Kitabı oku: «Notre Honneur Sacré», sayfa 5
CHAPITRE ONZE
12:10, heure normale de l’Est
Base Andrews
Comté du Prince George, Maryland
Le petit jet bleu au logo du département d’État américain peint sur ses flancs avança lentement sur la voie de roulage, puis opéra un virage serré à droite. Ayant déjà l’autorisation de décoller, il accéléra rapidement sur la piste, quitta le sol et grimpa à pic dans les nuages. Au bout d’un moment, il vira à gauche sur l’aile, en direction de l’océan Atlantique.
À l’intérieur, Luke et son équipe étaient retombés sans mal dans leurs vieilles habitudes, utilisant les quatre sièges passagers avant comme zone de réunion. Leurs bagages et leur équipement étaient disposés sur les sièges arrière.
Ils partaient plus tard que prévu. Ce retard était dû à Luke qui était parti voir Gunner à l’école. Il avait promis à son fils qu’il ne partirait jamais sans le lui annoncer en face, et l’informer du mieux qu’il pouvait de l’endroit où il se rendait. Gunner l’avait demandé, et Luke avait accepté.
Ils s’étaient retrouvés dans une petite pièce mise à leur disposition par le principal adjoint, un endroit où ils entreposaient des instruments de musique, surtout de vieux instruments à vent, beaucoup d’entre eux prenant la poussière.
Gunner n’avait pas trop mal pris la chose, tout bien considéré.
– Tu vas où ? avait-il demandé.
– C’est secret, petit monstre. Si je te le dis…
– Je le dirais à quelqu’un d’autre, qui le répètera à quelqu’un d’autre.
– Je ne crois pas que tu le dirais à personne. Mais rien que le savoir peut te faire courir un risque.
Il avait regardé son fils, qui faisait un peu la gueule.
– Ça t’inquiète ? avait-il demandé.
Gunner avait secoué la tête.
– Non. Je pense que tu sauras probablement prendre soin de toi.
À présent, dans l’avion, Luke sourit en lui-même. Drôle de gosse. Il avait traversé beaucoup d’épreuves, et n’avait pas pour autant perdu son sens de l’humour.
Luke parcourut son équipe du regard. Dans le siège près de lui était assis le gros Ed Newsam, en pantalon cargo kaki et T-shirt à manches longues. Massif, au regard d’acier, aussi éternel qu’une montagne. Ed avait pris de l’âge, sans aucun doute. Il y avait des rides sur son visage, surtout autour des yeux, qui n’y étaient pas auparavant. Et ses cheveux n’étaient plus autant d’un noir de jais – quelques mèches grises et blanches s’y éparpillaient.
Ed avait quitté l’Hostage Rescue Team du FBI pour ce job. Le FBI l’avait fait monter en grade – plus d’ancienneté, plus de responsabilités, plus de bureau, et beaucoup moins de temps sur le terrain. À l’entendre, Ed avait changé de boulot car il voulait revoir un peu d’action. Mais ça ne l’empêchait pas de réclamer plus d’argent. Peu importait. Luke était prêt à mettre le budget de la SRT à l’agonie s’il le fallait pour ramener Ed à bord.
Face à Luke, sur la gauche, se trouvait Mark Swann. Comme d’habitude, il étendait ses longues jambes dans l’allée, couvertes d’un vieux jean déchiré et chaussées de sneakers Chuck Taylor, pour que quiconque trébuche dessus. Swann avait changé, évidemment. Avoir survécu de justesse à sa détention par Daech l’avait rendu plus sérieux – il ne blaguait plus sur le danger des missions. Luke était content qu’il soit revenu – il y avait eu une période où Swann aurait pu devenir un reclus, ne plus jamais émerger de son penthouse au-dessus de la plage.
Puis il y avait Trudy Wellington, assise juste en face de Luke. Elle avait de nouveau ses cheveux bruns bouclés, et n’avait pas du tout vieilli. C’était logique. Malgré tout ce qu’elle avait vu et fait – le temps où elle était analyste pour la SRT originelle, sa relation avec Don Morris, son évasion de prison et le temps où elle s’était planquée –, elle n’avait guère que 32 ans. Dans son jean et son sweat vert, elle était aussi fine et attirante que jamais. À un moment donné, elle avait abandonné les grosses lunettes rondes de hibou à bords rouges derrière lesquelles elle avait pris l’habitude de se cacher. Maintenant ses jolis yeux bleus étaient mis en avant.
Et ils regardaient Luke fixement. Pas d’un air amical.
Que savait-elle de sa relation avec Susan ? Cela la mettait-elle en colère ? Pourquoi ?
– Est-ce que tu sais où tu mets les pieds, mec ? lança Ed Newsam.
Il avait prononcé ces mots d’un ton naturel, mais il y avait un certain tranchant, une tension sous-jacente.
– Tu veux dire, avec cette mission ?
Ed haussa les épaules.
– Ouais. Commence par ça.
Luke jeta un coup d’œil par le hublot. La journée était claire, mais le soleil était déjà derrière eux. Sous peu, alors qu’ils allaient plus à l’est, le ciel commencerait à s’assombrir. Cela lui donnait l’impression que des événements allaient surgir droit devant – une sensation familière, mais l’un des aspects de son travail qu’il appréciait le moins. C’était une course contre la montre. C’était toujours une course contre la montre, et ils étaient loin derrière. La guerre qu’ils essayaient d’empêcher avait déjà commencé.
– Je suppose que c’est ce qu’on va découvrir. Trudy ?
L’air de rien, elle prit la tablette sur ses genoux.
– Okay. Je vais supposer qu’on a aucune connaissance préalable.
– C’est bon pour moi, répondit Luke. Les gars ?
– Très bien, opina Swann.
– Écoutons voir, dit Ed, en se renversant dans son fauteuil.
– C’est à propos d’Israël et de l’Iran, commença Trudy. Ce n’est pas vraiment une histoire courte.
Luke haussa les épaules.
– C’est un long vol, remarqua-t-il.
***
– Israël est un pays jeune, qui n’existe que depuis 1948, expliqua Trudy. Mais l’idée de la Terre d’Israël en tant que lieu est sacrée pour le peuple juif depuis l’époque biblique, peut-être même depuis deux mille ans avant Jésus-Christ. La première référence écrite à Israël en tant que lieu se situe vers 1200 avant J.-C.. La région a été envahie, conquise et reconquise tout au long de l’Antiquité par les Babyloniens, les Égyptiens et les Perses, entre autres. Pendant tout ce temps, les Juifs ont perduré.
« En 63 avant J.-C., l’Empire romain a conquis la région et en a fait une province romaine. Pendant près de deux cents ans, elle est devenue le théâtre d’une lutte violente entre les Juifs et les Romains, qui s’est soldée par une destruction généralisée, un génocide et un nettoyage ethnique. La dernière révolte juive contre les Romains a échoué en 132 après J.-C., et la majorité des Juifs ont été soit tués soit dispersés – beaucoup sont allés au nord dans la Russie actuelle, au nord-ouest en Europe centrale et orientale, ou directement à l’ouest vers le Maroc et l’Espagne. Certains sont allés vers l’est, en Syrie, en Irak et en Iran. Une poignée a pu se diriger vers le sud, en Afrique. Et certains sont restés en Israël.
« Au fil du temps, l’Empire romain a périclité et la région a été conquise au milieu des années 600 par les Arabes, qui avaient eux-mêmes récemment adopté la nouvelle religion de l’Islam. Malgré les fréquentes attaques des Croisés chrétiens, la région est restée pour l’essentiel sous le contrôle des sultans musulmans pendant les neuf siècles suivants. En 1516, elle fut à nouveau conquise, cette fois par l’Empire ottoman. Sur les cartes ottomanes, dès 1600, la région que nous considérons comme Israël était dénommée Palestine. Lorsque l’Empire ottoman fut détruit pendant la Première Guerre mondiale, la Palestine passa sous le contrôle de ses nouveaux dirigeants, les Britanniques.
– Ce qui nous a créé les problèmes actuels, remarqua Ed.
– Naturellement, acquiesça Trudy. Tout au long de l’histoire, quelques Juifs sont restés sur place et, au fil des siècles, il y a eu de nombreuses tentatives idéalistes pour faire revenir les Juifs d’autres parties du monde. Au début des années 1900, ces efforts se sont intensifiés. La montée du nazisme a entraîné une augmentation considérable du nombre de Juifs quittant l’Europe. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la population de la Palestine était composée d’environ un tiers de Juifs. Après la guerre, un afflux massif de Juifs, survivants de l’Holocauste, quittèrent leurs communautés détruites à travers l’Europe et se rendirent en Palestine.
« En 1948 a été instauré l’État d’Israël. Ça a déclenché une série de conflits violents entre Juifs et Musulmans, qui se poursuivent encore aujourd’hui. Au cours des premiers combats, l’Égypte, la Syrie, la Jordanie et l’Irak ont envahi le pays, rejoints par des contingents d’irréguliers venus du Yémen, du Maroc, de l’Arabie Saoudite et du Soudan. Les Israéliens les ont repoussés. Au moins sept cent mille Arabes ont fui ou ont été expulsés par l’avancée des forces israéliennes vers les zones aujourd’hui connues sous le nom de Territoires palestiniens : la Cisjordanie et la bande de Gaza.
– Attends, là je pige pas, intervint Ed Newsam. 1948, c’est vieux. Et maintenant on a tous ces Palestiniens coincés à Gaza et en Cisjordanie. Pourquoi pas simplement leur donner leur liberté et les laisser avoir leur propre pays ? Ou à défaut, pourquoi pas leur donner à tous la citoyenneté et les intégrer à Israël ? L’un ou l’autre pourrait mettre un frein à tous ces combats.
– C’est plus compliqué que ça, dit Swann.
– Compliqué, pour le moins, ajouta Trudy. Impossible serait plus juste. D’abord, Israël s’est constitué en tant qu’État juif – la patrie de tous les Juifs du monde. C’est un projet en gestation depuis près de deux mille ans.
« Si Israël veut rester un État juif, il ne peut pas simplement intégrer les Palestiniens dans le pays en tant que citoyens. Ça enclencherait le compte à rebours d’une bombe à retardement démographique, qui exploserait tôt ou tard. Le pays dispose du suffrage universel : chaque citoyen a le droit de vote. Il y a environ six millions et demi de Juifs en Israël, et près de deux millions d’Arabes israéliens, dont la grande majorité sont musulmans. Il y a environ quatre millions et demi de Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie.
« Si les Palestiniens devenaient tous citoyens, la société serait soudain quasi coupée en deux entre Juifs et Musulmans, à part une petite poignée de Chrétiens et autres. Tout d’un coup, les Juifs ne seraient plus majoritaires. De plus, les Arabes israéliens et les Palestiniens ont un taux de natalité plus élevé que les Juifs israéliens, en général. En quelques décennies, les musulmans auraient une majorité nette et croissante. Voteraient-ils pour qu’Israël reste la patrie des Juifs ?
– J’en doute, émit Swann.
– Alors donnons leur liberté aux Palestiniens, argua Ed. Accordons-leur une nationalité. Ouvrons leurs routes, laissons-les contrôler leur propre espace aérien et maritime, laissons-les commercer avec les autres pays.
Trudy secoua la tête.
– Impossible aussi. Je fais rarement des déclarations absolues sur des événements futurs, mais j’ai examiné ces scénarios sous tous les angles. Peu importe qui dit quoi lors des négociations internationales, peu importe combien de fois l’assemblée générale des Nations unies vote une condamnation, jette un œil sur la nation palestinienne. Elle n’est jamais en voie de se réaliser. Pourquoi ? Parce qu’Israël ne le permettra jamais volontairement. L’idée même est absurde. C’est du suicide.
« Regarde, Israël existe dans un état de conflit parfois désespéré avec les pays qui l’entourent. La survie est toujours une question en suspens. La sécurité est la chose la plus importante dans la société israélienne, et l’assurer est un objectif majeur de l’État. Israël est un tout petit pays, tel qu’il est. Si la Cisjordanie n’était pas là comme zone tampon, et devenait de fait un pays étranger, la situation passerait instantanément de difficile à très, très dangereuse. Intenable. La plaine côtière du centre d’Israël est une étroite bande de terre, de la Cisjordanie à la mer, qui varie sur une grande partie de sa longueur de quinze à dix-huit kilomètres de large. N’importe qui pourrait parcourir cette distance à vélo en moins d’une heure.
« La majorité de la population civile, ainsi que les secteurs industriels et technologiques du pays, y sont installés. Pour aggraver les choses, les terres de Cisjordanie sont des collines qui surplombent la plaine – il y a des endroits en Cisjordanie où l’on peut facilement distinguer la Méditerranée. Quand les extrémistes des pays arabes parlent de jeter les Israéliens à la mer, il ne faut pas oublier que le trajet est très court.
« Les Palestiniens sont alliés à l’Iran, et beaucoup d’entre eux sont hostiles à l’existence même d’Israël. Si on accorde aux Palestiniens le statut de nation, qu’est-ce qui empêchera les chars, les avions de chasse, les batteries de missiles et les troupes iraniennes de s’amasser à la frontière ? Et pas seulement à la frontière, mais aussi dans les hauteurs ? C’est un scénario cauchemardesque. De plus, les hauts plateaux de Cisjordanie abritent les sources des aquifères d’eau douce de la côte israélienne. Qu’est-ce qui empêcherait une Palestine souveraine de bloquer cette ressource en eau ?
« De plus, bien qu’Israël ne reconnaisse pas ses capacités nucléaires, il est largement admis qu’il possède entre cinquante et quatre-vingts armes nucléaires. La plupart d’entre elles seraient entreposées dans la base de missiles de Zachariah, au sud-est de Tel-Aviv, et d’autres dans le désert du sud. Mais certaines – peut-être jusqu’à vingt ou même trente pour cent – sont déployées dans des silos de missiles souterrains en Cisjordanie, à l’est de Jérusalem. Ce sont des armes datant des années 70-80, de la Guerre froide, qui sont probablement encore opérationnelles.
« Les dépenses, la logistique de transport et le tollé général rendraient presque impossible le retour de ces silos en Israël, et il est hors de question que les Israéliens permettent aux Palestiniens de gérer ces armes. Comme je l’ai dit, Israël n’en reconnaît même pas l’existence.
– Qu’est-ce que tu essaies de dire ? releva Luke.
– Je dis qu’Israël est confronté à une crise existentielle, où qu’il se tourne. S’ils accordent la citoyenneté aux Palestiniens, le concept même d’Israël est anéanti. S’ils laissent la Cisjordanie devenir une Palestine souveraine, le pays d’Israël est bombardé et anéanti. Ils suivent donc une troisième voie, pleine de dangers mais qui offre une certaine chance de succès. C’est la voie des tensions et conflits sans fin avec les Palestiniens, le Hezbollah, l’Iran et quiconque décide de les rejoindre. Vu de l’extérieur, ça peut sembler extrême, déséquilibré et très éprouvant, mais il s’agit en fait d’une décision simple, pragmatique et rationnelle. Développer et maintenir à tout prix la supériorité technologique, mobiliser militairement toute la population, et ne jamais baisser sa garde une seconde.
– Mais ça ne fonctionne que tant que t’as la supériorité technologique, remarqua Swann. Une fois que ton ennemi a rattrapé son retard…
– Exact, confirma Trudy. C’est là que t’as de gros problèmes. Et il semble bien que les Iraniens viennent juste de le rattraper.
– Ils l’ont vraiment fait ? s’enquit Luke. Ils ont des armes nucléaires ?
Trudy le regarda.
– Oui. Je suis quasi certaine qu’ils en ont.
***
Luke abaissa le store de son hublot.
Il avait regardé dehors, dans les vastes ténèbres, jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il n’y avait rien d’autre à voir que son propre visage qui se reflétait dans l’ombre.
Le jet Lear filait vers l’est, et Luke dirait qu’ils se trouvaient au-dessus de l’Atlantique nord, presque au niveau de l’Europe à présent. Ils volaient depuis des heures, et plus d’heures encore les attendaient avant d’arriver. C’était un long voyage.
Luke se tourna vers Trudy, assise de l’autre côté de l’allée centrale. À part Luke, elle était la seule encore éveillée.
Derrière elle, Swann s’était roulé en boule sur deux sièges. Il s’était vite endormi. Dans la rangée derrière Swann, Ed Newsam faisait de même. Ed était solide comme un roc, bien entendu. Mais Luke émettait quelques réserves concernant Swann. Ce n’était pas de sa faute – il était traumatisé par sa captivité aux mains de Daech. Il avait changé. Il n’était plus le même idiot blagueur et sarcastique qu’il avait été. Il était plus réservé désormais, plus prudent. Il parlait beaucoup moins. En surface, cela paraissait une bonne chose – de la sagesse, peut-être, ou de la maturité. Mais Luke soupçonnait qu’il manquait de confiance.
Swann avait été ébranlé jusqu’au plus profond de lui-même. Quand ça deviendrait chaud, quand le niveau de stress augmenterait, restait à voir comment il allait se comporter.
Luke porta son attention sur Trudy. Elle s’était endormie un petit moment, roulée en boule. À présent elle était réveillée de nouveau, et contemplait son hublot obscur. D’où il était, Luke distinguait une lumière clignotante sur l’aile.
– Il fait noir dehors, remarqua-t-il. C’est tout plein de vide.
– Oui.
– Qu’est-ce que tu regardes ?
– Exactement ça : le vide.
Il se tut. La situation entre eux était un peu gênante. Il supposa qu’elle le serait toujours. Il ne voulait pas aborder ce sujet avec elle maintenant, le temps qu’ils avaient passé ensemble, car Swann et Ed étaient là. Tous deux n’avaient rien à y voir, il ne voulait pas qu’ils se réveillent en plein milieu d’une discussion.
– Je me rappelle la dernière fois qu’on a eu un long vol ensemble, dit Luke.
– Moi aussi, opina-t-elle. La Corée. Vous autres m’aviez juste fait évader de prison. C’était une époque dingue. Je croyais ma vie finie. Je ne réalisais pas qu’elle ne faisait que commencer.
– Ta cavale, ça s’est passé comment ?
Elle haussa les épaules. Elle n’avait pas l’air d’avoir envie de le regarder.
– Je ne le referais pas de mon plein gré. Mais l’un dans l’autre, ça n’a pas été si terrible. J’ai beaucoup appris. J’ai appris à ne pas autant m’attacher à une identité précise. Trudy Wellington, c’est qui ? Une possibilité parmi des centaines. Je me suis teinte en blonde, comme tu l’avais suggéré. Je me suis aussi teinte en noir. À un moment donné, j’ai même rasé ma tête.
« Tu sais que j’ai fréquenté un groupe de manifestants de gauche en Espagne pendant un temps ? J’ai vraiment fait ça. J’ai appris l’espagnol au lycée, et l’Espagne était un endroit sûr pour disparaître. Personne n’avait la moindre idée de qui j’étais. Ils m’ont envoyé suivre une formation de secouriste, pour que je puisse être médecin de rue. Les gens se blessent beaucoup lors de ces manifestations – généralement des blessures mineures, mais les ambulances ne peuvent pas les atteindre. Les médecins de rue sont là, au milieu de l’action. J’ai vu pas mal de membres cassés et de crânes fêlés. J’ai pensé à Ed tout le temps que je l’ai fait – j’ai toujours eu beaucoup de respect pour ses compétences médicales. Et encore plus maintenant.
Elle se tourna enfin et fit face à Luke.
– Et j’ai beaucoup appris sur moi-même, des choses que j’avais besoin d’apprendre.
– Cites-en une importante, suggéra Luke.
Elle sourit.
– J’ai appris que je n’ai plus besoin de me donner à des hommes âgés. Je recherchais quoi, une protection ? De l’admiration ? C’était une habitude idiote de petite fille. J’ai fréquenté des hommes de mon âge ou plus jeunes ces deux dernières années, et ça a été plutôt chouette. J’ai décidé que je préférais des hommes qui n’essaient pas de m’apprendre quoi que ce soit.
Ouch. Luke souriait à présent. Cependant les mots lui échappaient.
– J’ai aussi appris que j’étais une survivante.
– C’est énorme, dit Luke.
– Ouais, fit-elle. Mais pas autant que le truc des hommes.
CHAPITRE DOUZE
13:45, heure normale de l’Est
Salle de crise
Maison-Blanche, Washington DC
– Quelle heure est-il là-bas ? demanda Susan.
Kurt consulta sa montre.
– Ah, neuf heures moins le quart du soir environ. On a prévu de lui parler à neuf heures.
– Okay, acquiesça Susan. Fais-moi un topo rapide.
Elle promena son regard dans la salle, comble comme d’habitude. Kurt se tenait au fond de la table oblongue, sa position favorite. Haley Lawrence était assis en compagnie d’une foule de généraux et d’amiraux, dont certains étaient des femmes, nota Susan avec plaisir. Les bords de la salle étaient remplis d’aides et d’assistants.
– Nous avons une crise en cours, dit Kurt. Et nous devons avancer avec prudence. Voilà le message.
Susan fit un mouvement circulaire de la main, comme pour dire développe.
– Comme la plupart des gens ici le savent, Israël est un de nos alliés stratégiques depuis sa fondation en 1948. Dans un monde en évolution constante, seuls une poignée de pays – l’Angleterre, le Canada, la France, l’Inde, l’Arabie Saoudite… (Kurt roula des yeux quand quelques personnes lancèrent des huées à la mention de l’Arabie Saoudite) le Maroc, et quelques autres – sont de notre côté depuis plus longtemps. En tant que pays relativement petit dans une région instable, la position d’Israël est au mieux précaire et, au cours des décennies, des tensions ont à plusieurs reprises éclaté en conflit ouvert avec une foule d’acteurs régionaux. Au début, ces conflits étaient le résultat d’attaques de pays voisins tels que l’Égypte, la Jordanie et la Syrie. Plus récemment, les conflits se sont concentrés sur le sort des Palestiniens déplacés lors de la création d’Israël et qui vivent dans une sorte de flou politique en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, terres dont Israël s’est emparé pendant la guerre des Six Jours en 1967. Tous les organismes internationaux, voire tous les pays de la planète, à part Israël et les États-Unis, considèrent Israël comme la puissance occupante de ces territoires.
« Les organisations terroristes islamiques utilisent cette situation comme un outil de collecte de fonds depuis deux générations. De plus, les pays musulmans peuvent attiser le sentiment anti-israélien chaque fois que cela sert leurs objectifs, tant que les Palestiniens restent dans les limbes.
– Quelle est notre politique à ce sujet ? demanda quelqu’un à l’arrière-plan.
– Bonne question, opina Kurt. Afin que tout soit bien clair, notre politique officielle est qu’il y a une négociation en cours, dont le résultat sera que la Cisjordanie et Gaza deviennent finalement un pays, probablement appelé Palestine, et que la Palestine et Israël coexistent pacifiquement et puissent même devenir des partenaires régionaux. En attendant, nous reconnaissons le droit d’Israël à sécuriser ses frontières et à empêcher les attaques des Palestiniens contre les civils israéliens. Nous ne reconnaissons pas le droit d’Israël à construire de prétendues colonies en territoire palestinien, et nous ne reconnaissons pas non plus Jérusalem comme capitale d’Israël. Nous la considérons comme une ville partitionnée : la moitié ouest en Israël, la moitié est en Cisjordanie.
– Et Yonatan ?
Kurt jeta un œil à la feuille de papier posée sur la table devant lui.
– Yonatan Stern. 63 ans. Marié, père de cinq enfants, grand-père de huit. Dans sa jeunesse, il a été commando dans l’unité d’élite Sayeret Matkal au sein de Tsahal. En 1976, il a été l’un des chefs du raid réussi sur l’aéroport d’Entebbe en Ouganda, où des commandos israéliens ont libéré plus de cent otages israéliens pris dans un avion détourné. Depuis qu’il a quitté l’armée, il a passé presque toute sa vie dans la politique israélienne comme va-t-en-guerre et partisan de la ligne dure. En ce moment, il se trouve au sommet d’une majorité indétrônable à la Knesset. Côté vulnérabilité, il fait actuellement l’objet d’au moins quatre enquêtes de police distinctes sur des affaires de corruption, allant de la réception de cadeaux de centaines de milliers de dollars de la part de riches partisans, jusqu’à la distribution de contrats militaires gouvernementaux préférentiels sans appel d’offres et la manipulation de l’industrie israélienne des télécommunications pour le compte de ses amis.
Kurt secoua la tête et siffla.
– Juridiquement, Stern est compromis. C’est réel, et ça a monopolisé une grande partie de son attention ces derniers mois. Il aura de la chance d’éviter la prison. Et il a aussi des problèmes sur le front diplomatique. Lors d’un voyage en Europe il y a trois semaines, il a été surpris à parler dans un micro ouvert, plaisantant avec l’idée d’une solution à deux États avec les Palestiniens, qu’il semblait écarter d’emblée. Apparemment, il ignorait que le micro était ouvert et il a dit que l’Union européenne était folle – oui, il a employé le mot « folle » – de s’inquiéter pour les Palestiniens. Vous pouvez imaginer à quel point ce petit faux pas a bien fonctionné dans les capitales européennes et au sein de la gauche israélienne.
Il se tourna vers Susan.
– Pour être clair, Yonatan Stern n’est pas un partenaire idéal. Mais je pense que nous devons également reconnaître qu’il n’est pas Premier ministre à vie, et qu’il y a beaucoup, beaucoup d’éléments dans la société israélienne qui cherchent une solution pacifique aux problèmes actuels. Israël a été et est toujours un allié important des États-Unis, et sa population civile est attaquée. Rien ne permet de dire pour l’instant quelle sera l’ampleur de cette attaque. Mais si l’Iran possède des armes nucléaires, comme ils le prétendent…
– Bien sûr, acquiesça Susan. Mon problème n’est pas avec Israël. Je comprends que la relation est bien plus large qu’avec Yonatan.
– Bien. Tout ce dont nous avons besoin en ce moment, c’est qu’il se retienne, ce qui n’est pas vraiment son point fort. C’est un marteau, et partout où il regarde, il voit des clous. Mais il doit nous donner le temps de trouver et d’éliminer ces armes nucléaires. On va lui parler ?
Elle haussa les épaules.
– Allons-y.
***
– J’espère que vous êtes contente.
La voix grondante et désincarnée de Yonatan Stern sortait du haut-parleur noir au milieu de la table de conférence.
– J’espère que ça vous plaît.
Susan regarda Kurt et secoua la tête.
– En quoi ça me plairait, Yonatan ?
– Je crois que ça devrait être évident, éluda-t-il.
– Ça ne l’est pas.
– Votre pays, sur votre demande personnelle et pressante, a recherché un apaisement avec l’Iran, en continuant à l’autoriser à raffiner l’uranium. Les Européens vous ont suivi. Et voilà le résultat : un Iran prêt à prétendre qu’il possède des armes nucléaires, au mépris de tous les accords internationaux. Un Iran heureux de mettre les armes conventionnelles les plus avancées dont il dispose entre les mains de terroristes – des fous qui n’ont de comptes à rendre à personne.
– Yonatan… commença Susan.
– Il y a des centaines de morts ici, Susan. Peut-être des milliers. On ne sait même pas combien. Des immeubles résidentiels ont été complètement détruits, et les sauveteurs ne peuvent fouiller les décombres que très lentement, par crainte de nouveaux effondrements. Il y a eu une tempête de feu dans un quartier d’Haïfa. Tous les hôpitaux sont débordés partout.
– J’en suis vraiment désolée, dit Susan.
Stern ne parut pas l’entendre.
– Nous sommes confrontés, peut-être pour la première fois depuis 1973, à la question de l’anéantissement. Maintenant, je suis sûr que vous pensez que la situation est plus compliquée que ce que je décris. N’est-ce pas ce que les Américains disent toujours ? Oh mon Dieu, Israël et l’Iran, Israël et le Hezbollah, quelle situation compliquée ! Mais elle n’est pas compliquée. Elle est simple. Vous avez lâché l’Iran sur nous. Vous l’avez fait. Et maintenant vous nous demandez de retenir notre riposte. Pendant des décennies, vous avez toléré un État défaillant au Liban et l’avez appelé votre allié. Le Liban est une plateforme de lancement pour les attaques terroristes iraniennes, ni plus, ni moins. Ce n’est pas un pays. Et pourtant, vous nous demandez…
– Yonatan, tenta de nouveau Susan.
Sa voix profonde grimpa d’une octave :
– Écoutez ! S’il vous plaît, écoutez-moi. Allez-vous m’écouter ? Ce ne sont pas vos villes qui sont bombardées. Ce ne sont pas vos proches et vos amis qui sont écrasés sous les décombres ou brûlés dans les incendies. Vous ne savez pas ce qui se passe ici.
– Yonatan, insista Susan, j’ai été brûlée dans un incendie et écrasée sous des décombres. J’ai vu mes amis et collègues brûler vifs dans une tempête de feu. Un de mes meilleurs amis a été abattu sous mes propres yeux. On m’a tiré dessus. Je sais ce qui se passe là-bas. J’aurais préféré ne pas le savoir.
Il y eut un silence à l’autre bout de la ligne.
– Yonatan ?
– Okay, grogna-t-il. Okay.
Une autre pause s’éternisa. Susan entendait en bruit de fond des gens autour de Yonatan qui parlaient entre eux en hébreu.
– On peut remettre le génie dans la lampe, dit-elle.
– Comment ça ?
Susan se jeta à l’eau :
– Un cessez-le-feu unilatéral, dit-elle. (Elle savait l’effet que ça produirait, mais il fallait bien commencer quelque part.) Ça mettra la pression à la fois sur le Hezbollah et sur l’Iran pour cesser les hostilités.
Elle pouvait presque le voir secouer la tête.
– Impossible. J’ai les mains liées sur ce point, même si je voulais le faire, ce qui n’est pas le cas. Il n’y a pas de pression sur le Hezbollah, comme vous semblez le croire. La seule pression qu’ils comprennent, c’est la force. Nous ne pouvons pas nous arrêter pendant qu’ils continuent à lancer des missiles sur notre territoire. Nous ne pouvons pas nous arrêter tant qu’ils détiennent Daria Shalit. Nous ne pouvons pas nous arrêter pendant que nos villes brûlent. Ici aussi il y a une opinion publique, Susan, et j’ai été élu parce que je me suis engagé à protéger mon peuple.
– Vous ne gagnerez pas en attaquant le Hezbollah, déclara Susan. Et si vous attaquez l’Iran, tous les paris sont ouverts. Écoutez, nous vous avons envoyé deux de nos meilleurs agents secrets, ainsi que des membres de leur équipe de renseignement. Un plan a été concocté entre le Mossad, la CIA et ma propre Special Response Team.
Elle n’ajouta pas : L’homme que j’aime va risquer sa vie pour vous.
– Je suis au courant de ce plan, répondit Yonatan. Et je peux vous dire que je suis très sceptique à son sujet. Nous avons envoyé beaucoup d’agents secrets en Iran, et nous avons perdu…
Susan ne voulut pas entendre de tels propos.
– Si l’opération réussit, continua-t-elle, nous découvrirons l’emplacement des armes nucléaires, si elles existent. Puis nous irons les détruire. Nous informerons les Russes et les Chinois de nos intentions, et les inviterons à y participer avec nous. Comme vous le savez, toutes les parties ont convenu que l’Iran ne doit pas posséder d’armes nucléaires. Ces accords sont toujours en vigueur.
Ücretsiz ön izlemeyi tamamladınız.