Kitabı oku: «Contes merveilleux, Tome II», sayfa 11
Le schilling d'argent
I
Il y avait une fois un schilling. Lorsqu'il sortit de la Monnaie, il était d'une blancheur éblouissante; il sauta, tinta: «Hourrah! dit-il, me voilà parti pour le vaste monde!» Et il devait, en effet, parcourir bien des pays. Il passa dans les mains de diverses personnes. L'enfant le tenait ferme avec ses menottes chaudes. L'avare le serrait convulsivement dans ses mains froides. Les vieux le tournaient, le retournaient, Dieu sait combien de fois, avant de le lâcher. Les jeunes gens le faisaient rouler avec insouciance. Notre schilling était d'argent de bon aloi, presque sans alliage. Il y avait déjà un an qu'il trottait par le monde, sans avoir quitté encore le pays où on l'avait monnayé. Un jour enfin il partit en voyage pour l'étranger. Son possesseur l'emportait par mégarde. Il avait résolu de ne prendre dans sa bourse que de la monnaie du pays où il se rendait. Aussi fut-il surpris de retrouver, au moment du départ, ce schilling égaré.»Ma foi, gardons-le, se dit-il, là-bas il me rappellera le pays!» Il laissa donc retomber au fond de la bourse le schilling, qui bondit et résonna joyeusement. Le voilà donc parmi une quantité de camarades étrangers qui ne faisaient qu'aller et venir. Il en arrivait toujours de nouveaux avec des effigies nouvelles, et ils ne restaient guère en place. Notre schilling, au contraire, ne bougeait pas. On tenait donc à lui: c'était une honorable distinction. Plusieurs semaines s'étaient écoulées: le schilling avait fait déjà bien du chemin à travers le monde, mais il ne savait pas du tout où il se trouvait. Les pièces de monnaie qui survenaient lui disaient les unes qu'elles étaient françaises, les autres qu'elles étaient italiennes. Telle qui entrait lui apprit qu'on arrivait en telle ville; telle autre qu'on arrivait dans telle autre ville. Mais c'était insuffisant pour se faire une idée du beau voyage qu'il faisait. Au fond du sac on ne voit rien, et c'était le cas de notre schilling. Il s'avisa un jour que la bourse n'était pas fermée. Il glissa vers l'ouverture pour tâcher d'apercevoir quelque chose. Mal lui prit d'être trop curieux. Il tomba dans la poche du pantalon; quand le soir son maître se déshabilla, il en retira sa bourse, mais y laissa le schilling. Le pantalon fut mis dans l'antichambre, avec les autres habits, pour être brossé par le garçon d'hôtel. Le schilling s'échappa de la poche et roula par terre; personne ne l'entendit, personne ne le vit. Le lendemain, les habits furent rapportés dans la chambre. Le voyageur les revêtit, quitta la ville, laissant là le schilling perdu. Quelqu'un le trouva et le mit dans son gousset, pensant bien s'en servir.» Enfin, dit le schilling, je vais donc circuler de nouveau et voir d'autres hommes, d'autres mœurs et d'autres usages que ceux de mon pays!» Lorsqu'il fut sur le point de passer en de nouvelles mains, il entendit ces mots: «Qu'est-ce que cette pièce? Je ne connais pas cette monnaie. C'est probablement une pièce fausse; je n'en veux pas: elle ne vaut rien.» C'est en ce moment que commencent en réalité les aventures du schilling, et voici comme il racontait plus tard à ses camarades les traverses qu'il avait essuyées.
II
«Elle est fausse, elle ne vaut rien!» À ces mots, disait le schilling, je vibrai d'indignation. Ne savais-je pas bien que j'étais de bon argent, que je sonnais bien et que mon empreinte était loyale et authentique? Ces gens se trompent, pensais-je; ou plutôt ce n'est pas de moi qu'ils parlent. Mais non, c'était bien de moi-même qu'il s'agissait, c'était bien moi qu'ils accusaient d'être une pièce fausse!» Je la passerai ce soir à la faveur de l'obscurité, «se dit l'homme qui m'avait ramassé.» C'est ce qu'il fit en effet; le soir on m'accepta sans mot dire. Mais le lendemain on recommença à m'injurier de plus belle: «Mauvaise pièce, disait-on, tâchons de nous en débarrasser.» «Je tremblais entre les doigts des gens qui cherchaient à me glisser furtivement à autrui.»Malheureux que je suis! m'écriais-je. À quoi me sert-il d'être si pur de tout alliage, d'avoir été si nettement frappé! On n'est donc pas estimé, dans le monde, à sa juste valeur, mais d'après l'opinion qu'on se forme de vous. Ce doit être bien affreux d'avoir la conscience chargée de fautes, puisque, même innocent, on souffre à ce point d'avoir seulement l'air coupable!» Chaque fois qu'on me produisait à la lumière pour me mettre en circulation, je frémissais de crainte. Je m'attendais à être examiné, scruté, pesé, jeté sur la table, dédaigné et injurié comme l'œuvre du mensonge et de la fraude.» J'arrivai ainsi entre les mains d'une pauvre vieille femme. Elle m'avait reçu pour salaire d'une rude journée de travail. Impossible de tirer parti de moi! Personne ne voulait me recevoir. C'était une perte sérieuse pour la pauvre vieille.» Me voilà donc réduite, se dit-elle, à tromper quelqu'un en lui faisant accepter cette pièce fausse. C'est bien contre mon gré, mais je ne possède rien et je ne puis me permettre le luxe de conserver un mauvais schilling. Ma foi, je vais le donner au boulanger qui est si riche: cela lui fera moins de tort qu'à n'importe qui. C'est mal néanmoins ce que je fais.» «Faut-il que j'aie encore le malheur de peser sur la conscience de cette brave femme! me dis-je en soupirant. Ah! qui aurait supposé, en me voyant si brillant dans mon jeune temps, qu'un jour je descendrais si bas?» «La vieille femme entra chez l'opulent boulanger; celui-ci connaissait trop bien les pièces ayant cours pour se laisser prendre: il me jeta à la figure de la pauvre vieille, qui s'en alla honteuse et sans pain. C'était pour moi le comble de l'humiliation! J'étais désolé et navré, comme peut l'être un schilling méprisé, dont personne ne veut.» La bonne femme me reprit pourtant, et, de retour chez elle, elle me regarda de son regard bienveillant: «Non, dit-elle, je ne veux plus chercher à attraper personne; je vais te trouer pour que chacun voie bien que tu es une pièce fausse. Mais l'idée m'en vient tout à coup: qui sait? Ne serais-tu pas une de ces pièces de monnaie qui portent bonheur? J'en ai comme un pressentiment. Oui, c'est cela, je vais te percer au milieu, et passer un ruban par le trou; je t'attacherai au cou de la petite fille de la voisine et tu lui porteras bonheur.» «Elle me transperça comme elle l'avait dit, et ce ne fut pas pour moi une sensation agréable. Toutefois, de ceux dont l'intention est bonne on supporte bien des choses. Elle passa le ruban par le trou: me voilà transformé en une sorte de médaillon, et l'on me suspend au cou de la petite qui, toute joyeuse, me sourit et me baise. Je passai la nuit sur le sein innocent de l'enfant.» Le matin venu, sa mère me prit entre les doigts, me regarda bien. Elle avait son idée sur moi, je le devinai aussitôt. Elle prit des ciseaux et coupa le ruban.» Ah! tu es un schilling qui porte bonheur! dit-elle. C'est ce que nous verrons.» «Elle me plongea dans du vinaigre. Oh, le bain pénible que je subis! J'en devins verdâtre. Elle mit ensuite du mastic dans le trou, et, sur le crépuscule, alla chez le receveur de la loterie afin d'y prendre un billet. Je m'attendais à un nouvel affront. On allait me rejeter avec dédain, et cela devant une quantité de pièces fières de leur éclat. J'échappai à cet affront. Il y avait beaucoup de monde chez le receveur; il ne savait qui entendre; il me lança parmi les autres pièces, et, comme je rendis un bon son d'argent, tout fut dit. J'ignore si le billet de la voisine sortit au premier tirage, mais ce que je sais bien, c'est que, le lendemain, je fus reconnu de nouveau pour une mauvaise pièce et mis à part pour être passé en fraude.» Mes misérables pérégrinations recommencèrent. Je roulai de main en main, de maison en maison, insulté, mal vu de tout le monde. Personne n'avait confiance en moi, et je finis par douter de ma propre valeur. Dieu, quel affreux temps ce fut là!» «Arrive un voyageur étranger. On s'empresse naturellement de lui passer la mauvaise pièce, qu'il prend sans la regarder. Mais quand il veut me donner à son tour, chacun se récrie: «Elle est fausse, elle ne vaut rien!» Voilà les affligeantes paroles que je fus condamné pour la centième fois à entendre.» On me l'a pourtant donnée pour bonne», dit l'étranger en me considérant avec attention. Un sourire s'épanouit tout à coup sur ses lèvres. C'était extraordinaire; toute autre était l'impression que je produisais habituellement sur ceux qui me regardaient.»Tiens! s'écria-t-il, c'est une pièce de mon pays, un brave et honnête schilling. On l'a troué; on l'a traité comme une pièce fausse. Je vais le garder et je le remporterai chez nous.» «Je fus, à ces mots, pénétré de la joie la plus vive. Depuis longtemps je n'étais plus accoutumé à recevoir des marques d'estime. On m'appelait un brave et honnête schilling, et bientôt je retournerais dans mon pays, où tout le monde me ferait fête comme autrefois. Je crois que, dans mon transport, j'aurais lancé des étincelles si ma substance l'avait permis.» Je fus enveloppé dans du beau papier de soie, afin de ne plus être confondu avec les autres monnaies; et lorsque mon possesseur rencontrait des compatriotes, il me montrait à eux; tous disaient du bien de moi, et l'on prétendait même que mon histoire était intéressante.» Enfin j'arrivai dans ma patrie. Toutes mes peines furent finies, et je repris un nouveau plaisir à l'existence. Je n'éprouvais plus de contrariétés; je ne subissais plus d'affronts. J'avais l'apparence d'une pièce fausse à cause du trou dont j'étais percé; mais cela n'y faisait rien; on s'assurait tout de suite que j'étais de bon aloi et l'on me recevait partout avec plaisir.» Ceci prouve qu'avec la patience et le temps, on finit toujours par être apprécié à sa véritable valeur.» C'est vraiment ma conviction», dit le schilling en terminant son récit.
Le soleil raconte
Maintenant, c'est moi qui raconte! dit le vent.
–Non, si vous permettez, protesta la pluie, c'est mon tour à présent! Cela fait des heures que vous êtes posté au coin de la rue en train de souffler de votre mieux.
–Quelle ingratitude! soupira le vent. En votre honneur, je retourne les parapluies, j'en casse même plusieurs et vous me brusquez ainsi!
–C'est moi qui raconte, dit le rayon de soleil. Il s'exprima si fougueusement et en même temps avec tant de noblesse que le vent se coucha et cessa de mugir et de grogner; la pluie le secoua en rouspétant: «Est-ce que nous devons nous laisser faire! Il nous suit tout le temps. Nous n'allons tout de même pas l'écouter. Cela n'en vaut pas la peine.» Mais le rayon de soleil raconta: Un cygne volait au-dessus de la mer immense et chacune de ses plumes brillait comme de l'or. Une plume tomba sur un grand navire marchand qui voguait toutes voiles dehors. La plume se posa sur les cheveux bouclés d'un jeune homme qui surveillait la marchandise; on l'appelait supercargo. La plume de l'oiseau de la fortune toucha son front, se transforma dans sa main en plume à écrire, et le jeune homme devint bientôt un commerçant riche qui pouvait se permettre d'acheter des éperons d'or et échanger un tonneau d'or contre un blason de noblesse. Je le sais parce que je l'éclairais, ajouta le rayon de soleil. Le cygne survola un pré vert. Un petit berger de sept ans venait juste de se coucher à l'ombre d'un vieil arbre. Le cygne embrassa une des feuilles de l'arbre, laquelle se détacha et tomba dans la paume de la main du garçon. Et la feuille se multiplia en trois, dix feuilles, puis en tout un livre. Ce livre apprit au garçon les miracles de la nature, sa langue maternelle, la foi et le savoir. Le soir, il reposait sa tête sur lui pour ne pas oublier ce qu'il y avait lu, et le livre l'amena jusqu'aux bancs de l'école et à la table du grand savoir. J'ai lu son nom parmi les noms des savants, affirma le soleil. Le cygne descendit dans la forêt calme et se reposa sur les lacs sombres et silencieux, parmi les nénuphars et les pommiers sauvages qui les bordent, là où nichent les coucous et les pigeons sauvages. Une pauvre femme ramassait des ramilles dans la forêt et comme elle les ramenait à la maison sur son dos en tenant son petit enfant dans ses bras, elle aperçut un cygne d'or, le cygne de la fortune, s'élever des roseaux près de la rive. Mais qu'est-ce qui brillait là? Un œuf d'or. La femme le pressa contre sa poitrine et l'œuf resta chaud, il y avait sans doute de la vie à l'intérieur; oui, on sentait des coups légers. La femme les perçut mais pensa qu'il s'agissait des battements de son propre cœur. À la maison, dans sa misérable et unique pièce, elle posa l'œuf sur la table.» Tic, tac» entendit-on à l'intérieur. Lorsque l'œuf se fendilla, la tête d'un petit cygne comme emplumé d'or pur en sortit. Il avait quatre anneaux autour du cou et comme la pauvre femme avait quatre fils, trois à la maison et le quatrième qui était avec elle dans la forêt, elle comprit que ces anneaux étaient destinés à ses enfants. À cet instant le petit oiseau d'or s'envola. La femme embrassa les anneaux, puis chaque enfant embrassa le sien; elle appliqua chaque anneau contre son cœur et le leur mit au doigt. Un des garçons prit une motte de terre dans sa main et la fit tourner entre ses doigts jusqu'à ce qu'il en sortît la statue de Jason portant la toison d'or. Le deuxième garçon courut sur le pré où s'épanouissaient des fleurs de toutes les couleurs. Il en cueillit une pleine poignée et les pressa très fort. Puis il trempa son anneau dans le jus. Il sentit un fourmillement dans ses pensées et dans sa main. Un an et un jour après, dans la grande ville, on parlait d'un grand peintre. Le troisième des garçons mit l'anneau dans sa bouche où elle résonna et fit retentir un écho du fond du cœur. Des sentiments et des pensées s'élevèrent en sons, comme des cygnes qui volent, puis plongèrent comme des cygnes dans la mer profonde, la mer profonde de la pensée. Le garçon devint le maître des sons et chaque pays au monde peut dire à présent: oui, il m'appartient. Le quatrième, le plus petit, était le souffre-douleur de la famille. Les gens se moquaient de lui, disaient qu'il avait la pépie et qu'à la maison on devrait lui donner du beurre et du poivre comme aux poulets malades; il y avait tant de poison dans leurs paroles. Mais moi, je lui ai donné un baiser qui valait dix baisers humains. Le garçon devint un poète, la vie lui donna des coups et des baisers, mais il avait l'anneau du bonheur du cygne de la fortune. Ses pensées s'élevaient librement comme des papillons dorés, symboles de l'immortalité.
–Quel long récit! bougonna le vent.
–Et si ennuyeux! ajouta la pluie. Soufflez sur moi pour que je m'en remette. Et le vent souffla et le rayon de soleil raconta:
–Le cygne de la fortune vola au-dessus d'un golfe profond où des pêcheurs avaient tendu leurs filets. Le plus pauvre d'entre eux songeait à se marier, et aussi se maria-t-il bientôt. Le cygne lui apporta un morceau d'ambre. L'ambre a une force attractive et il attira dans sa maison la force du cœur humain. Tous dans la maison vécurent heureux dans de modestes conditions. Leur vie fut éclairée par le soleil.
–Cela suffit maintenant, dit le vent. Le soleil raconte depuis bien longtemps. Je me suis ennuyé! Et nous, qui avons écouté le récit du rayon de soleil, que dirons-nous? Nous dirons: «Le rayon de soleil a fini de raconter».
La Soupe à la brochette
I
Écoutez quel festin exquis nous avons fait hier! dit une vieille souris à une de ses commères qui n'avait pas assisté au repas. Je me trouvais la vingtième à gauche de notre vieux roi; j'espère que c'était là une place honorable. Cela doit vous intéresser de connaître le menu. Les entrées se suivaient dans un ordre parfait: du pain moisi, de la couenne, du suif, et, pour le dessert, des saucisses entières; et puis cela recommença une seconde fois. C'est comme si nous avions eu deux repas. On était tous de joyeuse humeur; on disait des niaiseries.» Tout fut dévoré; il ne resta que les brochettes des saucisses. Une de mes voisines rappela la locution proverbiale: soupe à la brochette, qu'on appelle aussi soupe au caillou dans d'autres pays. Tout le monde en avait entendu parler; personne n'en avait goûté, et encore moins ne savait le préparer.» On porta un toast fort spirituellement tourné à l'inventeur de cette soupe.» Le vieux roi se leva alors, et déclara que celle des jeunes souris qui saurait faire cette soupe de la façon la plus appétissante deviendrait son épouse, serait reine: il donna un délai d'un an et un jour pour se préparer à l'épreuve.»
–L'idée n'est vraiment pas mauvaise, dit la commère. Mais comment peut-on préparer cette bienheureuse soupe?
–Oui-da, comment s'y prendre? C'est ce que se demandent toutes nos jeunes demoiselles de la gent souricière, et les vieilles aussi. Toutes voudraient bien être reine; mais ce qui les effraye, c'est que, pour trouver la fameuse recette, il faut quitter père et mère et se lancer, à l'aventure, à travers le vaste monde. Qui sait si, à l'étranger, on trouve tous les jours son content de croûtes de fromage ou de couennes? Il est probable qu'on y doit souffrir la faim; puis l'on risque fort d'être croqué par le chat. Et, en effet, cette vilaine perspective refroidit vite l'ardeur des jeunes souricelles; il n'y en eut que quatre qui se présentèrent pour tenter l'expérience. Elles étaient jeunes, gentilles et alertes, mais pauvres. Chacune se dirigea vers un des points cardinaux; on leur souhaita à toutes bonne chance. Elles partirent au commencement de mai; elles ne revinrent que juste un an après, mais trois seulement; la quatrième manquait; elle n'avait pas non plus donné de ses nouvelles. Le jour fixé était arrivé.
–Tout plaisir est mêlé de quelque peine, dit le roi; la pauvre petite aura péri. Puis il donna l'ordre de convoquer, dans une vaste cuisine, toutes les souris à bien des lieues à la ronde. Les trois souricelles étaient placées à part, sur le même rang; à côté d'elles, une brochette recouverte d'un voile noir, en souvenir de la quatrième, qui n'avait pas reparu. Il fut ordonné que personne ne pourrait émettre un avis sur ce qui allait se dire, avant que le roi eût exprimé son opinion.
II
Ce que la première souricelle avait vu et appris dans ses voyages
Je commençai par m'embarquer sur un navire qui vogua vers le nord. Je m'étai laissé dire que le maître queux était un habile homme, qui savait se tirer d'affaire, et que sur mer, en effet, il fallait pouvoir faire la cuisine avec peu de chose.» Peut-être, m'étais-je dit, sera-t-il obligé de faire la soupe avec une brochette; nous verrons alors comme il s'y prendra.» Mais, pas du tout; il y avait là quantité de tranches de lard, de gros tonneaux de viande salée et de belle farine. Ma foi, je vécus dans l'abondance; il ne fut pas question de faire de la soupe à la brochette. Nous naviguâmes bien des nuits et des jours; le navire dansait effroyablement. Enfin nous arrivâmes à destination, tout à l'extrême nord. Je quittai le navire et m'élançai à terre. Je vis devant moi de grandes et épaisses forêts de sapins et de bouleaux; une forte odeur de résine s'en dégageait. D'abord je crus que cela sentait le saucisson; je me précipitai vers le bois; mais tout ce que j'y gagnai, ce fut un rude éternuement. En m'avançant, je trouvai de grands lacs. De loin, on croyait que c'était une immense mare d'encre; mais, de près, l'eau en était claire et limpide. Une troupe de cygnes s'y tenait immobile. D'abord je pensai que c'était un amas d'écume; mais ils sortirent de l'eau, et je les reconnus. Moi, je me tins aux bêtes de mon espèce. Je me liai avec des souris des champs et des bois; mais elles ne savent pas grand-chose, surtout en matière d'art culinaire. Lorsque je leur parlai de la soupe à la brochette elles déclarèrent que la chose était une pure impossibilité; je vis bien qu'elles ne connaissaient pas le secret que je poursuivais. Mais elles m'apprirent pourquoi l'odeur était si forte dans la forêt, pourquoi plantes et fleurs étaient si aromatiques. Nous étions au mois de mai, en plein printemps. Près de la lisière de la forêt, s'élevait une grande perche, haute comme le mât d'un navire; tout en haut, des couronnes de fleurs, des rubans de couleur étaient attachés: c'était l'arbre de mai. Les garçons de ferme et les servantes dansaient autour, au son d'un violon qu'ils accompagnaient en chantant à tue-tête. J'allai me blottir à l'écart, dans une touffe de belle mousse bien douce; la lune donnait en plein sur ce tapis vert, couleur qui repose les yeux quand on les a fatigués. Tout à coup je vis surgir autour de moi toute une troupe de charmantes petites créatures; elles étaient conformées comme des hommes, mais mieux proportionnées. C'étaient des elfes: ils portaient de magnifiques habits, taillés dans les feuilles des plus belles fleurs, garnis avec les ailes des plus brillants scarabées; c'était une délicieuse variété de couleurs. Ils avaient tous l'air de chercher quelque chose dans l'herbe; quelques-uns s'approchèrent de moi.
–Voilà juste ce qu'il nous faut, dit un des plus gentils de ces elfes, en montrant ma brochette, que je tenais dans ma patte. Et, plus il regardait mon bâton de voyage, plus il en paraissait enchanté.
–Je veux bien le prêter, dis-je, mais il faudra me le rendre.
–Rendre! rendre! s'écrièrent-ils en chœur. Et ils saisirent la brochette, que je leur abandonnai. Ils s'en allèrent en dansant vers un endroit où la mousse n'était pas trop touffue. Là ils fichèrent en terre ma brochette. Maintenant je compris ce qu'ils voulaient: c'était d'avoir aussi leur arbre de mai. Ils se mirent à le décorer; jamais je ne vis pareille magnificence. Des petites araignées vinrent couvrir le petit bâton de fils d'or, et y suspendirent des bannières finement tissées, qui volaient au vent; au clair de la lune, la blancheur en était si resplendissante, que j'en eus les yeux éblouis. Puis ces industrieuses bestioles allèrent prendre les couleurs les plus éclatantes aux ailes des papillons endormis, et vinrent en barioler leurs charmants tissus. Quelques pétales de fleurs, quelques gouttes de rosée qui brillaient comme des diamants, furent placés çà et là avec goût. Je ne reconnaissais plus ma brochette; jamais il n'y eut sur cette terre d'arbre de mai comparable à celui-là. On alla quérir les elfes pour qui on avait préparé toutes ces merveilles, les seigneurs et les belles dames; ceux que j'avais d'abord vus n'étaient que des serviteurs. On m'invita à m'approcher pour jouir de la fête, mais pas trop près, car, en remuant, j'aurais pu écraser de mon poids quelqu'un de la société. Les danses commencèrent. Quelle délicieuse musique j'entendis alors! À travers tout le bois résonnaient des chants d'oiseaux. C'était un son plein et harmonieux, et fort comme celui d'un millier de cloches de verre. Le tout était accompagné du doux susurrement des branches d'arbre; je distinguai aussi le tintement des clochettes bleues qui étaient suspendues à ma brochette, qui, elle-même, frappée avec une tige de fleur par un des elfes, rendait le son le plus mélodieux. Jamais je n'aurais cru la chose possible. Ce petit bâton devenait un instrument de musique: tout dépend de la façon dont on s'y prend. J'étais transportée, touchée jusqu'aux larmes; quoique je ne sois qu'une petite souris, j'ai la sensibilité vive, et je pleurai de joie. Que la nuit me parut courte! Mais en cette saison, il n'y a pas à dire, le soleil se lève de bon matin. À l'aurore vint un coup de vent, qui emporta dans les airs toute cette splendide décoration de l'arbre de mai; encore un instant, et tout cela disparut. Six elfes vinrent poliment me rapporter ma brochette, me remerciant beaucoup, et ils demandèrent si, en retour du service que je leur avais rendu, je ne voulais pas exprimer un vœu; que, s'il était en leur pouvoir de l'accomplir, ils le feraient bien volontiers. Je saisis la balle au bond, et je les priai de me dire comment se prépare la soupe à la brochette.
–Mais tu viens de le voir, répondit le chef de la bande. Tu ne reconnaissais plus ton petit bâton; tu as bien vu tout le parti que nous en avons tiré.
–Mais je ne parle pas an figuré, répliquai-je. C'est d'une véritable soupe qu'il s'agit. Et je leur contai toute l'histoire.
–Vous voyez bien, ajoutai-je, que le roi des souris ni son puissant empire ne sauraient tirer aucun profit de toutes les belles choses dont vous avez orné ma brochette, même si je pouvais les reproduire; ce serait un charmant spectacle, mais bon seulement pour le dessert, quand on n'a plus faim. Alors le petit elfe plongea son petit doigt dans le calice d'une violette et le promena ensuite sur la brochette:
–Fais attention, dit-il. Quand tu seras de retour auprès de ton roi, touche son museau de ton bâton, sur lequel tu verras éclore, même au plus froid de l'hiver, les plus belles violettes. Comme cela je t'aurai au moins fait un petit don en récompense de ta complaisance, et même j'y ajouterai encore quelque chose. À ces mots, la souricelle approcha la brochette de l'auguste museau de son souverain et, en effet, le petit bâton se trouva entouré du plus joli bouquet de violettes; c'était une odeur délicieuse; mais elle n'était pas du goût de la gent souricière, et le roi ordonna aux souris qui étaient près du foyer de mettre leurs queues sur les restes du feu, pour remplacer cette fade senteur, bonne, dit-il, pour les hommes tout au plus, par une agréable odeur de roussi.
–Mais, dit alors le roi, le petit elfe n'avait-il pas promis encore autre chose?
–Oui, répondit la souris, il a tenu parole. C'est encore une jolie surprise du plus bel effet: «Les violettes, dit-il, c'est pour la vue et l'odorat, je vais maintenant t'accorder quelque chose pour l'ouïe.» Et la souris retourna sa brochette. Les fleurs avaient disparu; il ne restait plus que le petit morceau de bois. Elle se mit à le mouvoir comme un bâton de chef d'orchestre et à battre la mesure. Dieu! quelle drôle de musique on entendit! Ce n'étaient plus les sons divins qui avaient retenti dans la forêt pour le bal des elfes; c'étaient tous les bruits imaginables qui peuvent se produire dans une cuisine. Les souris étaient tout oreille. On entendait le pétillement des sarments, le ronflement du four, le bouillonnement de la soupe, le crépitement de la graisse, le bruit continu d'une pièce de viande qui rôtit et se rissole. Soudain on aurait dit qu'un coup de vent venait d'activer le feu, de façon que pots et casseroles débordèrent, et ce qui en tomba sur les charbons fit un grand tintamarre. Puis plus rien, silence complet. Peu à peu commença un léger bruit, comme un chant doux et plaintif; c'est la bouilloire qui s'échauffe: le son devient plus fort, l'eau entre en ébullition. C'est de nouveau un bacchanal produit par une douzaine de casseroles, les unes en majeur, les autres en mineur. La petite souris brandit son bâton avec une rapidité de plus en plus grande: les pots écument, jettent de gros bouillons qui produisent un gargouillement bruyant; tout déborde, tout se sauve, c'est comme un sifflement infernal. Puis un nouveau coup de vent passe par la cheminée. Hou! hah! quel fracas! La petite souris, effrayée, laisse tomber son bâton. On n'entend plus rien.
–En voilà une fameuse cuisson! dit le roi. Allons, qu'on serve la soupe!
–Mais c'est là tout, répondit la souris; la soupe est partie tout entière dans le feu.
–C'est une mauvaise plaisanterie, dit le roi. Allons, à la suivante.