Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Madame Bovary», sayfa 20

Yazı tipi:

Souvent lorsqu’ils parlaient ensemble de Paris, elle finissait par murmurer:

– Ah! que nous serions bien là pour vivre!

– Ne sommes-nous pas heureux? reprenait doucement le jeune homme, en lui passant la main sur ses bandeaux.

– Oui, c’est vrai, disait-elle, le suis folle; embrasse-moi!

Elle était pour son mari plus charmante que jamais, lui faisait des crèmes à la pistache et jouait des valses après dîner. Il se trouvait donc le plus fortuné des mortels, et Emma vivait sans inquiétude, lorsqu’un soir, tout à coup:

– C’est mademoiselle Lempereur, n’est-ce pas, qui te donne des leçons?

– Oui.

– Eh bien, je l’ai vue tantôt, reprit Charles, chez madame Liégeard. Je lui ai parlé de toi; elle ne te connaît pas.

Ce fut comme un coup de foudre. Cependant elle répliqua d’un air naturel:

– Ah! sans doute, elle aura oublié mon nom?

– Mais il y a peut-être à Rouen, dit le médecin, plusieurs demoiselles Lempereur qui sont maîtresses de piano?

– C’est possible!

Puis, vivement:

– J’ai pourtant ses reçus, tiens! regarde.

Et elle alla au secrétaire, fouilla tous les tiroirs, confondit les papiers et finit si bien par perdre la tête, que Charles l’engagea fort à ne point se donner tant de mal pour ces misérables quittances.

– Oh! je les trouverai, dit-elle.

En effet, dès le vendredi suivant, Charles, en passant une de ses bottes dans le cabinet noir où l’on serrait ses habits, sentit une feuille de papier entre le cuir et sa chaussette, il la prit et lut:

« Reçu, pour trois mois de leçons, plus diverses fournitures, la somme de soixante-cinq francs. FELICIE LEMPEREUR, professeur de musique. »

– Comment diable est-ce dans mes bottes?

– Ce sera, sans doute, répondit-elle, tombé du vieux carton aux factures, qui est sur le bord de la planche.

À partir de ce moment, son existence ne fut plus qu’un assemblage de mensonges, où elle enveloppait son amour comme dans des voiles, pour le cacher.

C’était un besoin, une manie, un plaisir, au point que, si elle disait avoir passé, hier par le côté droit d’une rue, il fallait croire qu’elle avait pris par le côté gauche.

Un matin qu’elle venait de partir, selon sa coutume, assez légèrement vêtue, il tomba de la neige tout à coup; et comme Charles regardait le temps à la fenêtre, il aperçut M. Bournisien dans le boc du sieur Tuvache qui le conduisait à Rouen. Alors il descendit confier à l’ecclésiastique un gros châle pour qu’il le remît à Madame, sitôt qu’il arriverait à la Croix rouge. À peine fut-il à l’auberge que Bournisien demanda où était la femme du médecin d’Yonville. L’hôtelière répondit qu’elle fréquentait fort peu son établissement. Aussi, le soir, en reconnaissant madame Bovary dans l’Hirondelle, le curé lui conta son embarras, sans paraître, du reste y attacher de l’importance; car il entama l’éloge d’un prédicateur qui pour lors faisait merveilles à la cathédrale, et que toutes les dames couraient entendre.

N’importe s’il n’avait point demandé d’explications, d’autres plus tard pourraient se montrer moins discrets. Aussi jugea-t-elle utile de descendre chaque fois à la Croix rouge, de sorte que les bonnes gens de son village qui la voyaient dans l’escalier ne se doutaient de rien.

Un jour pourtant, M. Lheureux la rencontra qui sortait de l’hôtel de Boulogne au bras de Léon; et elle eut peur, s’imaginant qu’il bavarderait. Il n’était pas si bête.

Mais trois jours après, il entra dans sa chambre, ferma la porte et dit:

– J’aurais besoin d’argent.

Elle déclara ne pouvoir lui en donner. Lheureux se répandit en gémissements, et rappela toutes les complaisances qu’il avait eues.

En effet, des deux billets souscrits par Charles, Emma jusqu’à présent n’en avait payé qu’un seul. Quant au second, le marchand, sur sa prière, avait consenti à le remplacer par deux autres, qui même avaient été renouvelés à une fort longue échéance. Puis il tira de sa poche une liste de fournitures non soldées, à savoir: les rideaux, le tapis, l’étoffe pour les fauteuils, plusieurs robes et divers articles de toilette, dont la valeur se montait à la somme de deux mille francs environ.

Elle baissa la tête; il reprit:

– Mais, si vous n’avez pas d’espèces, vous avez du bien.

Et il indiqua une méchante masure sise à Barneville, près d’Aumale, qui ne rapportait pas grand-chose. Cela dépendait autrefois d’une petite ferme vendue par M. Bovary père, car Lheureux savait tout, jusqu’à la contenance d’hectares, avec le nom des voisins.

– Moi, à votre place, disait-il, je me libérerais, et j’aurais encore le surplus de l’argent.

Elle objecta la difficulté d’un acquéreur; il donna l’espoir d’en trouver; mais elle demanda comment faire pour qu’elle pût vendre.

– N’avez-vous pas la procuration? répondit-il.

Ce mot lui arriva comme une bouffée d’air frais.

– Laissez-moi la note, dit Emma.

– Oh! ce n’est pas la peine! reprit Lheureux.

Il revint la semaine suivante, et se vanta d’avoir, après force démarches, fini par découvrir un certain Langlois qui, depuis longtemps, guignait la propriété sans faire connaître son prix.

– N’importe le prix! s’écria-t-elle.

Il fallait attendre, au contraire, tâter ce gaillard-là. La chose valait la peine d’un voyage, et, comme elle ne pouvait faire ce voyage, il offrir de se rendre sur les lieux, pour s’aboucher avec Langlois. Une fois revenu, il annonça que l’acquéreur proposait quatre mille francs.

Emma s’épanouit à cette nouvelle.

– Franchement, ajouta-t-il, c’est bien payé.

Elle toucha la moitié de la somme immédiatement, et, quand elle fut pour solder son mémoire, le marchand lui dit:

– Cela me fait de la peine, parole d’honneur, de vous voir vous dessaisir tout d’un coup d’une somme aussi conséquente que celle-là.

Alors, elle regarda les billets de banque; et, rêvant au nombre illimité de rendez-vous que ces deux mille francs représentaient:

– Comment! comment! balbutia-t-elle.

– Oh! reprit-il en riant d’un air bonhomme, on met tout ce que l’on veut sur les factures. Est-ce que je ne connais pas les ménages?

Et il la considérait fixement, tout en tenant à sa main deux longs papiers qu’il faisait glisser entre ses ongles. Enfin, ouvrant son portefeuille, il étala sur la table quatre billets à ordre, de mille francs chacun.

– Signez-moi cela, dit-il, et gardez tout.

Elle se récria, scandalisée.

– Mais, si je vous donne le surplus, répondit effrontément M. Lheureux, n’est-ce pas vous rendre service, à vous?

Et, prenant une plume, il écrivit au bas du mémoire: « Reçu de madame Bovary quatre mille francs. »

– Qui vous inquiète, puisque vous toucherez dans six mois l’arriéré de votre baraque, et que je vous place l’échéance du dernier billet pour après le payement?

Emma s’embarrassait un peu dans ses calculs, et les oreilles lui tintaient comme si des pièces d’or, s’éventrant de leurs sacs, eussent sonné tout autour d’elle sur le parquet. Enfin Lheureux expliqua qu’il avait un sien ami Vinçart, banquier à Rouen, lequel allait escompter ces quatre billets, puis il remettrait lui-même à Madame le surplus de la dette réelle.

Mais au lieu de deux mille francs, il n’en apporta que dix-huit cents, car l’ami Vinçart (comme de juste) en avait prélevé deux cents, pour frais de commission et d’escompte.

Puis il réclama négligemment une quittance.

– Vous comprenez…, dans le commerce…, quelquefois… Et avec la date, s’il vous plaît, la date.

Un horizon de fantaisies réalisables s’ouvrit alors devant Emma. Elle eut assez de prudence pour mettre en réserve mille écus, avec quoi furent payés, lorsqu’ils échurent, les trois premiers billets; mais le quatrième, par hasard, tomba dans la maison un jeudi, et Charles, bouleversé, attendit patiemment le retour de sa femme pour avoir des explications.

Si elle ne l’avait point instruit de ce billet, c’était afin de lui épargner des tracas domestiques; elle s’assit sur ses genoux, le caressa, roucoula, fit une longue énumération de toutes les choses indispensables prises à crédit.

– Enfin, tu conviendras que, vu la quantité, ce n’est pas trop cher.

Charles, à bout d’idées, bientôt eut recours à l’éternel Lheureux, qui jura de calmer les choses, si Monsieur lui signait deux billets, dont l’un de sept cents francs, payable dans trois mois. Pour se mettre en mesure, il écrivit à sa mère une lettre pathétique. Au lieu d’envoyer la réponse, elle vint elle-même; et, quand Emma voulut savoir s’il en avait tiré quelque chose:

– Oui, répondit-il. Mais elle demande à connaître la facture.

Le lendemain, au point du jour, Emma courut chez M. Lheureux le prier de refaire une autre note, qui ne dépassât point mille francs; car pour montrer celle de quatre mille, il eût fallu dire qu’elle en avait payé les deux tiers, avouer conséquemment la vente de l’immeuble, négociation bien conduite par le marchand, et qui ne fut effectivement connue que plus tard.

Malgré le prix très bas de chaque article, madame Bovary mère ne manqua point de trouver la dépense exagérée.

– Ne pouvait-on se passer d’un tapis? Pourquoi avoir renouvelé l’étoffe des fauteuils? De mon temps, on avait dans une maison un seul fauteuil, pour les personnes âgées, – du moins, c’était comme cela chez ma mère, qui était une honnête femme, je vous assure.

– Tout le monde ne peut être riche! Aucune fortune ne tient contre le coulage! Je rougirais de me dorloter comme vous faites! et pourtant, moi, je suis vieille, j’ai besoin de soins… En voilà! en voilà, des ajustements! des flaflas! Comment! de la soie pour doublure, à deux francs!… tandis qu’on trouve du jaconas à dix sous, et même à huit sous qui fait parfaitement l’affaire.

Emma, renversée sur la causeuse, répliquait le plus tranquillement possible:

– Eh! madame, assez! assez!…

L’autre continuait à la sermonner, prédisant qu’ils finiraient à l’hôpital. D’ailleurs, c’était la faute de Bovary. Heureusement qu’il avait promis d’anéantir cette procuration…

– Comment?

– Ah! il me l’a juré, reprit la bonne femme.

Emma ouvrit la fenêtre, appela Charles, et le pauvre garçon fut contraint d’avouer la parole arrachée par sa mère.

Emma disparut, puis rentra vite en lui tendant majestueusement une grosse feuille de papier.

– Je vous remercie, dit la vieille femme.

Et elle jeta dans le feu la procuration.

Emma se mit à rire d’un rire strident, éclatant, continu: elle avait une attaque de nerfs.

– Ah! mon Dieu! s’écria Charles. Eh! tu as tort aussi toi! tu viens lui faire des scènes!…

Sa mère, en haussant les épaules, prétendait que tout cela c’étaient des gestes.

Mais Charles, pour la première fois se révoltant, prit la défense de sa femme, si bien que madame Bovary mère voulut s’en aller. Elle partit dès le lendemain, et, sur le seuil, comme il essayait à la retenir, elle répliqua:

– Non, non! Tu l’aimes mieux que moi, et tu as raison, c’est dans l’ordre. Au reste, tant pis! tu verras!… Bonne santé!… car je ne suis pas près, comme tu dis, de venir lui faire des scènes.

Charles n’en resta pas moins fort penaud vis-à-vis d’Emma, celle-ci ne cachant point la rancune qu’elle lui gardait pour avoir manqué de confiance; il fallut bien des prières avant qu’elle consentît à reprendre sa procuration, et même il l’accompagna chez M. Guillaumin pour lui en faire faire une seconde, toute pareille.

– Je comprends cela, dit le notaire; un homme de science ne peut s’embarrasser aux détails pratiques de la vie.

Et Charles se sentit soulagé par cette réflexion pateline, qui donnait à sa faiblesse les apparences flatteuses d’une préoccupation supérieure.

Quel débordement, le jeudi d’après, à l’hôtel, dans leur chambre, avec Léon! Elle rit, pleura, chanta, dansa, fit monter des sorbets, voulut fumer des cigarettes, lui parut extravagante, mais adorable, superbe.

Il ne savait pas quelle réaction de tout son être la poussait davantage à se précipiter sur les jouissances de la vie. Elle devenait irritable, gourmande, et voluptueuse; et elle se promenait avec lui dans les rues, tête haute, sans peur, disait-elle, de se compromettre. Parfois, cependant, Emma tressaillait à l’idée soudaine de rencontrer Rodolphe; car il lui semblait, bien qu’ils fussent séparés pour toujours, qu’elle n’était pas complètement affranchie de sa dépendance.

Un soir, elle ne rentra point à Yonville. Charles en perdait la tête, et la petite Berthe, ne voulant pas se coucher sans sa maman, sanglotait à se rompre la poitrine. Justin était parti au hasard sur la route. M. Homais en avait quitté sa pharmacie.

Enfin, à onze heures, n’y tenant plus, Charles attela son boc, sauta dedans, fouetta sa bête et arriva vers deux heures du matin à la Croix rouge. Personne. Il pensa que le clerc peut-être l’avait vue; mais où demeurait-il? Charles, heureusement, se rappela l’adresse de son patron. Il y courut.

Le jour commençait à paraître. Il distingua des panonceaux au-dessus d’une porte; il frappa. Quelqu’un, sans ouvrir, lui cria le renseignement demandé, tout en ajoutant force injures contre ceux qui dérangeaient le monde pendant la nuit.

La maison que le clerc habitait n’avait ni sonnette, ni marteau, ni portier. Charles donna de grands coups de poing contre les auvents: Un agent de police vint à passer; alors il eut peur et s’en alla.

– Je suis fou, se disait-il; sans doute, on l’aura retenue à dîner chez M. Lormeaux.

La famille Lormeaux n’habitait plus Rouen.

– Elle sera restée à soigner madame Dubreuil. Eh! madame Dubreuil est morte depuis dix mois!…

Où est-elle donc?

Une idée lui vint. Il demanda, dans un café, l’Annuaire; et chercha vite le nom de mademoiselle Lempereur, qui demeurait rue de la Renelle-des-Maroquiniers, n° 74.

Comme il entrait dans cette rue, Emma parut elle-même à l’autre bout; il se jeta sur elle plutôt qu’il ne l’embrassa, en s’écriant:

– Qui t’a retenue hier?

– J’ai été malade.

– Et de quoi?… Où?… Comment?…

Elle se passa la main sur le front, et répondit:

– Chez mademoiselle Lempereur.

– J’en étais sûr! J’y allais.

– Oh! ce n’est pas la peine, dit Emma. Elle vient de sortit tout à l’heure; mais, à l’avenir, tranquillise-toi. Je ne suis pas libre, tu comprends, si je sais que le moindre retard te bouleverse ainsi.

C’était une manière de permission qu’elle se donnait de ne point se gêner dans ses escapades. Aussi en profita-t-elle tout à son aise, largement. Lorsque l’envie la prenait de voir Léon, elle partait sous n’importe quel prétexte, et, comme il ne l’attendait pas ce jour-là, elle allait le chercher à son étude.

Ce fut un grand bonheur les premières fois; mais bientôt il ne cacha plus la vérité, à savoir: que son patron se plaignait fort de ces dérangements.

– Ah bah! viens donc, disait-elle.

Et il s’esquivait.

Elle voulut qu’il se vêtît tout en noir et se laissât pousser une pointe au menton, pour ressembler aux portraits de Louis XIII. Elle désira connaître son logement, le trouva médiocre; il en rougit, elle n’y prit garde, puis lui conseilla d’acheter des rideaux pareils aux siens, et comme il objectait la dépense:

– Ah! ah! tu tiens à tes petits écus! dit-elle en riant.

Il fallait que Léon, chaque fois, lui racontât toute sa conduite, depuis le dernier rendez-vous. Elle demanda des vers, des vers pour elle, une pièce d’amour en son honneur; jamais il ne put parvenir à trouver la rime du second vers, et il finit par copier un sonnet dans un keepsake.

Ce fut moins par vanité que dans le seul but de lui complaire. Il ne discutait pas ses idées; il acceptait tous ses goûts; il devenait sa maîtresse plutôt qu’elle n’était la sienne. Elle avait des paroles tendres avec des baisers qui lui emportaient l’âme. Où donc avait-elle appris cette corruption, presque immatérielle à force d’être profonde et dissimulée?

VI. Dans les voyages qu’il faisait pour la voir, Léon souvent avait dîné chez le pharmacien…

Dans les voyages qu’il faisait pour la voir, Léon souvent avait dîné chez le pharmacien, et s’était cru contraint, par politesse, de l’inviter à son tour.

– Volontiers! avait répondu M. Homais; il faut, d’ailleurs, que je me retrempe un peu, car je m’encroûte ici. Nous irons au spectacle, au restaurant, nous ferons des folies!

– Ah! bon ami! murmura tendrement madame Homais, effrayée des périls vagues qu’il se disposait à courir.

– Eh bien, quoi? tu trouves que je ne ruine pas assez ma santé à vivre parmi les émanations continuelles de la pharmacie! Voilà, du reste, le caractère des femmes: elles sont jalouses de la Science, puis s’opposent à ce que l’on prenne les plus légitimes distractions. N’importe, comptez sur moi; un de ces jours, je tombe à Rouen et nous ferons sauter ensemble les monacos.

L’apothicaire, autrefois, se fût bien gardé d’une telle expression; mais il donnait maintenant dans un genre folâtre et parisien qu’il trouvait du meilleur goût; et, comme madame Bovary, sa voisine, il interrogeait le clerc curieusement sur les moeurs de la capitale, même il parlait argot afin d’éblouir… les bourgeois, disant turne, bazar, chicard, chicandard, Breda-street, et Je me la casse, pour: Je m’en vais.

Donc, un jeudi, Emma fut surprise de rencontrer, dans la cuisine du Lion d’or, M. Homais en costume de voyageur, c’est-à-dire couvert d’un vieux manteau qu’on ne lui connaissait pas, tandis qu’il portait d’une main une valise, et, de l’autre, la chancelière de son établissement. Il n’avait confié son projet à personne, dans la crainte d’inquiéter le public par son absence.

L’idée de revoir les lieux où s’était passée sa jeunesse l’exaltait sans doute, car tout le long du chemin il n’arrêta pas de discourir; puis, à peine arrivé, il sauta vivement de la voiture pour se mettre en quête de Léon; et le clerc eut beau se débattre, M. Homais l’entraîna vers le grand café de Normandie, où il entra majestueusement sans retirer son chapeau, estimant fort provincial de se découvrir dans un endroit public.

Emma attendit Léon trois quarts d’heure. Enfin elle courut à son étude, et, perdue dans toute sorte de conjectures, l’accusant d’indifférence et se reprochant à elle-même sa faiblesse, elle passa l’après-midi le front collé contre les carreaux.

Ils étaient encore à deux heures attablés l’un devant l’autre. La grande salle se vidait; le tuyau du poêle, en forme de palmier, arrondissait au plafond blanc sa gerbe dorée; et près d’eux, derrière le vitrage, en plein soleil, un petit jet d’eau gargouillait dans un bassin de marbre où, parmi du cresson et des asperges, trois homards engourdis s’allongeaient jusqu’à des cailles, toutes couchées en pile, sur le flanc.

Homais se délectait. Quoiqu’il se grisât de luxe encore plus que de bonne chère, le vin de Pomard, cependant, lui excitait un peu les facultés, et, lorsque apparut l’omelette au rhum, il exposa sur les femmes des théories immorales. Ce qui le séduisait par-dessus tout, c’était le chic. Il adorait une toilette élégante dans un appartement bien meublé, et, quant aux qualités corporelles, ne détestait pas le morceau.

Léon contemplait la pendule avec désespoir. L’apothicaire buvait, mangeait, parlait.

– Vous devez être, dit-il tout à coup, bien privé à Rouen. Du reste, vos amours ne logent pas loin.

Et, comme l’autre rougissait:

– Allons, soyez franc! Nierez-vous qu’à Yonville…?

Le jeune homme balbutia.

– Chez madame Bovary, vous ne courtisiez point…?

– Et qui donc?

– La bonne!

Il ne plaisantait pas; mais, la vanité l’emportant sur toute prudence, Léon, malgré lui, se récria. D’ailleurs, il n’aimait que les femmes brunes.

– Je vous approuve, dit le pharmacien; elles ont plus de tempérament.

Et se penchant à l’oreille de son ami, il indiqua les symptômes auxquels on reconnaissait qu’une femme avait du tempérament. Il se lança même dans une digression ethnographique: l’Allemande était vaporeuse, la Française libertine, l’Italienne passionnée.

– Et les négresses? demanda le clerc.

– C’est un goût d’artiste, dit Homais. – Garçon! deux demi-tasses!

– Partons-nous? reprit à la fin Léon s’impatientant.

– Yes.

Mais il voulut, avant de s’en aller, voir le maître de l’établissement et lui adressa quelques félicitations.

Alors le jeune homme, pour être seul, allégua qu’il avait affaire.

– Ah! je vous escorte! dit Homais.

Et, tout en descendant les rues avec lui, il parlait de sa femme, de ses enfants, de leur avenir et de sa pharmacie, racontait en quelle décadence elle était autrefois, et le point de perfection où il l’avait montée.

Arrivé devant l’hôtel de Boulogne, Léon le quitta brusquement, escalada l’escalier, et trouva sa maîtresse en grand émoi.

Au nom du pharmacien, elle s’emporta. Cependant, il accumulait de bonnes raisons; ce n’était pas sa faute, ne connaissait-elle pas M. Homais? pouvait-elle croire qu’il préférât sa compagnie? Mais elle se détournait; il la retint; et, s’affaissant sur les genoux, il lui entoura la taille de ses deux bras, dans une pose langoureuse toute pleine de concupiscence et de supplication.

Elle était debout; ses grands yeux enflammés le regardaient sérieusement et presque d’une façon terrible. Puis des larmes les obscurcirent, ses paupières roses s’abaissèrent, elle abandonna ses mains, et Léon les portait à sa bouche lorsque parut un domestique, avertissant Monsieur qu’on le demandait.

– Tu vas revenir? dit-elle.

– Oui.

– Mais quand?

– Tout à l’heure.

– C’est un truc, dit le pharmacien en apercevant Léon. J’ai voulu interrompre cette visite qui me paraissait vous contrarier. Allons chez Bridoux prendre un verre de garus.

Léon jura qu’il lui fallait retourner à son étude. Alors l’apothicaire fit des plaisanteries sur les paperasses, la procédure.

– Laissez donc un peu Cujas et Bartole, que diable! Qui vous empêche? Soyez un brave! Allons chez Bridoux; vous verrez son chien. C’est très curieux!

Et comme le clerc s’obstinait toujours:

– J’y vais aussi. Je lirai un journal en vous attendant, ou je feuilletterai un Code.

Léon, étourdi par la colère d’Emma, le bavardage de M. Homais et peut-être les pesanteurs du déjeuner, restait indécis et comme sous la fascination du pharmacien qui répétait:

– Allons chez Bridoux! c’est à deux pas, rue Malpalu.

Alors, par lâcheté, par bêtise, par cet inqualifiable sentiment qui nous entraîne aux actions les plus antipathiques, il se laissa conduire chez Bridoux; et ils le trouvèrent dans sa petite cour, surveillant trois garçons qui haletaient à tourner la grande roue d’une machine pour faire de l’eau de Seltz… Homais leur donna des conseils; il embrassa Bridoux; on prit le garus. Vingt fois Léon voulut s’en aller; mais l’autre l’arrêtait par le bras en lui disant:

– Tout à l’heure! je sors. Nous irons au Fanal de Rouen, voir ces messieurs. Je vous présenterai à Thomassin.

Il s’en débarrassa pourtant et courut d’un bond jusqu’à l’hôtel. Emma n’y était plus.

Elle venait de partir, exaspérée. Elle le détestait maintenant. Ce manque de parole au rendez-vous lui semblait un outrage, et elle cherchait encore d’autres raisons pour s’en détacher: il était incapable d’héroïsme, faible, banal, plus mou qu’une femme, avare d’ailleurs et pusillanime.

Puis, se calmant, elle finit par découvrir qu’elle l’avait sans doute calomnié. Mais le dénigrement de ceux que nous aimons toujours nous en détache quelque peu. Il ne faut pas toucher aux idoles: la dorure en reste aux mains.

Ils en vinrent à parler plus souvent de choses indifférentes à leur amour; et, dans les lettres qu’Emma lui envoyait, il était question de fleurs, de vers, de la lune et des étoiles, ressources naïves d’une passion affaiblie, qui essayait de s’aviver à tous les secours extérieurs. Elle se promettait continuellement, pour son prochain voyage, une félicité profonde; puis elle s’avouait ne rien sentir d’extraordinaire. Cette déception s’effaçait vite sous un espoir nouveau, et Emma revenait à lui plus enflammée, plus avide. Elle se déshabillait brutalement, arrachant le lacet mince de son corset, qui sifflait autour de ses hanches comme une couleuvre qui glisse. Elle allait sur la pointe de ses pieds nus regarder encore une fois si la porte était fermée, puis elle faisait d’un seul geste tomber ensemble tous ses vêtements; – et, pâle, sans parler, sérieuse, elle s’abattait contre sa poitrine, avec un long frisson.

Cependant, il y avait sur ce front couvert de gouttes froides, sur ces lèvres balbutiantes, dans ces prunelles égarées, dans l’étreinte de ces bras, quelque chose d’extrême, de vague et de lugubre, qui semblait à Léon se glisser entre eux, subtilement, comme pour les séparer.

Il n’osait lui faire des questions; mais, la discernant si expérimentée, elle avait dû passer, se disait-il, par toutes les épreuves de la souffrance et du plaisir. Ce qui le charmait autrefois l’effrayait un peu maintenant. D’ailleurs, il se révoltait contre l’absorption, chaque jour plus grande, de sa personnalité. Il en voulait à Emma de cette victoire permanente. Il s’efforçait même à ne pas la chérir; puis, au craquement de ses bottines, il se sentait lâche, comme les ivrognes à la vue des liqueurs fortes.

Elle ne manquait point, il est vrai, de lui prodiguer toute sorte d’attentions, depuis les recherches de table jusqu’aux coquetteries du costume et aux langueurs du regard. Elle apportait d’Yonville des roses dans son sein, qu’elle lui jetait à la figure, montrait des inquiétudes pour sa santé, lui donnait des conseils sur sa conduite; et, afin de le retenir davantage, espérant que le ciel peut-être s’en mêlerait, elle lui passa autour du cou une médaille de la Vierge. Elle s’informait, comme une mère vertueuse, de ses camarades. Elle lui disait:

– Ne les vois pas, ne sors pas, ne pense qu’à nous; aime-moi!

Elle aurait voulu pouvoir surveiller sa vie, et l’idée lui vint de le faire suivre dans les rues. Il y avait toujours, près de l’hôtel, une sorte de vagabond qui accostait les voyageurs et qui ne refuserait pas… Mais sa fierté se révolta.

– Eh! tant pis! qu’il me trompe, que m’importe! est-ce que j’y tiens?

Un jour qu’ils s’étaient quittés de bonne heure, et qu’elle s’en revenait seule par le boulevard, elle aperçut les murs de son couvent; alors elle s’assit sur un banc, à l’ombre des ormes. Quel calme dans ce temps-là! comme elle enviait les ineffables sentiments d’amour qu’elle tâchait, d’après des livres, de se figurer!

Les premiers mois de son mariage, ses promenades à cheval dans la forêt, le Vicomte qui valsait, et Lagardy chantant, tout repassa devant ses yeux… Et Léon lui parut soudain dans le même éloignement que les autres.

– Je l’aime pourtant! se disait-elle.

N’importe! elle n’était pas heureuse, ne l’avait jamais été. D’où venait donc cette insuffisance de la vie, cette pourriture instantanée des choses où elle s’appuyait?… Mais, s’il y avait quelque part un être fort et beau, une nature valeureuse, pleine à la fois d’exaltation et de raffinements, un coeur de poète sous une forme d’ange, lyre aux cordes d’airain, sonnant vers le ciel des épithalames élégiaques, pourquoi, par hasard, ne le trouverait-elle pas? Oh! quelle impossibilité! Rien, d’ailleurs, ne valait la peine d’une recherche; tout mentait! Chaque sourire cachait un bâillement d’ennui, chaque joie une malédiction, tout plaisir son dégoût, et les meilleurs baisers ne vous laissaient sur la lèvre qu’une irréalisable envie d’une volupté plus haute.

Un râle métallique se traîna dans les airs et, quatre coups se firent entendre à la cloche du couvent. Quatre heures! et il lui semblait qu’elle était là, sur ce banc, depuis l’éternité. Mais un infini de passions peut tenir dans une minute, comme une foule dans un petit espace.

Emma vivait tout occupée des siennes, et ne s’inquiétait pas plus de l’argent qu’une archiduchesse.

Une fois pourtant, un homme d’allure chétive, rubicond et chauve, entra chez elle, se déclarant envoyé par M. Vinçart, de Rouen. Il retira les épingles qui fermaient la poche latérale de sa longue redingote verte, les piqua sur sa manche et tendit poliment un papier.

C’était un billet de sept cents francs, souscrit par elle, et que Lheureux, malgré toutes ses protestations, avait passé à l’ordre de Vinçart.

Elle expédia chez lui sa domestique. Il ne pouvait venir.

Alors, l’inconnu, qui était resté debout, lançant de droite et de gauche des regards curieux que dissimulaient ses gros sourcils blonds, demanda d’un air naïf:

– Quelle réponse apporter à M. Vinçart?

– Eh bien, répondit Emma, dites-lui… que je n’en ai pas… Ce sera la semaine prochaine… Qu’il attende… oui, la semaine prochaine.

Et le bonhomme s’en alla sans souffler mot.

Mais, le lendemain, à midi, elle reçut un protêt; et la vue du papier timbré, où s’étalait à plusieurs reprises et en gros caractères: « Maître Hareng, huissier à Buchy », l’effraya si fort, qu’elle courut en toute hâte chez le marchand d’étoffes.

Elle le trouva dans sa boutique, en train de ficeler un paquet.

– Serviteur! dit-il, je suis à vous.

Lheureux n’en continua pas moins sa besogne, aidé par une jeune fille de treize ans environ, un peu bossue, et qui lui servait à la fois de commis et de cuisinière.

Puis, faisant claquer ses sabots sur les planches de la boutique, il monta devant Madame au premier étage, et l’introduisit dans un étroit cabinet, où un gros bureau en bois de sape supportait quelques registres, défendus transversalement par une barre de fer cadenassée. Contre le mur, sous des coupons d’indienne, on entrevoyait un coffre-fort, mais d’une telle dimension, qu’il devait contenir autre chose que des billets et de l’argent. M. Lheureux, en effet, prêtait sur gages, et c’est là qu’il avait mis la chaîne en or de madame Bovary, avec les boucles d’oreilles du pauvre père Tellier, qui, enfin contraint de vendre, avait acheté à Quincampoix un maigre fonds d’épicerie, où il se mourait de son catarrhe, au milieu de ses chandelles moins jaunes que sa figure.

Lheureux s’assit dans son large fauteuil de paille, en disant:

– Quoi de neuf?

– Tenez.

Et elle lui montra le papier.

– Eh bien, qu’y puis-je?

Alors, elle s’emporta, rappelant la parole qu’il avait donnée de ne pas faire circuler ses billets; il en convenait.

– Mais j’ai été forcé moi-même, j’avais le couteau sur la gorge.

– Et que va-t-il arriver, maintenant? reprit-elle.

– Oh! c’est bien simple: un jugement du tribunal, et puis la saisie…; bernique!

Emma se retenait pour ne pas le battre. Elle lui demanda doucement s’il n’y avait pas moyen de calmer M. Vinçart.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
430 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin PDF
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 3,7, 3 oylamaya göre