Kitabı oku: «La Comédie humaine, Volume 4», sayfa 7
– Après?
– Peut-être pourrait-on apaiser ma mère et obtenir plus que son consentement.
– Et comment?
– Si vous voulez employer votre crédit…
– A te faire créer baron, officier de la Légion-d'Honneur, président du tribunal, mon fils? n'est-ce pas… Écoute, j'ai tant fait de choses dans ma vie que je suis capable de la vertu! Je puis être une brave femme, une femme loyale, et remorquer très haut mon mari; mais je veux être aimée par lui sans que jamais un regard, une pensée, soit détourné de mon cœur, pas même en intention… Ça te va-t-il?.. Ne te lie pas imprudemment, il s'agit de ta vie, mon petit.
– Avec une femme comme vous, je tope sans voir, dit Fabien enivré par un regard autant qu'il l'était de liqueurs des îles.
– Tu ne te repentiras jamais de cette parole, mon bichon, tu seras pair de France… Quant à ce pauvre vieux, reprit-elle en regardant Rochefide qui dormait, d'aujourd'hui, n, i, ni, c'est fini!
Ce fut si joli, si bien dit, que Fabien saisit madame Schontz et l'embrassa, par un mouvement de rage et de joie où la double ivresse de l'amour et du vin cédait à celle du bonheur et de l'ambition.
– Songe, mon cher enfant, dit-elle, à te bien conduire dès à présent avec ta femme, ne fais pas l'amoureux, et laisse-moi me retirer convenablement de mon bourbier. Et Couture, qui se croit riche et receveur général!
– J'ai cet homme en horreur, dit Fabien, je voudrais ne plus le voir.
– Je ne le recevrai plus, répondit la courtisane d'un petit air prude. Maintenant que nous sommes d'accord, mon Fabien, va-t'en, il est une heure.
Cette petite scène donna naissance, dans le ménage d'Aurélie et d'Arthur, jusqu'alors si complétement heureux, à la phase de la guerre domestique déterminée au sein de tous les foyers par un intérêt secret chez un des conjoints. Le lendemain même Arthur s'éveilla seul, et trouva madame Schontz froide comme ces sortes de femmes savent se faire froides.
– Que s'est-il donc passé cette nuit? demanda-t-il en déjeunant et regardant Aurélie.
– C'est comme ça, dit-elle, à Paris. On s'est endormi par un temps humide, le lendemain les pavés sont secs et tout est si bien gelé qu'il y de la poussière; voulez-vous une brosse?..
– Mais qu'as-tu, ma chère petite?
– Allez trouver votre grande bringue de femme…
– Ma femme?.. s'écria le pauvre marquis.
– N'ai-je pas deviné pourquoi vous m'avez amené Maxime?.. Vous voulez vous réconcilier avec madame de Rochefide qui peut-être a besoin de vous pour un moutard indiscret… Et moi, que vous dites si fine, je vous conseillais de lui rendre sa fortune!.. Oh! je conçois votre plan! au bout de cinq ans, monsieur est las de moi. Je suis bien en chair, Béatrix est bien en os, ça vous changera. Vous n'êtes pas le premier à qui je connais le goût des squelettes. Votre Béatrix se met bien d'ailleurs et vous êtes de ces hommes qui aiment des porte-manteaux. Puis, vous voulez faire renvoyer monsieur du Guénic. C'est un triomphe!.. Ça vous posera bien. Parlera-t-on de cela, vous allez être un héros!
Madame Schontz n'avait pas arrêté le cours de ses railleries à deux heures après midi, malgré les protestations d'Arthur. Elle se dit invitée à dîner. Elle engagea son infidèle à se passer d'elle aux Italiens, elle allait voir une première représentation à l'Ambigu-Comique et y faire connaissance avec une femme charmante, madame de La Baudraye, une maîtresse à Lousteau. Arthur proposa, pour preuve de son attachement éternel à sa petite Aurélie et de son aversion pour sa femme, de partir le lendemain même pour l'Italie et d'y aller vivre maritalement à Rome, à Naples, à Florence, au choix d'Aurélie, en lui offrant une donation de soixante mille francs de rentes.
– C'est des giries tout cela, dit-elle. Cela ne vous empêchera pas de vous raccommoder avec votre femme, et vous ferez bien.
Arthur et Aurélie se quittèrent sur ce dialogue formidable, lui pour aller jouer et dîner au club, elle pour s'habiller et passer la soirée en tête-à-tête avec Fabien.
Monsieur de Rochefide trouva Maxime au club, et se plaignit en homme qui sentait arracher de son cœur une félicité dont les racines y tenaient à toutes les fibres. Maxime écouta les doléances du marquis comme les gens polis savent écouter, en pensant à autre chose.
– Je suis homme de bon conseil en ces sortes de matières, mon cher, lui répondit-il. Eh bien, tu fais fausse route en laissant voir à Aurélie combien elle t'est chère. Laisse-moi te présenter à madame Antonia. C'est un cœur à louer. Tu verras la Schontz devenir bien petit garçon… elle a trente-sept ans, ta Schontz, et madame Antonia n'a pas plus de vingt-six ans! et quelle femme! elle n'a pas d'esprit que dans la tête, elle!.. C'est d'ailleurs mon élève. Si madame Schontz reste sur les ergots de sa fierté, sais-tu ce que cela voudra dire?..
– Ma foi, non.
– Qu'elle veut peut-être se marier, et alors rien ne pourra l'empêcher de te quitter. Après six ans de bail, elle en a bien le droit, cette femme… Mais, si tu voulais m'écouter, il y a mieux à faire. Ta femme aujourd'hui vaut mille fois mieux que toutes les Schontz et toutes les Antonia du quartier Saint-Georges. C'est une conquête difficile; mais elle n'est pas impossible, et maintenant elle te rendrait heureux comme un Orgon! Dans tous les cas, il faut, si tu ne veux pas avoir l'air d'un niais, venir ce soir souper chez Antonia.
– Non, j'aime trop Aurélie, je ne veux pas qu'elle ait la moindre chose à me reprocher.
– Ah! mon cher, quelle existence tu te prépares!.. s'écria Maxime.
– Il est onze heures, elle doit être revenue de l'Ambigu, dit Rochefide en sortant.
Et il cria rageusement à son cocher d'aller à fond de train rue de La Bruyère.
Madame Schontz avait donné des instructions précises, et monsieur put entrer absolument comme s'il était en bonne intelligence avec madame; mais, avertie de l'entrée au logis de monsieur, madame s'arrangea pour faire entendre à monsieur le bruit de la porte du cabinet de toilette qui se ferma comme se ferment les portes quand les femmes sont surprises. Puis, dans l'angle du piano, le chapeau de Félicien oublié à dessein fut très maladroitement repris par la femme de chambre, dans le premier moment de conversation entre monsieur et madame.
– Tu n'es pas allée à l'Ambigu, mon petit?
– Non, mon cher, j'ai changé d'avis, j'ai fait de la musique.
– Qui donc est venu te voir?.. dit le marquis avec bonhomie en voyant emporter le chapeau par la femme de chambre.
– Mais personne.
Sur cet audacieux mensonge, Arthur baissa la tête, il passait sous les fourches caudines de la Complaisance. L'amour véritable a de ces sublimes lâchetés. Arthur se conduisait avec madame Schontz comme Sabine avec Calyste, comme Calyste avec Béatrix.
En huit jours, il se fit une métamorphose de larve en papillon chez le jeune, spirituel et beau Charles-Édouard, comte Rusticoli de La Palférine, le héros de la Scène intitulée Un Prince de la Bohême (voir les Scènes de la vie Parisienne), ce qui dispense de faire ici son portrait et de peindre son caractère. Jusqu'alors il avait misérablement vécu, comblant ses déficits par une audace à la Danton; mais il paya ses dettes, puis il eut, selon le conseil de Maxime, une petite voiture basse, il fut admis au Jockey-club, au club de la rue de Grammont, il devint d'une élégance supérieure; enfin il publia dans le Journal des Débats une nouvelle qui lui valut en quelques jours une réputation comme les auteurs de profession ne l'obtiennent pas après plusieurs années de travaux et de succès, car il n'y a rien de violent à Paris comme ce qui doit être éphémère. Nathan, bien certain que le comte ne publierait jamais autre chose, fit un tel éloge de ce gracieux et impertinent jeune homme chez madame de Rochefide, que Béatrix aiguillonnée par la lecture de cette nouvelle manifesta le désir de voir ce jeune roi des truands de bon ton.
– Il sera d'autant plus enchanté de venir ici, répondit Nathan, que je le sais épris de vous à faire des folies.
– Mais il les a toutes faites, m'a-t-on dit.
– Toutes, non, répondit Nathan, il n'a pas encore fait celle d'aimer une honnête femme.
Six jours après le complot ourdi sur le boulevard des Italiens entre Maxime et le séduisant comte Charles-Édouard, ce jeune homme à qui la nature avait donné sans doute par raillerie une figure délicieusement mélancolique, fit sa première invasion au nid de la colombe de la rue de Chartres, qui, pour cette réception, prit une soirée où Calyste était obligé d'aller dans le monde avec sa femme. Lorsque vous rencontrerez La Palférine ou quand vous arriverez au Prince de la Bohême, dans le troisième Livre de cette longue histoire de nos mœurs, vous concevrez parfaitement le succès obtenu dans une seule soirée par cet esprit étincelant, par cette verve inouïe, surtout si vous vous figurez le bien-jouer du cornac qui consentit à le servir dans ce début. Nathan fut bon camarade, il fit briller le jeune comte, comme un bijoutier montrant une parure à vendre en fait scintiller les diamants. La Palférine se retira discrètement le premier, il laissa Nathan et la comtesse ensemble, en comptant sur la collaboration de l'auteur célèbre, qui fut admirable. En voyant la marquise abasourdie, il lui mit le feu dans le cœur par des réticences qui remuèrent en elle des fibres de curiosité qu'elle ne se connaissait pas. Nathan fit entendre ainsi que l'esprit de La Palférine n'était pas tant la cause de ses succès auprès des femmes que sa supériorité dans l'art d'aimer, et il le grandit démesurément.
C'est ici le lieu de constater un nouvel effet de cette grande loi des Contraires qui détermine beaucoup de crises du cœur humain et qui rend raison de tant de bizarreries, qu'on est forcé de la rappeler quelquefois, tout aussi bien que la loi des Similaires. Les courtisanes, pour embrasser tout le sexe féminin qu'on baptise, qu'on débaptise et rebaptise à chaque quart de siècle, conservent toutes au fond de leur cœur un florissant désir de recouvrer leur liberté, d'aimer purement, saintement et noblement un être auquel elles sacrifient tout (Voir Splendeurs et Misère des courtisanes). Elles éprouvent ce besoin antithétique avec tant de violence, qu'il est rare de rencontrer une de ces femmes qui n'ait pas aspiré plusieurs fois à la vertu par l'amour. Elles ne se découragent pas malgré d'affreuses tromperies. Au contraire, les femmes contenues par leur éducation, par le rang qu'elles occupent, enchaînées par la noblesse de leur famille, vivant au sein de l'opulence, portant une auréole de vertus, sont entraînées, secrètement bien entendu, vers les régions tropicales de l'amour. Ces deux natures de femmes si opposées ont donc au fond du cœur, l'une un petit désir de vertu, l'autre ce petit désir de libertinage que J. – J. Rousseau le premier a eu le courage de signaler. Chez l'une, c'est le dernier reflet du rayon divin qui n'est pas encore éteint; chez l'autre, c'est le reste de notre boue primitive. Cette dernière griffe de la bête fut agacée, ce cheveu du diable fut tiré par Nathan avec une excessive habileté. La marquise se demanda sérieusement si jusqu'à présent elle n'avait pas été la dupe de sa tête, si son éducation était complète. Le vice?.. c'est peut-être le désir de tout savoir.
Le lendemain, Calyste parut à Béatrix ce qu'il était, un loyal et parfait gentilhomme, mais sans verve ni esprit. A Paris, un homme spirituel est un homme qui a de l'esprit comme les fontaines ont de l'eau, car les gens du monde et les Parisiens en général sont spirituels; mais Calyste aimait trop, il était trop absorbé pour apercevoir le changement de Béatrix et la satisfaire en déployant de nouvelles ressources; il parut très pâle au reflet de la soirée précédente, et ne donna pas la moindre émotion à l'affamée Béatrix. Un grand amour est un crédit ouvert à une puissance si vorace, que le moment de la faillite arrive toujours. Malgré la fatigue de cette journée, la journée où une femme s'ennuie auprès d'un amant, Béatrix frissonna de peur en pensant à une rencontre entre La Palférine, le successeur de Maxime de Trailles, et Calyste, homme de courage sans forfanterie. Elle hésita donc à revoir le jeune comte; mais ce nœud fut tranché par un fait décisif. Béatrix avait pris un tiers de loge aux Italiens, dans une loge obscure du rez-de-chaussée, afin de ne pas être vue. Depuis quelques jours Calyste enhardi conduisait la marquise et se tenait dans cette loge derrière elle, en combinant leur arrivée assez tard pour qu'ils ne fussent aperçus par personne. Béatrix sortait une des premières de la salle avant la fin du dernier acte, et Calyste l'accompagnait de loin en veillant sur elle, quoique le vieil Antoine vînt chercher sa maîtresse. Maxime et La Palférine étudièrent cette stratégie inspirée par le respect des convenances, par ce besoin de cachotterie qui distingue les idolâtres de l'éternel Enfant, et aussi par une peur qui oppresse toutes les femmes autrefois les constellations du monde et que l'amour a fait choir de leur rang zodiacal. L'humiliation est alors redoutée comme une agonie plus cruelle que la mort; mais cette agonie de la fierté, cette avanie, que les femmes restées à leur rang dans l'Olympe jettent à celles qui en sont tombées, eut lieu dans les plus affreuses conditions par les soins de Maxime. A une représentation de la Lucia qui finit, comme on sait, par un des plus beaux triomphes de Rubini, madame de Rochefide qu'Antoine n'était pas venu prévenir arriva par son couloir au péristyle du théâtre dont les escaliers étaient encombrés de jolies femmes étagées sur les marches ou groupées en bas en attendant que leur domestique annonçât leur voiture. Béatrix fut reconnue par tous les yeux à la fois, elle excita dans tous les groupes des chuchotements qui firent rumeur. En un clin d'œil la foule se dissipa, la marquise resta seule comme une pestiférée. Calyste n'osa pas, en voyant sa femme sur un des deux escaliers, aller tenir compagnie à la réprouvée, et Béatrix lui jeta, mais en vain, par un regard trempé de larmes, à deux fois, une prière de venir près d'elle. En ce moment La Palférine, élégant, superbe, charmant, quitta deux femmes, vint saluer la marquise et causer avec elle.
– Prenez mon bras et sortez fièrement, je saurai trouver votre voiture, lui dit-il.
– Voulez-vous finir la soirée avec moi? lui répondit-elle en montant dans sa voiture et lui faisant place près d'elle.
La Palférine dit à son groom: «Suis la voiture de madame!» et monta près de madame de Rochefide à la stupéfaction de Calyste, qui resta planté sur ses deux jambes comme si elles fussent devenues de plomb, car ce fut pour l'avoir aperçu pâle et blême que Béatrix fit signe au jeune comte de monter près d'elle. Toutes les colombes sont des Robespierre à plumes blanches. Trois voitures arrivèrent rue de Chartres avec une foudroyante rapidité, celle de Calyste, celle de la Palférine, celle de la marquise.
– Ah! vous voilà?.. dit Béatrix en entrant dans son salon appuyée sur le bras du jeune comte et y trouvant Calyste dont le cheval avait dépassé les deux autres équipages.
– Vous connaissez donc monsieur? demanda rageusement Calyste à Béatrix.
– Monsieur le comte de la Palférine me fut présenté par Nathan il y a dix jours, répondit Béatrix, et vous, monsieur, vous me connaissez depuis quatre ans…
– Et je suis prêt, madame, dit Charles-Édouard, à faire repentir jusque dans ses petits-enfants madame la marquise d'Espard, qui la première s'est éloignée de vous…
– Ah! c'est elle!.. cria Béatrix: je lui revaudrai cela.
– Pour vous venger, il faudrait reconquérir votre mari, mais je suis capable de vous le ramener, dit le jeune homme à l'oreille de la marquise.
La conversation ainsi commencée alla jusqu'à deux heures du matin sans que Calyste, dont la rage fut sans cesse refoulée par des regards de Béatrix, eût pu lui dire deux mots à part. La Palférine, qui n'aimait pas Béatrix, fut d'une supériorité de bon goût, d'esprit et de grâce égale à l'infériorité de Calyste qui se tortillait sur les meubles comme un ver coupé en deux, et qui par trois fois se leva pour souffleter La Palférine. La troisième fois que Calyste fit un bond vers son rival, le jeune comte lui dit un: – «Souffrez-vous, monsieur le baron?..» qui fit asseoir Calyste sur une chaise, et il y resta comme un terme. La marquise conversait avec une aisance de Célimène, en feignant d'ignorer que Calyste fût là. Palférine eut la suprême habileté de sortir sur un mot plein d'esprit en laissant les deux amants brouillés.
Ainsi, par l'adresse de Maxime, le feu de la discorde flambait dans le double ménage de monsieur et de madame de Rochefide. Le lendemain, en apprenant le succès de cette scène par La Palférine au Jockey-club où le jeune comte jouait au wisk avec succès, il alla rue de La Bruyère, à l'hôtel Schontz, savoir comment Aurélie menait sa barque.
– Mon cher, dit madame Schontz en riant à l'aspect de Maxime, je suis au bout de tous mes expédients, Rochefide est incurable. Je finis ma carrière de galanterie en m'apercevant que l'esprit y est un malheur.
– Explique-moi cette parole?..
– D'abord, mon cher ami, j'ai tenu mon Arthur pendant huit jours au régime des coups de pied dans les os des jambes, des scies les plus patriotiques et de tout ce que nous connaissons de plus désagréable dans notre métier. – «Tu es malade, me disait-il avec une douceur paternelle, car je ne t'ai fait que du bien, et je t'aime à l'adoration. – Vous avez un tort, mon cher, lui ai-je dit, vous m'ennuyez. – Eh! bien, n'as-tu pas pour t'amuser les gens les plus spirituels et les plus jolis jeunes gens de Paris?» m'a répondu ce pauvre homme. J'ai été collée. Là j'ai senti que je l'aimais.
– Ah! dit Maxime.
– Que veux-tu? c'est plus fort que nous, on ne résiste pas à ces façons-là. J'ai changé la pédale. J'ai fait des agaceries à ce sanglier judiciaire, à mon futur tourné comme Arthur en mouton, je l'ai fait rester là sur la bergère de Rochefide, et je l'ai trouvé bien sot. Me suis-je ennuyée?.. il fallait bien avoir là Fabien pour me faire surprendre avec lui…
– Eh bien! s'écria Maxime, arrive donc?.. Voyons, quand Rochefide t'a eu surprise?..
– Tu n'y es pas, mon bonhomme. Selon tes instructions, les bans sont publiés, notre contrat se griffonne, ainsi Notre-Dame-de-Lorette n'a rien à redire. Quand il y a promesse de mariage, on peut bien donner des arrhes… En nous surprenant, Fabien et moi, le pauvre Arthur s'est retiré sur la pointe des pieds jusque dans la salle à manger, et il s'est mis à faire – «broum! broum!» en toussaillant et heurtant beaucoup de chaises. Ce grand niais de Fabien, à qui je ne peux pas tout dire, a eu peur…
Voilà, mon cher Maxime, à quel point nous en sommes…
Arthur me verrait deux, un matin en entrant dans ma chambre, il est capable de me dire: – Avez-vous bien passé la nuit, mes enfants?
Maxime hocha la tête et joua pendant quelques instants avec sa canne.
– Je connais ces natures-là, dit-il. Voici comment il faut t'y prendre, il n'y a plus qu'à jeter Arthur par la fenêtre et à bien fermer la porte. Tu recommenceras ta dernière scène avec Fabien?..
– En voilà une corvée, car enfin le sacrement ne m'a pas encore donné sa vertu…
– Tu t'arrangeras pour échanger un regard avec Arthur quand il te surprendra, dit Maxime en continuant; s'il se fâche, tout est dit. S'il fait encore broum! broum! c'est encore bien mieux fini…
– Comment?..
– Hé bien! tu te fâcheras, tu lui diras: – «Je me croyais aimée, estimée; mais vous n'éprouvez plus rien pour moi; vous n'avez pas de jalousie.» Tu connais la tirade. «Dans ce cas-là, Maxime (fais-moi intervenir) tuerait son homme sur le coup. (Et pleure!) Et Fabien, lui (fais-lui honte en le comparant à Fabien), Fabien que j'aime, Fabien tirerait un poignard pour vous le plonger dans le cœur. Ah! voilà aimer! Aussi, tenez, adieu, bonsoir, reprenez votre hôtel, j'épouse Fabien, il me donne son nom, lui! il foule aux pieds sa vieille mère.» Enfin, tu…
– Connu! connu! je serai superbe! s'écria madame Schontz. Ah! Maxime, il n'y aura jamais qu'un Maxime, comme il n'y a eu qu'un de Marsay.
– La Palférine est plus fort que moi, répondit modestement le comte de Trailles, il va bien.
– Il a de la langue, mais tu as du poignet et des reins! En as-tu supporté? en as-tu peloté? dit la Schontz.
– La Palférine a tout, il est profond et instruit; tandis que je suis ignorant, répondit Maxime. J'ai vu Rastignac qui s'est entendu sur-le-champ avec le Garde-des-Sceaux, Fabien sera nommé président, et officier de la Légion d'honneur après un an d'exercice.
– Je me ferai dévote! répondit madame Schontz en accentuant cette phrase de manière à obtenir un signe d'approbation de Maxime.
– Les prêtres valent mieux que nous, repartit Maxime.
– Ah! vraiment? demanda madame Schontz. Je pourrai donc rencontrer des gens à qui parler en province. J'ai commencé mon rôle. Fabien a déjà dit à sa mère que la grâce m'avait éclairée, et il a fasciné la bonne femme de mon million et de la présidence; elle consent à ce que nous demeurions chez elle, elle a demandé mon portrait et m'a envoyé le sien: si l'Amour le regardait, il en tomberait… à la renverse! Va-t'en, Maxime, ce soir je vais exécuter mon pauvre homme, ça me fend le cœur.
Deux jours après, en s'abordant sur le seuil de la maison du Jockey-club, Charles-Édouard dit à Maxime: – C'est fait! Ce mot, qui contenait tout un drame horrible, épouvantable, accompli souvent par vengeance, fit sourire le comte de Trailles.
– Nous allons entendre les doléances de Rochefide, dit Maxime, car vous avez touché but ensemble, Aurélie et toi! Aurélie a mis Arthur à la porte, et il faut maintenant le chambrer, il doit donner trois cent mille francs à madame du Ronceret et revenir à sa femme; nous allons lui prouver que Béatrix est supérieure à Aurélie.
– Nous avons bien dix jours devant nous, dit finement Charles-Édouard, et en conscience ce n'est pas trop; car maintenant que je connais la marquise, le pauvre homme sera joliment volé.
– Comment feras-tu, lorsque la bombe éclatera?
– On a toujours de l'esprit quand on a le temps d'en chercher, je suis surtout superbe en me préparant.
Les deux joueurs entrèrent ensemble dans le salon et trouvèrent le marquis de Rochefide vieilli de deux ans, il n'avait pas mis son corset, il était sans son élégance, la barbe longue.
– Eh bien! mon cher marquis?.. dit Maxime.
– Ah! mon cher, ma vie est brisée…
Arthur parla pendant dix minutes et Maxime l'écouta gravement, il pensait à son mariage qui se célébrait dans huit jours.
– Mon cher Arthur, je t'avais donné le seul moyen que je connusse de garder Aurélie, et tu n'as pas voulu…
– Lequel?
– Ne t'avais-je pas conseillé d'aller souper chez Antonia?
– C'est vrai… Que veux-tu? j'aime… et toi, tu fais l'amour comme Grisier fait des armes.
– Écoute, Arthur, donne-lui trois cent mille francs de son petit hôtel, et je te promets de te trouver mieux qu'elle… Je te parlerai de cette belle inconnue plus tard, je vois d'Ajuda qui veut me dire deux mots.
Et Maxime laissa l'homme inconsolable pour aller au représentant d'une famille à consoler.
– Mon cher, dit l'autre marquis à l'oreille de Maxime, la duchesse est au désespoir, Calyste a fait faire secrètement ses malles, il a pris un passe-port. Sabine veut suivre les fugitifs, surprendre Béatrix et la griffer. Elle est grosse, et ça prend la tournure d'une envie assez meurtrière, car elle est allée acheter publiquement des pistolets.
– Dis à la duchesse que madame de Rochefide ne partira pas, et que dans quinze jours tout sera fini. Maintenant, d'Ajuda, ta main? Ni toi, ni moi, nous n'avons jamais rien dit, rien su! nous admirerons les hasards de la vie!..
– La duchesse m'a déjà fait jurer sur les saints évangiles et sur la croix de me taire.
– Tu recevras ma femme dans un mois d'ici…
– Avec plaisir.
– Tout le monde sera content, répondit Maxime. Seulement, préviens la duchesse d'une circonstance qui va retarder de six semaines son voyage en Italie, je te dirai quoi plus tard.
– Qu'est-ce!.. dit d'Ajuda qui regardait La Palférine.
– Le mot de Socrate avant de partir: nous devons un coq à Esculape, répondit La Palférine sans sourciller.
Pendant dix jours, Calyste fut sous le poids d'une colère d'autant plus invincible qu'elle était doublée d'une véritable passion. Béatrix éprouvait cet amour si brutalement, mais si fidèlement dépeint à la duchesse de Grandlieu par Maxime de Trailles. Peut-être n'existe-t-il pas d'êtres bien organisés qui ne ressentent cette terrible passion une fois dans le cours de leur vie. La marquise se sentait domptée par une force supérieure, par un jeune homme à qui sa qualité n'imposait pas, qui, tout aussi noble qu'elle, la regardait d'un œil puissant et calme, et à qui ses plus grands efforts de femme arrachaient à peine un sourire d'éloge. Enfin, elle était opprimée par un tyran qui ne la quittait jamais sans la laisser pleurant, blessée et se croyant des torts. Charles-Édouard jouait à madame de Rochefide la comédie que madame de Rochefide jouait depuis six mois à Calyste. Béatrix, depuis l'humiliation publique reçue aux Italiens, n'était pas sortie avec monsieur du Guénic de cette proposition:
– Vous m'avez préféré le monde et votre femme, vous ne m'aimez donc pas. Si vous voulez me prouver que vous m'aimez, sacrifiez-moi votre femme et le monde. Abandonnez Sabine, et allons vivre en Suisse, en Italie, en Allemagne!
S'autorisant de ce dur ultimatum, elle avait établi ce blocus que les femmes dénoncent par de froids regards, par des gestes dédaigneux et par leur contenance de place forte. Elle se croyait délivrée de Calyste, elle pensait que jamais il n'oserait rompre avec les Grandlieu. Laisser Sabine à qui mademoiselle des Touches avait laissé sa fortune, n'était-ce pas se vouer à la misère? Mais Calyste, devenu fou de désespoir, avait secrètement pris un passe-port, et prié sa mère de lui faire passer une somme considérable. En attendant cet envoi de fonds, il surveillait Béatrix, en proie à toute la fureur d'une jalousie bretonne. Enfin, neuf jours après la fatale communication faite au club par La Palférine à Maxime, le baron, à qui sa mère avait envoyé trente mille francs, accourut chez Béatrix avec l'intention de forcer le blocus, de chasser La Palférine et de quitter Paris avec son idole apaisée. Ce fut une de ces alternatives terribles où les femmes qui ont conservé quelque peu de respect d'elles-mêmes s'enfoncent à jamais dans les profondeurs du vice, mais d'où elles peuvent revenir à la vertu. Jusque-là madame de Rochefide se regardait comme une femme vertueuse au cœur de laquelle il était tombé deux passions; mais adorer Charles-Édouard et se laisser aimer par Calyste, elle allait perdre sa propre estime; car, là où commence le mensonge, commence l'infamie. Elle avait donné des droits à Calyste, et nul pouvoir humain ne pouvait empêcher le Breton de se mettre à ses pieds et de les arroser des larmes d'un repentir absolu. Beaucoup de gens s'étonnent de l'insensibilité glaciale sous laquelle les femmes éteignent leurs amours; mais si elles n'effaçaient point ainsi le passé, la vie serait sans dignité pour elles, elles ne pourraient jamais résister à la privauté fatale à laquelle elles se sont une fois soumises. Dans la situation entièrement neuve où elle se trouvait, Béatrix eût été sauvée si La Palférine fût venu; mais l'intelligence du vieil Antoine la perdit.
En entendant une voiture qui arrêtait à la porte, elle dit à Calyste: – Voilà du monde! et elle courut afin de prévenir un éclat.
Antoine, en homme prudent, dit à Charles-Édouard qui ne venait pas pour autre chose que pour entendre cette parole: – Madame la marquise est sortie!
Quand Béatrix apprit de son vieux domestique la visite du jeune comte et la réponse faite, elle dit: « – C'est bien!» et rentra dans son salon en se disant: – «Je me ferai religieuse!»
Calyste, qui s'était permis d'ouvrir la fenêtre, aperçut son rival.
– Qui donc est venu? demanda-t-il.
– Je ne sais pas, Antoine est encore en bas.
– C'est La Palférine…
– Cela pourrait être…
– Tu l'aimes, et voilà pourquoi tu me trouves des torts, je l'ai vu!..
– Tu l'as vu!..
– J'ai ouvert la fenêtre…
Béatrix tomba comme morte sur son divan. Alors elle transigea pour avoir un lendemain; elle remit le départ à huit jours sous prétexte d'affaires, et se jura de défendre sa porte à Calyste si elle pouvait apaiser La Palférine, car tels sont les épouvantables calculs et les brûlantes angoisses que cachent ces existences sorties des rails sur lesquels roule le grand convoi social.
Lorsque Béatrix fut seule, elle se trouva si malheureuse, si profondément humiliée, qu'elle se mit au lit: elle était malade; le combat violent qui lui déchirait le cœur lui parut avoir une réaction horrible, elle envoya chercher le médecin; mais en même temps, elle fit remettre chez La Palférine la lettre suivante, où elle se vengea de Calyste avec une sorte de rage.
«Mon ami, venez me voir, je suis au désespoir. Antoine vous a renvoyé quand votre arrivée eût mis fin à l'un des plus horribles cauchemars de ma vie en me délivrant d'un homme que je hais, et que je ne reverrai plus jamais, je l'espère. Je n'aime que vous au monde, et je n'aimerai plus que vous, quoique j'aie le malheur de ne pas vous plaire autant que je le voudrais…»
Elle écrivit quatre pages qui, commençant ainsi, finissaient par une exaltation beaucoup trop poétique pour être typographiée, mais où Béatrix se compromettait tant qu'elle la termina par: «Suis-je assez à ta merci? Ah! rien ne me coûtera pour te prouver combien tu es aimé.» Et elle signa, ce qu'elle n'avait jamais fait ni pour Calyste ni pour Conti.
Le lendemain, à l'heure où le jeune comte vint chez la marquise, elle était au bain; Antoine le pria d'attendre. A son tour, il fit renvoyer Calyste, qui, tout affamé d'amour, vint de bonne heure, et qu'il regarda par la fenêtre au moment où il remontait en voiture désespéré.
– Ah! Charles, dit la marquise en entrant dans son salon, vous m'avez perdue!..
– Je le sais bien, madame, répondit tranquillement La Palférine. Vous m'avez juré que vous n'aimiez que moi, vous m'avez offert de me donner une lettre dans laquelle vous écririez les motifs que vous auriez de vous tuer, afin qu'en cas d'infidélité je pusse vous empoisonner sans avoir rien à craindre de la justice humaine, comme si des gens supérieurs avaient besoin de recourir au poison pour se venger. Vous m'avez écrit: Rien ne me coûtera pour te prouver combien tu es aimé!… Eh! bien, je trouve une contradiction dans ce mot: Vous m'avez perdue! avec cette fin de lettre… Je saurai maintenant si vous avez eu le courage de rompre avec du Guénic…