Kitabı oku: «Contes merveilleux, Tome I», sayfa 2
La bergère et le ramoneur
As-tu jamais vu une très vieille armoire de bois noircie par le temps et sculptée de fioritures et de feuillages? Dans un salon, il y en avait une de cette espèce, héritée d'une aïeule, ornée de haut en bas de roses, de tulipes et des plus étranges volutes entremêlées de têtes de cerfs aux grands bois. Au beau milieu de l'armoire se découpait un homme entier, tout à fait grotesque; on ne pouvait vraiment pas dire qu'il riait, il grimaçait; il avait des pattes de bouc, des cornes sur le front et une longue barbe. Les enfants de la maison l'appelaient le «sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc ».
Évidemment, peu de gens portent un tel titre et il est assez long à prononcer, mais il est rare aussi d'être sculpté sur une armoire.
Quoi qu'il en soit, il était là! Il regardait constamment la table placée sous la glace car sur cette table se tenait une ravissante petite bergère en porcelaine, portant des souliers d'or, une robe coquettement retroussée par une rose rouge, un chapeau doré et sa houlette de bergère. Elle était délicieuse! Tout près d'elle, se tenait un petit ramoneur, noir comme du charbon, lui aussi en porcelaine. Il était aussi propre et soigné que quiconque; il représentait un ramoneur, voilà tout, mais le fabricant de porcelaine aurait aussi bien pu faire de lui un prince, c'était tout comme.
Il portait tout gentiment son échelle, son visage était rose et blanc comme celui d'une petite fille, ce qui était une erreur, car pour la vraisemblance il aurait pu être un peu noir aussi de visage. On l'avait posé à côté de la bergère, et puisqu'il en était ainsi, ils s'étaient fiancés, ils se convenaient, jeunes tous les deux, de même porcelaine et également fragiles.
Tout près d'eux et bien plus grand, était assis un vieux Chinois en porcelaine qui pouvait hocher de la tête. Il disait qu'il était le grand-père de la petite bergère; il prétendait même avoir autorité sur elle, c'est pourquoi il inclinait la tête vers le «sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc» qui avait demandé la main de la bergère.
–Tu auras là, dit le vieux Chinois, un mari qu'on croirait presque fait de bois d'acajou, qui peut te donner un titre ronflant, qui possède toute l'argenterie de l'armoire, sans compter ce qu'il garde dans des cachettes mystérieuses.
–Je ne veux pas du tout aller dans la sombre armoire, protesta la petite bergère, je me suis laissé dire qu'il y avait là-dedans onze femmes en porcelaine!
–Eh bien! tu seras la douzième. Cette nuit, quand la vieille armoire se mettra à craquer, vous vous marierez, aussi vrai que je suis Chinois. Et il s'endormit.
La petite bergère pleurait, elle regardait le ramoneur de porcelaine, le chéri de son cœur.
–Je crois, dit-elle, que je vais te demander de partir avec moi dans le vaste monde. Nous ne pouvons plus rester ici.
–Je veux tout ce que tu veux, répondit-il; partons immédiatement, je pense que mon métier me permettra de te nourrir.
–Je voudrais déjà que nous soyons sains et saufs au bas de la table, dit-elle, je ne serai heureuse que quand nous serons partis.
Il la consola de son mieux et lui montra où elle devait poser son petit pied sur les feuillages sculptés longeant les pieds de la table; son échelle les aida du reste beaucoup.
Mais quand ils furent sur le parquet et qu'ils levèrent les yeux vers l'armoire, ils y virent une terrible agitation. Les cerfs avançaient la tête, dressaient leurs bois et tournaient le cou, le «sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc» bondit et cria:
–Ils se sauvent! Ils se sauvent!
Effrayés, les jeunes gens sautèrent rapidement dans le tiroir du bas de l'armoire. Il y avait là quatre jeux de cartes incomplets et un petit théâtre de poupées, monté tant bien que mal. On y jouait la comédie, les dames de carreau et de cœur, de trèfle et de pique, assises au premier rang, s'éventaient avec leurs tulipes, les valets se tenaient debout derrière elles et montraient qu'ils avaient une tête en haut et une en bas, comme il sied quand on est une carte à jouer. La comédie racontait l'histoire de deux amoureux qui ne pouvaient pas être l'un à l'autre. La bergère en pleurait, c'était un peu sa propre histoire.
–Je ne peux pas le supporter, dit-elle, sortons de ce tiroir.
Mais dès qu'ils furent à nouveau sur le parquet, levant les yeux vers la table, ils aperçurent le vieux Chinois réveillé qui vacillait de tout son corps. Il s'effondra comme une masse sur le parquet.
–Voilà le vieux Chinois qui arrive, cria la petite bergère, et elle était si contrariée qu'elle tomba sur ses jolis genoux de porcelaine.
–Une idée me vient, dit le ramoneur. Si nous grimpions dans cette grande potiche qui est là dans le coin nous serions couchés sur les roses et la lavande y et pourrions lui jeter du sel dans les yeux quand il approcherait.
–Cela ne va pas, dit la petite. Je sais que le vieux Chinois et la potiche ont été fiancés, il en reste toujours un peu de sympathie. Non, il n'y a rien d'autre à faire pour nous que de nous sauver dans le vaste monde.
–As-tu vraiment le courage de partir avec moi, as-tu réfléchi combien le monde est grand, et que nous ne pourrons jamais revenir?
–J'y ai pensé, répondit-elle.
Alors, le ramoneur la regarda droit dans les yeux et dit:
–Mon chemin passe par la cheminée, as-tu le courage de grimper avec moi à travers le poêle, d'abord, le foyer, puis le tuyau où il fait nuit noire? Après le poêle, nous devons passer dans la cheminée elle-même; à partir de là, je m'y entends, nous monterons si haut qu'ils ne pourront pas nous atteindre, et tout en haut, il y a un trou qui ouvre sur le monde.
Il la conduisit à la porte du poêle.
–Oh! que c'est noir, dit-elle.
Mais elle le suivit à travers le foyer et le tuyau noirs comme la nuit.
–Nous voici dans la cheminée, cria le garçon. Vois, vois, là-haut brille la plus belle étoile.
Et c'était vrai, cette étoile semblait leur indiquer le chemin. Ils grimpaient et rampaient. Quelle affreuse route! Mais il la soutenait et l'aidait, il lui montrait les bons endroits où appuyer ses fins petits pieds, et ils arrivèrent tout en haut de la cheminée, où ils s'assirent épuisés. Il y avait de quoi.
Au-dessus d'eux, le ciel et toutes ses étoiles, en dessous, les toits de la ville; ils regardaient au loin, apercevant le monde. Jamais la bergère ne l'aurait imaginé ainsi. Elle appuya sa petite tête sur la poitrine du ramoneur et se mit à sangloter si fort que l'or qui garnissait sa ceinture craquait et tombait en morceaux.
–C'est trop, gémit-elle, je ne peux pas le supporter. Le monde est trop grand. Que ne suis-je encore sur la petite table devant la glace, je ne serai heureuse que lorsque j'y serai retournée. Tu peux bien me ramener à la maison, si tu m'aimes un peu.
Le ramoneur lui parla raison, lui fit souvenir du vieux Chinois, du «sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc », mais elle pleurait de plus en plus fort, elle embrassait son petit ramoneur chéri, de sorte qu'il n'y avait rien d'autre à faire que de lui obéir, bien qu'elle eût grand tort.
Alors ils rampèrent de nouveau avec beaucoup de peine pour descendre à travers la cheminée, le tuyau et le foyer; ce n'était pas du tout agréable. Arrivés dans le poêle sombre, ils prêtèrent l'oreille à ce qui se passait dans le salon. Tout y était silencieux; alors ils passèrent la tête et… horreur! Au milieu du parquet gisait le vieux Chinois, tombé en voulant les poursuivre et cassé en trois morceaux; il n'avait plus de dos et sa tête avait roulé dans un coin. Le sergent-major général se tenait là où il avait toujours été, méditatif.
–C'est affreux, murmura la petite bergère, le vieux grand-père est cassé et c'est de notre faute; je n'y survivrai pas. Et, de désespoir, elle tordait ses jolies petites mains.
–On peut très bien le requinquer, affirma le ramoneur. Il n'y a qu'à le recoller, ne sois pas si désolée. Si on lui colle le dos et si on lui met une patte de soutien dans la nuque, il sera comme neuf et tout prêt à nous dire de nouveau des choses désagréables.
–Tu crois vraiment?
Ils regrimpèrent sur la table où ils étaient primitivement.
–Nous voilà bien avancés, dit le ramoneur, nous aurions pu nous éviter le dérangement.
–Pourvu qu'on puisse recoller le grand-père. Crois-tu que cela coûterait très cher? dit-elle.
La famille fit mettre de la colle sur le dos du Chinois et un lien à son cou, et il fut comme neuf, mais il ne pouvait plus hocher la tête.
–Que vous êtes devenu hautain depuis que vous avez été cassé, dit le «sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc ». Il n'y a pas là de quoi être fier. Aurai-je ou n'aurai-je pas ma bergère?
Le ramoneur et la petite bergère jetaient un regard si émouvant vers le vieux Chinois, ils avaient si peur qu'il dise oui de la tête; mais il ne pouvait plus la remuer. Et comme il lui était très désagréable de raconter à un étranger qu'il était obligé de porter un lien à son cou, les amoureux de porcelaine restèrent l'un près de l'autre, bénissant le pansement du grand-père et cela jusqu'au jour où eux-mêmes furent cassés.
Le bisaïeul
Le conte n'est pas de moi. Je le tiens d'un de mes amis, à qui je donne la parole: Notre bisaïeul était la bonté même; il aimait à faire plaisir, il contait de jolies histoires; il avait l'esprit droit, la tête solide. À vrai dire il n'était que mon grand-père; mais lorsque le petit garçon de mon frère Frédéric vint au monde, il avança au grade de bisaïeul, et nous ne l'appelions plus qu'ainsi. Il nous chérissait tous et nous tenait en considération; mais notre époque, il ne l'estimait guère.» Le vieux temps, disait-il, c'était le bon temps. Tout marchait alors avec une sage lenteur, sans précipitation; aujourd'hui c'est une course universelle, une galopade échevelée; c'est le monde renversé.»
Quand le bisaïeul parlait sur ce thème, il s'animait à en devenir tout rouge; puis il se calmait peu à peu et disait en souriant: «Enfin, peut-être me trompé-je. Peut-être est-ce ma faute si je ne me trouve pas à mon aise dans ce temps actuel avec mes habitudes du siècle dernier. Laissons agir la Providence.»
Cependant il revenait toujours sur ce sujet, et comme il décrivait bien tout ce que l'ancien temps avait de pittoresque et de séduisant: les grands carrosses dorés et à glaces où trônaient les princes, les seigneurs, les châtelaines revêtues de splendides atours; les corporations, chacune en costume différent, traversant les rues en joyeux cortège, bannières et musiques en tête; chacun gardant son rang et ne jalousant pas les autres. Et les fêtes de Noël, comme elles étaient plus animées, plus brillantes qu'aujourd'hui, et le gai carnaval! Le vieux temps avait aussi ses vilains côtés: la loi était dure, il y avait la potence, la roue; mais ces horreurs avaient du caractère, provoquaient l'émotion. Et quant aux abus, on savait alors les abolir généreusement: c'est au milieu de ces discussions que j'appris que ce fut la noblesse danoise qui la première affranchit spontanément les serfs et qu'un prince danois supprima dès le siècle dernier la traite des noirs.
–Mais, disait-il, le siècle d'avant était encore bien plus empreint de grandeur; les hauts faits, les beaux caractères y abondaient.
–C'étaient des époques rudes et sauvages, interrompait alors mon frère Frédéric; Dieu merci, nous ne vivons plus dans un temps pareil.
Il disait cela au bisaïeul en face, et ce n'était pas trop gentil. Cependant il faut dire qu'il n'était plus un enfant; c'était notre aîné; il était sorti de l'Université après les examens les plus brillants. Ensuite notre père, qui avait une grande maison de commerce, l'avait pris dans ses bureaux et il était très content de son zèle et de son intelligence. Le bisaïeul avait tout l'air d'avoir un faible pour lui; C'est avec lui surtout qu'il aimait à causer; mais quand ils en arrivaient à ce sujet du bon vieux temps, cela finissait presque toujours par de vives discussions; aucun d'eux ne cédait; et cependant, quoique je ne fusse qu'un gamin, je remarquai bien qu'ils ne pouvaient pas se passer l'un de l'autre. Que de fois le bisaïeul écoutait l'oreille tendue, les yeux tout plein de feu, ce que Frédéric racontait sur les découvertes merveilleuses de notre époque, sur des forces de la nature, jusqu'alors inconnues, employées aux inventions les plus étonnantes!
–Oui, disait-il alors, les hommes deviennent plus savants, plus industrieux, mais non meilleurs. Quels épouvantables engins de destruction ils inventent pour s'entre-tuer!
–Les guerres n'en sont que plus vite finies, répondait Frédéric; on n'attend plus sept ou même trente ans avant le retour de la paix. Du reste, des guerres, il en faut toujours; s'il n'y en avait pas eu depuis le commencement du monde, la terre serait aujourd'hui tellement peuplée que les hommes se dévoreraient les uns les autres.
Un jour Frédéric nous apprit ce qui venait de se passer dans une petite ville des environs. À l'hôtel de ville se trouvait une grande et antique horloge; elle s'arrêtait parfois, puis retardait, pour ensuite avancer; mais enfin telle quelle, elle servait à régler toutes les montres de la ville. Voilà qu'on se mit à construire un chemin de fer qui passa par cet endroit; comme il faut que l'heure des trains soit indiquée de façon exacte, on plaça à la gare une horloge électrique qui ne variait jamais; et depuis lors tout le monde réglait sa montre d'après la gare; l'horloge de la maison de ville pouvait varier à son aise; personne n'y faisait attention, ou plutôt on s'en moquait.
–C'est grave tout cela, dit le bisaïeul d'un air très sérieux. Cela me fait penser à une bonne vieille horloge, comme on en fabrique à Bornholmy, qui était chez mes parents; elle était enfermée dans un meuble en bois de chêne et marchait à l'aide de poids. Elle non plus n'allait pas toujours bien exactement; mais on ne s'en préoccupait pas. Nous regardions le cadran et nous avions foi en lui. Nous n'apercevions que lui, et l'on ne voyait rien des roues et des poids. C'est de même que marchaient le gouvernement et la machine de l'État. On avait pleine confiance en elle et on ne regardait que le cadran. Aujourd'hui c'est devenu une horloge de verre; le premier venu observe les mouvements des roues et y trouve à redire; on entend le frottement des engrenages, on se demande si les ressorts ne sont pas usés et ne vont pas se briser. On n'a plus la foi; c'est là la grande faiblesse du temps présent.
Et le bisaïeul continua ainsi pendant longtemps jusqu'à ce qu'il arrivât à se fâcher complètement, bien que Frédéric finît par ne plus le contredire. Cette fois, ils se quittèrent en se boudant presque; mais il n'en fut pas de même lorsque Frédéric s'embarqua pour l'Amérique où il devait aller veiller à de grands intérêts de notre maison. La séparation fut douloureuse; s'en aller si loin, au-delà de l'océan, braver flots et tempêtes.
–Tranquillise-toi, dit Frédéric au bisaïeul qui retenait ses larmes; tous les quinze jours vous recevrez une lettre de moi, et je te réserve une surprise. Tu auras de mes nouvelles par le télégraphe; on vient de terminer la pose du câble transatlantique. En effet, lorsqu'il s'embarqua en Angleterre, une dépêche vint nous apprendre que son voyage se passait bien, et, au moment où il mit le pied sur le nouveau continent, un message de lui nous parvint traversant les mers plus rapidement que la foudre.
–Je n'en disconviendrai pas, dit le bisaïeul, cette invention renverse un peu mes idées; c'est une vraie bénédiction pour l'humanité, et c'est au Danemark qu'on a précisément découvert la force qui agit ainsi. Je l'ai connu, Christian Oersted, qui a trouvé le principe de l'électromagnétisme; il avait des yeux aussi doux, aussi profonds que ceux d'un enfant; il était bien digne de l'honneur que lui fit la nature en lui laissant deviner un de ses plus intimes secrets.
Dix mois se passèrent, lorsque Frédéric nous manda qu'il s'était fiancé là-bas avec une charmante jeune fille; dans la lettre se trouvait une photographie. Comme nous l'examinâmes avec empressement! Le bisaïeul prit sa loupe et la regarda longtemps.
–Quel malheur, s'écria le bisaïeul, qu'on n'ait pas depuis longtemps connu cet art de reproduire les traits par le soleil! Nous pourrions voir face à face les grands hommes de l'histoire. Voyez donc quel charmant visage; comme cette jeune fille est gracieuse! Je la reconnaîtrai dès qu'elle passera notre seuil.
Le mariage de Frédéric eut lieu en Amérique; les jeunes époux revinrent en Europe et atteignirent heureusement l'Angleterre d'où ils s'embarquèrent pour Copenhague. Ils étaient déjà en face des blanches dunes du Jutland, lorsque s'éleva un ouragan; le navire, secoué, ballotté, tout fracassé, fut jeté à la côte. La nuit approchait, le vent faisait toujours rage; impossible de mettre à la mer les chaloupes et on prévoyait que le matin le bâtiment serait en pièces.
Voilà qu'au milieu des ténèbres reluit une fusée; elle amène un solide cordage; les matelots s'en saisissent; une communication s'établit entre les naufragés et la terre ferme. Le sauvetage commence et, malgré les vagues et la tempête, en quelques heures tout le monde est arrivé heureusement à terre.
À Copenhague nous dormions tous bien tranquillement, ne songeant ni aux dangers, ni aux chagrins. Lorsque le matin la famille se réunit, joyeuse d'avance de voir arriver le jeune couple, le journal nous apprend, par une dépêche, que la veille un navire anglais a fait naufrage sur la côte du Jutland. L'angoisse saisit tous les cœurs; mon père court aux renseignements; il revient bientôt encore plus vite nous apprendre que, d'après une seconde dépêche, tout le monde est sauvé et que les êtres chéris que nous attendons ne tarderont pas à être au milieu de nous. Tous nous éclatâmes en pleurs; mais c'étaient de douces larmes; moi aussi, je pleurai, et le bisaïeul aussi; il joignit les mains et, j'en suis sûr, il bénit notre âge moderne. Et le même jour encore il envoya deux cents écus à la souscription pour le monument d'Oersted. Le soir, lorsque arriva Frédéric avec sa belle jeune femme, le bisaïeul lui dit ce qu'il avait fait; et ils s'embrassèrent de nouveau. Il y a de braves cœurs dans tous les temps.
Le bonhomme de neige
Quel beau froid il fait aujourd'hui! dit le Bonhomme de neige. Tout mon corps en craque de plaisir. Et ce vent cinglant, comme il vous fouette agréablement! Puis, de l'autre côté, ce globe de feu qui me regarde tout béat!
Il voulait parler du soleil qui disparaissait à ce moment.
–Oh! il a beau faire, il ne m'éblouira pas! Je ne lâcherai pas encore mes deux escarboucles.
Il avait, en effet, au lieu d'yeux, deux gros morceaux de charbon de terre brillant et sa bouche était faite d'un vieux râteau, de telle façon qu'on voyait toutes ses dents. Le bonhomme de neige était né au milieu des cris de joie des enfants.
Le soleil se coucha, la pleine lune monta dans le ciel; ronde et grosse, claire et belle, elle brillait au noir firmament.
–Ah! le voici qui réapparaît de l'autre côté, dit le Bonhomme de neige.
Il pensait que c'était le soleil qui se montrait de nouveau.
–Maintenant, je lui ai fait atténuer son éclat. Il peut rester suspendu là-haut et paraître brillant; du moins, je peux me voir moi-même. Si seulement je savais ce qu'il faut faire pour bouger de place! J'aurais tant de plaisir à me remuer un peu! Si je le pouvais, j'irais tout de suite me promener sur la glace et faire des glissades, comme j'ai vu faire aux enfants. Mais je ne peux pas courir.
–Ouah! ouah! aboya le chien de garde.
Il ne pouvait plus aboyer juste et était toujours enroué, depuis qu'il n'était plus chien de salon et n'avait plus sa place sous le poêle.
–Le soleil t'apprendra bientôt à courir. Je l'ai bien vu pour ton prédécesseur, pendant le dernier hiver. Ouah! ouah!
–Je ne te comprends pas, dit le Bonhomme de neige. C'est cette boule, là-haut (il voulait dire la lune), qui m'apprendra à courir? C'est moi plutôt qui l'ai fait filer en la regardant fixement, et maintenant elle ne nous revient que timidement par un autre côté.
–Tu ne sais rien de rien, dit le chien; il est vrai aussi que l'on t'a construit depuis peu. Ce que tu vois là, c'est la lune; et celui qui a disparu, c'est le soleil. Il reviendra demain et, tu peux m'en croire, il saura t'apprendre à courir dans le fossé. Nous allons avoir un changement de temps. Je sens cela à ma patte gauche de derrière. J'y ai des élancements et des picotements très forts.
–Je ne le comprends pas du tout, se dit à lui-même le Bonhomme de neige, mais j'ai le pressentiment qu'il m'annonce quelque chose de désagréable. Et puis, cette boule qui m'a regardé si fixement avant de disparaître, et qu'il appelle le soleil, je sens bien qu'elle aussi n'est pas mon amie.
–Ouah! ouah! aboya le chien en tournant trois fois sur lui-même.
Le temps changea en effet. Vers le matin, un brouillard épais et humide se répandit sur tout le pays, et, un peu avant le lever du soleil, un vent glacé se leva, qui fit redoubler la gelée. Quel magnifique coup d'œil, quand le soleil parut! Arbres et bosquets étaient couverts de givre et toute la contrée ressemblait à une forêt de blanc corail. C'était comme si tous les rameaux étaient couverts de blanches fleurs brillantes.
Les ramifications les plus fines, et que l'on ne peut remarquer en été, apparaissaient maintenant très distinctement. On eût dit que chaque branche jetait un éclat particulier, c'était d'un effet éblouissant. Les bouleaux s'inclinaient mollement au souffle du vent; il y avait en eux de la vie comme les arbres en ont en plein été. Quand le soleil vint à briller au milieu de cette splendeur incomparable, il sembla que des éclairs partaient de toutes parts, et que le vaste manteau de neige qui couvrait la terre ruisselait de diamants étincelants.
–Quel spectacle magnifique! s'écria une jeune fille qui se promenait dans le jardin avec un jeune homme. Ils s'arrêtèrent près du Bonhomme de neige et regardèrent les arbres qui étincelaient. Même en été, on ne voit rien de plus beau!
–Surtout on ne peut pas rencontrer un pareil gaillard! répondit le jeune homme en désignant le Bonhomme de neige. Il est parfait!
–Qui était-ce? demanda le Bonhomme de neige au chien de garde. Toi qui es depuis si longtemps dans la cour, tu dois certainement les connaître?
–Naturellement! dit le chien. Elle m'a si souvent caressé, et lui m'a donné tant d'os à ronger. Pas de danger que je les morde!
–Mais qui sont-ils donc?
–Des fiancés, répondit le chien. Ils veulent vivre tous les deux dans la même niche et y ronger des os ensemble. Ouah! ouah!
–Est-ce que ce sont des gens comme toi et moi?
–Ah! mais non! dit le chien. Ils appartiennent à la famille des maîtres! Je connais tout ici dans cette cour! Oui, il y a un temps où je n'étais pas dans la cour, au froid et à l'attache pendant que souffle le vent glacé. Ouah! ouah!
–Moi, j'adore le froid! dit le Bonhomme de neige. Je t'en prie, raconte. Mais tu pourrais bien faire moins de bruit avec ta chaîne. Cela m'écorche les oreilles.
–Ouah! ouah! aboya le chien. J'ai été jeune chien, gentil et mignon, comme on me le disait alors. J'avais ma place sur un fauteuil de velours dans le château, parfois même sur le giron des maîtres. On m'embrassait sur le museau, et on m'époussetait les pattes avec un mouchoir brodé. On m'appelait «Chéri». Mais je devins grand, et l'on me donna à la femme de ménage. J'allai demeurer dans le cellier; tiens! d'où tu es, tu peux en voir l'intérieur. Dans cette chambre, je devins le maître; oui, je fus le maître chez la femme de ménage. C'était moins luxueux que dans les appartements du dessus, mais ce n'en était que plus agréable. Les enfants ne venaient pas constamment me tirailler et me tarabuster comme là-haut. Puis j'avais un coussin spécial, et je me chauffais à un bon poêle, la plus belle invention de notre siècle, tu peux m'en croire. Je me glissais dessous et l'on ne me voyait plus. Tiens! j'en rêve encore.
–Est-ce donc quelque chose de si beau qu'un poêle? reprit le Bonhomme de neige après un instant de réflexion.
–Non, non, tout au contraire! C'est tout noir, avec un long cou et un cercle en cuivre. Il mange du bois au point que le feu lui en sort par la bouche. Il faut se mettre au-dessus ou au-dessous, ou à côté, et alors, rien de plus agréable. Du reste, regarde par la fenêtre, tu l'apercevras.
Le Bonhomme de neige regarda et aperçut en effet un objet noir, reluisant, avec un cercle en cuivre, et par-dessous lequel le feu brillait. Cette vue fit sur lui une impression étrange, qu'il n'avait encore jamais éprouvée, mais que tous les hommes connaissent bien.
–Pourquoi es-tu parti de chez elle? demanda le Bonhomme de neige.
Il disait: elle, car, pour lui, un être si aimable devait être du sexe féminin.
–Comment as-tu pu quitter ce lieu de délices?
–Il le fallait bon gré mal gré, dit le chien. On me jeta dehors et on me mit à l'attache, parce qu'un jour je mordis à la jambe le plus jeune des fils de la maison qui venait de me prendre un os. Les maîtres furent très irrités, et l'on m'envoya ici à l'attache. Tu vois, avec le temps, j'y ai perdu ma voix. J'aboie très mal.
Le chien se tut. Mais le Bonhomme de neige n'écoutait déjà plus ce qu'il lui disait. Il continuait à regarder chez la femme de ménage, où le poêle était posé.
–Tout mon être en craque d'envie, disait-il. Si je pouvais entrer! Souhait bien innocent, tout de même! Entrer, entrer, c'est mon vœu le plus cher; il faut que je m'appuie contre le poêle, dussé-je passer par la fenêtre!
–Tu n'entreras pas, dit le chien, et si tu entrais, c'en serait fait de toi.
–C'en est déjà fait de moi, dit le Bonhomme de neige; l'envie me détruit.
Toute la journée il regarda par la fenêtre. Du poêle sortait une flamme douce et caressante; un poêle seul, quand il a quelque chose à brûler, peut produire une telle lueur; car le soleil ou la lune, ce ne serait pas la même lumière. Chaque fois qu'on ouvrait la porte, la flamme s'échappait par-dessous. La blanche poitrine du Bonhomme de neige en recevait des reflets rouges.
–Je n'y puis plus tenir! C'est si bon lorsque la langue lui sort de la bouche!
La nuit fut longue, mais elle ne parut pas telle au Bonhomme de neige. Il était plongé dans les idées les plus riantes. Au matin, la fenêtre du cellier était couverte de givre, formant les plus jolies arabesques qu'un Bonhomme de neige pût souhaiter; seulement, elles cachaient le poêle. La neige craquait plus que jamais; un beau froid sec, un vrai plaisir pour un Bonhomme de neige.
Un coq chantait en regardant le froid soleil d'hiver. Au loin dans la campagne, on entendait résonner la terre gelée sous les pas des chevaux s'en allant au labour, pendant que le conducteur faisait gaiement claquer son fouet en chantant quelque ronde campagnarde que répétait après lui l'écho de la colline voisine.
Et pourtant le Bonhomme de neige n'était pas gai. Il aurait dû l'être, mais il ne l'était pas.
Aussi, quand tout concourt à réaliser nos souhaits, nous cherchons dans l'impossible et l'inattendu ce qui pourrait arriver pour troubler notre repos; il semble que le bonheur n'est pas dans ce que l'on a la satisfaction de posséder, mais tout au contraire dans l'imprévu d'où peut souvent sortir notre malheur.
C'est pour cela que le Bonhomme de neige ne pouvait se défendre d'un ardent désir de voir le poêle, lui l'homme du froid auquel la chaleur pouvait être si désastreuse. Et ses deux gros yeux de charbon de terre restaient fixés immuablement sur le poêle qui continue à brûler sans se douter de l'attention attendrie dont il était l'objet.
–Mauvaise maladie pour un Bonhomme de neige! pensait le chien. Ouah! ouah! Nous allons encore avoir un changement de temps!
Et cela arriva en effet: ce fut un dégel. Et plus le dégel grandissait, plus le Bonhomme de neige diminuait. Il ne disait rien; il ne se plaignait pas; c'était mauvais signe. Un matin, il tomba en morceaux, et il ne resta de lui qu'une espèce de manche à balai. Les enfants l'avaient planté en terre, et avaient construit autour leur Bonhomme de neige.
–Je comprends maintenant son envie, dit le chien. C'est ce qu'il avait dans le corps qui le tourmentait ainsi! Ouah! ouah!
Bientôt après, l'hiver disparut à son tour.
–Ouah! ouah! aboyait le chien; et une petite fille chantait dans la cour:
Ohé! voici l'hiver parti
Et voici Février fini!
Chantons: Coucou!
Chantons! Cui… uitte!
Et toi, bon soleil, viens vite!
Personne ne pensait plus au Bonhomme de neige.