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Kitabı oku: «Le notaire de Chantilly», sayfa 3

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IV

La paix était conclue entre les deux époux, aux dépens d'une confidence que Maurice, eût-elle été plus sérieuse, n'était pas en droit de refuser à Léonide: il n'en était pas moins récompensé par toutes les immunités de la reconnaissance.

Il eût été bien rigoureux, après tout, de ne pas céder. En échange de sa liberté de demoiselle, qu'elle n'avait perdue que depuis deux ans, comme une compensation à son éloignement de Paris, où Maurice l'avait conduite après l'avoir épousée, et comme adoucissement à la monotonie de leur résidence à Chantilly, il était juste que Léonide entrât en partage de la souveraineté domestique. A la condition de vivre sur le pied d'une parfaite égalité dans le ménage, peu de femmes se plaindront des privations qu'il exige. Mais ce n'est qu'à ce prix.

Outre le sacrifice de Paris et de sa liberté, Léonide faisait encore à son mari l'abandon de son orgueil de jolie femme. Elle s'était résignée à l'admiration unique que lui vouait Maurice, se contentant d'avoir pour lui seul des yeux noirs qui étonnaient même les gens de la campagne, eux qui les ont si beaux et qui ne s'étonnent de rien; d'avoir pour lui seul une coupe de figure italienne, ovale et olive, et une de ces tailles franches qui font qu'une femme est nue malgré ses vêtements.

Léonide porte au plus haut degré le caractère de femme soumise à son organisation ardente: l'impétuosité de ses penchants étincelle dans ses yeux vifs, mais cernés, dans son teint sombre qu'éclaircit une abondante chevelure du plus beau noir, dans le jet de son cou sans inflexion. Forte et nerveuse à la fois, on sent qu'elle serait assez complète pour écouter la volonté de toutes ses passions; qu'elle serait amante jalouse, implacable ennemie, rivale à redouter, si, en réalité, elle ne se montrait avec éclat femme soumise et attachée. Elle n'est pas coupable de l'exagération de ses instincts. Les démentis donnés à la civilisation par le naturel, qui prévaut si souvent, ne sont pas à la charge de ceux qui trompent: est-ce la faute d'une femme si, née pour vaincre un taureau à la lutte ou pour traverser un torrent à la nage, on a emprisonné ses bras dans une robe et amolli ses nerfs dans la soie? Dieu a fait la femme, et nous la dame. L'erreur perce toujours. Chacun, à des moments donnés, reprend sa place dans la création, en s'échappant aux liens de paille que nous appelons mœurs, religion, convenances.

Livrée aux opinions conjecturales, Léonide passerait pour hautaine, indomptable, méchante même, si l'on n'était forcé d'ajouter belle à chacune des suppositions morales dont elle ne serait pas irréprochable.

Au fond de ses traits se lit une tristesse pour tout ce qui l'entoure. Toujours mise avec recherche, elle semble provoquer une fortune plus digne d'elle que cette existence petite où elle a fait halte un instant.

C'est encore un contraste à remarquer, que sa virilité à côté de la mansuétude de son mari, homme de trente ans à peine, déjà chauve quoique sans décrépitude, mûr avec toute la fleur de l'adolescence, un peu replet, lui qui était hier le plus léger aux barres dans la cour de Juilly.

Si les harmonies ne résultaient des dissemblances, on condamnerait l'union de Maurice et de Léonide; on blâmerait ce contrat obligeant à rester éternellement ensemble le calme et l'emportement, l'homme de cabinet et la femme du monde, exposés à peser l'un sur l'autre comme le plomb sur la gaze.

Au milieu de leur traité de paix, Léonide et Maurice furent surpris par la visite de M. Debray, colonel de gendarmerie en garnison à Laval. Il avait obtenu une permission du ministre pour venir inspecter, accompagné de sa femme, la coupe de quelques biens patrimoniaux entre Creil et Chantilly. C'était un voyage annuel.

– Mes bons amis, dit-il en entrant, je viens vous faire mes adieux; je pars.

– Vous plaisantez, colonel; vous êtes arrivé depuis deux mois seulement. N'étiez-vous pas ici pour le semestre?

– Sans doute, mon cher Maurice, mon projet était de rester parmi vous jusqu'au milieu de l'hiver; mais j'ai reçu hier un ordre du ministre de la guerre qui m'enjoint de me rendre sur-le-champ à mon régiment, que je dirigerai, sur nouveaux ordres, vers le point où Son Excellence voudra le faire marcher.

– Oh! que j'en suis fâchée pour ma part! interrompit Léonide; moi qui comptais si bien sur vous, colonel, ce carnaval, aux bals de Beauvais et de Senlis! Nous enlevez-vous aussi madame Debray? J'espère que Son Excellence ne l'exige pas?

– Non, madame; l'obéissance passive n'étant pas réversible sur le ménage, j'ai laissé à madame Debray le choix de m'accompagner ou d'attendre, pour venir me rejoindre, que mon régiment ait une mission plus certaine. Elle s'est arrêtée à cette dernière proposition; elle restera donc avec vous. Maurice, je vous nomme son chevalier.

– Et l'on ne fait, colonel, s'informa Maurice, aucune conjecture sur ce mouvement de troupes qui s'opère à cette heure et simultanément sur toute l'étendue du territoire?

– Beaucoup. Les uns supposent que nous irons, – je ne parle que de mon régiment, – renforcer la garnison d'Oran; les autres, que nous serons envoyés aux frontières d'Espagne, en observation. Les avis ne se partagent qu'entre l'Espagne et l'Afrique, vous voyez! Il est bien question aussi de la Vendée, et, à ce propos, le bruit circule que des rebelles, condamnés par le tribunal d'Angers, sont cachés aux environs de Paris, et qu'ils ont même trouvé dans notre département plus d'un refuge. La gendarmerie de l'Oise est, dit-on, sur pied.

– Quelle extravagance! reprit Léonide, – glissant indifféremment, mais vite, sur cette dernière nouvelle qu'apportait le colonel au sujet des condamnés contumaces, – de disposer d'un homme, de dix mille hommes, à la minute, sur un caprice de diplomate, et pour tel point de la terre qu'il plaît à un ministre. Vous avez fait des préparatifs pour aller en Espagne, par exemple, vous avez étudié la langue de cette contrée, ses mœurs, compté sur tels incidents qu'elles offrent: tout à coup le télégraphe vous ordonne de vous embarquer pour Alger. Votre imagination avait rêvé les carnavals de Madrid, et vous recevez l'ordre d'aller camper sur l'Atlas, parmi les Bédouins.

– Qui a jamais prétendu, madame, que la guerre fût un voyage d'agrément?

– Ce n'est pas moi, colonel. Et je ne parle pas de vos femmes, qui passent six mois de l'année à douter si elles sont ou si elles ne sont pas veuves.

– En pareil cas, j'avoue, madame, répliqua en riant le colonel Debray, qu'une bonne certitude conviendrait mieux; surtout à présent que l'art de la guerre est si perfectionné, que certaines machines peuvent faire quinze cents veuves par coup. La vapeur a extrêmement simplifié l'état civil.

– Mais c'est odieux, colonel; on détruit par ce moyen une armée de cinquante mille hommes en quelques minutes. Ne serait-il pas plus raisonnable de se dire de souverain à souverain: Combien d'hommes avons-nous à faire tuer de part et d'autre? – Tant! – Tuons-les chez nous.

– La précision de votre raisonnement, madame, indique ce qui sera bientôt: on ne se battra plus du tout. Dès qu'on saura que la bravoure personnelle n'entre pour rien, absolument pour rien, dans le résultat d'une bataille; que la victoire dépendra de quelques chaudières de plus ou de moins de vapeur; dès que la valeur figurera comme deux roues, quelques sacs de charbon et quatre balanciers, et que la gloire enfin sera représentée comme une force de trois mille chevaux, chacun restera chez soi. Ainsi l'humanité doit compter, madame, sur la paix universelle, du jour où elle aura découvert le moyen de tuer trois cent mille hommes d'un seul coup.

– C'est consolant, colonel.

– Mais, comme ce procédé n'est pas encore inventé, et que chacun de nous est susceptible de remplir de sa vie la lacune qui nous sépare de sa réalisation, j'ai résolu, mon cher Maurice, de prendre quelques petites précautions avant d'entrer en campagne.

– M'apporteriez-vous votre testament, colonel?

– Non, cela est inutile: tous mes biens vont de droit à ma femme.

– Je le sais.

– Mes bons amis, j'ai des intérêts aussi chers, plus chers que les miens, à mettre à l'abri des coups du sort: ce sont ceux qui m'ont été confiés.

Avant de prolonger sa phrase, Debray marqua une longue pause; son regard indécis allait de Maurice à Léonide, comme s'il eût sollicité de lui ou d'elle une diversion indispensable à l'éclaircissement de sa pensée.

– Je sais ce qu'il espère, réfléchit Léonide tout en conservant son impassibilité; mais je resterai.

Maurice était au moins aussi gêné dans son attitude que le colonel Debray, qui, à trois fois, reprit et suspendit la confidence dont il avait fait l'unique motif de sa visite à Maurice.

Découragé enfin de la détermination de Léonide à ne pas s'en aller, et trop avancé pour changer de propos sans inconvenance, le colonel Debray entama son récit avec un dépit mal déguisé.

– Sous la restauration, j'étais intimement lié avec un officier des gardes-du-corps, jeune homme de famille noble, laquelle vivait en communauté de voisinage avec la mienne; il était d'un cœur élevé, d'un esprit vaste, de conduite loyale: nous avions commencé ensemble nos études militaires à Saint-Cyr, pour les achever plus tard à Saumur: c'était mon ami. La crise de 1830 vint nous diviser d'opinion, en nous apprenant que nous devions en avoir une. J'étais dans le 51e de ligne; il était dans le 1er de la garde: on nous fit marcher l'un sur l'autre dans les rues de Paris. C'était le 27 juillet. Voilà peut-être l'origine de l'obstination qu'il mit à défendre des idées pour lesquelles il avait tiré son premier coup de fusil. Mon régiment, vous ne l'ignorez pas, fut un des premiers qui passèrent du côté du peuple. Le 28, nous nous trouvâmes face à face, isolés, sur la place de l'Hôtel de-Ville, en présence de son parti armé et du mien, lui un fusil à la main, moi une carabine à l'épaule. Nous fîmes feu tous les deux en même temps: c'était un devoir; mais lui au-dessus de ma tête, moi à ses pieds. Le lendemain, jour décisif, il fut blessé mortellement à la défense des Tuileries. Je ne le revis plus que deux mois après, aux environs de Rennes, devenu inutile à sa cause comme soldat, languissant dans une de ses propriétés. Loin de l'affreuse mêlée où mon opinion avait triomphé de la sienne et non mon amitié, nous redevînmes frères. Vainement je l'engageai au repos: l'homme de parti ne m'écouta pas. Il voulut encore servir sa cause de sa puissante imagination stratégique, et des immenses ressources que lui offrait l'intelligence exacte des localités de la Vendée, où couraient des bruits sourds de guerre civile. En peu de jours, au moyen d'une correspondance active, servie à souhait par les inimitiés nées de la fermentation politique, à la faveur des appels d'insurrection que des émissaires défrayés par mon ami allèrent répandre avec de l'or dans les campagnes de l'Ouest, il devint l'âme d'une conspiration générale. Malgré la mort suspendue sur son lit, il dressa un travail qui, en dépit de quelques espérances exagérées, renfermait une organisation complète de résistance offensive. Dans ce travail étaient évalués les sacrifices de tout genre qu'avaient à supporter les riches propriétaires de la Vendée afin de procurer du pain et des munitions aux paysans: chaque bourg, chaque hameau, chaque feu, y était marqué avec la part qu'il lui était commandé de prendre à l'insurrection. Les balles de fusil étaient, pour ainsi dire, comptées. La part des trahisons et des dévouements était faite: rien d'imprévu. Sans une disproportion de forces inimaginable, ce plan devait réussir. Cet espoir nourri de science et d'exaltation retenait seul le dernier souffle de vie de mon ami. La mort fut plus forte que la volonté: il mourut dans mes bras; et c'est à moi, malgré mon opinion si opposée à la sienne, qu'il voulut confier ce plan de conspiration, de campagne et de guerre civile, me suppliant de ne le remettre qu'à un général dont il exhala le nom en expirant.

Ce général, mieux avisé depuis, moins dévoué en tout temps peut-être que ne le supposait mon ami, a, par sa conduite, rendu impossible cette restitution. Il a engagé son épée au service de l'État. Resté seul possesseur de ce plan, tant que les révoltés n'ont détruit que nos récoltes, n'ont incendié que nos granges, je l'ai respecté: en faisant sauter ce cachet, je pouvais sauver de la ruine mes propriétés et celles de ma mère: il n'y avait pas là assez de motifs pour violer un dépôt. Je laissai brûler. Aujourd'hui que les rebelles, suivant par induction le plan de mon ami, ont une armée, des chefs, presque un gouvernement, ma conscience hésite à céler ces papiers plus longtemps. Puisque le secret de la rébellion organisée s'y trouve, celui de sa destruction y est nécessairement enfermé aussi. Il y va donc du repos du pays. Le gouvernement me sait l'héritier de ce plan par suite de l'indiscrétion du général à qui il était primitivement destiné par mon ami. Le ministre de la guerre en connaît l'importance; il le réclamera, je m'y attends. J'éprouve, mon ami, quelque répugnance à le lui remettre, et je manque de courage pour le lui refuser. Tremblant devant ma conscience, tremblant devant mon pays, quelle que soit ma décision, j'ai peur du remords. Agissez à ma place. Vous avez plus de lumières, autant de patriotisme que moi. Votre erreur ne sera qu'une erreur: la mienne serait un crime. Que deviendraient ces notes si importantes si je venais à mourir pendant la campagne d'Afrique, où je puis être appelé? Les emporter avec moi, ne serait-ce pas les exposer aux vicissitudes de la guerre? En les laissant dans ma famille, qui m'assure que ma femme, très-insoucieuse de ces papiers sans valeur apparente, en acquitterait la restitution en temps opportun? Votre patriotisme m'est connu, Maurice, c'est à vous que je les livre. J'écrirai demain au ministre que ce funeste plan est entre vos mains; il s'adressera à vous lorsqu'il en aura besoin. Le voici. Un simple reçu de vous, Maurice, et ma conscience sera tranquille. A l'heure de nouvelles nécessités, – et cette heure paraît proche, de porter la guerre en Vendée, – ce plan de campagne serait bien autrement précieux, mon ami, qu'un testament ou un dépôt d'argent; il renferme l'extinction radicale de la guerre civile, le sort d'une province, la tranquillité de la France. Je n'ose vous remercier, Maurice, de la responsabilité que vous acceptez, que mon amitié vous impose. Vous vous chargez d'une tâche honorable et qui ne serait pas sans danger, si le parti contre lequel ce travail peut être tourné vous en soupçonnait le dépositaire. En Vendée, l'incendie ou l'assassinat, je ne vous le cache point, sauraient vous faire livrer ce plan d'extermination; mais ici, loin du théâtre où il aura sa terrible utilité, vous n'avez qu'à vous armer, pour sa garde, de cette fidélité qui n'est pas seulement un attribut de vos fonctions, mais que chacun se plaît à reconnaître en vous comme la marque constante de votre probité d'homme.

Debray remit le plan de campagne entre les mains de Maurice.

– Colonel, il sera fait comme vous l'exigez. Partez, l'esprit tranquille, pour votre garnison. Je m'efforcerai de justifier l'amitié que vous me témoignez en vous abandonnant à ma prudence. J'agirai avec la circonspection qu'exige un dépôt aussi sacré. Il ne sortira de chez moi, si la nécessité des temps veut qu'il en sorte, qu'après que j'aurai concilié mes devoirs de citoyen avec le respect dû à la volonté dernière de votre ami.

Le colonel Debray pressa Maurice contre son cœur.

Jamais la figure de Léonide n'avait été plus pensive.

– Maintenant, voulez-vous, colonel, que nous passions dans mon cabinet? dit Maurice, en qui tous les sentiments élevés avaient été remués par la preuve d'estime que lui donnait le colonel Debray. Maurice apportait un honorable orgueil à être cru digne de sa charge, qu'il n'exerçait que depuis six mois, et au milieu des susceptibilités si peu indulgentes d'une petite ville. Avide de considération, il confirmait la vérité de cette maxime, que le cas qu'on fait des hommes est presque toujours la mesure de leur ligne future d'élévation. Si on ne les estime pas un peu sur parole, si on ne se hasarde pas à les croire ce qu'ils aspirent à être, il est peu probable que, privés de cet aiguillon, ils arriveront au point où ils seraient allés avec de tels encouragements.

Maurice est un de ces hommes actifs auxquels notre société moderne a prêté un relief exubérant. Par la place qu'a prise la richesse sur la naissance et même sur le mérite, ces hommes nouveaux ont su, avec une naissance honorable, un mérite réel parfois et quelque fortune acquise, obtenir un grand ascendant sur nos mœurs. Maurice est bien mieux partagé que le simple propriétaire qui n'a que sa valeur unitaire et transitoire de juré, d'électeur ou d'éligible: car il tient dans sa dépendance la fortune de l'éligible, de l'électeur, du juré, qu'il peut, par ses conseils ou son exemple, entraîner dans des pertes où se trouveront anéantis leurs titres politiques.

Il les lie indissolublement à lui par l'autorité de son expérience qu'ils préfèrent à la leur, par sa fidélité qu'ils élèvent bien au-dessus des chanceuses fidélités d'amitié et de parenté, par le titre légal qui sacre ces qualités et qui pourtant n'en constitue aucune, puisque ce titre s'achète et ne se mérite pas.

Maurice, par sa profession, est plus que tout ce qui est de quelque valeur autour de lui. La société vit sur les intérêts: il les garantit. Il est la loi: il est mieux que la loi; car la loi est muette pour beaucoup: il l'explique, l'éclaircit, lui donne un son: il est la loi qui parle. La loi est inaccessible sur son tribunal, avec ses juges au haut de la montagne; lui, la met à pied, l'assied sous un chêne comme le bon roi saint Louis, et au milieu des moissons pour en régler le partage; il est la loi qui marche. La loi est juste, mais sévère pour les hommes; ses yeux sont beaux, mais ils n'ont pas de larmes; lui, il est la loi qui se penche sur le lit du vieillard, – près de l'oreiller d'Eudamidas, – comme un fils aîné qui vient, non réclamer sa part plus grande d'héritage, mais faire faire bonne justice à ses frères: il est la loi qui pleure.

Le contrat garantit la propriété, le contrat garantit le traité entre le domestique et le maître, entre le chef et l'ouvrier, entre l'argent et l'industrie, entre la tête et le bras, entre la pensée et l'exécution. Mais qui garantit le contrat? le notaire. Ainsi toutes les transactions sociales l'ont pour gardien. L'ancien blason du notariat exprimait pittoresquement ce pouvoir d'unir qu'a le notaire: c'étaient deux mains l'une dans l'autre.

La mission du notaire est d'autant plus grave qu'elle est sans contrôle: le prêtre relève de Dieu; le médecin, ce prêtre du corps, relève de la science. L'enfer nous répond des exactions de l'un; les universités sont la caution de l'autre. Celui-ci a un serment, celui-là un diplôme, le notaire n'a qu'un reçu de son prédécesseur. La vertu fait le prêtre, la science le médecin, l'argent le notaire.

Poussé aux limites extrêmes, l'abus que peut faire le prêtre de sa puissance, c'est de vous damner.

La plus excessive domination que le médecin soit entraîné à exercer sous votre toit, c'est de séduire votre femme ou d'épouser votre fille.

Le notaire n'arrive à son dernier développement d'action morale sur la société que par la ruine de la fortune privée.

Et qu'on juge des ravages plus grands que le notaire est en position de causer dans la société. Qu'importe que le prêtre, en colère contre le siècle, abaisse devant le front du pécheur la grille du confessionnal; qu'il lui refuse l'absolution; qu'il interdise l'eau du baptême aux enfants, le voile du mariage aux jeunes filles, et l'huile sainte aux mourants? La mairie de l'arrondissement est là: elle baptise, marie et enterre; qu'importe enfin que les prêtres nous chassent du temple comme des vendeurs? nous vendrons à la porte du temple.

Qu'importent aussi les séductions d'alcôve du médecin? Il a suborné une femme, épousé par surprise une riche héritière; où est le si grand mal? autant lui qu'un autre. En sommes-nous là aujourd'hui? D'ailleurs, pourquoi n'êtes-vous pas le médecin de votre femme? La civilisation nous a appris à nous passer d'une foule de servitudes que subissaient nos grossiers aïeux; nous sommes aussi forts en jurisprudence pour le moins que les avocats; en politique, un roi n'en sait guère plus que nous; mais nous ne savons pas seulement sonder une plaie. Avec la moitié du temps que nous perdons à apprendre à danser, nous deviendrions médecins, – souvent mauvais, sans doute; ceux qui ont des diplômes sont-ils infaillibles?

La société moderne ne reposant que sur les intérêts et non sur la vertu, le marchand vertueux qui n'a pas d'argent ferme boutique; le négociant vertueux sans argent n'est pas reçu à la Bourse; le citoyen vertueux sans argent ne sera jamais député, maire ou conseiller municipal. Eh bien! n'est-ce pas l'office du notaire de placer, de déplacer, de faire produire cet or, cet argent, ces capitaux, ce tout avec lequel on est tout? Changez les termes; appelez honneur, considération, vertu, la possession de ces capitaux, et le notaire sera le directeur de conscience auquel l'homme s'est livré.

Le colonel Debray s'était levé: Maurice le précéda pour lui ouvrir la porte de son cabinet, où il allait lui délivrer le reçu de ce plan de campagne de la Vendée, qui lui était confié avec une si haute preuve d'estime.

Pendant le récit du colonel, Maurice avait à plusieurs reprises adressé des signes à Léonide pour l'engager à passer dans une autre pièce, sa présence étant une haute inconvenance. En femme fière, Léonide eut l'air de ne pas comprendre l'injonction de son mari. Elle affecta même de prêter une attention soutenue à cet entretien que le caractère de la maison lui interdisait. Debray, comme on l'a vu, avait paru d'abord embarrassé de la présence de Léonide; mais il avait fini par penser que Maurice étant au moins aussi intéressé que lui à la discrétion des affaires, il avait sans doute autorisé sa femme à en partager la connaissance avec lui. Toute faible que fût la supposition, elle lui avait suffi pour oser s'expliquer devant Léonide.

Léonide s'était levée aussi, prête à suivre dans le cabinet Maurice et le colonel Debray, décidée à faire prévaloir jusqu'au bout sa volonté de femme, surtout devant une personne dans l'esprit de laquelle elle eût rougi de paraître fléchir sous son mari. Heureusement pour la dignité du ménage, que, sur ces entrefaites, arriva le frère de Léonide, Victor Reynier: ce fut un prétexte tout trouvé pour Maurice de se débarrasser de la sœur sur le frère.