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Kitabı oku: «Les nuits mexicaines», sayfa 26

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Seul, Dominique était demeuré fixant un œil ardent sur don Horacio.

– Quant à moi, dit-il d'une voix sombre, comme j'ignore ce qui va se passer ici et que je redoute un piège ou un guet-apens, je ne sortirai que sur l'ordre exprès de don Jaime, c'est lui qui m'a élevé, je suis son fils d'adoption, mon devoir est de le défendre.

– Demeurez donc, señor, répondit don Horacio avec un sourire triste, puisque vous êtes presque de notre famille.

Don Jaime s'avança alors.

– Mon beau-frère, lui dit-il, ce fils que vous aviez enlevé à ma sœur, l'héritier des ducs de Tobar que vous croyiez perdu, je l'ai sauvé, moi! Dominique, embrassez votre mère! Maria, voilà votre fils!

– Ma mère! s'écria le jeune homme en s'élançant vers elle avec un bond de tigre, ma mère!

– Mon fils! murmura doña Maria d'une voix mourante et elle tomba évanouie dans les bras de l'enfant qu'elle venait enfin de retrouver.

Forte contre la douleur comme toutes les natures d'élite, la joie l'avait vaincue.

Dominique enleva sa mère dans ses bras vigoureux, la déposa sur une chaise longue; puis, les sourcils froncés, le regard plein d'éclairs, les lèvres serrées, il s'avança à pas lents vers don Horacio.

Celui-ci le regardait approcher avec un frissonnement de terreur, l'œil fixe et le front pâle, reculant pas à pas devant lui jusqu'à ce qu'enfin, sentant la tapisserie à son épaule, il fût malgré lui contraint de s'arrêter.

– Assassin de mon père, bourreau de ma mère, dit le jeune homme d'une voix terrible, lâche et misérable; sois maudit!

Don Horacio courba la tête sous cet anathème; mais se redressant aussitôt:

– Dieu est juste! dit-il, mon châtiment commence, je savais que ce jeune homme vivait; j'avais à force de recherches fini par retrouver, sous le nom de Loïck, le misérable auquel à l'heure de sa naissance je l'avais vendu.

– Oui, dit don Jaime, et ce Loïck que la misère avait conduit au crime, repentant de sa faute, me l'a rendu à moi.

– Oui tout cela est vrai, fit don Horacio d'une voix saccadée; ce jeune homme est bien mon neveu, il a les traits et la voix de mon malheureux frère!

Il cacha son visage dans ses mains.

Mais se redressant aussitôt:

– Mon frère, dit-il avec fermeté, vous possédez presque toutes les preuves des crimes horribles que j'ai commis; et s'approchant d'un meuble qu'il brisa: voici celles qui vous manquent, ajouta-t-il en lui remettant une liasse de papiers. A mon insu peut-être déjà le remord était entré dans mon cœur: voici mon testament, prenez-le, il nomme mon neveu mon légataire universel en établissant ses droits d'une manière indiscutable; mais le nom de Tobar ne doit pas être flétri. Pour vous, pour votre neveu dont le nom est le mien, n'exécutez pas la cruelle vengeance que vous avez préparée contre moi: je vous jure sur ma foi de de gentilhomme, sur l'honneur sans tache de mes ancêtres, que vous aurez pleine satisfaction des crimes que j'ai commis et de l'existence de douleur à laquelle j'ai condamné ma belle-sœur.

Don Jaime et Dominique demeurèrent sombres et silencieux.

– Me refuserez-vous? Serez-vous donc impitoyables? s'écria-t-il avec anxiété.

En ce moment, doña Maria quitta la chaise sur laquelle son fils l'avait étendue; elle se leva toute droite et marchant d'un pas lent et automatique vers don Horacio elle se plaça entre lui, son frère et son fils; alors étendant le bras avec une majesté suprême:

– Frère de mon mari, dit-elle d'une voix empreinte d'une douceur ineffable, la vengeance n'appartient qu'à Dieu! Au nom de l'homme que j'ai tant aimé et que votre main cruelle m'a ravi, je vous pardonne les affreuses tortures que vous m'avez infligées, les douleurs sans nom auxquelles, depuis vingt-deux ans, vous m'avez condamnée, moi pauvre femme innocente, je vous pardonne! Puisse Dieu vous être miséricordieux!

Don Horacio tomba prosterné à ses genoux.

– Vous êtes une sainte, dit-il, je suis indigne de pardon, je le sais, mais j'essaierai de racheter autant qu'il dépendra de moi, par ma mort, les crimes de ma vie.

Il se releva alors et voulut lui baiser la main, mais elle se recula avec un geste d'horreur.

– C'est juste, dit-il tristement, je suis indigne de vous toucher.

– Non, reprit-elle, puisque le repentir est entré dans votre cœur.

Et elle lui tendit la main en détournant la tête.

Don Horacio y imprima ses lèvres avec respect et se tournant vers son beau-frère et son neveu toujours immobiles:

– Vous seuls, dit-il tristement, serez-vous donc impitoyables?

– Nous n'avons plus le droit de punir, répondit sourdement don Jaime.

Dominique baissa la tête en gardant un silence farouche; sa mère s'approcha de lui et le prit doucement par le bras; à cet attouchement, le jeune homme tressaillit.

– Que voulez-vous, ma mère? dit-il.

– J'ai pardonné à cet homme, lui dit-elle d'une voix douce avec prière.

– Ma mère, répondit-il avec un accent de haine implacable, quand j'ai maudit cet homme, c'est mon père qui parlait par ma bouche et, du fond de la tombe sanglante où l'a couché ce misérable, me dictait cette malédiction; elle restera sur lui, stigmate indélébile, et Dieu lui demandera, comme au premier fratricide: Caïn! Qu'as-tu fait de ton frère?

A ces paroles, prononcées d'une voix terrible, don Horacio s'affaissa foudroyé sur le sol.

Don Jaime et doña Maria s'étaient éloignés de lui avec horreur.

Il demeura ainsi plusieurs minutes étendu sur le plancher de la salle, sans que les assistants fissent un mouvement pour le secourir; enfin, doña Maria se pencha vers lui.

– Arrêtez, ma mère! s'écria le jeune homme, ne touchez pas ce misérable, ce contact vous souillerait.

– Je lui ai pardonné! dit-elle faiblement. Cependant, peu à peu, don Horacio avait repris ses sens; il se releva lentement; ses traits, affreusement contractés, avaient une expression de résolution étrange.

Il se tourna vers Dominique:

– Vous l'exigez, dit-il, soit, la réparation sera éclatante.

Il fouilla dans le tiroir d'un meuble soigneusement fermé et dont il ouvrit la serrure au moyen d'une clé pendue à son cou par une chaînette d'or, prit quelque chose qu'on ne put voir, repoussa le tiroir, puis, marchant d'un pas ferme vers la porte, il l'ouvrit à deux battants.

– Entrez, caballeros, entrez tous, cria-t-il d'une voix stridente.

En un instant la chambre fut remplie de monde.

Seuls, le comte de la Saulay et don Estevan, sur un geste significatif de don Jaime, étaient restés dans le salon avec les jeunes filles.

Don Jaime s'avança alors vers sa sœur, et lui offrant le bras:

– Venez, lui dit-il, venez, Maria, cette scène vous tue; votre place n'est plus ici, maintenant que vous avez pardonné à cet homme.

Doña Maria n'opposa qu'une faible résistance et suivit son frère, qui la conduisit dans le salon dont il referma la porte sur elle.

On entendit le roulement d'une voiture, c'étaient les trois dames qui, emmenées par le comte, retournaient dans leur maison.

Au même instant, un bruit d'armes résonna au dehors.

– Qu'est-ce cela? dit don Horacio avec un geste d'effroi.

Des pas nombreux s'approchèrent, les portes s'ouvrirent avec fracas, et des soldats parurent.

A leur tête venaient le préfet de la ville, l'alcade mayor et plusieurs corchetes.

– Au nom de la loi, dit le préfet d'une voix brève, don Antonio Cacerbar, vous êtes mon prisonnier; corchetes, emparez-vous de cet homme.

– Don Antonio Cacerbar n'existe plus, dit don Jaime en se jetant vivement entre les agents de police et son beau-frère.

– Merci, répondit celui-ci, merci d'avoir sauvé l'honneur de mon nom; señores, dit-il d'une voix haute, en montrant Dominique immobile à ses côtés, voici le duc de Tobar; je suis un grand coupable, priez Dieu qu'il me pardonne.

– Allons, corchetes, s'écria le préfet, emparez-vous de cet homme, vous dis-je.

– Venez donc, répondit froidement don Horacio en portant vivement la main à sa bouche.

Soudain, il pâlit, chancela comme un homme ivre, et roula sur le sol sans pousser même un soupir.

Il était mort. Don Horacio s'était empoisonné.

– Señores, dit alors don Jaime au préfet et à l'alcalde mayor, votre mission s'arrête devant la mort du coupable, son cadavre appartient désormais à sa famille; veuillez vous retirer.

– Que Dieu pardonne à ce malheureux ce dernier crime! dit le préfet; nous n'avons plus rien à faire ici.

Et, après s'être incliné cérémonieusement, il se retira avec toute sa suite.

– Messieurs, dit alors don Jaime d'une voix triste, en s'adressant aux assistants terrifiés du dénouement étrange et rapide de cette scène, prions pour l'âme de ce grand coupable.

Tous s'agenouillèrent, Dominique seul demeura debout, sombre et les yeux ardemment fixés sur le cadavre.

– Dominique, lui dit doucement son oncle, ta haine pour lui vit-elle donc au-delà du tombeau?

– Oui! s'écria-t-il d'une voix terrible, oui, maudit soit-il dans l'éternité!

Les assistants se relevèrent avec épouvante, ce foudroyant anathème avait glacé la prière sur leurs lèvres.

XXXIX
ÉPILOGUE
LA HACHE

Cependant les événements politiques marchaient avec une rapidité fatale.

La députation envoyée au général Ortega, était de retour à México, elle n'avait obtenu aucune capitulation.

La situation devenait excessivement critique; dans cette circonstance le général Miramón fit preuve d'une abnégation extrême: ne voulant pas compromettre davantage la ville de México, il résolut de l'abandonner la nuit même.

Il se rendit alors à l'ayuntamiento, auquel il proposa de nommer un Président ou alcade provisoire, qui, par ses relations antérieures avec le parti triomphant, fût en état de sauver la ville et d'y maintenir le bon ordre.

L'ayuntamiento s'adressa en corps, au général Berriozábal, qui accepta généreusement cette difficile mission.

Son premier soin fut de prier les ministres étrangers, d'armer leurs nationaux, afin de remplacer la police désorganisée et de veiller au salut général.

Pendant ce temps, Miramón préparait tout pour son départ.

Ne pouvant emmener sa femme et ses enfants avec lui, dans une fuite dont les péripéties pouvaient être sanglantes, il se résolut à les confier à l'ambassade d'Espagne, où on les reçut avec tous les égards auxquels leur situation malheureuse leur donnait droit.

S'il l'avait voulu, Miramón aurait pu s'éloigner sans avoir de violence à redouter de la part des partisans de Juárez. Naturellement sympathique, si on le regardait comme un adversaire politique, personne ne le haïssait comme ennemi personnel.

Des propositions de se sauver seul lui avaient même été faites à plusieurs reprises, mais avec cette délicatesse chevaleresque qui est un des beaux côtés de son caractère, il avait refusé, car il ne voulait pas au dernier moment abandonner à la haine implacable de leurs ennemis certaines personnes qui avaient combattu pour lui et s'étaient compromises pour sa cause.

Certes, ce sentiment était honorable, et ses adversaires eux-mêmes, furent contraints d'admirer cette conduite généreuse.

Don Jaime de Bivar avait passé une partie de la journée auprès du général, le consolant de son mieux et l'aidant à rallier autour de lui, les tronçons épars, nous ne dirons pas de son armée, elle n'existait plus de fait, mais des divers corps qui flottaient encore indécis sur le parti qu'il leur convenait de servir.

Le comte de la Saulay et le duc de Tobar, car nous rendrons à Dominique le nom qui lui appartient, après avoir tenu compagnie aux dames pendant toute la soirée, et avoir causé avec elles des événements étranges du jour précédent, avaient enfin pris congé, assez inquiets de la longue absence de don Jaime, à cause de la confusion qui régnait en ce moment dans la ville; ils venaient de rentrer dans leur demeure et se préparaient à se livrer au repos, lorsque Raimbaut, le domestique du comte, leur annonça López.

Le peon était armé comme pour une expédition dangereuse.

– Oh! Oh! lui dit le duc, quel arsenal vous portez avec vous, ami López!

– Avez-vous une communication à nous faire? demanda le comte.

– Je n'ai que ceci à vous dire seigneurie: Deux et un font trois.

– Vive Dieu! s'écrièrent les deux jeunes gens en se levant spontanément. Que faut-il faire? Nous sommes prêts.

– Vous armer ainsi que vos domestiques, tenir vos chevaux sellés et attendre.

– Il se passe donc quelque chose?

– Je l'ignore, seigneurie, mon maître vous le dira.

– Doit-il donc venir?

– Avant une heure, il sera ici, il m'a donné l'ordre de rester avec vous.

– Bien, profitez de cette heure pour vous reposer. López, nous allons nous préparer.

Lorsque vers onze heures du soir, don Jaime arriva, ses amis avaient revêtu des costumes de voyage, chaussé des éperons, passé des revolvers à leur ceinture, et fumaient en l'attendant, leurs sabres et leurs fusils placés devant eux sur une table.

– Bravo, dit-il, nous allons partir.

– Quand vous voudrez.

– Allons-nous loin? demanda le duc.

– Je ne le crois pas, mais peut-être il y aura bataille.

– Tant mieux, firent-ils.

– Nous avons près d'une demi-heure devant nous, c'est plus qu'il ne me faut pour vous apprendre ce que je veux faire.

– Bien, nous vous écoutons.

– Vous savez que je suis fort lié avec le général Miramón, reprit-il.

Les jeunes gens firent un geste affirmatif.

– Voici donc ce qui se passe: le général a réuni quinze cents hommes à peu près, il espère avec cette escorte pouvoir gagner en sûreté la Veracruz où il s'embarquera; il part cette nuit à une heure du matin.

– Les choses en sont-elles donc déjà à ce point? fit le comte.

– Tout est fini: México est rendu aux Juaristas.

– Tant pis, enfin qu'ils s'arrangent entre eux, dit le comte; cela ne nous regarde pas.

– Je ne vois pas dans tout cela, dit le duc, le rôle que nous avons à jouer.

– Le voici, continua don Jaime. Miramón croit pouvoir compter sur les quinze cents hommes qui composent son escorte, moi je suis persuadé du contraire: les soldats l'aiment, il est vrai, mais ils détestent certaines personnes qui partent avec lui: ces personnes, je sais qu'on a offert aux troupes de les livrer; je crains qu'elles se laissent convaincre et que, par la même occasion, Miramón soit fait prisonnier.

– C'est ce qui probablement arrivera, dit le comte en hochant la tête.

– Eh bien, voilà justement ce que je veux éviter moi, dit-il avec énergie, et pour cela j'ai compté sur vous.

– Pardieu vous avez eu raison.

– Vous ne pouviez mieux choisir.

– Ainsi, vous et moi, López, Léo Carral et vos deux domestiques, nous formons un effectif de sept hommes résolus, avec lesquels il faudra compter au cas où les choses tourneraient mal; de plus, votre qualité d'étrangers, le soin que vous avez mis à vivre retirés, et à ne pas attirer les regards sur vous, nous permettront de compléter notre œuvre en cachant le général chez vous.

– Où il sera parfaitement en sûreté.

– D'ailleurs tout ce que je vous dis là n'est que fort incertain encore; ce sont les circonstances qui nous guideront. Peut-être l'escorte demeura-t-elle fidèle au général et alors, notre concours lui devenant inutile, nous n'aurons plus qu'à nous retirer après l'avoir accompagné assez loin de la ville, pour le mettre en sûreté.

– Enfin, à la grâce de Dieu, dit le comte: il y a dans ce jeune homme quelque chose de grand et de chevaleresque qui m'a séduit, je ne serais pas fâché que l'occasion me fût offerte de lui être utile.

– Maintenant que nous sommes convenus de nos faits, si nous partions? ajouta le duc; j'ai hâte de me trouver aux côtés de ce brave général; mais, avant tout, vous avez, je suppose, veillé à la sûreté de ma mère?

– Sois tranquille, mon neveu; l'ambassadeur d'Espagne, à ma prière, a placé une garde de négociants de notre nation dans sa maison même; ni elle ni Carmen ni Dolores n'ont rien à redouter; d'ailleurs Estevan est près d'elle, et grâce au crédit dont il jouit auprès de Juárez, il suffirait seul pour les protéger efficacement.

– Alors, bataille! s'écrièrent les jeunes gens en se levant joyeusement.

Ils s'enveloppèrent de leurs manteaux et prirent leurs armes.

– Partons, dit don Jaime.

Les domestiques étaient déjà en place.

Les sept cavaliers quittèrent la maison et se dirigèrent vers la place Mayor, où les troupes se réunissaient.

Les maisons étaient illuminées, une foule immense circulait à travers les rues; mais la tranquillité la plus parfaite régnait dans la ville, incessamment parcourue dans tous les sens par de fortes patrouilles, de Français d'Anglais et d'Espagnols, qui veillaient avec la plus généreuse abnégation au maintien de l'ordre et de la sûreté générale, pendant cet intervalle d'anarchie qui sépare toujours la chute d'un gouvernement de l'installation de celui qui le remplace.

La place Mayor était fort animée, les soldats fraternisaient avec le peuple, causant et riant comme si ce qui se passait en ce moment était la chose la plus ordinaire du monde.

Le général Miramón, entouré d'un groupe assez nombreux composé des officiers demeurés fidèles à sa cause, ou qui trop compromis pour espérer d'obtenir de bonnes conditions des vainqueurs préféraient l'accompagner dans sa fuite à demeurer dans la ville, feignait un calme et un enjouement fort loin sans doute de son cœur; du reste, il causait avec une remarquable liberté d'esprit, défendant sans aigreur les actes de son gouvernement, et prenant congé sans reproches et sans récriminations de ceux qui par égoïsme l'avaient abandonné et dont sa chute était l'ouvrage.

– Ah! fit-il en apercevant don Jaime et en faisant un mouvement vers lui, vous venez donc bien décidément avec moi? J'avais espéré que vous changeriez d'avis.

– Eh! Général, répondit-il gaiement, le mot est tout au plus aimable.

– Vous savez bien que vous ne devez pas le prendre en mauvaise part.

– La preuve, c'est que je vous amène deux de mes amis qui veulent absolument vous suivre, général.

– Je les prie de recevoir tout mes remercîments: un homme est heureux en tombant de si haut d'avoir des amis pour lui rendre la chute moins lourde.

– C'est ce dont vous ne devez pas vous plaindre, général, car vous ne manquez pas d'amis, lui répondit le comte en s'inclinant.

– En effet, murmura-t-il en promenant un regard triste autour de lui, je ne suis pas seul encore.

La conversation continua sur ce ton pendant quelque temps.

Une heure après, minuit sonna au Sagrario.

Miramón se redressa.

– Partons, messieurs, dit-il d'une voix ferme, l'heure est venue d'abandonner la ville.

– Sonnez le boute-selle, cria un officier.

Les clairons sonnèrent.

Un brusque mouvement s'opéra dans la foule qui fut refoulée sous les portales.

Les soldats montèrent à cheval et formèrent leurs rangs.

Puis le calme se rétablit comme par enchantement et un silence de mort plana sur cette place immense couverte de peuple et littéralement pavée de têtes. Miramón se tenait droit et ferme sur son cheval, au milieu de ses troupes; don Jaime et ses compagnons s'étaient mêlés à l'état-major qui entourait le général.

Après un moment d'hésitation, le président jeta un dernier et triste regard sur le palais sombre et morne où ne brillait aucune lumière.

– En avant! cria-t-il.

Les troupes s'ébranlèrent et la marche commença.

Au même instant les cris de vive Miramón éclatèrent de toutes parts.

Le général se pencha vers don Jaime.

– Ils me regrettent déjà, lui dit-il à voix basse et je ne suis pas encore parti.

Les troupes traversèrent lentement la ville, suivies par la foule qui semblait vouloir, en rendant ce dernier hommage au président déchu, lui prouver l'estime dont sa personne était l'objet.

Enfin, vers deux heures du matin, on franchit les barrières et on se trouva en rase campagne; bientôt la ville n'apparut plus que comme un point lumineux à l'horizon.

Les troupes étaient tristes et silencieuses.

Cependant la marche continuait toujours.

Tout à coup une certaine hésitation sembla se faire sentir, une sourde agitation régnait dans les rangs.

– Attention! Il se prépare quelque chose, murmura don Jaime en s'adressant à ses amis.

Bientôt cette agitation augmenta: quelques cris se firent entendre à l'avant-garde.

– Que se passe-t-il donc? demanda Miramón.

– Vos soldats se révoltent, lui dit nettement don Jaime.

– Ah ce n'est pas possible! s'écria-t-il.

Au même instant, il y eut une explosion terrible de cris, de huées et de sifflets dans lesquels dominaient le cri de:

– Vive Juárez! La hache! La hache!

La hache est au Mexique le symbole de la fédération.

Acclamer la hache, c'est se révolter, ou plutôt, selon expression classique, faire un pronunciamiento.

Ce cri de la hache, courut aussitôt de rangs en rangs, devint général et bientôt la confusion et le désordre furent au comble.

Les partisans de Juárez, mêlés aux soldats, poussaient, des cris de mort contre les ennemis qu'ils ne voulaient pas laisser échapper; les sabres furent dégainés, les lances mises en arrêt, un conflit devint imminent.

– Général, il faut fuir! dit rapidement don Jaime.

– Jamais, répondit le président, je mourrai avec mes amis!

– Vous serez massacré sans réussir à les sauver; d'ailleurs, voyez: ils vous abandonnent eux-mêmes.

C'était vrai: les amis du président s'étaient débandés, essayant de fuir dans toutes les directions.

– Que faire? s'écria le général.

– Une trouée, reprit don Jaime, et sans donner au président le temps de la réflexion, en avant! cria-t-il d'une voix tonnante.

Au même instant, les révoltés se ruaient, les lances baissées, sur le petit groupe au milieu duquel se tenait Miramón.

Il y eut une mêlée affreuse de quelques minutes: don Jaime et ses amis, bien montés et surtout bien armés, réussirent enfin à s'ouvrir un passage en entraînant le général au milieu d'eux.

Alors commença une course furieuse.

– Où allons-nous? demanda le président.

– A México! C'est le seul endroit où on ne songera pas à vous chercher.

Une heure plus tard, ils repassaient la barrière et rentraient dans la ville, mêlés aux soldats débandés qui poussaient des cris assourdissants de vive Juárez! Et criant eux-mêmes plus fort que tous ceux qui les entouraient.

Une fois dans la ville, ils se séparèrent; Miramón et don Jaime demeurèrent seuls: la prudence exigeait que les fugitifs ne regagnassent leur maison que un à un.

Vers quatre heures du matin, ils étaient tous réunis et en sûreté.

Les troupes de Juárez entraient dans la ville précédant, de quelques heures seulement, le général Ortega.

Grâce aux mesures prises de concert entre le général Berriozábal et les résidents étrangers, le changement de gouvernement s'était opéré presque sans commotion; le lendemain la ville paraissait aussi tranquille que si rien d'extraordinaire ne s'était passé!

Cependant don Jaime n'était pas tranquille; il redoutait que si Miramón demeurait longtemps dans la ville sa présence ne finît par être connue, aussi cherchait-t-il une occasion de le faire évader et commençait-il à désespérer d'en trouver, lorsque le hasard lui en offrit une, sur laquelle il était certes loin de compter.

Plusieurs jours s'étaient écoulés, la révolution était faite et les choses avaient, repris leurs cours ordinaire, lorsqu'enfin Juárez arriva de la Veracruz et fit son entrée dans la ville.

Le premier soin du nouveau président fut, ainsi que Miramón l'avait précédemment prévu, de faire signifier à l'ambassadeur d'Espagne son expulsion du territoire de la république mexicaine.

Semblables significations furent, le même jour, faite, au légat du Saint-Siège, et aux représentants de Guatemala et de l'Ecuador.

Cette brutale expulsion faite dans les termes les plus offensants et si en dehors des principes admis entre nations civilisées causa une stupeur générale.

La consternation régna dans la ville: que pouvait-on attendre d'un gouvernement qui débutait par des actes aussi inqualifiables?

L'occasion que don Jaime cherchait depuis si longtemps lui était enfin offerte.

Miramón partirait non pas avec l'ambassadeur d'Espagne, mais avec le représentant de Guatemala.

Ce fut en effet ce qui arriva.

Le départ des ministres expulsés eut lieu le même jour.

C'étaient l'ambassadeur d'Espagne, le légat du Saint-Siège, le ministre de Guatemala, celui de l'Ecuador; de plus, l'archevêque de México et cinq évêques mexicains composant tout l'épiscopat de la confédération avaient été exilés du territoire de la république et profitaient de l'escorte de l'ambassadeur pour quitter la capitale.

Miramón, dont la femme et les enfants étaient depuis quelques jours déjà partis en avant, suivait, sous un déguisement qui le rendait méconnaissable, le ministre de Guatemala.

Le comte de la Saulay et le duc de Tobar s'étaient de leur côté dirigés vers la Veracruz escortant doña Maria et les deux jeunes filles.

Don Jaime n'avait pas voulu abandonner son ami, il voyageait avec l'ambassadeur suivi de López. Don Estevan seul était demeuré à México.

Nous ne rapporterons pas les insultes et les avanies que les ministres expulsés et les évêques eurent à subir pendant le cours de leur voyage, depuis Puebla où on les retint prisonniers jusqu'à la Veracruz où on les menaça, on leur jeta des pierres, et la populace voulut se porter aux dernières extrémités contre le légat et les malheureux évêques exilés.

Les choses en vinrent à un tel point que le consul français se vit contraint de réclamer l'assistance d'un brick de guerre français et d'un navire espagnol mouillés à Sacrificios et qui débarquèrent aussitôt des marins armés.

Miramón avait été reconnu, mais grâce à l'énergie du consul français et du commandant du brick, il parvint à échapper à ses ennemis.

Deux jours plus tard, le Velasco, bâtiment de la marine militaire espagnole, mettait le cap sur la Havane emportant tous nos personnages à son bord.

Le 15 janvier 1863, un double mariage fut célébré à la Havane.

Celui du comte de la Saulay avec doña Carmen de Tobar, et celui du duc de Tobar avec doña Dolores de la Cruz.

Les témoins étaient l'ambassadeur de Sa Majesté catholique au Mexique, le général Miramón, le commandant du Velasco, et l'ex-ministre de Guatemala.

Ce fut le légat du Saint-Siège qui donna la bénédiction nuptiale aux nouveaux époux.

Le comte de la Saulay vient, dit-on, de repartir pour le Mexique, pour revendiquer, grâce à l'intervention française, les biens immenses que sa femme possède dans ce pays et dont le gouvernement de Juárez a jugé convenable de s'emparer.

Don Jaime de Bivar accompagne son ami.

Leo Carral est avec eux.

FIN DES NUITS MEXICAINES
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
450 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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