Kitabı oku: «Persuasion», sayfa 4
CHAPITRE VIII
A dater de ce jour, le capitaine et Anna se trouvèrent souvent ensemble. Ils dînèrent chez M. Musgrove, car la santé de l'enfant ne pouvait pas servir plus longtemps de prétexte à sa tante.
Le passé devait sans doute se présenter souvent à leur mémoire. Dès le premier soir la profession du capitaine l'amena à dire: «En telle année..... avant d'embarquer…» etc. Sa voix ne tremblait pas, mais Anna était sûre qu'elle était associée à son passé. Autrefois, ils étaient tout l'un pour l'autre: maintenant plus rien. Ils ne se parlaient pas, eux qui autrefois, au milieu de la plus nombreuse réunion, eussent trouvé impossible de ne pas se parler! Jamais, à l'exception de l'amiral et de sa femme, on n'eût trouvé deux cœurs aussi unis qu'ils l'étaient autrefois.
Maintenant ils étaient moins que des étrangers l'un pour l'autre.
Quand Frédéric parlait, c'était pour elle la même voix, le même esprit. Ceux qui l'entouraient, étant très ignorants des choses de la marine, lui faisaient mille questions. Les misses Musgrove étaient tout oreilles lorsqu'il décrivait la vie à bord, les repas, les occupations de chaque heure; et leur surprise, en apprenant les arrangements et l'installation d'un navire, faisait surgir quelque plaisante réponse, qui rappelait à Anna le temps où elle était elle-même ignorante de ces choses. Elle aussi avait été plaisantée pour avoir cru qu'on vivait à bord sans provisions, sans cuisinier ni domestiques, et qu'on n'avait ni cuillers ni fourchettes.
Un soupir de Mme Musgrove l'éveilla de sa rêverie:
«Ah! mademoiselle, lui dit-elle tout bas, si le ciel m'avait conservé mon pauvre fils, il serait un autre homme, aujourd'hui!»
Anna réprima un sourire, et écouta patiemment Mme Musgrove, qui continua à soulager son cœur.
Quand elle put donner son attention à ce qui se faisait autour d'elle, elle vit que les misses Musgrove avaient apporté la liste navale pour y chercher les noms des navires que le capitaine avait commandés.
«Votre premier navire était l'Aspic.
– Vous ne le trouverez pas ici. Il a été usé et démoli; j'ai été son dernier capitaine, alors qu'il était presque hors de service. Je fus envoyé avec lui aux Indes orientales. L'Amirauté s'amuse à envoyer de temps en temps quelques centaines d'hommes en mer dans un navire hors de service, mais comme elle en a beaucoup à surveiller, parmi les mille navires qui peuvent sombrer, il s'en trouve quelquefois un qui est encore bon.
– Bah! s'écria l'amiral. Quelles sornettes débitent ces jeunes gens! On ne vit jamais un meilleur sloop que l'Aspic dans son temps. Vous n'auriez pas trouvé son égal, à ce vieux sloop! Frédéric a été un heureux garçon de l'avoir! Il fut demandé par vingt personnes qui le méritaient mieux que lui. Heureux garçon, de réussir si vite avec si peu de protection!
– Je compris mon bonheur, amiral, je vous assure, répondit Wenvorth avec un grand sérieux. J'étais aussi content que vous pouvez le désirer. J'avais, dans ce temps-là, un grand motif pour m'embarquer. J'avais besoin de faire quelque chose.
– Vous avez raison. Qu'est-ce qu'un jeune homme comme vous pouvait faire à terre pendant six grands mois? Si un homme n'est pas marié, il faut qu'il retourne bien vite en mer.
– Capitaine Wenvorth, dit Louisa, vous avez dû être bien vexé, en montant sur l'Aspic, de voir quel vieux navire on vous avait donné?
– Je savais d'avance ce qu'il était, dit-il en riant. Je n'avais pas plus de découvertes à faire que vous n'en auriez pour une vieille pelisse prêtée à vos connaissances, de temps immémorial, et qui vous serait enfin prêtée à vous-même un jour de pluie. Ah! c'était mon cher vieil Aspic. Il faisait ce que je voulais. Je savais que nous coulerions à fond ensemble, ou qu'il ferait ma fortune. Je n'ai jamais eu avec lui deux jours de mauvais temps, et après avoir pris bon nombre de corsaires, j'eus le bonheur d'accoster, l'été suivant, la frégate française que je cherchais; je la remorquai à Plymouth. Par une autre bonne chance, nous n'étions pas depuis six heures dans le Sund, qu'un vent s'éleva qui aurait achevé notre pauvre Aspic. Il dura quatre jours et quatre nuits. Vingt-quatre heures plus tard, il ne serait resté du vaillant capitaine Wenvorth qu'un paragraphe dans les journaux, et, son navire n'étant qu'un sloop, personne n'y aurait fait attention.»
Anna frémit intérieurement, mais les misses Musgrove purent exprimer librement leur pitié et leur horreur.
«C'est alors, sans doute, dit Mme Musgrove à voix basse, qu'il prit le commandement de la Laconia et prit à bord notre pauvre cher fils? Charles, demandez au capitaine où il prit votre frère; je l'oublie toujours.
– Ce fut à Gibraltar, ma mère. Dick y était resté malade avec une recommandation de son premier capitaine pour le capitaine Wenvorth.
– Oh! dites-lui qu'il ne craigne pas de nommer le pauvre Dick devant moi, car ce sera plutôt un plaisir d'entendre parler de lui par un si bon ami.»
Charles, sans doute moins tranquille sur les conséquences, répondit par un signe de tête et s'éloigna.
Les jeunes filles se mirent à chercher la Laconia, et le capitaine se donna le plaisir de la trouver lui-même, ajoutant que c'était un de ses meilleurs amis.
«Ah! c'étaient de bons jours, quand je commandais la Laconia. J'ai gagné bien de l'argent avec elle! Mon ami et moi, nous fîmes une si belle croisière aux Indes occidentales! Pauvre Harville! Vous savez, ma sœur, qu'il avait encore plus besoin d'argent que moi. Il était marié, l'excellent garçon! Je n'oublierai jamais combien il fut heureux à cause de sa femme. J'aurais voulu qu'il fût là l'été suivant, quand j'eus le même bonheur dans la Méditerranée.
– Ce fut un beau jour pour nous, que celui où vous fûtes nommé capitaine de ce navire, dit Mme Musgrove. Nous n'oublierons jamais ce que vous avez fait.»
L'émotion lui coupait la voix, et Wenvorth, qui n'entendait qu'à demi, et ne songeait nullement à Dick, attendait la suite avec surprise.
«Maman pense à mon frère Richard,» dit Louisa à voix basse.
– Pauvre cher enfant! continua Mme Musgrove. Il était devenu si rangé, si bon sous vos ordres, et nous écrivait de si bonnes lettres! Ah! plût à Dieu qu'il ne vous eût jamais quitté!»
En entendant cela, une expression fugitive traversa la figure de Wenvorth: un pli de sa bouche et un certain regard convainquirent Anna qu'il n'était pas de l'avis de Mme Musgrove, et qu'il avait eu probablement quelque peine à se débarrasser de Dick; mais ce fut si rapide qu'elle seule s'en aperçut. Un instant après, il était sérieux et maître de lui; il vint s'asseoir à côté de Mme Musgrove, et causa de son fils avec une grâce naturelle qui témoignait de sa sympathie pour tout sentiment vrai. Anna était assise à l'autre coin du divan, séparée de lui par la vaste corpulence de Mme Musgrove, plus faite pour représenter la bonne humeur et la bonne chère, que la tendresse et le sentiment, et tandis qu'Anna s'abritait derrière elle pour cacher son agitation, la façon dont le capitaine écoutait les doléances de Mme Musgrove et ses larges soupirs n'était pas sans mérite.
Le chagrin n'est pas nécessairement en rapport avec la constitution. Une grosse personne a aussi bien le droit d'être affligée profondément que la plus gracieuse femme. Néanmoins, il y a des contrastes que la raison admet, mais qui froissent le goût et attirent le ridicule.
L'amiral, après avoir fait quelques tours dans la chambre, les mains derrière le dos, s'approcha de Wenvorth, et, tout à ses propres pensées, il lui dit, sans s'occuper s'il l'interrompait:
«Si vous aviez été une semaine plus tard à Lisbonne, Frédéric, vous auriez eu à bord lady Marie Grierson et ses filles.
– Je suis heureux alors de n'avoir pas été là.»
L'amiral le plaisanta sur son manque de galanterie: il se défendit, tout en déclarant qu'il n'admettrait jamais une femme à son bord, si ce n'est pour un bal, ou en visite.
«Ce n'est point faute de galanterie, dit-il, mais par l'impossibilité d'avoir dans un navire le confortable nécessaire aux femmes, et auquel elles ont droit. Je ne puis souffrir d'avoir une femme à bord, et aucun navire commandé par moi n'en recevra jamais.»
Sa sœur s'écria:
«Ah! Frédéric! est-ce vous qui dites cela? Quel raffinement inutile! Les femmes sont aussi bien à bord que dans la meilleure maison d'Angleterre. Je ne sais rien de supérieur aux arrangements d'un navire. Je déclare que je n'ai pas plus de confortable à Kellynch que dans les cinq navires que j'ai habités.
– Il n'est pas question de cela, dit Frédéric; vous étiez avec votre mari, et la seule femme à bord.
– Mais vous avez bien pris, de Portsmouth à Plymouth, Mme Harville, sa sœur, sa cousine et trois enfants! Où était donc alors votre superfine et extraordinaire galanterie?
– Absorbée dans mon amitié, Sophie; je voulais être utile à la femme d'un collègue, et j'aurais transporté au bout du monde tout ce que Harville aurait voulu. Mais croyez bien que je regardais cela comme une chose fâcheuse.
– Mon cher Frédéric, ce que vous dites ne signifie rien. Que deviendrions-nous, nous autres pauvres femmes de marins, si les autres pensaient comme vous?
– Cela ne m'empêcha pas, comme vous voyez, de conduire Mme Harville et sa famille à Plymouth.
– Mais je n'aime pas à vous entendre parler comme un beau gentilhomme s'adressant à de belles ladies: nous n'avons pas la prétention d'être toujours sur l'eau douce.
– Ah! ma chère, dit l'amiral, quand il aura une femme, il parlera autrement. Si nous avons le bonheur d'avoir une autre guerre, il fera comme nous, et sera reconnaissant qu'on lui amène sa femme.
– Je me tais, dit Wenvorth, puisque les gens mariés m'attaquent. Ah! je penserai autrement quand je serai marié! Eh bien! non. On me répond si: je n'ai plus rien à dire.»
Il se leva, et s'éloigna.
«Vous avez dû voyager beaucoup? dit Mme Musgrove à Mme Croft.
– Oui, madame. Pendant les quinze premières années de mon mariage, j'ai traversé quatre fois l'Atlantique, j'ai été aux Indes orientales, sans compter différents endroits voisins de l'Angleterre: Cork, Lisbonne, Gibraltar. Mais je n'ai jamais été au delà des tropiques ni dans les Indes occidentales, car je n'appelle pas de ce nom Bermude ou Bahama.»
Mme Musgrove, qui ne connaissait pas un seul de ces noms, n'eut rien à répondre.
«Je vous assure, madame, dit Mme Croft, que rien ne surpasse les commodités d'un navire de guerre; j'entends celui d'un rang supérieur. Le plus heureux temps de ma vie a été à bord. J'étais avec mon mari, et, grâce à Dieu, j'ai toujours eu une excellente santé; aucun climat ne m'est mauvais. Je n'ai jamais connu le mal de mer. La seule fois que j'ai souffert fut l'hiver que je passai seule à Deal, quand l'amiral était dans les mers du Nord. N'ayant pas de nouvelles, je vivais dans de continuelles craintes et je ne savais que faire de mon temps.
– Oui, répondit Mme Musgrove, rien n'est si triste qu'une séparation. Je le sais par moi-même. Quand M. Musgrove va aux assises, je ne suis tranquille que quand il est revenu.»
On dansa pour terminer la soirée. Anna offrit ses services, et fut heureuse de passer inaperçue. Ce fut une joyeuse soirée. Le capitaine avait le plus d'entrain de tous. Il était l'objet des attentions et des déférences de tout le monde. Louisa et Henriette semblaient si occupées de lui que, sans leur amitié réciproque, on eût pu les croire rivales. Quoi d'étonnant s'il était un peu gâté par de telles flatteries?
Telles étaient les pensées d'Anna, tandis que ses doigts couraient machinalement sur le piano. Pendant un moment, elle sentit qu'il la regardait, qu'il observait ses traits altérés, cherchant peut-être à y retrouver ce qui l'avait charmé autrefois. Il demanda quelque chose; elle entendit qu'on répondait:
«Oh non! elle ne danse plus; elle préfère jouer, et elle n'est jamais fatiguée.»
Elle avait quitté le piano; il prit sa place, essayant de noter un air dont il voulait donner une idée aux misses Musgrove. Elle s'approcha par hasard; alors il se leva et avec une politesse étudiée:
«Je vous demande pardon, mademoiselle, c'est votre place;» et malgré le refus d'Anna il se retira.
Elle en avait assez! Cette froide et cérémonieuse politesse était plus qu'elle n'en pouvait supporter.
CHAPITRE IX
Le capitaine Wenvorth était venu à Kellynch comme chez lui, pour y rester autant qu'il lui plairait; car il était aimé par l'amiral comme un frère. Il avait fait le projet d'aller voir son frère, dans le comté de Shrop, mais l'attrait d'Uppercross l'y fit renoncer. Il y avait tant d'amitié, de flatterie, quelque chose de si séduisant dans la réception qu'on lui faisait; les parents étaient si hospitaliers, les enfants si aimables, qu'il ne put s'arracher de là.
Bientôt on le vit chaque jour à Uppercross. Les Musgrove n'étaient pas plus empressés à l'inviter que lui à venir, surtout le matin, car l'amiral et sa femme sortaient toujours ensemble quand il n'y avait personne au château. Ils s'intéressaient à leur nouvelle propriété et visitaient leurs prairies, leurs bestiaux, ou faisaient volontiers un tour en voiture.
L'intimité du capitaine était à peine établie à Uppercross, quand Charles Hayter y revint, et en prit ombrage.
Charles Hayter était l'aîné des cousins. C'était un très aimable et agréable jeune homme, et jusqu'à l'arrivée de Wenvorth, un grand attachement semblait exister entre lui et Henriette. Il était dans les ordres, mais sa présence n'étant pas exigée à la cure, il vivait chez son père à une demi-lieue d'Uppercross.
Une courte absence avait privé Henriette de ses attentions, et en revenant il vit avec chagrin qu'on avait pris sa place.
Mme Musgrove et Mme Hayter étaient sœurs, mais leur mariage leur avait fait une position très différente. Tandis que les Musgrove étaient les premiers de la contrée, la vie mesquine et retirée des Hayter, l'éducation peu soignée des enfants, les auraient placés en dehors de la société sans leurs relations avec Uppercross.
Le fils aîné était seul excepté; il était très supérieur à sa famille comme manières et culture d'esprit.
Les deux familles avaient toujours été dans des termes excellents, car d'un côté il n'y avait pas d'orgueil; de l'autre, pas d'envie. Les misses Musgrove avaient seulement une conscience de leur supériorité qui leur faisait patronner leurs cousines avec plaisir.
Henriette semblait avoir oublié son cousin; on se demandait si elle était aimée du capitaine. Laquelle des deux sœurs préférait-il? Henriette était peut-être plus jolie, Louisa plus intelligente. Les parents, soit ignorance du monde, soit confiance dans la prudence de leurs filles, semblaient laisser tout au hasard et ne se préoccuper de rien.
Au cottage, c'était différent. Le jeune ménage semblait plus disposé à faire des conjectures, et Anna eut bientôt à écouter leurs opinions sur la préférence de Wenvorth. Charles penchait pour Louisa, Marie pour Henriette, et tous les deux s'accordaient à dire qu'un mariage avec l'une ou avec l'autre serait extrêmement désirable. Wenvorth avait dû, d'après ses propres paroles, gagner 50,000 livres pendant la guerre; c'était une fortune, et s'il survenait une autre guerre, il était homme à se distinguer.
«Dieu! s'écriait Marie, s'il allait s'élever aux plus grands honneurs! S'il était créé baronnet! Lady Wenvorth! cela sonne très bien. Quelle chance pour Henriette. C'est elle qui prendrait ma place en ce cas, et cela ne lui déplairait pas. Mais après tout, ce ne serait qu'une nouvelle noblesse, et je n'en fais pas grand cas.»
Marie aurait voulu qu'Henriette fût préférée pour mettre fin aux prétentions de Hayter. Elle regardait comme une véritable infortune pour elle et pour ses enfants que de nouveaux liens de parenté s'établissent avec cette famille.
«Si l'on considère, disait-elle, les alliances que les Musgrove ont faites, Henriette n'a pas le droit de déchoir, et de faire un choix désagréable aux personnes principales de sa famille, en leur donnant des alliés d'une condition inférieure. Qui est Charles Hayter, je vous prie? Rien qu'un ministre de campagne. C'est un mariage très inférieur pour miss Musgrove d'Uppercross.» Son mari ne partageait pas son avis, car son cousin, qu'il aimait beaucoup, était un fils aîné, et avait ainsi droit à sa considération.
«Vous êtes absurde, Marie, disait-il. Charles Hayter a beaucoup de chance d'obtenir quelque chose de l'évêque; et puis, il est fils aîné, et il héritera d'une jolie propriété. L'état de Winthrop n'a pas moins de deux cent cinquante acres, outre la ferme de Tauton, une des meilleures de la contrée. Charles est un bon garçon, et quand il aura Winthrop, il vivra autrement qu'aujourd'hui. Un homme qui a une telle propriété n'est pas à dédaigner. Non, Henriette pourrait trouver plus mal. Si elle épouse Hayter, et que Louisa puisse avoir Wenvorth, je serai très satisfait.»
Cette conversation avait lieu le lendemain d'un dîner à Uppercross: Anna était restée à la maison sous le prétexte d'une migraine, et avait eu le double avantage d'éviter Wenvorth et de ne pas être prise pour arbitre. Elle aurait voulu que le capitaine se décidât vite, car elle sympathisait avec les souffrances de Hayter, pour qui tout était préférable à cette incertitude. Il avait été très froissé et très inquiet des façons de sa cousine. Pouvait-il si vite être devenu pour elle un étranger? Il n'avait été absent que deux dimanches. Quand il était parti, elle s'intéressait à son changement de cure, pour obtenir celle d'Uppercross du Dr Shirley, malade et infirme. Quand il revint, hélas! tout intérêt avait disparu. Il raconta ses démarches, et Henriette ne lui prêta qu'une oreille distraite. Elle semblait avoir oublié toute cette affaire.
Un matin, le capitaine entra dans le salon du cottage, où Anna était seule avec le petit malade couché sur le divan.
La surprise de la trouver seule le priva de sa présence d'esprit habituelle, il tressaillit.
«Je croyais les misses Musgrove ici;» puis il alla vers la fenêtre pour se remettre et décider quelle attitude il prendrait.
«Elles sont en haut avec ma sœur, et vont bientôt descendre,» répondit Anna toute confuse.
Si l'enfant ne l'avait pas appelée, elle serait sortie pour délivrer le capitaine aussi bien qu'elle-même. Il resta à la fenêtre, et après avoir poliment demandé des nouvelles du petit garçon, il garda le silence. Anna s'agenouilla devant l'enfant, qui lui demandait quelque chose, et ils restèrent ainsi quelques instants, quand, à sa grande satisfaction, elle vit entrer quelqu'un. C'était Charles Hayter, qui ne fut guère plus content de trouver là le capitaine, que celui-ci ne l'avait été d'y trouver Anna.
Tout ce qu'elle put dire fut:
«Comment vous portez-vous? Veuillez vous asseoir. Mon frère et ma sœur vont descendre.»
Wenvorth quitta la fenêtre et parut disposé à causer avec Hayter, mais, voyant celui-ci prendre un journal, il retourna à la fenêtre. Bientôt la porte restée entr'ouverte fut poussée par l'autre petit garçon, enfant de deux ans, décidé et hardi. Il alla au divan et réclama une friandise; comme il ne s'en trouvait pas là, il demanda un jouet; il s'accrocha à la robe de sa tante, et elle ne put s'en débarrasser. Elle pria, ordonna, voulut le repousser, mais l'enfant trouvait grand plaisir à grimper sur son dos:
«Walter, ôtez-vous, méchant enfant, je suis très mécontente de vous.
– Walter, cria Charles Hayter, pourquoi n'obéissez-vous pas? Entendez-vous votre tante? Venez près de moi, Walter, venez près du cousin Charles.»
Walter ne bougea pas. Tout à coup, elle se trouva débarrassée. Quelqu'un enlevait l'enfant, détachait les petites mains qui entouraient le cou d'Anna, et emportait le petit garçon avant qu'elle sût que c'était le capitaine.
Elle ne put dire un mot pour le remercier, tant ses sensations étaient tumultueuses. L'action du capitaine, la manière silencieuse dont il l'avait accomplie, le bruit qu'il fit ensuite en jouant avec l'enfant pour éviter les remerciements et toute conversation avec elle, tout cela donna à Anna une telle confusion de pensées qu'elle ne put se remettre, et, voyant entrer Marie et les misses Musgrove, elle se hâta de quitter la chambre. Si elle était restée, c'était là l'occasion d'étudier les quatre personnes qui s'y trouvaient.
Il était évident que Charles Hayter n'avait aucune sympathie pour Wenvorth. Elle se souvint qu'il avait dit au petit Walter, d'un ton vexé, après l'intervention du capitaine:
«Il fallait m'obéir, Walter; je vous avais dit de ne pas tourmenter votre tante.»
Il était donc mécontent que Wenvorth eût fait ce qu'il aurait dû faire lui-même? Mais elle ne pouvait guère s'intéresser aux sentiments des autres, avant d'avoir mis un peu d'ordre dans les siens.
Elle était honteuse d'elle-même, humiliée d'être si agitée, si abattue pour une bagatelle; mais cela était, et il lui fallut beaucoup de solitude et de réflexion pour se remettre.