Kitabı oku: «Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume I», sayfa 8
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Il était sujet à l’apoplexie. On sait les circonstances qui accompagnèrent un même accident dont il fut surpris chez Fontenelle. L’abbé et le philosophe discutaient paisiblement sur le système planétaire, lorsque le cuisinier de la maison se présenta avec une magnifique botte d’asperges, fruit nouveau de la saison. Prévost voulait les manger à la sauce, Fontenelle à l’huile. La dispute s’échauffait déjà entre les deux savans, lorsque le cuisinier les mit d’accord en promettant d’accommoder la moitié de la botte à la sauce, l’autre moitié à l’huile. Arrangement convenu. Les asperges allaient leur train. Prévost est tout-à-coup renversé par une attaque d’apoplexie. Fontenelle se lève; on croit qu’il va chercher un flacon de mélisse; il se précipite à l’office et s’écrie d’un ton triomphant: Chef! toutes à l’huile.
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Cette histoire m’a été textuellement confirmée par une personne dont le témoignage ne sera pas mis en doute, par l’ancien curé de Saint-Firmin lui-même, l’ami de l’abbé Prévost. C’est donc peut-être à tort qu’on lit dans la Biographie universelle que «Prévot, le 23 novembre 1763, comme il traversait la forêt de Chantilly, une apoplexie soudaine le renversa au pied d’un arbre».
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Le grand Condé écrivait déjà à son père en 1635: «J’ai entretenu, il est vrai, plus de chiens que le besoin ou le plaisir de la chasse n’en demandait. Vous pardonnerez cette faute à ma première ardeur pour cet amusement. Je me suis défait de tous mes chiens, excepté de neuf.»
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Chantilly est le lieu de la France où l’on fabrique le mieux la dentelle.
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Un acte à peu près semblable de générosité et de désintéressement eut lieu au retour des Bourbons. Le prince Alexandre Berthier vint rendre à Louis XVIII les titres du domaine de Grosbois. Après les avoir gardés vingt-quatre heures, le roi les rendit au prince paraphés et légalisés de sa propre main.
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Le dernier des Condés a fait restaurer cette miniature gothique. A ses ordres, des maçons parisiens ont enlevé le moulin, ont exhaussé les deux tours, regratté la façade. C’est aujourd’hui aussi joli qu’une maison de la Chaussée d’Antin, avec logement de portier.
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Mme de Sévigné reste bien loin de la magnificence de cette fête dans une lettre où elle décrit une réception que préparait le grand Condé à Louis XIV. Cependant elle en vaut la peine. «On croit que monsieur le prince n’en sera pas quitte pour 40,000 écus; il faut quatre repas, il y aura vingt-cinq tables servies à cinq services, sans compter une infinité d’autres qui surviendront. Il y aura pour 1,000 écus de jonquilles: jugez du reste à proportion.»
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Cette noble hospitalité fut dignement récompensée. Lorsque les malheurs de l’exil poussèrent le prince de Condé, d’émigration en émigration, jusqu’en Russie, Paul Ier se souvint de l’accueil fait au comte du Nord. L’hôtel de Tzernichef fut décoré à la française et dans le goût de Chantilly. Les domestiques furent habillés à la livrée du prince, et sur la porte de l’hôtel était écrit en lettres d’or: HÔTEL DE CONDÉ.
ÉCOUEN
La ruine des châteaux n’est pas l’œuvre exclusive de la révolution de 89. Il n’est ni vrai ni juste d’attribuer à la colère seule du peuple une tâche d’anéantissement mûrement méditée, poursuivie sans interruption, pendant trois siècles, par la monarchie, en lutte corps à corps avec la féodalité. Quand le peuple souverain brûla les ponts-levis, il y avait long-temps que les rois avaient nivelé les bastions. Richelieu ouvrit la brèche à Robespierre. Bien avant la révolution, il n’était pas plus dans les mœurs d’élever des habitations fortifiées qu’il n’entrait dans la constitution politique du royaume de les souffrir. La reddition des châteaux suivit la soumission des provinces.
Ceux, en très-petit nombre, qui furent ravagés par une population dont le droit de représailles ne peut pas plus être approuvé que contesté; ceux, en plus grand nombre, que la bande noire a passés au crible pour les convertir en plâtre, les uns et les autres, à quelques grandes exceptions près, n’étaient que des résidences seigneuriales, sans âge, sans époque, sans caractère dans leur architecture. La corruption de l’époque antérieure à la révolution les avait déjà avilis du nom frivole de folies, avant que la mine de l’entrepreneur à la toise ne les eût jetés sur l’herbe. Après tout, les châteaux démolis ne furent pas volés par la bande noire, comme ceux qui les lui ont vendus voudraient nous le faire croire, mais achetés à beaux deniers comptans par elle: il y eut contrat entre l’histoire et les maîtres maçons. Ceux qui vendirent au tombereau les palais de leurs aïeux, et à la livre les plombs du cercueil de leurs pères, n’auraient pas tiré le même avantage de leurs titres de seigneurie. La bande noire préféra avec raison les pierres aux titres. A beaucoup d’égards, il n’y a de sincèrement regrettable que quelques fades plafonds, que quelques tapisseries fanées des Gobelins, et peut-être encore quelques parcs où les lapins abondaient déjà plus que les cerfs.
Les châteaux-forts, les seuls, je présume, dont nos regrets se soucient, furent démolis par la suprême bande noire des rois Louis XI, Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, et surtout par l’implacable révolutionnaire Richelieu, qui tua la tortue dans l’écaille, le seigneur dans la seigneurie. S’il lui plut d’en laisser quelques-uns pour modèles, ou plutôt comme exemples, au sommet de quelque montagne aiguë, entre deux gorges, au confluent d’une rivière, ceux-là existent encore; la révolution les a respectés. Il faut donc établir une foule de distinctions nécessaires entre les constructions féodales et les maisons seigneuriales, toutes faussement confondues aujourd’hui sous le nom de châteaux.
De ce que, durant toute l’ère féodale, les nobles méprisèrent, avec un instinct parfait de leur conservation, le séjour des capitales et des villes, mortel à l’inégalité, il y aurait erreur de croire que tout grand vassal fût un rebelle, toute retraite écartée un château-fort. Nos préjugés nous ont fait prendre des habitudes domestiques pour des précautions de résistance, pour des prétentions de souveraineté. Ce qu’on a lu là-dessus ne vaut guère mieux que ce qui a été imaginé. Pour un haut baron qui bâtissait sur la montagne et arborait la désobéissance à sa grosse tour, il existait des milliers de seigneurs qui, fidèles à la couronne, suivant leur roi à la guerre, accompagnant leur reine au conseil, ne s’entouraient de fossés que par tradition, ne se retranchaient derrière des murs de douze pieds d’épaisseur que par une routine de maçonnerie, et n’avaient des bastions, de doubles enceintes et des donjons, que pour obéir à la beauté de la symétrie. Tout seigneur avait sa terre, chaque terre son château. Est-ce que pour cela les châteaux en plaine ont jamais été des ouvrages de défense? Aussi sont-ils restés les plus nombreux sur le sol. La révolution de 89 les a détroussés, parce qu’ils étaient riches; mais qu’avait-elle besoin de les abattre?
En voyant la persistance de mes prédilections pour un passé où j’ai transporté quelques-unes de mes études, il me sera peut-être demandé un jour par les uns si je regrette l’édifice féodal, dont je me plais à ramasser les dernières pierres, avant que la machine à vapeur les ait broyées; et par les autres, à cause de beaucoup de critiques mêlées à beaucoup de regrets, si, semblable aux architectes de la bande noire, je recherche les châteaux derrière les bois qui les cachent, au-delà des fossés qui les protégent, dans la seule intention de les miner à la base, de faire de ma plume un levier démolisseur.
Mon enthousiasme n’est pas si aveugle, mon scepticisme si cruel. J’aime le passé de toute la foi que j’ai au présent. De désespoir de jamais comprendre l’histoire telle que les professeurs nous l’ont broyée, j’ai essayé de la lire au front des vieux monumens, patiemment, à pied, à petites journées, en courant les bois, en m’ouvrant un chemin dans la poussière des plaines, en m’asseyant sur les bornes de la route, en face de quelques vieilles grilles tordues et rouillées, dernières dents d’un beau manoir détruit.
Montez avec moi par l’escalier creusé à vif dans le roc, à la tourelle d’un de nos vieux manoirs, pour distinguer de là avec les yeux du passé et à la distance d’une flèche, d’abord, çà et là, rares, clair-semées, et de chaume, quelques huttes de bergers, quelques huttes de pêcheurs; semence invisible d’une colonie à naître, bourgeon douteux d’une civilisation fermée. Voyez l’enfant sauvage et nu grandir, la cabane s’adosser à la cabane, la hutte à la hutte, et la famille à la rue, celle-ci s’allongeant, celle-là s’augmentant; voyez l’une partir de la grande avenue du château, l’autre se grouper, faible et nécessiteuse, sous la large main protectrice du seigneur. Suivez d’un regard attentif la parenté qui s’éparpille, la famille dont le vent jette le grain partout, dans les limites et en dehors, séparée sans jamais se perdre; car elle se retrouve au puits commun, à la fontaine qu’on enclave, au four banal; mieux encore au monastère, où l’on prie pour le maître qui protége le four, le puits et la fontaine; car le monastère est bâti; il est debout. On voit de loin les tourelles du château; de loin on entend la cloche du monastère. C’est un attrait pour qu’on vienne; c’est un motif pour qu’on n’approche pas: hospitalité pour les bons, menace pour les mauvais. Nous en sommes déjà aux relations de voisinage, aux défiances de la guerre; et tout a procédé de là, remarquez bien: du château et du monastère. Ce sont les deux plus vieilles pierres de la fondation française. Partez de là et revenez-y, vous ne vous égarerez jamais: l’histoire est à terre.
Le bourg s’entoure de murs: c’est pour résister; d’eau: c’est pour se défendre. Nous avons donc déjà des murs et des fossés. Le sujet de la guerre, la position du bourg nous l’indique: c’est une rivière que les deux populations qu’elle divise se disputent; c’est une route où chacune d’elles prétend seule avoir le droit de passer; un lac dont la pêche est contestée; c’est un bois dont chacun veut la coupe et le gibier. De là des prétentions fondées sur des origines obscures, la tradition; de là des coutumes grossières, berceau du droit; de là des habitudes de vivre, l’histoire des mœurs. Avec les différences qui leur sont propres, tenez compte de ces mille traditions, de ces mille coutumes, et vous aurez réuni toutes les pièces éparses de l’armure solide que portait le géant de la féodalité quand il couvrait la France.
Mais les époques de guerre sont passées; le château reste encore debout pour vous dire ses jours de magnificence, à l’abri de la royauté qui le protége; ses embellissemens, et parallèlement ceux des villes vassales. Si le château a sa belle avenue, c’est pour la joindre au pavé de la ville. Les largesses du seigneur balancent sa souveraineté. Sa générosité demande grâce pour sa puissance. Déjà la ville a ses priviléges; le paysan a son champ. Le privilége, c’est de ne pas suivre le seigneur à la guerre. Peut-être le paysan empêchera-t-il bientôt le seigneur de chasser dans son champ. Voyez: l’histoire n’a pas changé de place, tout est sous vos yeux; autrefois le seigneur gouvernait depuis l’endroit où nous sommes jusqu’à l’horizon, – tout un pays; – puis, il ne fut plus maître que jusqu’à cette colline, – traqué pour Louis XI; – puis, que jusqu’à ce moulin, puis, que jusqu’au bout de son bois, – limé jusqu’à la chair par Richelieu; – puis, que jusqu’à sa grille, puis, que jusqu’à sa porte; puis il ne fut plus maître de lui-même, et on le coupa en deux. Les châteaux nous disent cela, et voilà pourquoi il faut les aimer, ou plutôt les étudier. On s’exhausse sur eux comme un nageur sur un rocher élevé, afin de plonger plus profondément dans les eaux du passé.
Quand, parti de Paris, on a couru quatre lieues vers le nord, en laissant Saint-Denis derrière soi, on est dans le bourg d’Écouen, au pied du château de ce nom. D’où vient ce nom d’Écouen et quand fut bâti ce château? c’est ce que madame Dutocq ne saurait vous apprendre. Madame Dutocq n’est pas une autorité historique, mais l’aubergiste de l’endroit. Nous justifierons plus loin le rapprochement que nous établissons ici entre le château d’Écouen et madame Dutocq; qu’il suffise d’abord au lecteur de savoir que l’hôtel de cette dame est le meilleur pied-à-terre pour les voyageurs qui relaient, allant vers le nord. Il est non seulement le meilleur, mais le plus cher. Sans crime on pourrait oublier Écouen sur la carte de France; mais on serait inexcusable de ne pas consacrer quelques lignes à madame Dutocq sur l’album de voyage. Dès cinq heures du matin, son hôtel devient un caravansérail, aux Orientaux près, qu’on ne voit pas souvent à Écouen. Des postillons rouges et camards fument sur la porte de l’hôtel, des postillons camards et rouges enfourchent leurs chevaux et retournent en sifflant à leur relais; des Anglaises, le voile vert abaissé sur les yeux, languissent de faim dans la salle à manger, tandis que leurs domestiques entourent d’un blocus continental tous les beefsteakes de la cuisine, transformée en toutes sortes d’établissemens, en boucherie ici, en cabaret plus loin. – Du porc frais à monsieur! – Du bordeaux à mylord! Les Anglais se font appeler mylords sur les grands chemins; ils paient en conséquence. Cette cuisine mémorable, toute ruisselante d’affamés, semble se multiplier sous les mille destinations qu’on lui impose. Et toujours de nouveaux venus qui demandent des poulets et des œufs. Où la France puise-t-elle tant d’œufs et de poulets? d’où Écouen en particulier les tire-t-il?
Depuis trente-huit ans madame Dutocq est là, à cette place, parée d’un gracieux battant-l’œil le matin, en habit habillé à deux heures; en robe de soie feuille-morte quand la nuit vient, quand les broches s’éteignent et que la basse-cour est tranquille de tous les chapons qui sont allés dans un monde meilleur. La révolution a passé, l’empire, la restauration, les deux restaurations, les deux empires, et madame Dutocq ne s’est pas plus émue au canon du 18 brumaire qu’au canon de Sacken; elle n’a participé à ces transfigurations politiques que par quelques altérations que la prudence l’a obligée de faire subir à sa carte du jour: au lieu de côtelettes à la Soubise, elle appela la même partie de l’animal, dans les jours de terreur, côtelettes à la Couthon; aux poulets à la Marengo, elle donna à l’époque moins héroïque de la restauration le nom de volatile à la Condé. Hors cela, rien pour elle n’est changé à la France, qu’elle peut toujours croire gouvernée par Louis XV, dont elle rappelle les beaux jours par son costume, par son intarissable conversation musquée, par ses souvenirs, fontaine de petites anecdotes roses, grises, tendres; par sa figure au pastel et son nez de la régence; ce nez seul qui l’eût compromise pendant la révolution et l’eût forcée d’émigrer.
Et c’eût été dommage: car madame Dutocq n’est pas uniquement une femme remarquable parce que, depuis trente-huit ans, elle abreuve et reconforte les voyageurs, mais elle est précieuse à consulter, et voici où je voulais en venir, en ce qu’elle est une des rares personnes capables de fournir quelques renseignemens sur le château d’Écouen, dont elle a connu la splendeur et les vicissitudes sous les Condé et la république, sous le directoire et l’empire, et enfin sous la restauration, qui le rendit aux Condé.
Madame Dutocq ne vous parlera pas des Montmorency, ni ne vous dira que c’est à Anne le connétable qu’on doit le château d’Écouen, ou plutôt la restauration de ce bâtiment par Bullant; mais elle vous racontera une foule de petits faits dont elle a été témoin, et au milieu desquels elle s’est, fort innocemment quelquefois, trouvée actrice. Essayez de l’interroger.
Madame Dutocq, votre vin rouge est délicieux.
– Ne m’en parlez pas; il date des vélites: cela nous reporte loin.
– Des vélites romains, madame Dutocq?
– Des vélites de l’empereur Napoléon, en 1805. Huit cents hommes superbes par chaque bataillon. Les grenadiers de ce corps étaient cantonnés à Fontainebleau, les chasseurs à Écouen. De beaux jeunes gens, verts comme un brin. Le plus âgé n’avait pas vingt ans.
– Vous n’aviez guère alors que trente et quelques années, madame Dutocq? – Un bel âge pour être hôtesse!
– Et qui appartenaient aux meilleures familles; il fallait voir: tous, comme portait le réglement, sachant lire, écrire, calculer, servant au gouvernement une rente annuelle de 300 francs.
– Vous vous les rappelez parfaitement?
– Comme s’ils avaient dîné hier ici, où ils prenaient tous leurs repas: le cœur sur la main, la main percée, ces braves jeunes gens! Avec vingt-trois sous par jour ils ne pouvaient pas faire un grand festin, mais je leur aurais livré ma basse-cour sur leur bonne mine. Gracieux comme des gardes-françaises: habit bleu, revers blancs, gilet, pantalon de la même couleur, guêtres noires, bonnet à poil.
– Ils étaient donc logés dans le voisinage, pour venir manger chez vous?
– Voisinage! Je crois bien; au château d’Écouen même, où Napoléon les faisait élever pour les incorporer dans la garde impériale. Et quel ordre! quelle propreté! monsieur, levés à cinq heures du matin, couchés à neuf heures le soir, comme de belles filles. – On y va! – C’est une chaise qui s’arrête. – On y va!
Madame Dutocq disparaît un instant; on jette une bûche de plus au feu; on entend les cris d’un poulet qu’on égorge, le bruit des œufs qui tombent dans la poêle. C’est décidément un mylord qui arrive.
Madame Dutocq rentre dans la salle.
– Comme je vous disais, on les habillait de blanc tous les dimanches; chaque section avait une ceinture de couleur différente et obéissait à une sous-maîtresse.
– Permettez, madame Dutocq; on habillait, dites-vous, les vélites de blanc, et de jeunes militaires obéissaient à une sous-maîtresse!
– Est-ce que nous n’en étions pas sur le pensionnat de madame Campan, monsieur?
– Mais du tout, madame, nous discourions sur les vélites.
Madame Dutocq, riant:
– Pardon! je confondais deux époques; celle où Écouen était une école militaire, et celle où il devint le pensionnat de madame Campan. Mylord a brouillé mes souvenirs. C’est un mylord qui vient de descendre.
– Ils n’avaient presque pas de moustaches, avaient la taille fine, toujours la plaisanterie sur les lèvres.
– Vous ne parlez plus des élèves de madame Campan.
– C’était une excellente dame madame Campan, qui avait vécu à la cour du feu roi, et avait voulu s’enfermer dans la prison du Temple avec Marie-Antoinette, à la mémoire de laquelle elle est toujours restée fidèle.
Madame Dutocq s’attendrit.
Je respecte sa douleur.
– Madame! madame!
– Qu’y a-t-il?
– Mylord veut du vin.
– Quel vin?
– Une bouteille de bordeaux.
– Donnez-lui du cachet sombre.
– Et une bouteille de vieux beaune.
– Cachet sombre.
Madame Dutocq cherche à renouer son récit.
– Nous en étions d’abord aux vélites; et s’il vous plaisait…
– Ils prenaient leurs repas ici. Je m’aperçus au bout d’un certain temps que la dépense allait grand train. Il n’y avait pas de bon sens à cela. Figurez-vous des adolescens qui s’étaient mis sur le pied de se traiter alternativement; il en résultait des comptes à faire pâlir un mylord: 60 francs, 80 francs!
– Au bout d’un certain temps vous vous en aperçûtes.
– Et songez que, fils des meilleures maisons, ces jeunes gens m’étaient personnellement recommandés par leurs parens. Un jour j’entrai au dessert, et je leur dis, la carte à payer d’une main et le champagne de l’autre: Messieurs, c’est le dernier repas que vous prenez chez moi, si vous ne me jurez pas d’accepter la proposition que je vais vous soumettre.
Tous se levèrent avec respect et jurèrent.
– Et quelle était cette proposition, madame Dutocq?
– Que chacun paierait son écot; que désormais aucun d’eux ne régalerait les autres.
– A combien s’élevait la carte ce jour-là?
– A 90 francs. – C’était affreux!
– Et vous rabattîtes?..
– Rien. – C’était une leçon que je leur donnais.
Je compris la leçon des vélites, payai mon écot sans rien rabattre à madame Dutocq, admirant la sagacité des parens qui recommandent leurs enfans aux aubergistes. Je sortis.
Je gravis le sentier stratégique, ouvert dans le roc, qui serpente jusqu’au pied des fossés, et qui isole sur une hauteur le château d’Écouen. Avec le temps, l’industrie a flanqué ce chemin de défense de petites maisons villageoises, et de magasins où se vendent les épiceries pour la consommation locale, la poudre du roi et le tabac de la régie. Puissans Montmorency! hauts barons! là où vous attendaient autrefois, sur deux haies, des hommes d’armes immobiles, espèce d’escalier de fer, par où vous passiez pour vous rendre à votre manoir, il n’y a plus que les chandelles de bois de l’épicier, le petit plat à barbe du perruquier, et la carotte rouge des contributions indirectes. La fin des plus belles choses de ce monde est triste, et ce serait à ne pas se consoler, si, par un regard jeté en arrière, on ne découvrait, au fond du passé, toute la misère des origines.
L’origine des Montmorency, personne ne l’ignore, a devancé de beaucoup la fondation du château d’Écouen, bâti au XVe siècle sur l’emplacement d’un autre château d’une date perdue, relevé par Anne le connétable, pendant le règne de François Ier. Ils habitaient, plus loin, le bourg de leur nom, véritable berceau de leur famille, et qui a dû être, il faut bien le croire, une ville autrefois importante, puisqu’il est dit dans les chroniques que les Anglais, en 1356, après la bataille de Poitiers, firent le siége de Montmorency, prirent le château et le brûlèrent.
On explique les violences exercées par les Anglais sur les terres des Montmorency par la fraternité de bonne et de mauvaise fortune qui liait ces derniers à la cause des rois de France. On sait aussi que, par la mauvaise délimitation de leurs propriétés, ils étaient continuellement en collision avec les puissans abbés de Saint-Denis. A l’époque où le nom de cette famille se cachait derrière celui de Bouchard, pour l’éclipser plus tard et l’effacer complétement, la tradition place de naïves anecdotes, toutes ayant trait aux prétentions réciproques de l’abbaye de Saint-Denis et de ses redoutables voisins. Mais elles pèchent par beaucoup d’obscurité. Par un temps de brouillard il y a moins de ténèbres amassées autour de la flèche de Saint-Denis qu’il ne s’en trouve, lorsqu’on remonte les temps, à la surface des événemens dont cette flèche est la vénérable sœur en âge.
Si cette belle flèche avait une voix, comme au temps des fées, elle vous dirait, sous sa responsabilité, comment le noble Bouchard, dont les descendans épurés furent des Montmorency, avait choisi pour théâtre de ses excursions ce plateau montueux qui part de Saint-Denis et se circonscrit entre les buttes de Champlâtreux et l’Ile-Adam. Bouchard n’avait pas encore de château seigneurial avec ponts, fossés et tourelles; pas de palais, si ce n’est celui du ciel, où ses collatéraux devaient loger un jour une parente divine, protectrice spéciale de leur famille. Cette parente, on le sait, fut tout simplement la sainte Vierge, mère de Dieu, cousine des Montmorency; excellente cousine qui, priant, un jour d’été, l’un de ses cousins de se couvrir devant elle, en obtint pour réponse: – Ma cousine, c’est par commodité.
Bouchard, malgré sa céleste parenté future, ne croyait ni à Dieu ni à diable; ce qui ne l’empêchait pas d’être un hardi détrousseur de grandes routes. La nuit venue, il endossait sur ses membres velus une casaque couleur d’écorce d’arbre, s’armait d’une lance ou d’un bâton; et, placé à la Patte-d’Oie de Saint-Denis, limite qu’il ne franchissait jamais, à cause de certaines précautions de l’abbé du monastère, ou bien en embuscade sur le chemin de Beaumont ou de Senlis, il guettait le chariot de vivres se dirigeant vers Paris, la mule opulente de l’homme d’église; à défaut, le simple piéton, pour peu qu’il eût une allure aisée; la villageoise, pour peu qu’elle fût jolie.
L’erreur topographique serait des plus graves si l’on se figurait le terrain parcouru par le sire de Bouchard tel qu’il ne fut que des siècles après, coupé de larges routes ombragées d’ormes, peuplé de jolis hameaux, dont les noms sont aussi frais que leur paysage: Pierrefitte, cellier vineux des moines de Saint-Denis, Sarcelles, Villiers-le-Bel, Épinay, Sannois, Eaubonne; terrain couronné par Montmorency, la ville des cerises; la cerise! royauté que le temps ne lui a pas enlevée, après avoir abattu le formidable château de ses ducs.
Bouchard ne voulait être ordinairement accompagné de personne pour mener à bien ses entreprises, que sauvaient d’une qualification injurieuse des prétextes de guerre; il allait seul à travers des lacs dont celui d’Enghien n’est plus qu’une goutte oubliée, par des bois pleins de loups qui semblaient le connaître, ou le long de la Seine, dont les flots solitaires ne réfléchissaient que de rustiques cabanes de bûcherons. Vainqueur, il entraînait sa proie dans sa demeure, et là il la dépouillait jusqu’à la dernière plume, ce que constatent les chroniques.
Elles racontent des merveilles du musée de rapines qu’il s’était composé, grâce à ses représailles de guerre envers les abbés de Saint-Denis. Il faut croire que la poésie de la tradition aura exagéré l’amour de la collection chez le redoutable Bouchard. Il avait, assure la chronique, des chambres pleines de soutanes d’abbés, ce qu’il appelait plaisamment son concile; des greniers encombrés de selles de chevaux, le long desquels il aimait à se promener, comme dans un jardin de cuir et dans le Panthéon de sa gloire. Il avait encore des salles comblées de cornes de bœufs, élevées en trophées, en pyramides; des cornes de bœufs qu’il avait volés; mais sa plus riche, sa plus étincelante, sa plus ambitieuse pièce, sa salle du trône, était celle dite des fers à cheval. Aux quatre murs de cette salle étaient cloués du haut en bas, de long en large, des milliers de fers à cheval, rangés avec symétrie, autre souvenir de ses guet-apens nocturnes. Bouchard avait ainsi déroulé autour de lui une suite d’images mémoratives de ses conquêtes.
La structure de Bouchard répondait à l’idée qu’on pouvait s’en faire d’après de pareilles mœurs. Il était trapu, velu et fourbu, dit en maligne assonance un moine chroniqueur de Saint-Denis. Sa force était prodigieuse, sa rapacité celle d’un loup, sa figure celle d’un sanglier. Il avait des tourbières de cils qui lui cachaient les yeux, tant ils étaient fournis, et ses yeux étaient rouillés; sa barbe était si atrocement mêlée, tressée, tordue, impénétrable au peigne, qu’on le désignait et qu’on le désigne encore, dans les arbres généalogiques des Montmorency, dont il est le tronc robuste, sous le nom de Bouchard-le-Barbu ou Bouchard-à-la-Barbe-Torte.
Barbe-Torte était la terreur des environs de Paris. De Senlis à Chantilly et de Chantilly à Pontoise, dans ce vaste circuit où courent la Seine et l’Oise, son nom était suspendu comme une flamme au-dessus des chaumières. Dans toutes les transactions qui avaient lieu pour des échanges de marchandises à transporter, à l’époque de la foire de Saint-Denis, on faisait la part de Bouchard, comme on fait la part de l’inondation et du feu. C’était un temps de jubilation pour le vindicatif Bouchard, car la foire de Saint-Denis était célèbre dans le monde entier. «Les marchands s’y rendaient non seulement de toutes provinces de France, mais encore des pays étrangers, de Saxe, de Hongrie, de Lombardie, d’Angleterre, d’Espagne et des autres royaumes.» Il n’y a que Barbe-Bleue et Barbe-Rousse qui, à des degrés différens d’authenticité, aient laissé une réputation d’effroi égale à celle de Barbe-Torte.
Ce furieux Barbe-Torte commit tant de dégâts, dépouilla tant d’abbés de leurs soutanes, tant de chevaux de leurs selles et de leurs fers, sans doute pour compléter sa collection, que l’abbé de Saint-Denis résolut de s’offrir en sacrifice pour délivrer le pays de ce monstre, de ce Minotaure, qui n’avait pas encore rencontré son Thésée.
Sublime dévouement! Mais comment pénétrer dans l’antre du dragon sans en être dévoré, avant d’avoir essayé de la persuasion sur son esprit? car le bon abbé ne voulait et ne pouvait avoir recours qu’aux armes de la parole pour opérer une sainte conversion dans l’ame de Barbe-Torte, ame plus torse encore que sa barbe; et pourtant il n’ignorait pas que Bouchard était sans pitié pour les hommes d’église. Bouchard n’allait ni à la messe ni à confesse, ne faisait ni ses pâques ni son jubilé; un vrai mécréant, qui n’était pas même le premier voleur chrétien avant d’être, pour l’éternelle illustration de sa race, un des premiers barons chrétiens.
Tout est possible à ceux qui croient. L’abbé fut inspiré par son dévouement. Habillé en marchand de bestiaux, il monte sur sa mule et se met en route par une nuit d’hiver, chassant devant lui un troupeau de bœufs.
A peine était-il par le travers des propriétés de Barbe-Torte, entre Andilly et le Plessis-Bouchard, qu’un coup de bâton ferré le renverse et l’abat aux pieds de sa mule. En se relevant, l’abbé reconnaît Barbe-Torte. – Dieu soit béni! Celui-ci lui commande de le suivre, ainsi que ses bœufs. Il est obéi.
Le saint abbé ferma les yeux en entrant dans la caverne de Bouchard pour ne pas voir les fers à cheval dont la première salle était décorée. Barbe-Torte, au contraire, était fier de les étaler. Il semblait dire, derrière son ironique sourire: – Avant demain, les quatre fers de ta mule, mon hôte, seront cloués là; ta selle là-haut; toi où il me plaira de t’envoyer, à la charrue ou à la brouette. Aucune menace n’émut le faux marchand de bœufs.
Minuit, c’était l’heure du souper de Barbe-Torte. On lui apporta des viandes de toute espèce: viandes volées, portées dans des plats volés, par des domestiques volés. Bouchard mangea avec assez d’appétit. Au second coup qu’il but, il s’informa avec intérêt si le commerce des bestiaux était florissant aux environs. Le bon abbé, qui n’entendait rien au commerce des bestiaux, toussa; si la foire de Saint-Denis en France promettait d’être meilleure cette année: même indécision de la part de l’hôte de Bouchard, qui, le regardant de travers, lui dit: – Tu n’es pas marchand de bœufs, maître rusé; tu me trompes. – Si tu étais un voleur!