Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Les Peintres Provençaux», sayfa 7

Yazı tipi:

L'instinct du coloriste est chez lui si puissant, qu'il peut découvrir et appliquer la science des lois des complémentaires; la science des neutres – cette force des grands coloristes – avec laquelle il va éteindre et manier à son gré les stridences les plus aiguës. Et, si éclatants que soient les timbres de sa symphonie, ils ne choqueront jamais, car ils seront toujours merveilleusement entourés et accompagnés.

Pour l'effet, à dessein, il prend volontairement de grands partis d'ombres et de lumières, évitant la complexité des reflets. Il sait arriver aux rapports de tons justes en conservant à la couleur toute sa franchise. S'il est le plus audacieux, il est aussi le plus savant coloriste. Quand, dans ses toiles, la pâte coule en laves brûlantes comme un fleuve de feu, l'harmonie demeure dans ce brasier ardent: éclats soufrés d'or, lueurs rougeâtres d'incendie, phosphorescentes irradiations, sont sauvés, excusés, par la force de l'effet et de la couleur concentriques.

* * *

Monticelli possède étonnamment le sens de l'arabesque! L'arabesque, cette science mystérieuse de la ligne qui est aux arts du dessin ce que sont pour les mondes les lois d'attraction universelle; l'arabesque, avec la volupté de ses ellipses, l'envoûtement de ses volutes, le pouvoir de ses lignes qui s'attirent, qui se lient, se délient d'après une mathématique idéale, elle est chez Monticelli dans toute sa beauté, adéquate à la couleur. Harmonisée, dans l'opposition éclatante des bleus et ors; pesante, des verts éteints sur l'indigo pur; ou tendre, des mauves roses sur la cendre verte; et parfois harmonisée aussi dans l'opposition violente, tragique, l'arabesque apparaît dans ses toiles comme éclate dans l'orchestre la sonorité brusque d'un affreux accord dissonant dont l'heureuse réalisation s'opère aussitôt, inattendue, docile, sur la joie d'une sensation de douces consonances picturales.

L'arabesque du peintre marseillais, aussi curieuse par la touche que par le dessin, par la couleur que par la ligne, est, parmi ses qualités originales, une des plus suprêmes de son art.

* * *

Par toutes ses séductions, la nature avait pris le peintre. Le peintre l'aima intimement, la posséda, et devint un grand paysagiste primesautier. Mieux qu'aucun il devina que «l'art devait être la large synthèse des choses» et qu'il fallait surtout peindre avec son cerveau. Son œuvre de paysagiste est belle par son mystère, elle fuit le Vrai pour atteindre le Beau; et par là, elle résout mieux, en quelque sorte, les problèmes énigmatiques des aurores, des soirs, qui échappent à l'explication par les solutions picturales ordinaires. Monticelli, en un mot, fait une géniale transposition de la nature. Elle lui devient un thème à modulations si riches, si imprévues, que même le motif principal, s'il n'est pas incisif, est oublié. Sa sensation est tellement forte, qu'elle tord, qu'elle broie, qu'elle déforme!.. Mais, elle l'aide à créer.

De nouveau, pour peindre les soirs incandescents, il trouve sur sa palette les étranges reflets citrins, les safrans vigoureux; pour les crépuscules, la douceur des ciels vermeils et verts; pour la tiédeur du midi automnal, l'éclat métallique de la turquoise intense, à travers la vive rousseur des arbres. Puis, avec le poème des nues en marche, sous un ciel de cuivre orageux, les rouges vinaigre s'opposant aux hyacinthes glauques ou s'éteignant dans les tragiques violets.

C'est un soir dramatiquement éclairé, un paysage de légende moyenâgeuse: sous la nuée mauvaise, l'arbre ploie, avec la détresse de ses branches en gibet; un affreux drame se joue dans des fonds sanglants; une mare, au premier plan, reflète en la renversant l'horreur du ciel, la catastrophe de la terre…

C'est la nature en joie, exubérante de vie. Dans l'enveloppe ouatée de l'impalpable cendre verte du ciel, un arbre majestueux étend ses bras en patriarche sur la prairie en fête. Sur ce tapis scintillant, tissé des plus jolies soies, la rosée a jeté la diaprure de ses perles que le soleil colore en fusées irisées. Monticelli a donné le mieux la sensation de l'exquise caresse faite à la terre et aux arbres par les rayons solaires. Il a surpris en flagrant délit le soleil venant racler sa palette sur la création, il lui a volé son procédé, et il a peint comme le soleil… Mieux qu'aucun il va rendre désormais le caractère essentiel qui émane de la poésie des heures, des pays.

De la Provence, il peint les soirs, la fin des journées brûlantes d'été. Dans le fond d'or, strié de bandes rouges, sous l'horizon, le soleil vient de disparaître en accrochant ses derniers rayons aux squelettes d'arbres rabougris. Par l'effort de la journée délirante, la végétation est accablée, les arbres implorent, et les ajoncs, comme cuits, en garance fanée, presque éteinte, s'affaissent, exténués.

Il rend avec intensité le coin de route éclatante de soleil, le vieux puits, les touffes robustes et agressives des chardons verts poussiéreux qui la bordent et la note de leurs fleurs mauves poudrerisées; alors que, sous le ciel en ébullition par l'intensité calorique, l'air trépide, et que, dans le silence particulier aux atmosphères torrides, sur les arbres, les cigales lassées se sont endormies.

Dans le sentiment d'un vigoureux pittoresque, il sculpte, avec des pierres moussues, un vieux pont couvert de lierres et encadré de verdure. Sous le cintre architectural de son arche caduque, il fait passer la rivière qui flirte sur ses bords avec les roseaux penchés. Mais son exaltation méridionale force bientôt la masse liquide à se changer au premier plan en tumulte de charge guerrière, en gloire d'irisations.

Il peint ses paysages par touches grasses, en marqueterie colorée; le neutre des fonds, entre lesquels elles apparaissent, les cerne et les divise. Avec ce procédé qui paraît devoir conduire au papillotage, Monticelli obtient un ensemble d'une impeccable tenue et d'une parfaite harmonie.

Puis, c'est dans la somptuosité des couchants, la gloire et les tristesses automnales, l'arabesque de leur rouille et de leur tache de sang sur l'incendie de leur ciel, la douce harmonie des paysages matinals, aux tons vermeils pareils à ceux qui, par la cuisson solaire, dorent les grappes des raisins trop mûrs. Les plus modestes paysages familiers grandissent avec Monticelli. Par lui, le petit morceau de terre devient épique. Dans sa puissance d'évocation panthéiste, ainsi qu'un Ruysdaël exalté, il semble résumer la création dans un arbre, un ciel, un morceau de terrain: il fait un monde qui tourne…

* * *

Ses marines, ses coins de mer plutôt, sont synthétiques. C'est toujours le morceau de nature qui grandit à travers sa vision. Un village de pêcheurs, avec ses petites maisons blanches sur un fond de colline provençale, le calme de son port minuscule. La vie «au cagnard» du pêcheur méridional racontée par le détail de quelques batelets et de leurs engins de pêche; la vie de la nature dite par quelques reflets sur l'eau en mouvement.

Aux environs de Marseille, à Séon-Saint-Henry peut-être, des barques sur un coin de rive, où vient mourir, dans un rythme lent, la vague clapotante. Au ciel, la belle arabesque des fumées d'usine, qui brode, autour du bleu, de symboliques spirales. Au loin, le port, la forêt de ses mâts dans une brume d'apothéose, avec la divination de la vie tumultueuse de quelque Tyr ou Sidon lointaine, la sensation historique de longs siècles de gloire maritime d'un grand port phénicien.

Si le peintre provençal n'a pas cherché à rendre le grand caractère de la mer – pas plus, du reste, que celui, angoissant, des masses chaotiques – si la poésie et le mouvement de l'eau ne l'ont point tenté dans leur ensemble, il a étudié avec soin la trame de son tissu prismatique. Dans le riche vestiaire où il suspend ses beaux vêtements de femme, dans les coffrets où il enferme ses pierreries, on retrouve ses effets de moires changeantes, les apparitions fugitives de ses émeraudes, le miroitement de son kaléidoscope liquide.

* * *

Autant par la beauté de leur couleur et de leurs formes que par la diversité de leurs caractères, les animaux ont tenté le peintre. S'il aime à voir – tenu en laisse ou debout devant la châtelaine – le lévrier de race aux jambes hautes et fines; s'il aime à mettre sur les lacs endormis l'ébrouement des cygnes ou la grâce de leur silencieux glissement giratoire; s'il se plaît à flatter, en l'exagérant, l'orgueil arrogant des paons, la fierté élégante du cheval pur sang, il sympathise aussi avec l'animal auxiliaire de l'homme: le cheval de labour à l'encolure solide, chez qui le travail quotidien a développé la beauté de la musculature, l'âne avec sa philosophie entêtée, le bœuf avec sa passivité lourde. Tous l'intéressent, les grands, les petits, les superbes, les humbles.

Il oppose, au-dessus des eaux glauques et mouvantes, le dessin d'un fond japonais aux tons émaillés de vieille céramique. Dans des poses hiératiques, comiques de gravité, il y fait grouiller des oiseaux aquatiques, pélicans goitreux, flamants roses, canards chinois. Il voit dans les étables les ruminants somnolents, et dans les poulaillers le tumulte de la vie des poules et des coqs. Toujours, malgré la rutilance de la couleur qui semble l'absorber, malgré son faire un peu brutal, il laisse à chaque animal son caractère, il appuie ses habitudes, il souligne son instinct.

* * *

Quand Monticelli peint la nature morte, il est babylonien, suivant l'expression chère à notre regretté A. Lauzet. Ce n'est ici ni le trompe-l'œil, ni l'objet sacrifié à l'effet décoratif: mais par sa puissante interprétation, une augmentation de l'essence même des choses. Par lui aperçus, les fruits sont plus savoureux, les fleurs plus odorantes. Les tapis – malgré la pauvreté des modèles – sont somptueux. Les étoffes communes se changent en tissu précieux de chaîne et de trame, de couleur et de dessin. L'humble vase devient sacerdotal. Les pots, la cruche provençale se transforment en bibelots d'art d'un grand prix. Les objets les plus ordinaires, précieusement colorés, prennent des lignes et des courbes nouvelles. Ils sont agrandis, augmentés, inclus dans un dessin énorme. Avec la large simplicité de l'effet, la beauté de la ligne, avec la magie de la couleur, Monticelli fait définitif…

L'œuvre de ce peintre est – pour me servir d'un mot désormais historique – un «bloc» aussi, qu'il faut accepter entièrement, sans chercher à en enlever la moindre parcelle. Comment, sans détruire la belle harmonie de ses tableaux, y ajouter une touche, y modifier une ligne? Son génie, comme tous les génies, s'impose autant par ses qualités que par ses aspérités caractéristiques.

Qui essaierait du reste d'ajouter un mot à un monologue de Shakespeare? Qui oserait enlever une seule note dans l'œuvre de César Frank?

* * *

L'art du peintre provençal va atteindre de plus hautes cimes: d'un beau geste, il a simplifié la ligne et augmenté la sonorité de sa palette. Il va dans le sens de la couleur franche sans altérations, de la couleur pure, simplement diminuée par les voisinages immédiats et débarrassée à jamais des bains assombrissants. Déjà, il entrevoit une évolution vers quelque chose de plus robuste, de plus grand. Comme Beethoven, peut-être, – après sa 9e symphonie et ses derniers quatuors à cordes, – il a la perception d'un art nouveau; et, au moment où dans ses toiles il en bégaie la formule, son cerveau craque tout à coup, cède, se désagrège et se déséquilibre…

Est-ce sous l'effort exagéré d'une production formidable ou de l'exacerbation trop longue de ses facultés? Est-ce la conséquence de souffrances morales, d'amours malheureux, de déceptions? la méconnaissance de son génie ou la tristesse de sa vie depuis longtemps silencieuse et solitaire? Sont-ce les suites, comme on l'a dit, des heures d'oubli demandées à l'absinthe? Les causes importent peu. Monticelli est vraiment détraqué; et à ceux qui lui demandent de ses nouvelles, il répond gravement: Je viens de la lune.

Oh! cette chose épouvantable, l'homme survivant à son génie; la tristesse de la décadence d'un si beau cerveau! Pendant près de cinq ans Monticelli, dément, continue à peindre, à produire plus que jamais. Et alors, il exagère, sans aucune mesure, son genre. Il fait une épouvantable charge de sa manière, une caricature mauvaise de ses qualités. On dirait qu'il tente dans sa folie de diminuer, ironiquement, sa gloire immanente. En ce moment douloureux, des plagiaires nombreux – oiseaux de proie qui ont senti la fin prochaine – se jettent sur son œuvre, et, par d'infâmes copies, l'aident dans cette tâche sinistre48. Les Monticelli courent les rues, s'étalent dans les vitrines les plus interlopes, sont partout, grotesques ou simplement mauvais, bêtes, pitoyables, falsifiés. Et la foule, cette fois, dans son incapacité de distinguer le bon grain dans toute cette ivraie, exulte, se réjouit de sa prétention d'augure. L'accusation de folie, de tout temps prêtée au peintre, est malheureusement aujourd'hui justifiée… La fin de Monticelli est proche. La main du peintre ne peut plus obéir à son cerveau qui ne sait plus commander: Mes doigts sont en cuivre, dit-il. La main va s'arrêter, cinq ans trop tard.

Dans la chambre où pénètre par la fenêtre ouverte un gai soleil prometteur de vie, le 29 juin 1886, Monticelli, sur son lit, couché, agonise. Le peintre a trouvé la force, dans l'excitation nerveuse qui préface quelquefois la mort, de peindre sa dernière toile. A ses côtés, des taches de couleur et de vernis ont glissé sur les draps et le linge. Avec l'odeur des essences, on devine la mort flotter, dans cette chambre, en molécules mystérieuses, impondérables… Comme suprêmes réflexes, la paralysie des méninges laisse encore à l'homme le besoin de peindre, l'habitude de la couleur. S'est-il ressaisi, le grand artiste? Non, mais il peint… Près de lui, la Mort regarde, attend, impatiente. Elle seulement va pouvoir lui arracher son pinceau… La palette est lâchée… les bras sont tombés, inertes… la tête lourde, dans l'oreiller pénètre…

Dans l'Infini, Monticelli poursuit son rêve d'Art!

* * *

Il repose ignoré, oublié, le divin coloriste, dans un coin du cimetière, à Marseille, sans que la moindre inscription en note la place, sans que les fleurs égaient cette tombe abandonnée. Aucune ruelle de sa ville natale ne porte son nom; nul buste, nulle plaque commémorative ne le rappellent à la mémoire des hommes.

Mais, déjà tinte allègrement l'heure de la justice. Elle sonne, annonçant la marche triomphante de son génie, vers la postérité vengeresse.

 
Je peins pour dans trente ans…
 

En vérité, pour Monticelli, pour sa gloire, les temps sont révolus.

Les commentateurs, d'abord assez rares, de Monticelli, apparaissent maintenant plus documentés. Après les articles anciens de Paul Arène, Emile Bergerat, Ch. Fromentin, etc., et l'intéressante étude de Guigou contenant vingt-deux lithographies de Lauzet, voici quelques pages très littéraires de M. Robert de Montesquiou, contenant avec beaucoup de citations de jolies appréciations personnelles49.

Parmi les articles cités, il faut surtout retenir des fragments de ceux signés Émile Blémont, écrits en 1881, à propos de la vente Burty. M. de Montesquiou donne ces fragments en les accompagnant d'heureuses réflexions.

«Il nous promène dans le monde enchanté de Boccace et de Shakespeare. Ici, c'est le Décaméron. Là, c'est le Songe d'une nuit d'été. Il est le poète de la lumière. – Comme on l'a dit pour Diaz, Il ne montre pas un arbre ou une figure, mais l'effet du soleil sur cette figure ou sur cet arbre. Il y a ce style de fête dont parle Carlyle.

«Sans effort, en se laissant naïvement aller à son imagination, il évoque, dit M. Émile Blémont, des féeries adorables, où il réunit en des décors et sous des costumes d'éternelle beauté, les déesses et les demi-déesses de tous les âges et de toutes les patries, les Dalila et les Calypso, les Hélène et les Judith, les Fiammetta et les Rosalinde, les Ève et les Béatrice, les courtisanes de Corinthe et les marquises de la Régence.»

«Il a reconquis pour nous ce suave et chimérique domaine de Watteau, où fleurit l'élégance d'une vie surnaturelle. Il en a renouvelé la grâce. Il y a retrouvé le sourire de la ligne, l'âme de la forme, la cadence des poses, en des bosquets d'apothéoses, en des bois baignés d'un clair de lune bleu, en de magiques campagnes pleines de vibrations musicales et de pénétrants parfums, en des fêtes galantes d'une volupté suprêmement mélancolique. Mais j'en avertis les gens positifs, ajoute M. de Montesquiou, il faut être un peu poète pour sentir la poésie un peu folle de ces personnages lyriques et de ces chimériques paysages. Il faut avoir en soi de quoi éclairer cette lanterne magique. Alors seulement un tableau de Monticelli, avec toutes ses imperfections, avec toutes ses défaillances, est aux regards et à la pensée, suivant l'expression de Shelley, une joie pour toujours

M. de Montesquiou achève ainsi, en très coloré poète, son étude sur Monticelli: «Mais les meilleurs tableaux à rapprocher de ceux de ce coloriste étonnant, tous, enfants, nous les avons faits, et je les revois dans mon souvenir. Au chaud de l'été, nous écrasions, entre une planchette et un fragment de vitre, lobélias, calcéolaires, géraniums, tous les tons les plus fulgurants du jardin, et nous nous complaisions des heures à contempler fascinés les éblouissants ensembles ainsi conçus, composés de fleurs broyées.»

Si exquise que soit cette comparaison, voici une phrase plus heureuse encore et qu'il faut citer toute, car elle est en quelque sorte, avec un rare bonheur d'expressions imitatives, explicative du talent de Monticelli:

«Un intitulé prononcé à propos, c'est celui de Fêtes galantes; avec le titre de Jardins d'amour, il baptise excellemment une grande part de cette œuvre, toute faite d'un papillonnement de Triboulets et de Méphistos, de pages et d'abbés, de seigneurs et de dames. Le mot irradiation caractérise bien le fluide en lequel ils baignent. Ce sont des trouées, des infiltrations, des percées lumineuses, quasi incandescentes; comme des vols d'abeilles de flamme, des essaims de papillons ignés ou de lucioles envahissant les feuillages, soudain piquetés, tiquetés, tigrés de voltigeantes étincelles.»

V
PAUL GUIGOU

A René Seyssaud.

Il y a entre l'homme et la nature une harmonie secrète qui peut servir, surtout en peinture, de thèmes inépuisables aux conceptions futures. Des artistes l'ont compris: Puvis de Chavanne entre autres, qui laisse à son paysage le soin de commenter la pensée principale: l'action, et lui fait jouer le rôle du chœur antique.

Désormais l'évolution est faite; et le paysage, que l'on considérait, il n'y a pas bien longtemps, comme un art secondaire, a pris l'importance qu'il méritait.

C'est que «la nature est tout»; c'est qu'elle contient tout: force, beauté, passion, poésie, sentiment, «qu'elle informe, et manifeste toutes les grandes expressions morales et pittoresques de l'Art50».

Elle est, avec l'eurythmie des pures lignes que font sur le ciel bleu les crêtes des promontoires méditerranéens, l'incomparable architecte plus grec que l'art grec. Elle est, dans les harmonies du «frais tumulte du matin», des mélopées douces ou tragiques de la mer, de la plaintive chanson des pins qui vibrent dans sa symphonie aérienne, la musicienne divine.

Et l'art pictural sera, dans la joie toujours nouvelle de ces spectacles changeants: gloire des couchants, énigme des aubes, majesté horrifiante des montagnes et poésie des eaux; spectacles sans cesse modifiés ou exaltés suivant la saison et l'heure, par la magique lumière du ciel.

Il faut le répéter encore: par l'épuisement et le rabâchage des inspirations prises à l'histoire, à la légende et à la Bible, le peintre devra maintenant nous intéresser par le sens de la vie dont nous participons, et nous donner en face de la nature «son état d'âme» avec la personnalité de sa vision. Par le portrait de l'homme, par le portrait de la nature, l'artiste recule à l'infini le champ d'action qui peut rendre ses émotions captivantes. Il rattache les sensations de peinture à celles que nous donnent la musique et la poésie.

* * *

Dans le nombre des glorieux paysagistes français qu'on nous montra à la Centennale, un peintre jusqu'alors assez inconnu à Paris, Paul Guigou, se révéla avec un Paysage de Provence51, un simple paysage, où se magnifiait dans un acte de conscience artistique l'amour de la nature, la tendresse pour le pays natal.

La conscience, cette qualité des plus grands artistes, est, en effet, dans l'art de Paul Guigou, affirmée avec une si grande et si énergique beauté qu'elle fait passer sur la sécheresse du peintre allant parfois jusqu'à la dureté, et sur son exagérée minutie.

D'où venait ce paysagiste oublié, si peu récompensé aux anciens Salons officiels?

Le 15 février 1834, Paul Guigou naissait à Villars, près d'Apt, sur les confins de l'ancien Comtat, dans cette partie de la Provence qui va en escalade pittoresque jusqu'aux premiers contreforts alpestres. Au collège d'Apt, l'enfant commença des études continuées ensuite au séminaire d'Avignon. Ses parents, qui étaient dans l'aisance, rêvaient pour lui un métier en rapport avec leur situation de fortune. La mère désirait le voir se faire prêtre; désir que faisaient alors secrètement, en Provence, toutes les mères chrétiennes. Mais le jeune homme, bien qu'excellent élève, n'avait pas la vocation sacerdotale; et, à sa sortie du séminaire on le destina au notariat. Le 6 novembre 1851, Paul Guigou, après l'obtention de son diplôme de bachelier ès lettres à l'Université d'Aix, fut envoyé à Apt comme aspirant notaire chez Me Madon.

La famille Guigou, qui avait quitté le Vaucluse, habitait Marseille depuis quelques années. Paul Guigou avait volontiers accepté un déplacement qui lui permettait d'aller vivre pendant un certain temps dans un pays qui lui avait laissé le souvenir de beaux paysages ayant enchanté son enfance. Si la perspective du notariat ne lui souriait que médiocrement – car il était déjà mordu du désir de dessiner et de peindre – il échappait ainsi à l'étroite surveillance paternelle et allait pouvoir se livrer à son art préféré. Dans l'étude de Me Madon où il n'était pas sévèrement tenu, car le tabellion était un brave homme, le clerc s'enfiévrait d'émotions à l'évocation des paysages proches. Par la fenêtre du bureau, il pouvait apercevoir, aux extrémités de la rue de la petite ville, les fonds de collines qui s'étagent et ferment le pays en allant vers la Durance, dans des courbes molles et concentriques au fond desquelles circulent les combes solitaires. Par quelques échancrures de bleu aperçues au-dessus des toitures, il pouvait rêver encore à de fraîches oasis vers Roc-Sallière, à des voisinages de sources ombreuses qui, dans ce pays aride, paraissent par opposition plus édéniques. Mais la beauté sauvage du paysage provençal devait surtout le retenir et il en goûtait déjà l'âpre accent.

Car, non loin de là est le pays des ocres où se ruent sous le ciel intense les colorations extrêmes qui font paraître plus blanche la route et plus puissante la verdure. Sur ce sol rocailleux se hâtent d'habiter l'olivier et le mûrier, entre quelques pentes couvertes de vignes, parmi les rectangles de terre en rouges vifs et en jaunes éclatants.

L'aspirant notaire demeura trois ans à Apt sans trouver le temps long. Il s'était empressé, il est vrai, dès les premiers jours de son arrivée, d'aller demander des leçons de dessin au professeur du collège de la ville, M. Camp. Celui-ci, abasourdi des étonnantes dispositions de son élève, lui dit au bout de peu de temps «Vous en savez autant que moi; allez étudier sur nature.» C'est elle, en effet, qui fut la meilleure et presque la seule éducatrice de Paul Guigou.

Avec beaucoup de ténacité, avec un soin et une volonté extraordinaires, il se mit à dessiner les arbres, les rochers et les montagnes de son pays. Il obtint à la longue de précieux résultats; et lorsqu'il vint montrer ses dessins à Loubon, ce dernier, pressentant une vocation, l'encouragea fort à étudier et se mit à sa disposition pour le conseiller. Paul Guigou était revenu à Marseille et achevait son stage dans l'étude de Me Roubaud, pendant que, préoccupé de recherches sur nature, poussé par le directeur de l'École des Beaux-Arts dont il suivait les cours, il se livrait presque entièrement à la peinture, luttant contre les désirs de sa famille, qu'il devait vaincre malgré tout.

A partir de ce jour, Paul Guigou se révéla vite. On peut même observer que ce peintre, après sa période de débuts, où il reste encore sous la dépendance du faire de Loubon, après sa première manière un peu noire et un peu conventionnelle, fit tout jeune ses meilleures toiles: son tableau du musée de Marseille, par exemple, et celui exposé à la Centennale.

* * *

A l'Exposition de la Société artistique des Bouches-du-Rhône, Paul Guigou se montra pour la première fois, en 1859, avec deux toiles qui y furent remarquées: Chemin dans la colline à Saint-Loup, et Vue prise aux abords de la rue Ferrari. La première se ressentait visiblement de la manière de Loubon, surtout dans la facture et la compréhension des terrains du premier plan; elle contenait cependant des qualités d'atmosphère, un sens de la couleur bien personnels. Quant à la seconde toile, elle était dans une tonalité un peu sombre, très montée de ton. Ces deux tableaux prouvaient déjà le tempérament d'un peintre et la volonté d'un consciencieux. Or, à cette exposition figuraient les œuvres de Puvis de Chavanne, Luminais, Couture, Baron, Jules Dupré, Corot, les deux Rousseau, Troyon, Van Marck, Loubon, Palizzi, Fromentin, Ziem, Monticelli, Diaz, Gudin, Chintreuil, Aiguier, Millet, Jules Noël, etc., c'est dire assez que l'Exposition n'était pas provinciale. Malgré cela et peut être même à cause de la promiscuité de telles œuvres, Paul Guigou n'eut bientôt qu'un désir: aller à Paris. Il n'y fit qu'un court séjour. L'existence n'y était pas facile, car il ne pouvait encore espérer pouvoir vivre du produit de la vente de ses toiles. Il revint enthousiasmé avec l'idée très arrêtée de poursuivre la carrière artistique.

Aussitôt rentré à Marseille, quelque peu influencé par Courbet qu'il avait admiré là bas, Paul Guigou installe son chevalet devant les sites les plus agrestes et les moins peints des environs de cette ville. Il expose, en 1859, le Vallon de la Panouse, qui fleure une Provence aride, désolée même, mais capiteuse; un coin presque inconnu où jusqu'aux bords du chemin, dans le draiou52 local, le thym, le romarin, la sauge et les lavandes s'acharnent à pousser entre les pierres, parmi les argelas dominateurs et parasites, avec, au fond, la colline nue, abrupte, brûlée, où l'ombre met des cassures d'un violet spécial. – Une nouvelle note était trouvée. La Provence comptait le peintre historiographe de son sol aride, de ses collines marmoréennes, de ses lignes fortement accusées dans la lumière crue, enfin de son caractère particulièrement sauvage.

Paul Guigou ne saura voir autrement son pays: mais éprouvant fortement cette poésie du terroir, il en imprégnera ses toiles avec tant de sincérité qu'on doit lui pardonner sa violente franchise.

Il continue à parcourir les endroits les moins riants, mais les plus caractéristiques: le Ravin de la Nerthe, où on n'aperçoit que des rochers amoncelés en désordre, des arbres décharnés qui élèvent désespérément leurs branches rachitiques vers le ciel; et dans une sorte de vallée de Josaphat impitoyable, un chaos lunaire où la lumière pourtant chante la vie sous l'azur bleu.

Les Gorges d'Ollioules, rendues effarantes par la torsion géologique de leurs roches, l'effort vain de quelques végétaux à pousser dans les interstices du granit et des gneiss; l'eau qui longe le ravin, constamment arrêtée dans sa marche par les pierres anguleuses, tous les détails d'un coin de désolation.

Cependant, de ses paysages, Paul Guigou sait déduire l'effet.

Ici, il attend que les ombres atteignent telles parties des gorges pour éclairer plus vivement les fonds et faire refléter le ciel bleu sur les eaux transparentes; là, il fait courir sur cette nudité des ombres légères dont l'arabesque est une joie pour l'œil, un accident anecdotique emprunté à la nature même, et avec lequel il sait la parer.

Pour le peintre, cette époque est féconde en petites études charmantes et en morceaux puissants. Paul Guigou s'éprend du geste des laveuses qui, agenouillées dans les caisses de bois, un mouchoir couvrant leur tête, font, aux bords des ruisseaux et des rivières, une jolie tache de couleurs; et très consciencieusement il les étudie sans rien omettre des détails de leur costume.

Mais en 1860, à part quelques artistes et quelques rares amateurs, personne n'appréciait l'art de Guigou. Dans la Tribune artistique et littéraire, M. Auguste Chaumelin, animé pourtant de bonnes intentions décentralisatrices et dont les efforts furent méritants, faisait à Paul Guigou, ainsi qu'à Monticelli qu'il ne comprenait point, les reproches les moins mérités.

Incompris dans son pays, le pauvre artiste, fort de sa vocation impérieuse, des encouragements de Loubon et de quelques peintres amis, signifia à sa famille qu'il allait se fixer définitivement à Paris et qu'il renonçait pour toujours au notariat. Un vrai conseil de famille se réunit devant lequel comparut Paul Guigou. La discussion fut orageuse: mais Guigou l'emporta. «Je ne ferai jamais, dit-il, un notaire consciencieux, je puis faire un bon peintre.» Le père consentit alors à laisser partir son fils en lui assurant une pension de cent francs par mois.

A Paris, nous retrouvons Paul Guigou travaillant avec une énergie rare, vendant quelques toiles, et collaborant au Moniteur des Arts. Enfin, après quelques refus, le peintre provençal apparaît au Salon de 1863. En ce temps, le paysage n'était pas en honneur à l'Institut où se recrutaient les seuls membres du jury de peinture. Les paysagistes étaient considérés comme des artistes inférieurs, et dans les catalogues le paysage venait hiérarchiquement après la nature morte. On ne se doutait guère que dans les quelques noms de peintres que la postérité retiendrait comme ayant illustré le xixe siècle, les paysagistes auraient la préséance.

48.Plus qu'aucun peintre Monticelli est volé, volé dans son nom, volé dans ses œuvres. Et quand beaucoup de ses toiles, parmi les meilleures, courent l'Amérique sous la signature de Diaz, une quantité d'horribles peintures lui sont en France – à Paris surtout – attribuées à tort.
49.Gazette des Beaux-Arts, no du 1er février 1901.
50.Raymond Bouyer. Le Paysage dans l'Art.
51.Ce tableau acheté par l'État, à l'issue de l'Exposition universelle, est en ce moment au musée Galliera, attendant son entrée au Louvre.
52.Sentier.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
150 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre