelle?

– De quoi parlons-nous depuis deux heures?

– Ma foi! je n'en sais rien. Nous parlons sans rien dire, en conséquence de quoi tu vas te faire assassiner.

– Il me faut ce danger pour me donner du cœur. Si ce n'était pas un acte de témérité, ce serait une lâcheté insigne. Je n'aurais jamais le courage d'embrasser cette femme si je n'y risquais pas un coup de poignard.

– Et si tu n'avais pas bu une dose exorbitante de vin de Chypre. Est-ce que ces entreprises-là te conviennent? Allons donc! tu es fou Julien. Regarde-moi en face, ne me vois-tu pas double?»

Julien s'arrêta et le regarda en face.

«Ma foi! tu me fais peur, dit le page, tu as l'air d'un spectre très-sournois. Mais songe que si tu n'es gris qu'à demi… il y a encore du vin, achève la bouteille.

– Je ne suis pas gris du tout, dit Julien; je suis offensé. Je veux me venger, voilà tout.

– Eh bien! s'écria Galeotto, tu as raison. Par la barbe que j'aurai peut-être un jour, c'est une idée que tu as là! Si j'étais dans la même position que toi, je l'aurais déjà risqué. Pour moi qui veux réussir pour mon compte, c'est bien différent. Mais tu es trop vertueux, toi, pour y chercher autre chose qu'une sainte vengeance. Va, mon fils, et que Dieu te protège! Mais prends mon stylet et laisse-moi aller avec toi jusqu'à la porte.

– Non, dit Julien, il ne faut pas qu'on te voie; et quant à ce poignard, si je l'avais, je serais trop tenté d'assassiner la femme au lieu de l'embrasser.

– Un instant, un instant! pour Dieu, un instant! dit Galeotto, c'est une idée plaisante; mais ne te dépêche pas comme si c'était une idée raisonnable.

– Était-ce une idée raisonnable que de jeter l'argent au nez du trésorier et de partir les mains vides? Je puis bien risquer ma vie pour sauver mon honneur, quand vous sacrifiez votre fortune pour satisfaire votre vanité. Allons, c'est assez.

– Mais, Saint-Julien, songez un peu à ce que vous allez dire d'abord. Ne soyez pas impertinent pour commencer. Flattez, pleurez, et puis tombez dans le délire; sanglotez, menacez, demandez pardon, et que des paroles humbles et suppliantes fassent passer les actions les plus hardies. Entendez-vous, Saint-Julien? c'est le rôle que vous devez jouer. Si vous preniez un air de matamore, cela ne vous irait pas du tout, et elle verrait que vous vous moquez. Laissez-lui croire jusqu'à la fin que c'est elle qui se moque de vous; et quand elle vous aura pris en pitié, quand elle croira que vous êtes transporté de joie et de reconnaissance, alors dites tout ce que vous voudrez. La colère parle toujours bien, mais elle écrit encore mieux. Écrivez, Julien, et sauvez-vous.

– Oui, demain, répondit Saint-Julien.

– Et ce soir priez et sanglotez.

– Laissez-moi faire, je n'aurai qu'à me rappeler ce que j'ai été, et je dirai mon amour passé comme on récite un rôle; adieu.»

Il prit la lumière, et, sans faire attention à Galeotto, qui continuait à lui donner ses instructions, il sortit et le laissa dans l'obscurité.

À peine le page fut-il seul, qu'il se demanda si Julien ne faisait pas la plus grande sottise du monde. Il l'avait un peu poussé pour voir comment l'événement justifierait ses idées générales sur les femmes, qu'il jugeait depuis longtemps et ne connaissait pas encore, et pour savoir quelle dose de fierté et d'effronterie possédait Quintilia. Il s'était promis de profiter également des succès ou des fautes de Saint-Julien, et il n'était pas fâché de le voir se mettre en avant et accaparer tous les dangers de l'entreprise.

Néanmoins la peur le prit en songeant qu'au cas où Saint-Julien ferait une maladresse, il serait perdu par contre-coup, si on le trouvait dans sa chambre. Il pouvait passer pour son complice; et quoique Galeotto eût souvent traité l'histoire de Max de conte de bonne femme, il y croyait fermement. Il n'était pas très-brave, et sa délicate constitution excusait assez cette faiblesse d'esprit. Il songea donc à se mettre au large pour commencer et à s'enfuir par le petit escalier; mais, à sa grande surprise, il le trouva fermé en dehors, et tous ses efforts pour ébranler la porte furent inutiles; alors il se décida à traverser l'intérieur du palais, au risque d'être rencontré et reconnu dans les corridors. Il n'y avait probablement pas d'ordre donné contre lui, et dès qu'il aurait gagné les jardins, il était bien sûr de s'échapper; mais une secrète terreur le pénétra lorsqu'il vit que Saint-Julien, dans sa distraction, avait fermé la porte en dehors en retirant la clef. Il fallut se résigner à l'attendre, et il se rassura un peu en se disant que Saint-Julien était capable de revenir amoureux après s'être prosterné devant la princesse. «Au fait, se dit-il, j'aurais une bien pauvre idée de Quintilia si elle ne réussissait à jouer encore une fois un fou qui a la bonté de la prendre au sérieux.»

XIX

Saint-Julien se glissa par des passages dérobés jusqu'au cabinet de toilette de la princesse. Il l'ouvrit sans bruit, traversa dans l'obscurité la chambre à coucher, et s'approcha avec précaution de son cabinet de travail, d'où il voyait s'échapper par la porte entr'ouverte un pâle rayon de lumière. En appliquant son visage à cette fente, il put voir et entendre ce qui se passait dans le cabinet.

Quintilia était couchée dans un hamac de soie des Indes. Elle était vêtue d'une robe ample et légère, et ses cheveux dénoués tombaient sur ses épaules nues. La Ginetta, assise sur un pliant, balançait mollement le hamac, dont elle tenait les tresses d'argent dans sa main. Une lampe d'albâtre suspendue au plafond répandait une lueur voluptueuse, et des parfums exquis s'exhalaient d'un réchaud de vermeil allumé au milieu de la chambre.

«Je suis horriblement lasse, dit la princesse; parle-moi, Ginetta, empêche-moi de m'endormir.

– Vous menez une vie trop rude, répondit la soubrette. Tout le jour aux affaires et toute la nuit aux amours. À peine dormez-vous quatre heures le matin. Certes, ce n'est pas assez.

– Tu parles pour toi, ma pauvre enfant, et tu as raison. Je te fais courir toute la nuit, et tu dois souvent me maudire. Mais ne peux-tu dormir le jour, toi qui n'as rien à gouverner?

– Ah! Madame, qui est-ce qui n'a pas ses soucis?

– Est-ce que tu as des soucis, toi? Voilà déjà que tu es consolée de la perte de Galeotto.

– Comment ne le serais-je pas? un monstre qui nous calomnie toutes deux!

– Ginetta, Ginetta! vous êtes une volage, et vous avez raison si cela vous sauve des chagrins. Je ne me mêle pas de vos sentiments; je ne sais si vous êtes blâmable, mais je ne veux voir en vous que ce qu'il y a de bon: votre discrétion à toute épreuve, votre dévouement.

– Et ma reconnaissance, dit la Ginetta; car je vous en dois une bien grande.

– Et pourquoi, mon enfant?

– Parce que vous avez été bonne envers moi, et c'est tout ce que je sais de vous. Je ne m'occupe pas du reste; et quand je ne comprends pas, je ne cherche pas à comprendre. Ah! Madame, voilà que vous vous endormez!

– Vraiment, je ne puis m'en empêcher. Écoute, Ginetta, quelle est l'heure qui sonne?

– Minuit.

– Eh bien! puisque nous ne partons qu'à une heure, j'aime mieux dormir ce peu de temps et me réveiller après, quoi qu'il m'en coûte, que de lutter ainsi contre la fatigue. Laisse-moi donc m'assoupir, et réveille-moi quand il le faudra.

En ce cas je vais m'occuper dans ma chambre; car si je reste ici dans ce demi-jour, je vais m'endormir aussi.

– Va, mon enfant, et sois toujours bonne et fidèle.»

Saint-Julien entendit Ginetta sortir par la porte opposée et la refermer sur elle. Il attendit trois minutes, et quand il se fut assuré que la princesse commençait à s'endormir, il entra sur la pointe du pied et s'approcha d'elle.

Maintenant qu'il ne l'aimait plus et qu'il la regardait comme une courtisane, il était plus effrayé qu'enivré des voluptés qui semblaient nager autour d'elle; et en même temps qu'un trouble pénible oppressait sa poitrine, un sentiment de curiosité avide l'excitait à l'insolence. Il pouvait compter les pulsations de son cœur et respirer son haleine embrasée. En se laissant aller à ses impressions naturelles, il sentait un mélange de désir et de crainte; mais lorsqu'il se rappelait l'amour insensé qu'il avait eu pour cette femme, il ne sentait plus que le besoin de la vengeance. Cependant, tout en contemplant cette figure noble, embellie par le calme du sommeil, il se prit malgré lui à douter de l'infamie dont il la croyait marquée au front. Ce front était si pur, si uni sous ses longs cheveux noirs; cette attitude accablée marquait tant d'oubli du moment présent, tant d'insouciance de ce qui se passait dans l'âme de Julien, qu'il fut comme frappé d'un respect involontaire. Il la regardait attentivement, cherchant à surprendre, dans le secret de ses rêves, dans l'agitation de son sein, la révélation immédiate d'un caractère avili et d'une habitude de dépravation. Une syllabe furtive échappée de ses lèvres, un soupir lascif, eussent suffi pour lui donner l'insolence qui lui manquait; mais un sommeil tranquille ressemble tellement à l'innocence, que Saint-Julien fut un instant sur le point de se retirer sans bruit et de renoncer à son entreprise.

Cependant le souvenir de Galeotto, qui l'attendait et qui se moquerait de lui, le fit rougir de sa timidité; et songeant que les moments étaient précieux, il résolut de déposer un baiser sur les lèvres de Quintilia; mais en vain il se pencha vers elle, il ne put s'y décider, et il se contenta de baiser sa main.

«Qu'est-ce donc? lui dit-elle en s'éveillant sans trop de surprise et sans la moindre frayeur.

– C'est celui qui vous aime et qui se meurt pour vous, lui répondit-il.

– Julien! dit-elle en se soulevant sur un bras, comment cela se fait-il? quelle heure est-il? où sommes-nous? qui a pris ma main? que veux-tu et que dis-tu?

– Je dis qu'il faut que vous ayez pitié de moi ou que je meure,» dit Julien en se jetant à ses pieds et en essayant de reprendre sa main; mais elle la lui tendit d'elle-même, et lui dit avec douceur:

«Eh! mon Dieu! que t'est-il arrivé, mon pauvre enfant? D'où vient que tu es entré ici? Quel malheur te menace? Que puis-je faire pour toi?

– Ne le savez-vous pas?

– Non, je ne sais rien; je dormais. Que se passe-t-il? que t'a-t-on fait?

– Ah! s'écria Julien, dominé par l'indignation, vous êtes fort habile, en vérité; vous feignez de ne pas savoir les choses les plus simples, et pourtant…

– Et pourtant quoi?» dit Quintilia stupéfaite en se mettant sur son séant.

Alors, s'apercevant qu'elle avait les épaules nues, elle n'en témoigna pas un grand trouble et lui dit: «Mon cher enfant, je te prie de me donner un châle, et puis tu m'expliqueras ce qui t'afflige et te trouble si fort.»

Saint-Julien pensa qu'elle ne lui demandait son châle que pour qu'il songeât à admirer ses épaules. Il l'entoura de ses bras en s'écriant: «Restez ainsi, restez ainsi, écoutez-moi!

– Julien! vous êtes égaré, lui dit-elle en le repoussant avec douceur; il est impossible que vous n'ayez pas quelque chose d'extraordinaire: dites-moi donc vite ce que c'est; car vous m'effrayez, et je ne vous reconnais plus.

– Bon! pensa Julien, elle fait semblant d'oublier son châle; elle fait semblant de ne pas me comprendre pour que je m'enhardisse davantage. Elle veut avoir l'air de se laisser surprendre; le moment est venu, et elle m'aide merveilleusement.

– Ô Quintilia! s'écria-t-il, ne sais-tu pas que je t'adore et que je perds la raison en voulant essayer de me vaincre? Ne sais-tu pas que cela est au-dessus des forces humaines, et qu'il faut te fléchir ou mourir?»

En même temps qu'il la serrait dans ses bras, il sentit s'allumer en lui les feux du désir; et, oubliant sa haine et son ressentiment, il n'eut plus besoin de feindre. Il la conjura avec ardeur; il déroba sur ses bras nus des baisers brûlants; et comme elle le repoussait sans colère et cherchait à le ramener à la raison par des paroles affectueuses et compatissantes, il crut qu'il pouvait s'enhardir, et il employa la force pour baiser ses cheveux flottants sur son cou. Mais il n'avait pas prévu ce qui arriva.

La princesse se leva tout à coup, et, l'éloignant d'un bras vigoureux, lui dit d'un ton où l'étonnement dominait encore la colère: «Est-ce que votre respect et votre amitié étaient un jeu? aviez-vous donc résolu d'agir ainsi?

– J'ai résolu de vous vaincre, dussé-je expier mon crime par mille morts,» répondit Julien avec exaspération; et se flattant de bien suivre le conseil de Galeotto en redoublant de hardiesse, il l'entoura de nouveau de ses bras.»

Mais la Quintilia était aussi grande et aussi forte que lui: c'était une femme d'une vigueur peu commune et d'un caractère ferme et violent quand on la poussait à bout. Elle le saisit à la gorge et la lui serra d'une main si virile, qu'il tomba pâle et suffoqué à ses pieds. Alors elle s'élança sur lui, lui mit un genou sur la poitrine, et avant qu'il eût eu le temps de se reconnaître, elle fit briller au-dessus de son visage la lame du poignard qui ne la quittait jamais. Saint-Julien pensa à Max et fit un effort pour se dégager. Elle lui posa la pointe du poignard sur les artères du cou en lui disant: «Si tu fais un mouvement, tu es mort.» Et de l'autre main elle agita précipitamment la sonnette dont la torsade dorée pendait du milieu du plafond jusque sur le hamac. Saint-Julien essaya encore de se dégager; il sentit l'acier entrer légèrement dans sa chair, et quelques gouttes chaudes de son sang humecter sa poitrine. «Chien que vous êtes! lui dit Quintilia avec l'accent de la colère et du mépris, prenez soin de votre vie; épargnez-moi le dégoût de vous tuer moi-même.»

Des pas précipités se firent entendre. La sonnette que la princesse avait ébranlée appelait ordinairement dans la chambre de Ginetta; mais, quand elle était secouée avec force, elle donnait l'alarme aux valets couchés dans une autre pièce. En entendant venir ces témoins de sa honteuse défaite, et peut-être ces vengeurs de la princesse outragée, Saint-Julien fit un dernier effort et se dégagea; il en fut quitte pour une coupure peu profonde; et, gagnant la porte par laquelle il était entré, il s'enfuit à toutes jambes.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
230 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
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