Kitabı oku: «Raison et sensibilité, ou les deux manières d'aimer (Tome 3)», sayfa 7
CHAPITRE XLI
Maria sortit aussi, et madame Jennings en fut charmée; il lui tardait d'être seule avec Elinor et de lui faire son compliment. Eh bien! ma chère, lui dit-elle en souriant avec son air de sagacité, je ne vous demande pas ce que vous disait le colonel, car, quoique, sur ma parole, je fisse tout ce que je pouvais pour ne pas écouter, je n'ai pu m'empêcher d'en entendre assez pour m'expliquer toute l'affaire. Je vous assure que jamais rien ne m'a fait plus de plaisir, et je vous en félicite de tout mon cœur.
– Je vous remercie, madame, dit Elinor; c'est sûrement un grand plaisir pour moi, qu'une chose que je croyais ne pouvoir s'effectuer de bien long-temps, et peut-être jamais, se soit aussi vîte décidée; et je sens la bonté du colonel, de s'être adressé à moi plutôt qu'à d'autres. Peu d'hommes agiraient aussi généreusement que lui; peu, fort peu ont un aussi bon cœur et sont aussi désintéressés. Je n'ai jamais été plus surprise.
– Vraiment, ma chère, vous êtes aussi par trop modeste; à quelle personne vouliez-vous qu'il s'adressât, qui lui convînt mieux que vous? Quant à moi, je n'ai pas du tout été surprise; j'y ai souvent pensé ces derniers temps, et j'étais sûre qu'il en viendrait là.
– Vous en avez jugé sûrement d'après la connaissance que vous aviez avant moi de l'humanité du colonel, et d'après sa bonté; mais du moins vous ne pouviez prévoir qu'il trouverait aussitôt l'occasion de l'exercer.
– L'occasion! répéta madame Jennings; ah! quant à cela, lorsqu'un homme s'est mis une chose dans la tête, l'occasion s'en trouve toujours. Eh bien! ma chère, la noce suivra bientôt je suppose; et je verrai un couple heureux s'il en fut jamais.
– Il faut l'espérer, dit Elinor avec un triste sourire. Vous viendrez à Delafort bientôt après sans doute.
– Ah! ma chère, bien sûrement, et je suppose qu'il y aura place pour moi, quoique la maison soit petite, au dire du colonel; mais ne le croyez pas; je vous assure, moi, qu'elle est belle et bonne. Je ne sais pas ce qu'il y aurait à réparer: au reste si cela l'amuse, il faut le laisser faire; il est assez riche pour se donner ce plaisir.
Elles furent interrompues par le domestique qui vint dire que le carosse était à la porte; et madame Jennings qui devait sortir, se leva pour se préparer.
– Eh bien! ma chère, dit-elle, il faut que je vous quitte avant de vous avoir dit la moitié de ce que je pense; mais nous en jaserons dans la soirée, où nous serons tout-à-fait seules. Si le colonel revient comme je suppose, il ne sera pas de trop; mais nous ne recevrons que lui. Vous devez avoir trop d'affaires dans la tête pour vous soucier de compagnie. Adieu, donc je vous laisse; aussi bien vous devez languir de le dire à votre sœur. – Je le lui dirai sûrement, répondit Elinor, mais pour le moment je vous prie de n'en parler à personne. Madame Jennings eut l'air d'être un peu contrariée. – Très-bien, dit-elle, je comprends; mais Lucy cependant qui a eu toute confiance en vous, il me semble qu'il est juste qu'elle le sache la première, et je vais la voir ce matin.
– Non, non, madame, dit vivement Elinor, sur-tout pas à Lucy je vous en conjure. Un délai d'un jour ne sera pas bien fâcheux pour elle; et jusqu'à ce que je l'aie écrit à M. Ferrars, ainsi que je l'ai promis au colonel, je préfère que personne ne le sache. Je vais lui écrire à l'instant; il n'y a pas de temps à perdre pour qu'il se fasse consacrer le plutôt possible.
Madame Jennings paraît d'abord assez surprise, mais après un instant de réflexion elle crut avoir saisi ce qu'Elinor voulait dire, que sans doute le premier acte ecclésiastique du nouveau pasteur Ferrars, serait de bénir le mariage du colonel et d'Elinor, et qu'on voulait saisir cette occasion de lui faire un beau présent.
– J'entends, j'entends, dit elle; c'est vrai cela; c'est très-joli, très généreux de la part du colonel, et c'est bien, parce qu'Edward est votre ami; car lui le connaît à peine. Je suis charmée de voir que tout soit déja si bien arrangé entre vous. C'est là sans doute pourquoi il parlait de délai… Très-généreux en vérité! Mais, ma chère, il faut pourtant que votre vieille amie vous dise une chose. Il me semble que ce n'est pas à vous à écrire là-dessus à M. Ferrars; le colonel aurait dû s'en charger; cela aurait mieux convenu.
Elinor rougit beaucoup. Pauvre Elinor! Sans se l'avouer à elle-même, elle était bien-aise d'écrire encore une fois à Edward avant qu'il appartînt à une autre femme, et de lui apprendre la première son bonheur.
– Pourquoi donc cela n'est-il pas convenable, madame? Comme vous le disiez, M. Ferrars est mon ami et non pas celui du colonel. M. Brandon est si délicat qu'il a préféré que ce fût moi qui le proposasse à Edward; et je le lui ai promis.
– A la bonne heure donc; il ne faut pas commencer par le désobliger; mais c'est une singulière espèce de délicatesse. Allons, allons, mes chevaux m'attendent; et je vous laisse écrire. Je vous promets le secret pour aujourd'hui puisque vous le voulez, mais demain je le dis à tout le monde, je vous en avertis. Elle sortit, puis rentra tout de suite: A propos, ma chère, je pense à la sœur de ma Betty; je serai charmée qu'elle ait une si bonne maîtresse. Elle s'entend à tout; je la ferai venir; vous en serez enchantée; c'est précisément tout ce qu'il faut à Delafort. Vous y penserez à votre loisir.
Elinor l'entendit à peine, lui répondit: oui, madame, certainement, pour la faire en aller; elle pensait à sa lettre à Edward. Dès qu'elle fut seule, elle prit la plume. Par où commencer? Que lui dire? Elle craignait également d'être trop ou trop peu amicale. La plume dans une main, la tête appuyée sur l'autre, elle réfléchissait profondément, à ce qui aurait été la chose du monde la plus aisée pour toute autre personne, et se félicitait cependant d'avoir à lui écrire plutôt que de lui parler, lorsqu'elle fut interrompue dans le cours de ses pensées par quelqu'un qui entrait discrètement, et c'était… celui qui en était l'objet, c'était Edward.
L'étonnement et la confusion d'Elinor furent au comble. Elle n'avait pas vu Edward depuis que ses engagemens étaient connus et qu'il savait par Lucy que depuis long-temps elle en était instruite. Tremblante, interdite, elle se leva, balbutia quelques paroles, lui offrit un siége, et resta en silence. Il n'était pas moins embarrassé; son émotion était visible: Enfin il lui demanda pardon de la manière dont il s'était introduit lui-même au salon sans se faire annoncer.
– Je venais, lui dit-il, me présenter avant mon départ chez madame Jennings et chez vous, mesdames. J'ai rencontré votre amie sur l'escalier. Elle m'a obligeamment pressé d'entrer, en me disant que je trouverais mademoiselle Dashwood au salon, occupée à… Enfin que vous aviez à me communiquer une affaire très-importante et qui me surprendrait beaucoup. J'ai cru devoir vous épargner la peine de me l'écrire, d'autant que je quitte Londres demain, et que de long-temps, de très-long-temps peut-être, je n'aurai pas le bonheur de vous revoir. J'aurais été bien malheureux de partir sans prendre congé de vous et de mademoiselle Maria; demain je vais à Oxford.
– Vous ne seriez sûrement pas parti, dit Elinor, sans recevoir nos bons vœux, lors même que je n'aurais pas eu le plaisir de vous voir. Madame Jennings vous a dit la vérité; j'ai quelque chose d'important à vous communiquer, et j'allais vous écrire quand vous êtes entré. Edward rougit, et s'avança avec une extrême curiosité. – Je suis chargée, monsieur, dit-elle en parlant plus vîte qu'à l'ordinaire, d'une commission qui vous sera très-agréable. Le colonel Brandon, qui était ici il y a au plus un quart-d'heure, m'a chargée de vous dire qu'ayant appris que votre intention est de vous faire consacrer et de suivre la carrière de l'église, il a le plaisir de pouvoir vous offrir le bénéfice de sa terre de Delafort, qui se trouve vacant, et que son seul regret est qu'il ne soit pas plus considérable. Permettez-moi de vous féliciter d'avoir un ami tel que lui, qui sait apprécier le mérite, et que vous trouverez disposé de toute manière à vous obliger. La cure ne rapporte que deux cents livres sterling, mais peut, dit-il, rendre davantage. Je joins mes vœux aux siens pour que vous en ayez dans la suite une plus avantageuse; mais dans ce moment j'espère… nous espérons qu'elle pourra vous suffire, et que… cet établissement… accélérera… enfin, que vous y trouverez tout le bonheur que vos amis vous souhaitent.
Ce qu'Edward éprouvait dans ce moment ne peut être rendu; mais ce n'était pas de la joie. Une surprise extrême mêlée d'un sentiment très-douloureux, voilà ce que sa physionomie exprimait. Le sort en était jeté; il n'avait plus de prétexte de retarder son mariage.
– Dieu! que dites-vous, s'écria-t-il, en sortant de cet état de stupeur? à peine puis-je croire ce que j'entends! le colonel Brandon…
– Oui, reprit Elinor, qui retrouvait au contraire toute sa fermeté, le colonel Brandon a pris le plus vif intérêt à ce qui vient de se passer dans votre famille, à la cruelle situation qui en a été la suite; et croyez aussi que Maria, moi, tous vos amis y ont pris la part la plus sincère. Le colonel se trouve heureux de pouvoir vous donner une preuve de sa haute estime pour votre caractère et de son entière approbation de votre conduite dans cette occasion.
– Le colonel me donne un bénéfice, à moi! Cela est-il possible? s'écria encore Edward.
– La dureté de vos parens vous a-t-elle fait croire, mon cher Edward, que vous ne trouveriez de l'amitié nulle part? Vous vous seriez bien trompé.
– Non, répliqua-t-il avec attendrissement; j'étais bien sûr de trouver dans votre cœur intérêt et compassion; je suis convaincu que c'est à votre bonté seule que je dois celle du colonel. Oh! Elinor! Elinor! il s'arrêta, se leva, puis se rapprochant encore d'elle dans une émotion inexprimable: Je ne puis rien dire de ce que je sens, reprit-il en appuyant sa main sur son cœur; mais c'est à vous que je dois tout, car c'est votre estime que j'ai voulu mériter, et que peut-être j'avais mérité de perdre.
– Vous, Edward! jamais.
– Non, non, je vous devais plus de confiance; mais ce fatal secret n'était pas le mien seul; et jamais, jamais, je n'aurais pu… ange de bonté, c'est par des bienfaits que vous vous vengez de ma dissimulation.
– Vous vous trompez, monsieur, dit Elinor en s'efforçant de cacher son émotion; je vous assure que vous devez la protection et l'amitié du colonel Brandon à votre propre mérite et à son discernement; je n'y ai aucune part; je ne savais pas même qu'il eût un bénéfice dont il pût disposer. Peut-être a-t-il eu plus de plaisir encore à le donner à un de nos amis; mais sur ma parole vous ne devez rien à mes sollicitations.
La vérité l'obligeait à convenir qu'elle avait quelque part dans cette action; mais en même-temps elle craignait si fort de paraître la bienfaitrice d'Edward, qu'elle prononça cette dernière phrase avec hésitation; et cet embarras donna un degré de certitude de plus au soupçon qui venait de s'élever dans l'esprit d'Edward. Il resta quelque temps enseveli dans ses pensées après qu'Elinor eut cessé de parler; à la fin il dit avec un peu d'effort: Le colonel Brandon est un homme d'un très-grand mérite, et qui jouit de l'estime générale. J'ai toujours entendu parler de lui avec les plus grands éloges. Votre frère en fait beaucoup de cas… et vous aussi sans doute; ses manières ont beaucoup de noblesse, et sûrement son cœur… ici il s'arrêta… est aussi bon que sensible, dit Elinor en achevant la phrase commencée. Plus vous le connaîtrez, plus vous trouverez qu'il mérite tout le bien qu'on vous a dit de lui, et vous le verrez souvent; car le presbytère touche presque au château, ce qui vous fera un très agréable voisinage. Edward ne répondit rien, mais jeta sur elle un regard si sérieux, si triste même, qu'il semblait dire que ce voisinage loin de lui paraître agréable était un grand malheur pour lui. Il se leva immédiatement après, en demandant à Elinor si la demeure du colonel n'était pas à Saint-James-Street. Elle répondit affirmativement, et lui dit le numéro. Il faut, que j'aille lui faire les remercîmens que vous ne voulez pas recevoir. Elinor ne tenta pas de le retenir. Ils se séparèrent avec plus d'embarras qu'au commencement. Elle lui renouvela ses vœux pour son bonheur, sous tous les rapports et dans tous les changemens de situation. Il voulut répondre de même; ses paroles expirèrent sur ses lèvres, à peine put-il articuler: Elinor, puissiez-vous être heureuse… et il disparut.
– Heureuse! répéta-t-elle en soupirant; quand je le reverrai, si jamais je le revois, il sera le mari de Lucy. Des larmes remplirent ses yeux. Elle resta assise à la même place, cherchant à se rappeler chaque mot qu'il avait prononcé, à comprendre ses sentimens. Hélas! elle ne pouvait se dissimuler qu'il n'avait pas l'air plus heureux, que c'était même tout le contraire, depuis que son sort était assuré.
Madame Jennings rentra; quoiqu'elle eût fait beaucoup de visites et qu'elle eût sans doute bien des choses à dire, elle était tellement occupée du grand secret, qu'elle entama d'abord ce sujet en entrant au salon.
– Eh bien! ma chère, dit-elle, vous n'avez pas eu besoin d'écrire; je vous ai envoyé le jeune homme lui-même. N'ai-je pas bien fait? Je suppose qu'il n'y a pas eu grande difficulté, et que vous l'avez trouvé tout disposé à accepter votre proposition.
– Oui sans doute, madame; il est allé d'ici chez le colonel pour le remercier.
– Fort bien! mais sera-t-il prêt bientôt? il ne faut pas qu'il fasse trop attendre pour le mariage, puisqu'il ne peut pas se faire sans lui.
– Non bien certainement, dit Elinor en riant, mais il faut qu'on l'attende. Je ne sais pas du tout combien il lui faut de temps pour sa consécration: je n'en puis parler que par conjecture, trois ou quatre mois peut-être.
– Trois ou quatre mois! s'écria madame Jennings, Seigneur! ma chère, avec quelle tranquillité vous en parlez! Croyez-vous que le colonel veuille attendre trois ou quatre mois? Il y a de quoi perdre toute patience. Je suis charmée qu'il saisisse cette occasion de faire quelque bien au pauvre Edward Ferrars; mais pourtant attendre trois ou quatre mois, pour lui c'est un peu fort. Il aurait facilement trouvé quelque ecclésiastique qui ferait tout aussi bien et qu'on aurait pu avoir tout de suite.
– Oui, ma chère dame, dit Elinor, on en trouverait beaucoup; mais le seul motif du colonel Brandon est d'être utile à M. Ferrars, et non pas à quelqu'autre.
– Que le ciel me bénisse! s'écria la bonne Jennings en éclatant de rire; son seul motif! vous ne me persuaderez pas que le colonel n'ait d'autre motif en se mariant que de donner vingt-cinq guinées à M. Ferrars.
L'erreur ne pouvait pas durer plus long-temps, et l'explication qui eut lieu, les amusa beaucoup sans qu'il y eût rien à perdre ni pour l'une ni pour l'autre. Au contraire madame Jennings échangea un plaisir pour un autre, et sans perdre l'espoir du premier. Allons, dit-elle, à la Saint-Michel j'espère aller voir Lucy dans son presbytère et la trouver bien établie; et qui sait encore si je ne pourrai pas faire d'une pierre deux coups et visiter en même temps la maîtresse du château; car cela viendra un jour, je vous le promets; et vous serez les deux couples les plus heureux qu'il y ait jamais eu au monde.
Elinor soupira; elle était bien sûre quant à elle de ne pas avoir sa part de ce bonheur.
CHAPITRE XLII
Après que le triste Edward eut fait au colonel ses remercîmens pour une faveur dont il se serait bien passé, il alla à Holborn faire part de son bonheur à Lucy. Il faut que pendant la route il ait fait sur lui-même des efforts bien extraordinaires, car Lucy assura à madame Jennings, qui vint le jour suivant la féliciter, qu'elle ne l'avait vu de sa vie aussi gai, aussi heureux qu'en lui apprenant cette nouvelle. Son propre bonheur à elle était plus certain. Elle se joignit de grand cœur à l'espoir de madame Jennings d'être établie à la Saint-Michel au presbytère de Delafort; elle parut aussi très-disposée à croire qu'Elinor s'était intéressée pour eux auprès du colonel; elle vanta beaucoup son amitié pour elle et pour son futur mari, et déclara qu'il n'y avait rien qu'elle ne pût en attendre, et qu'elle savait que mademoiselle Dashwood ferait tout pour ceux qu'elle aimait. Quant au colonel Brandon, elle dit qu'elle le reverrait comme un Dieu bienfaisant. Madame Jennings ne put alors s'empêcher de dire qu'elle espérait bien qu'il épouserait Elinor, et que ce serait pour eux une grande augmentation de bonheur. Certainement, dit Lucy avec dépit; mais Edward m'a assuré que le colonel lui procurerait bientôt un meilleur bénéfice; sans doute je regretterai beaucoup le voisinage d'Elinor, mais il faut avant tout, penser à ce qui est le plus avantageux, et deux cents pièces ne sont pas grand chose. Mais je tâcherai, ajouta-t-elle, de lui faire rendre davantage; j'ai dit à Edward de me laisser le soin du domaine; et il y est tout disposé. Pendant qu'il fera et débitera ses sermons, je lèverai les dîmes; j'aurai soin de la laiterie, de la basse-cour, du jardin; je ferai vendre nos denrées, et quand j'aurai mis de côté pendant l'été une bonne petite somme, je pourrai aller m'amuser à Londres un mois ou deux après Noël. Lorsque vous n'aurez personne pour vous tenir compagnie, ma chère cousine Jennings, je serai fort à votre service. Edward restera à Delafort; il ne s'ennuie jamais seul. Oh! comme nous allons être heureux! c'est dommage seulement qu'il n'ait pas un peu de la gaîté et de la gentillesse de son frère, qui est toujours prêt à rire et à causer, au lieu qu'Edward peut être des heures entières à lire. Moi je ne connais rien de plus ennuyeux; mais à présent j'aurai assez à faire de mon côté quand je serai là, et je n'y serai pas toujours, etc. etc. Madame Jennings revint à la maison en assurant que Lucy était la plus aimable des filles, et serait la plus heureuse des femmes.
Il y avait au moins une semaine qu'on n'avait aperçu John Dashwood, ni entendu parler de lui. Elinor n'avait point vu sa belle-sœur depuis son indisposition, et jugea qu'elle devait lui faire une visite. Cette obligation n'était rien moins qu'un plaisir; et elle n'y fut point encouragée par ses deux compagnes. Non-seulement Maria refusa absolument d'y aller, en disant qu'elle était plus malade que Fanny, mais elle fit aussi tout ce qu'elle put pour qu'Elinor n'y allât pas. Madame Jennings lui dit que son carrosse était à son service; mais qu'elle ne l'accompagnerait pas chez une femme dont les airs et la hauteur lui étaient insupportables. J'aurais cependant eu du plaisir, dit-elle, à la voir humiliée et piquée du choix de son frère, à lui dire combien je l'approuve, et à lui apprendre qu'Edward va se marier et n'aura plus besoin d'eux. Mais qui sait si je la trouverais encore aussi fâchée qu'elle veut le paraître; son orgueil et son avarice doivent se livrer un combat. Elle est blessée que sa belle-sœur ne soit pas la fille d'un lord; mais elle est bien aise peut-être de l'espoir d'avoir sa part de l'héritage de son frère. Oh! l'odieuse femme, et que je vous plains de vous croire obligée de la voir.
La bonne Elinor pensait peut-être de même, mais ne voulut pas en convenir; elle prit le parti de Fanny autant qu'il lui fut possible, et toujours prête à remplir les devoirs mêmes qui lui coûtaient le plus, elle se mit en chemin pour Harley-Street.
Madame Dashwood fit dire qu'elle n'était pas encore assez bien pour recevoir qui que ce fût. Mais avant que le carrosse eût tourné pour revenir à Berkeley-Street, John Dashwood sortit de la maison et vint à la portière avec sa manière accoutumée. Il fit un bon accueil à sa sœur; il lui dit qu'il allait dans ce moment à Berkeley-Street pour la voir, et lui assura que Fanny ne savait sûrement pas que ce fût elle et qu'elle lui ferait grand plaisir; il l'invita donc à descendre de voiture et à passer quelques momens avec eux. Elinor qui dans le fond aimait son frère se laissait toujours prendre à son air de bonhomie et elle consentit à entrer avec lui. Il la conduisit au salon, où il n'y avait personne. – Fanny est dans sa chambre, je crois, dit John; la pauvre femme n'est point bien encore; un si rude coup! mais elle n'aura aucune raison pour ne point recevoir votre visite, j'en suis sûr. Je vais la prévenir que vous avez voulu entrer malgré son refus; elle en sera très-flattée. A présent, Elinor, elle n'a plus aucun motif de vous craindre; vous comprenez ce que je veux dire, et vous allez être sa grande favorite, et Maria aussi. Pourquoi n'est-elle pas venue avec vous? toujours malade, je parie; c'est fort triste en vérité. L'air de la campagne la remettra: point d'autres remèdes surtout, celui-là ne lui coûtera rien; et les médecins et les remèdes sont si chers! Je sais ce qu'il nous en coûte pour ce mal de Fanny, et c'est pourtant la faute d'Edward… Enfin chère Elinor, je ne suis point fâché de vous voir seule, car j'ai beaucoup de choses à vous dire. Est-il vrai d'abord que le colonel Brandon ait donné son bénéfice de Delafort à Edward? Je l'appris hier par hasard, et j'allais chez vous exprès pour m'en informer. Je ne le crois pas du tout, et je fus sur le point de proposer un pari; cela n'est pas vrai, n'est-ce pas? Combien je me repens de n'avoir pas parié!
– Vous avez très-bien fait, car rien n'est plus vrai. Le colonel Brandon a donné son bénéfice de Delafort à Edward.
– Réellement! eh bien! y a-t-il rien de plus étonnant! Ni parenté, ni liaison, et lui donner (car il l'a donné, dites-vous) un bénéfice dont il pouvait tirer beaucoup, beaucoup d'argent. De quelle valeur est-il?
– Environ de deux cents pièces de revenu.
– Très-bien, très-joli revenu; et pour commencer avoir un bénéfice de cette valeur! Edward n'est pas malheureux. Le colonel aurait pu le vendre quinze cents pièces, peut-être deux mille. Je suis confondu: un homme de sens comme le paraît le colonel! On a bien raison de dire qu'il y a chez tous les humains un grain de folie. Il est possible cependant en y pensant bien qu'il y ait quelque chose là dessous; je crois que je le devine. Le colonel l'aura vendu à quelque jeune homme de famille riche, qui n'a pas encore l'âge requis, et Edward l'occupe jusqu'à ce temps-là, et tirera la moitié du revenu. Cent pièces pour quelqu'un qui n'a rien, c'est très-honnête. Je parie que j'ai mis le doigt dessus: cela explique tout.
Elinor assura que non très-positivement. Elle raconta qu'elle avait été employée elle-même à faire à Edward l'offre du colonel; qu'elle était sans aucune réserve, et que le seul regret du colonel était que son bénéfice ne fût pas plus considérable.
– Je ne puis en revenir, s'écria John; c'est vraiment étonnant! Quel peut être le motif du colonel?
– Un très-simple, le désir d'être utile à M. Ferrars.
– En vérité, chère Elinor, je croirais plutôt que c'est le désir de vous plaire, si vous pouviez encore vous intéresser le moins du monde à Edward; mais après ce qu'il vous a fait! Vous courtiser, laisser croire à tout le monde qu'il vous était attaché, indisposer votre belle-sœur contre vous à cette occasion, et puis être engagé à une autre, qui ne vous vaut pas; c'est mal cela, très-mal, et vous devez le détester plus que personne; mais vous avez un si bon cœur! Ecoutez, ne parlez pas à Fanny de ce bénéfice. Je lui en ai dit un mot, et elle l'a très-bien pris; mais elle n'aime pas à entendre parler de son frère.
Elinor eut peine à s'empêcher de lui dire que Fanny pouvait supporter avec calme une acquisition de fortune à son frère, qui ne lui ôtait rien à elle-même.
Madame Ferrars, ajouta John en baissant la voix et d'un air important, ne sait rien de cela, et nous voulons le lui cacher autant qu'il sera possible. Quand le mariage d'Edward aura lieu, nous tâcherons aussi qu'elle l'ignore, au moins quelque temps.
– Mais pourquoi toutes ces précautions? dit Elinor; il n'est pas à supposer que madame Ferrars puisse avoir la moindre satisfaction ou la moindre peine en apprenant que son fils a de quoi vivre. Elle a prouvé par sa conduite avec lui qu'elle n'y prenait plus nul intérêt; elle ne le regarde plus comme son fils puisqu'elle l'a repoussé pour toujours. Sûrement on ne peut imaginer qu'elle éprouve à son égard quelque impression de chagrin ou de joie, qu'elle s'intéresse à ce qui lui arrive. Elle n'a pas privé volontairement son enfant de tout secours pour conserver la sollicitude d'une mère.
– Oh! Elinor dit John, n'ayant pas trop l'air de comprendre dans quel sens elle parlait, votre raisonnement est très-bon; mais il n'est pas dans la nature. Madame Ferrars a repoussé loin d'elle un fils ingrat et désobéissant; mais elle ne peut pas oublier qu'il est son fils.
– Vous me surprenez; je croyais que cela était sorti de sa mémoire.
– Vous parlez en femme piquée contre Edward, et je le comprends; mais cela n'empêche pas que madame Ferrars ne soit une des plus tendres mères qu'il y ait au monde.
Elinor garda le silence.
– Nous espérons à présent, continua-t-il, que Robert épousera mademoiselle Morton.
Elinor sourit de la grave importance de son frère. – Je suppose, dit-elle, que cette jeune dame n'a pas de choix dans cette affaire.
– De choix! qu'entendez vous par-là?
– J'entends que d'après ce que vous me dites, on peut supposer qu'il est indifférent à mademoiselle Morton d'épouser Edward ou Robert.
– Certainement! il ne peut y avoir aucune différence, à présent que Robert est comme un fils unique; c'est d'ailleurs un jeune homme très-agréable, et très-supérieur à son frère.
Elinor ne dit plus rien. John fut aussi silencieux quelques momens; il avait l'air de réfléchir. – Encore une chose, ma chère sœur, dit-il très-bas en lui prenant la main; j'étais à penser si je devais vous le dire, mais le plaisir de vous en faire part l'emporte sur la prudence; et quoique Fanny de qui je le tiens m'ait bien recommandé le secret, je ne puis le garder avec vous; vous ne me trahirez pas. Eh bien! j'ai de fortes raisons de penser que madame Ferrars a dit à sa fille, que quelques objections qu'elle eût sur une certaine liaison, que nous avions tous soupçonnée, vous m'entendez, Elinor, elle l'aurait beaucoup préférée à ce qui est, et elle n'en aurait pas eu la moitié tant de peine. J'ai été enchanté d'entendre que madame Ferrars pensât ainsi; c'est une circonstance très-avantageuse pour vous, et pour nous tous. C'eût été, a-t-elle dit à Fanny, beaucoup moins fâcheux sans comparaison, qu'il se fût vraiment attaché à l'une de vos belles sœurs; et elle voudrait bien à présent qu'il en fût ainsi. Mais il n'en est plus question, puisqu'il n'y a jamais songé, et qu'il n'avait nul attachement pour vous. Seulement j'ai voulu vous le dire, parce que cette préférence de la mère de ma femme doit vous flatter infiniment. Mais vous, ma chère Elinor, vous ne devez avoir aucun regret; il n'y a pas de doute que vous serez très-bien établie, et tout considéré, mieux qu'avec Edward. Delafort est à ce que je crois une plus belle terre que celle que madame Ferrars destinait à son fils. Avez-vous vu le colonel Brandon dernièrement? Quand vous serez sa femme, j'espère que vous l'engagerez à mieux-veiller à ses intérêts, et à ne pas donner au premier venu, ce qui peut lui rapporter beaucoup à lui-même.
Elinor était indignée. Elle en avait assez entendu, non pas pour satisfaire sa vanité ou pour flatter son amour-propre, mais pour irriter ses nerfs et la faire repentir de sa visite. Elle fut charmée d'être dispensée de répondre, ou d'entendre encore quelques sots propos, par l'arrivée de M. Robert Ferrars, qui vint étaler ses grâces et sa parure devant la grande glace du salon de sa sœur. Après quelques mots insignifians John Dashwood se rappela que Fanny ne savait pas encore qu'Elinor était là. Il sortit pour l'en informer, et laissa sa sœur tête à tête avec le beau Robert, qui par sa gaîté, son contentement de lui-même, sa suffisance et son air important, semblait jouir de n'avoir plus à partager avec son frère, l'amour et les libéralités de leur mère, et donnait à Elinor une aussi mauvaise opinion de son cœur que de sa tête. Elle espérait au moins qu'il ne lui parlerait point d'Edward; mais elle était dans l'erreur. Deux minutes ne furent pas écoulées, qu'après un éclat de rire assez long, il lui demanda en riant toujours, s'il était vrai qu'Edward allât prendre les ordres et dût être pasteur au village de Delafort? Elinor le confirma, et lui répéta ce qu'elle avait appris à John. Alors ses éclats de rire immodérés recommencèrent; l'idée de voir Edward en surplis et dans une chaire, publiant les bans de mariage des villageois, leur donnant la bénédiction nuptiale, baptisant leurs petits-enfans, le divertissait outre mesure. – Au surplus, disait-il, je lui ai toujours trouvé la tournure d'un vrai curé de village; si sérieux, si modeste, si peu élégant. Pauvre Edward! la nature l'avait fait pour cela, et son éducation l'a achevé. Se douterait-on que nous sommes frères? Jamais vous ne l'auriez pensé, j'en suis bien sûr: et il se regardait encore dans la glace et recommençait à rire.
– Non en vérité, monsieur, dit Elinor en jetant sur lui un coup d'œil méprisant; il n'y a entre vous deux nul rapport. Elle attendit avec une immuable gravité que son accès de gaîté folle fût passé. Tout-à-coup il cessa de rire. – Mais qu'avez-vous donc, mademoiselle Dashwood, lui dit-il, vous êtes aussi sérieuse qu'Edward; vous lui auriez cent fois mieux convenu que cette petite fille si gaie, si animée. Savez-vous qu'elle me fait grande pitié, cette pauvre petite Lucy? Il y avait de l'étoffe pour en faire une élégante, une femme à la mode; et devenir la femme d'un grave pasteur, être enterrée dans un presbytère, en bonnet rond, un grand chapeau de paille, au lieu de cette délicieuse coiffure, de ces plumes flottantes! elle est vraiment très à plaindre. Et ce pauvre Edward! je plaisante; mais sur mon ame, je suis très-touché de son malheur; le voilà ruiné pour toujours. On peut faire une folie d'amour quand on est riche, à la bonne heure. Epouser un jolie fille, braver tous ses parens, suivre sa tête, faire parler de soi: tout cela peut être assez plaisant; mais il faut avoir une fortune indépendante, et ne pas risquer de tout perdre. Pauvre garçon! C'est la meilleure créature qui existe. Ses manières, sa figure, tout cela est misérable; mais tout le monde n'est pas né avec les mêmes avantages. C'est le plus honnête garçon des trois royaumes; au reste, à quoi cela sert-il dans le monde? Vous le voyez, à se rendre ridicule, à faire des folies par excès de vertu. Tient-on tout ce qu'on promet? A sa place j'aurais épousé mademoiselle Morton et ses trente mille livres, et comme Lucy Stéeles est beaucoup plus jolie, je l'aurais priée de m'aimer toujours. Il ne serait pas au point où il en est. Pauvre Edward! il s'est ruiné lui-même complètement, le voilà séquestré de toute société décente. Pour moi je l'ai dit d'abord à madame Ferrars. Ma chère mère, je ne sais ce que vous ferez dans cette occasion; mais si Edward épouse cette jeune fille, je suis décidé à ne plus le voir. Je lui offris de lui parler, de le dissuader de ce mariage; mais c'était trop tard, la rupture avait eu lieu. Ma mère me promit ce qu'elle aurait donné à Edward. Je ne pouvais pas en conscience agir contre mes propres intérêts; mais j'en suis fâché, très-fâché! Je pouvais mieux me passer que lui de fortune, ne le trouvez-vous pas, mademoiselle Mais cependant elle ne gâte rien aux autres avantages. Pour le pauvre Edward, il n'aura qu'une jolie femme, dont il sera bientôt las, et une cure de deux cents livres qui ne le nourrira pas la moitié de l'année: et voilà le beau sort qu'il s'est fait.