Kitabı oku: «Le Ciel De Nadira», sayfa 7
“ Willaume, nous parlions uniquement parce que le souffle fait partie de la compensation. ” justifia Tancred avec ironie, justement celui qui doutait du fait que personne n’était intervenu.
“ Tancred Longue Chevelure, un jour tu m’expliqueras pourquoi ils vous appellent ainsi. ” répondit Willaume, ou mieux William d’Haute-ville.
“ Longues Chevelure était mon grand-père… j’ai seulement hérité de son nom. ”
Il regarda ensuite le plus gros de tous et immédiatement après, Conrad juste à côté.
“ Roul Poing Dur, ce que vous faites pour ce jeune garçon est honorable. ”
“ Willaume, quelque chose de plus fort que le sang me lie à mon frère Rabel. ”
“ cela démontre que derrière cette hache il y a un cœur… ”
“ De toute façon je veux que vous sachiez que je proviens des tentes des gardes…. Et cela a déplu même à Harald. ”
“ Je crois que la chose n’a plu à personne. On ne peut pas humilier un capitaine de cette façon ” répéta Tancred.
“ Je suis sûr que si j’avais été à la place de Arduin vous ne seriez pas resté là à regarder. ”
“ Tu peux le dire bien fort, Willaume ! ” insista Geuffroi.
“ Mais ça aurait été un suicide ” Aujourd’hui, même Arduin le savait. ” ” Pour Arduin ça sera un suicide même s’il intervenais demain… ou après demain… ou dans un mois. ” renforça quelqu’un d’autre à peine arrivé.
Il s’agissait de Drogon, pour tous Dreu, frère cadet de William. Dans la pénombre du coucher du soleil, car il tournait les épaules à la lumière du crépuscule, ils le reconnurent immédiatement par le symbole de la maison des nobles normands du cours bas de la Seine, cousu sur sa tunique ; au moins cinquante le suivaient et cela commençait à ressembler au prélude d’une révolte.
Eh oui, les conscrits d’Arduin une fois morts, ne valent même pas l’engrais pour le champ. ” répondit William.
“ Mais ce qui est certain c’est que Guaimar ne restera pas immobile quand la nouvelle arrivera à Salerne. Je suis sûr qu’il décidera pour nous, la même chose que pour Arduin. Et donc, Maniakes ne devra pas faire front uniquement avec les conscrits d’Arduin et avec ses quelques fidèles, mais avec le terrible contingent normand… et Dieu seul sait combien ils nous craignent ! ” expliqua Drogon.
“ Et les gardes ? Les gardes du corps personnels de l’Empereur Michel de quel côté seront-ils ? ” demanda Geuffroi.
“ Harald Hardrada et ses hommes ne sont pas très différents de nous et des raisons qui nous poussent à la guerre. Et je ne le dis pas unique-ment parce que nous partageons les mêmes noëls parmi les landes du nord, je le dis parce que je les ai entendus parler. Que Dieu me punisse si je me trompe ! Si Harald sent que sa compensation est menacée, Maniakes devra également les affronter. ” expliqua William.
“ Que devons-nous donc faire ? ” demanda Geuffroi confus.
“ Pour l’instant, rien, Maniakes sera déjà informé de notre assemblée improvisée – ses informateurs sont partout dans l’armée, et même par-mi nous – il sera certainement en train d’évaluer la pire des hypothèses, ou le boycottage de cette guerre de la part de tous les contingents auxiliaires. Attendons prudemment ce qui arrivera. Attendons de voir la ré-action d’Arduin. Toutefois, nous ne pouvons pas risquer d’être pris de surprise par ce loup grec… donc, William exposa ses directives ; mes frères, n’enlevez pas votre armature et restez toujours unis parmi vous. Laissez tomber le vin durant cette nuit et que uniquement celui qui titube plus quand il est sobre, que quand il est ivre, ne s’attache à la cuve. Ne vous découvrez pas de vos vêtements pour aller avec les femmes. Dormez chacun à votre tour et soyez toujours à jour avec mes dispositions. ” cependant la manière dont il parlait semblait plus un conseil donné entre amis.
Puis, il reprit et dit :
“ Cette nuit sera longue, mais nous ne violerons pas les règles d’engagement jusqu’à ce que nous ne n’aurons l’assurance du même respect de la part des autres de l’autre côté. Certains d’entre nous ont déjà com-battus les romioi dans le passé… ils savent de quoi je parle, quand je dis qu’il ne faut rien sous évaluer, en temps de paix comme en temps de guerre. Chacun à sa tente, mes frères, mais ne dormez pas profondément ! ”
L’assemblée improvisée, comme elle était définie par William, se dissout après ses paroles. Ça devait être une longue nuit, une de celles qui portent à la prise de décisions, une de celles qui font partie des insomnies des guerriers toujours prêts à tout. Chacun pris son arme de guerre et la posa à côté de son propre coussin, ainsi que l’habituel poignard caché parmi les vêtements.
Dans tout cela, Conrad semblait être le plus préoccupé, et non pas, parce qu’il ne possédait pas d’arme, ou parce qu’à son jeune âge tout semblait plus grand et plus effrayant, mais parce qu’il craignait devoir partir en vitesse sans pouvoir saluer une dernière fois son père.
Chapitre 13
Hiver 1060 (452 de l’hégire), dans les remparts de Qasr Yanna
Un jour et une nuit étaient à peine passés depuis que Mohammed ibn al-Thumna avait dévasté le Rabaḍ et capturé Nadira. Les envoyés d’Ali al-Ḥawwās étaient descendus de la montagne pour vérifier la nature de ces incendies aperçus durant l’obscurité de la nuit, mais cela avait été inutile ; tout comme les dix hommes du Qā’id qui étaient partis, immédiatement après à la recherche de Nadira et de ses ravisseurs.
Une fois enterré les dix pauvres hommes tués à l’épée par les cou-peurs de gorge du Qā’id de Catane, surtout les guetteurs et les gardes, toute la population commença à faire ses bagages en proie à une psy-chose générale. Une longue procession d’hommes, de femmes et d’enfants, mais aussi d’animaux et de chars traînés par des mulets, ou manuellement montait vers les remparts de Qasr Yanna, là où ils auraient pu trouver la protection dont ils avaient manqué au Rabaḍ. Arrivés au delà des remparts ils commencèrent à s’installer au mieux, là où ils pouvaient : ceux qui avaient de la famille demandaient l’hospitalité, ceux qui n’avaient personne s’installaient près des habitations, en construisant des abris de fortune. Même Alfeo suivi la masse et préféra déposer sa houe pour trouver refuge à Qasr Yanna.
Corrado, affaibli et pas encore en forme, affrontait les séquelles de la fièvre. Maintenant, persuadé par Apollonia, il avait mis de côté son dé-sir de vengeance et avait donné une priorité à tout ce qu’il y avait à faire pour sa nouvelle installation. Alfeo et ses enfants, comme d’ha-biles bédouins, montaient les tentes près des potagers cultivés à l’intérieur des remparts et en face d’un des fameux jardins de Qasr Yanna, ce fut justement là que dans l’après-midi il reçut une visite.
Umar avança pompeux et dominateur, et lorsqu’il s’approcha de la tente des chrétiens du Rabaḍ il en démoli une partie pour y accéder, sans se préoccuper de demander la permission.
“ Corrado, sors de là, hurla t’il
L’autre était là prêt à allumer le feu, tandis que la famille l’entourait dans l’attente de pouvoir finalement réchauffer leurs mains gelées.
Corrado leva les yeux, le regarda et répondit calmement :
“ Juste le temps que je termine avec le feu. ”
“ Sors de là… immédiatement ! ” ordonna de nouveau Umar, cette fois en tenant sa tête là où deux jours avant il avait été frappé.
“ Attends-moi aux jardins. ”
“ Qu’est-ce qu’il peut bien encore vouloir de nous ? ” demanda Caterina avec inquiétude.
“ C’est bien comme je te disais, avec ton geste tu as détruis notre sérénité. ” confirma Alfeo.
“ Évidemment le fait que Michele lui ait sauvé la vie n’a pas été suffisant pour une bête comme lui ! ” répondit Corrado.
“ Modère les termes, et montre-toi soumis ! Dit Alfeo.
Toutefois Corrado attrapa le couteau avec lequel sa mère était en train d’éplucher une orange amère provenant des vallées les plus basses, l’enfila dans la ceinture de sa culotte et sorti, se libérant d’Apollonia, qui, préoccupée, le retenait par un bras.
“ Restez ici, dit-il à toute la famille avant de sortir.
Umar l’attendait debout près d’un amandier, tandis que derrière lui, à quelques pas de là, se trouvait toute la famille.
“ Ça ne t’a pas suffit que mon frère t’ait sauvé la vie ? Que veux-tu d’autre de moi ? ”
“ Et les deux jours où tu m’as laissé mourir pendu à un poteau, c’était pour payer quoi ? ”
“ Ça servait uniquement pour te faire comprendre où doivent rester les porcs infidèles comme toi ! ”
Corrado eut l’instinct de mettre la main à sa ceinture, mais dès qu’il senti la poignée sous ses doigts il abandonna l’idée.
“ Dis-moi pourquoi tu m’as cherché: ”
“ Les hommes d’un certain Salim ont emporté ma sœur. ”
“ Tout le monde le sait, Umar. Justement toi, qui est si jaloux de Na-dira, tu as permis qu’on la capture sous ton nez…. Justement toi qui lui permettait de laisser entrevoir uniquement ses yeux…. Qu’est-ce qui t’a pris quand tu as accueilli ce criminel chez toi ? Tu pensais pouvoir montrer Nadira à un étranger sans avoir de conséquences ? Même moi, je cacherais ma sœur au regard d’un étranger. Tu mets la proie devant les mâchoires du loup et puis tu te plains car on te l’enlève ? Umar… Umar… grand et stupide Umar! ”
Umar sorti le cimeterre accroché à sa ceinture et fut sur le point de répondre à la provocation.
“ Fais-le Umar… fais-le ! Et puis tu demanderas aux loups qui circulaient l’autre nuit dans le Rabaḍ ce que cet homme m’a dit. Car je suis certain qu’aujourd’hui tu viens me trouver pour cette raison. ”
Umar remis son arme dans sa gaine et répondit :
“ Vu que tu le sais déjà, pourquoi n’es-tu pas venu me le dire ? ”
“ Je croyais que ton Qā’id t’avais déjà dit ce que tu veux savoir. Ou alors, je dois croire qu’il ne t’a même pas reçu… ”
“ J’ai parlé avec le Qā’id et il fera l’impossible pour ramener Nadira chez elle. Je paierai la rançon et ensuite je trouverai les hommes qui ont osé lui faire cet affront ! ”
“ Il t’a dit ça ? Il t’a parlé de rançon ? ” demanda Corrado avec perplexité.
“ Ce dont j’ai parlé avec le Qā’id ne te regarde pas. Dis-moi seule-ment ce que t’a dit ce maudit Salim. ”
“ Je ne te dois rien…. tu le sais. ”
“ Tu me dois la vie, du moment que si tu respires encore c’est grâce à ma pitié: ”
“ Pour te dire ce que je sais je veux quelque chose en échange. ” Umar, avec impatience, remis sa main sur le cimeterre, toutefois Corrado, en attrapa la poignée avant lui, l’empêchant ainsi d’intervenir. Umar porta donc l’autre main à la gorge de Corrado et tenta de l’étranger, il laissa la prise quand il senti le couteau qui pressait sur son abdo-men.
“ Je t’éviscérerais, Umar… mais je ne veux pas amener la ruine dans la maison de mon père. ”
Jala, qui avait assisté à toute la scène, s’avança en courant. ” Non, Umar, pas comme ça ! ”
Corrado cacha de nouveau le couteau et Umar fit deux pas en arrière, conscient qu’il avait vraiment fort risqué.
“ Laisse-moi parler seule avec le chrétien, ” demanda Jala. ” Tu es folle ? ”
“ S’il te plaît, Umar. Corrado ne refusera pas d’écouter la parole d’une mère. ”
“ il est armé ! ”
Mais Corrado intervint :
“ Et tu crois que je suis capable de faire du mal à une mère ? Si je m’appelais Umar, ou du nom d’un de tes sales garçons, j’aurais même pu frapper une femme ; Apollonia en porte encore les ecchymoses ! ”
“ Umar, s’il te plaît va près de ton épouse. ”
Le collecteur d’impôts du Qā’id s’éloigna et quitta sa mère à contre-cœur.
“ Mon garçon, je suis désolé pour ta sœur… je sais très bien qu’un lâche à eu la bonne idée de la tabasser. Cependant Umar n’y est pour rien… ça n’est pas de sa faute. Et puis, tu peux encore voir les ecchymoses de ta sœur … si au moins nous avions eu une jeune fille tabassée à soigner ! ”
“ Je suis désolé pour ta fille. ”
“ Les personnes commencent à dire que les morts du Rabaḍ sont la conséquence des yeux de Nadira, et que l’étrangeté inhabituelle de ses yeux ont portés leurs fruits la nuit dernière ; que Sheitan55 a lié aux yeux de Nadira l’envie qui conduit à l’enfer ! Maintenant ils nous re-gardent tous avec méfiance. ”
“ Qu’est ce qui te préoccupe ? Nous vivons depuis toujours dans la méfiance des gens. ”
“ Corrado , je t’en prie ! Je t’ai vu de mes propres yeux pendant que cet étranger te parlait avant de disparaître dans la nuit. ”
Corrado n’aurait jamais refusé cette vérité à une mère désespérée, toutefois, consciente que sa famille avait été depuis toujours sociale-ment pénalisée, elle eu la bonne idée de demander quelque chose en échange.
“ Où vous êtes- vous installés ? ”
“ Le Qā’id nous a permis de nous installer dans une petite maison aménagée. Pourquoi me le demandes-tu ? ”
“ Pour ce que je te dirai je veux que ma famille trouve un logement dans une maison comme la vôtre. La nuit il fera froid et nous n’avons pas assez de bois et de couverture pour nous réchauffer. ”
“ Ce que tu me demandes est impossible. Que penses-tu qui nous appartient à l’intérieur de ces murs pour que nous puissions permettre une chose pareille à quelqu’un ? ”
“ Là où le Qā’id vous a accueilli vous avez certainement suffisamment d’espace. ”
“ La loi du Prophète interdit de partager le même toit avec les dhimmi pendant plus de trois jours. ”
“ Alors d’accord pour trois jours … ensuite tu demanderas au Qā’id, ton futur beau-fils, de trouver un endroit où rester. ”
“ Ça pourrait aller dans les écuries ? ” demanda Jala, en voulant dire que de toute façon une installation de ce genre pouvait très bien aller pour les chrétiens.
“ Si votre loi ne dit rien par rapport au fait de partager le même toit avec les mulets, une écurie va très bien aussi. ”
Jala resta sans parole et prit conscience que l’arrogance de Corrado n’avait pas de limite.
“ Tu désires nous humilier ? Pourquoi ? Ce que tu m’as fait ne te suffit pas ? ”
La femme avait maintenant les yeux qui brillaient.
Corrado fut envahit d’une étrange honte en voyant ces larmes et en entendant ces paroles. Il se retourna, fixant son regard ailleurs, loin du visage de Jala.
“ Moi je ne t’ai rien fait. ” répondit-il en regardant encore au loin, vers un groupe d’enfants qui jouaient à courir derrière une poule.
“ Je sais que tu étais là… et tu sais aussi que je t’ai vu. Croisons nos regards et ne me ment plus sur cela ! Depuis que je t’ai vu au Rabaḍ, un an après cette première fois, j’ai ardemment désiré que tu puisses mourir. Si j’avais raconté ce qui était arrivé je suis certaine que mes désirs auraient été satisfaits ; mais après que serait devenue Nadira et sa sérénité ? Et puis tu avais l’âge de Umar et penser du mal sur un enfant de dix ans me provoquait de la honte devant Allah, une honte encore plus forte que rencontrer ton visage dans la rue. Je t’ai haïs de toute mon âme, Corrado ! Et je ne parviens pas à ne pas te haïr aujourd’hui en-core… Tu représentes ma honte ! ”
“ Vous faites références aux yeux de Nadira, et je suis sûr qu’au Ra-baḍ tout le monde suspecte cette étrange couleur. ”
“ Mais ton sang représente la nature de cette honte… je n’ai jamais donné d’importance aux suspects. ”
Maintenant Corrado trouva le courage de la regarder en face, se rendant compte qu’elle pleurait et tremblait.
“ Jala, ma Dame, écoutes-moi ! C’est comme si j’avais porté personnellement ta honte durant ces longues années. Peut-être que le fait de m’être séparé de mon peuple et de m’être perdu parmi ces montagnes sont la peine que je paie pour ce mal. ”
“ Dis-moi ce que je veux savoir, mon fils, et n’en parlons plus… Mais ne me fait pas du chantage et ne me fait pas de requête absurde, puisqu’il ne me reste plus qu’à te le demander à genoux et je suis certaine que Umar n’en serait pas très content. Je ferai tout mon possible pour aider ta famille, mais ne me le demande pas en rançon pour les paroles que tu détiens.
“ En ce moment je vois devant mes yeux le bon côté de Nadira, le côté pur et innocent de tout mal. Bien, je te dis tout, mais je te demande de me faire confiance, car ce que je vais te dire pourrait te sembler absurde. ”
“ Tu sais certainement ce qu’est devenue ma fille ! ” s’exclama t’elle en prenant impulsivement le bras de Corrado.
“ Le Qā’id vous a menti : personne ne demandera une rançon pour Nadira. ”
“ Pourquoi l’a t’il donc capturée ? Ils savent qu’elle est promise à ibn al- Hawwās et ils pensent bien en profiter. ”
“ Il sait très bien pourquoi il l’a capturée…. et il sait très bien aussi comment la libérer. ”
“ Et pourquoi nous mentirait-il ? ”
“ Parce qu’il ne satisfera jamais la requête de l’autre ; il ne peut pas car cela signifierais trahir son propre sang. ”
Jala commença à sangloter en se secouant sur les épaules de Corrado. ” Je t’en pries; que t’on t’il dit ? ”
“ Celui qui l’a capturée, et que vous vous obstinez à appeler Salim n’est rien d’autre que Mohammed ibn al-Thumna, Qā’id de Catane et Syracuse, et il libérera Nadira uniquement si ibn al- Ḥawwās lui rend son épouse. On m’a laissé en vie uniquement pour que je puisse reporter la nouvelle au Qā’id, toutefois il sait toute chose, et il le sait car ibn al-Thumna descendait de Qasr Yanna le soir où son beau-frère avait ignoré sa requête concernant le fait de lui rendre son épouse. ”
Jala connaissait très bien la question, Maimuna elle même lui en avait parlé. Elle était le témoin de la détermination de cette femme à ne pas retourner chez son mari, au risque même de ne plus voir ses enfants, Jala lança un grand cri de désespoir.
Corrado avait épuisé le but de cette conversation, il rentrait donc sous sa tente. En attendant, le typique brouillard qui entoure souvent le mont de Qasr Yanna descendait et cachait les larmes du présent et des souvenirs indicibles du passé.
Chapitre 14
Fin de l’été 1040 (431 de l’hégire), terres de la Sicile Centrale
On ne peut tenir un troupeau uni si son berger bat ses moutons…ce qui frappe finit par se disperser. Ainsi, tandis que William de Hauteville convoquait ses principaux hommes pour discuter de ce qu’il y avait à faire, Georges Maniakès se déchaînait outre mesure contre ses subordonnés. Son génie militaire était incontesté mais son côté humain laissait à désirer. Et il est vrai que le naturel de l’homme réapparaît tou-jours, même lorsque le mythe et la gloire essaient de couvrir la réalité par leur halo d’héroïsmes et de légendes. Maniakès était acclamé par les chrétiens qui l’attendaient comme un libérateur et par les soldats qui le craignaient, mais la vérité est qu’il était un sale type. Ainsi après s’être fait détester par Arduin le lombard, Maniakès avait fait un pas plus long que sa jambe et avait agressé Stefano le Calfat, en l’accusant également de trahison. Toutefois il avait bien peu de pouvoir contre l’amiral incompétent, beau-frère de l’Empereur et apparemment appuyé également par l’Impératrice Zoé, qui commandait réellement l’Empire d’Orient.
Arduin avait été sage dans ses choix, en se libérant pacifique-ment de ses obligations envers Maniakès, même si l’objectif était de lui faire payer le compte successivement ; normands et autres, comme on pouvait l’imaginer, l’avaient suivi. Stefano, au contraire, fort de ses appuis importants, avait dénoncé le fait et accusé Maniakès de vouloir prendre pour soi la Sicile toute entière. Le Strategos avait été arrêté et traduit à Constantinople, mais pas avant d’avoir dérobé les reliques de Sainte Agate et les avoir envoyées comme butin à la ville qu’il servait, en essayant de démontrer que les accusations de Stefano étaient fausses, et qu’aucune richesse conquise ne pouvait prendre la place de sa fidélité à l’Empereur. Une plaisanterie que les gens de Catane n’auraient jamais pardonné à Constantinople.
A partir de ce moment là, les opérations terrestres étaient passées dans les mains de Stefano et cela peut faire comprendre pourquoi la campagne contre les maures de Sicile avait commencé à échouer irrémédiablement. En premier lieu Stefano avait décidé d’entamer une ba-taille contre les contingents traîtres des troupes auxiliaires, car il croyait avec prétention, réussir dans ce que même Maniakès avait évité… et dans le combat il avait trouvé la mort.
Avec l’armée régulière des provinces romées de l’Italie méridionale encore en Sicile, désorienté et battu, lombards et normands avaient alors décidés de contre-attaquer l’Empire en Calabre et dans les Pouilles, en prenant en contrepoint le nouvel ennemi.
Ce fut durant ces jours, avant de passer définitivement le Détroit, que les hommes de William, dans la tentative de saisir le plus possible pour leur butin personnel, chassèrent de long en large les villages Siciliens. Ils se partagèrent en bandes de vingt et trente, et chacun d’eux se dirigea vers où il croyait pouvoir conquérir facilement, sans faire de distinction entre islamiques ou chrétiens quand la bouchée en valait la peine.
Tancred proposa d’attaquer les villages dégarnis des sarrasins, installés depuis peu à est de Qasr Yanna. Il se dirigea vers le nombril de la Sicile avec l’armée de Abd-Allah éparpillée, forte de l’effet surprise, dépourvue de la pesante armature et avec l’intention de frapper en coup de foudre pour ensuite fuir vers est, Roul, Tancred, Geuffroi, le jeune Conrad et une autre trentaine de guerriers, se dirigèrent vers le nombril de la Sicile.
Conrad n’avait jamais cessé d’encourager Roul à l’enseignement de la guerre, en obtenant de sa part une instruction que seul un habile guerrier normand pouvait donner. Ce que cependant Roul avait le plus touché était le cœur du jeune garçon, en l’enflammant de haine envers l’ennemi. Conrad désirait maintenant plus que jamais, se venger de son père et avait l’intention de le faire avec n’importe quelle personne qui aurait pu se trouver devant lui. Durant les semaines précédentes il avait demandé une licence à son maître, chaque fois qu’il s’était trouvé devant un sarrasin, toutefois Roul avait répété continuellement que sa colère devait être préservée uniquement pour la bataille, et que ne pas pouvoir maintenir la discipline dans des vêtements civils était stupide.
Maintenant il restait là, étendu sur la crête d’une colline terreuse et regardait au delà. C’était l’après midi et le soleil bas commençait à dé-ranger les yeux. Un village était installé, justement sur les pentes de la montagne de Qasr Yanna. Un torrent descendait sur le côté du plateau, où il avait été construit et où certains norias hissaient l’eau pour la diriger vers les canaux des terrains supérieurs. Des dizaines de parcelles cultivées en potagers, entouraient le village dans chaque direction. En-core plus loin se trouvaient les terres réservées au blé, des milliers d’hectares qui se perdaient à l’horizon. Les soldats de la compagnie normande avaient maintenant des terrains de céréales à l’arrière et des potagers devant.
“ Avec le soleil en pleine face ils y mettront peu pour se rendre compte de nous, dès que nous descendrons de la colline. ” fit remarquer Tancred.
“ Regardez là haut ! ” invita Roul, en indiquant Qasr Yanna sur le sommet de la montagne.
“ Il ne faudra pas longtemps pour que le soleil disparaisse derrière la crête de la montagne. Attaquons quand la visibilité devient difficile pour les sentinelles. ” précisa t’il.
“ Je doute que cette poignée de villageois ait des sentinelles. ”commenta Geuffroi.
“ Car ils n’ont rien à défendre… ” ajouta un autre.
“ Non, cher ami, parce qu’ils se sentent en sécurité. Ils tiendront l’or dans leur église… dans cette mosquée là au fond. ” expliqua Roul
“ Au coucher du soleil, les hommes rentreront de la campagne… nous devons les frapper avant ! ” proposa Tancred.
“ Tu n’as pas peur des fourches, j’espère… ” plaisanta Roul.
“ Je couvrirai vos épaules. ” s’exclama Conrad en parlant à l’oreille du plus grand et plus gros.
Roul se mit à rire et tous les autres firent de même.
“ Toi le morveux, tu restes et tu gardes les animaux ! ”
Conrad regarda en arrière, les chevaux au pieds de la colline.
“ cela fait des semaines que je vous demande la permission de pou-voir venger mon père. ”
“ Quand ça sera le moment tu n’auras pas besoin de mon autorisation. Quelqu’un tentera peut-être de voler les chevaux et tu devras les défendre. ”
“ Seul ? ”
Roul rit avec encore plus d’élan qu’auparavant.
“ Tu es mort de peur rien qu’en gardant les chevaux et tu voudrais piller un village ? ”
Conrad attristé et humilié par les rires de l’homme envers lequel il avait confiance.
“ Frères, le soleil s’éclipse, à vos armes ! ”
Ils commencèrent à descendre la pente qui surplombait le village, silencieusement et rapidement. Conrad se retrouva vite seul, dans le silence des instants qui précèdent le coucher du soleil. D’un coup, après quelques minutes, le chant du muezzin se leva dans la vallée; Roul et ses compagnons s’arrêtèrent à l’instant, en se cachant près d’une formation rocheuse. Ils repartirent immédiatement après avec l’intention d’at-taquer ce peuple durant la prière, quand les habitants auraient penché leurs têtes et les hommes en rentrant des campagnes se seraient arrêtés, le long de la route du retour. Ils reprirent donc leur chemin quand le muezzin n’avait pas encore terminé.
Conrad suivait du regard les épaules de Roul qui était le plus visible et il rongeait ses ongles, pris par l’impatience provoquée par cette longue attente.
Un hurlement retentit parmi les collines à est ; un loup chantait à la lune qui doucement apparaissait dans le ciel. Conrad n’y pensa pas deux fois, il se jeta à une vitesse vertigineuse dans la descente, vers la vallée et le plateau juste en face. Il tenait son épée dégainée à main levée devant lui, du moment que s’il l’avait tenue dans sa gaine la pointe aurait touché le terrain.
Bien avant de joindre l’entrée du village il entendit les premiers hurlements des femmes ; il savait qu’en suivant leur provenance il aurait trouvé les amis de son père. Une fois parmi les ruelles de ce bourg, il plongea dans la fuite générale des femmes terrorisées qui se réfugiaient dans les maisons. Il vit Geuffroi enfoncer une porte d’un coup de pied, et faire sortir un vieil homme édenté. Il se remit à courir sans but, certain de rencontrer Roul. Il rencontra certains cadavres d’hommes, certainement des paysans qui s’étaient opposés aux assaillants de leurs femmes. Conrad était là pour soutenir cette bataille, il rencontra plu-sieurs sarrasins en fugue mais n’eut pas le courage de les affronter. Il se persuada qu’il l’aurait fait après avoir retrouvé Roul.
Au travers d’ une fenêtre, les cris d’une jeune fille dominaient tout le reste ; il était terrorisé par ses hurlements, Il voyait près de la mosquée certaines jeunes filles en larmes, les cheveux découverts et dénudées ailleurs. Tancred à côté, se faisait livrer les boucles d’oreilles, les bracelets, les bracelets de chevilles et les colliers. Conrad avait déjà vu des femmes dans cet état, chargées comme des bêtes sur des chars destinés au marché, et quand il se rendit compte qu’ils leur liait les pouls, il imagina que Tancred et ses compagnons étaient en train de les emporter pour devenir des prisonnières. Entre temps, de la fumée commençait à s’élever du toit de la mosquée, tandis qu’un homme à l’intérieur de la cour était égorgé et jeté à plat ventre dans la source des ablutions.
Les étroites ruelles s’ouvrirent enfin sur une large place, délimitée par un muret sur l’entrée d’une grande maison qui occupait la scène dans le fond. La maison avait été pillée et un soldat en sortait en portant sur les épaules une espèce de ballot qui résonnait d’objets métalliques à chaque pas. Un autre portait sur les bras une grande quantité d’étoffes et d’habits d’un certain valeur. Chacun jetait ensuite son butin à l’intérieur d’un char garé à l’entrée.
Enfin Conrad vit Roul tourner à l’arrière de la maison.
“ Roul! ” appela t’il à voix haute.
Toutefois, Poing Dur avait déjà disparu de son champ de vision. Quand il tourna à l’angle, Conrad se rendit compte que la porte de l’écurie était entrouverte, ne voyant pas Roul, il imagina qu’il était entré.
“ Je savais que tu t’étais glissé ici ! ” dit Roul à quelqu’un, mais Conrad ne le voyait pas encore.
Une jeune femme tremblante se serrait dans le coin opposé de la pièce.
“ Où se trouve l’or ? ” demanda Roul
Mais elle parvenait uniquement à s’accrocher aux pierres du mur sec de l’écurie, tellement elle était terrorisée, outre le fait qu’elle ne com-prenait pas la langue des assaillants. En attendant les yeux de Conrad s’habituait à l’obscurité croissante du coucher du soleil qui valorisait la lumière pénétrant par le grenier.
“ Où tenez-vous votre argent ? ” répéta Roul, cette fois en la giflant si fort qu’il la fit voler sur un tas de foin à proximité.
“ Est-ce que tu comprends ce que je te dis ? ”
Se réfugiant sur ce tas de foin, la femme murmurait quelque chose d’incompréhensible, probablement des paroles dans sa langue.
Roul ne lui demanda donc plus rien, et dès qu’elle se tourna pour s’enfuir, il l’attrapa par un bras et ensuite par les hanches. Conrad fer-ma instinctivement les yeux quand il vit Roul imposer sa propre force sur cette pauvre fille, dont la stature arrivait à peine à l’estomac de son agresseur. Il mit une main devant son visage à la vue des cuisses et des hanches dénudées de la femme. Il ouvrit tout grand sa bouche en entendant ces cris d’une si étrange nature. Et il fut heureux, lorsque pour ne plus l’entendre, Roul lui enfila violemment une poignée de foin en bouche pour la faire taire, en appuyant fermement d’une main pour ne pas la faire cracher.
Une fois, à l’âge de six ans, sur un pré de Bénévent, Conrad avait vu une pauvre jument estropiée subir la montée d’un étalon en chaleur. Il avait été troublé par cette pauvre jument incapable de contraster les harcèlements du plus fort. Maintenant il éprouvait de la peine, et était perturbé par cette femme dont le grognement ressemblait vraiment à une étrange bête durant la torture à l’abattoir.
Après quelques minutes la femme sembla se résigner à la domination de son agresseur, et elle appuya sa tête d’un côté, vers Conrad. Ce fut alors que le jeune garçon vit son visage. La femme avait un bel aspect, des traits arabesques et de beaux yeux. Il la vit affûter la vue de ce côté ; entre les pattes du mulet elle semblait le fixer. Il en était sûr, elle l’avait aperçu. Ce regard parcouru l’espace qui la séparait de Conrad… ce regard croisait deux destins entre eux, deux vies de manière fatale.
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