Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Raison et sensibilité, ou les deux manières d'aimer (Tome 4)», sayfa 2

Yazı tipi:

CHAPITRE XLV

Cette nuit fut également douloureuse pour les deux sœurs. Les heures s'écoulèrent les unes après les autres sans apporter de changement; Maria dans un délire toujours croissant, et Elinor dans la plus cruelle anxiété, attendant le médecin avec impatience, et redoutant d'entendre ce qu'il allait prononcer. Une fois que ses craintes furent éveillées, elle paya bien cher sa première sécurité, et Betty, qui veillait avec elle, la torturait encore en lui parlant des tristes pressentimens de sa maîtresse. Elinor n'était pas du tout superstitieuse; mais, qui n'a pas éprouvé qu'on le devient dans un grand danger? Elle écoutait tout, croyait tout, s'affligeait de tout, et n'avait presque plus conservé d'espérance. Les idées de Maria étaient encore fixées par intervalles sur sa mère, et lorsqu'elle prononçait son nom en l'appelant avec vivacité, c'était un nouveau coup de poignard pour Elinor, qui se reprochait amèrement d'avoir laissé passer plusieurs jours sans la faire venir. Peut-être madame Dashwood, éclairée par sa tendresse maternelle, aurait imaginé quelque remède salutaire, qui serait à présent inutile ou trop tardif. Elle se représentait sans cesse cette tendre mère arrivant et ne retrouvant plus son enfant chéri, ou la retrouvant en délire, et n'en étant pas même reconnue.

Elle était sur le point d'envoyer encore chez M. Harris quand il arriva environ sur les cinq heures; son opinion fut cependant moins alarmante que son délai: tout en avouant qu'il trouvait un grand changement dans l'état de sa malade, il ne la crut pas dans un danger pressant, et donna l'espoir qu'un nouveau traitement aurait plus de succès; il en parla avec une telle confiance qu'il la communiqua à Elinor. Il partit en promettant de revenir dans trois ou quatre heures, et la laissa un peu plus calme qu'au moment de son arrivée.

Madame Jennings apprit en se levant, avec un grand chagrin, ce qui s'était passé pendant la nuit; elle entra grondant Betty et presque Elinor de ne l'avoir pas demandée; s'attendrissant sur le départ du colonel, sur l'émotion de madame Dashwood, sur les tourmens d'Elinor, sur les souffrances de Maria; disant qu'il ne fallait pas désespérer, mais que pour elle, elle avait toujours prévu que cela finirait mal. Son bon cœur était réellement très-affligé. Avoir vu se flétrir par degrés cette belle fleur sous le poids meurtrier du chagrin; la voir expirer si jeune, si aimable, si pleine de vie jusqu'au moment fatal qui brisa son cœur; c'était assez pour frapper et toucher même une personne moins intéressée dans cet événement. Maria avait plus de droits encore à la compassion de madame Jennings; elle avait été pendant trois mois sa compagne, elle était encore sous ses soins, et c'est pendant qu'elle y était qu'on l'avait si cruellement blessée, injuriée, rendue si malheureuse. Le malheur d'Elinor aussi, qui était sa favorite, lui faisait une peine cruelle; et quand elle se représentait celle de leur mère, qui aimait Maria, comme elle-même aimait Charlotte, la part qu'elle prenait au triste événement qui se préparait, et dont elle ne doutait pas, était aussi vive que sincère.

M. Harris fut exact à sa seconde visite; mais il fut entièrement trompé dans son espoir sur ses derniers remèdes. Ils avaient tous manqué leur effet; la fièvre n'était point abattue, la poitrine point dégagée; la malade était peut-être plus tranquille, mais cette tranquillité même, qui n'était qu'une pesante stupeur, augmentait ses alarmes. Elinor qui cherchait à lire dans son âme, s'en aperçut bientôt, et parut désirer d'autres avis; mais M. Harris jugea que ce serait inutile, et ne ferait que retarder le traitement qui pouvait encore la sauver: il le proposa. Elinor accepta tout, demanda à Dieu instamment dans le fond de son cœur de bénir ces nouveaux remèdes, et conjura M. Harris de ne rien épargner. Il fit tout ce qu'il jugea nécessaire, et ressortit avec des promesses qui, cette fois, ne calmèrent pas le triste cœur d'Elinor. A force de douleur elle était calme en apparence, mais n'avait presque plus d'espoir; et quand elle pensait à sa mère, à sa pauvre malheureuse mère, ses forces étaient près de l'abandonner. Elle resta ainsi jusqu'à midi, sans s'éloigner un instant du chevet de sa sœur, ses pensées errant tristement d'un sujet de douleur à un autre, écoutant vaguement madame Jennings, qui lui rappelait, heure par heure, tout ce que Maria avait souffert à Londres, et s'étonnait qu'elle n'y eût pas succombé. Ici, du moins, disait-elle, elle a été assez tranquille; elle a fait ce qu'elle a voulu; nous ne l'avons point contrariée; elle s'est promenée seule, et n'a sûrement rien vu qui pût avoir renouvelé son chagrin. Willoughby est paisiblement à Londres avec sa femme, et ne songe pas plus à elle que si elle n'était pas au monde. Hélas! peut-être n'y sera-t-elle bientôt plus! Ah! mon dieu! quelle pitié de voir mourir cela à cet âge, et de chagrin d'amour encore, quand elle en devrait vivre. Si du moins c'était moi, etc. etc. etc. etc.

Après midi, cependant, Elinor commença à se flatter qu'elle était mieux. A peine osait-elle se l'avouer à elle-même, de crainte de se livrer encore à de fausses espérances, mais il lui parut qu'il y avait quelque léger changement dans l'état de sa sœur. Penchée sur son lit, elle l'examinait sans cesse, elle écoutait chacune de ses respirations, lui tâtait à chaque instant le pouls. Il lui parut moins intermittent; son haleine semblait être un peu plus libre; enfin, avec une agitation de bonheur plus difficile à cacher sous un extérieur calme que son angoisse précédente, elle se hasarda de dire à son amie qu'elle ne pouvait s'empêcher de reprendre un peu d'espoir. Madame Jennings, avec l'air du doute, alla examiner à son tour; et quoique forcée de convenir qu'il y avait quelques légers changemens en bien, elle essaya d'empêcher Elinor de se livrer à une espérance qu'elle n'avait pas elle-même, et qui rendrait encore le coup plus affreux; mais ce fut en vain: Elinor ne voulait plus rien entendre que la certitude de conserver sa Maria.

Une demi-heure s'écoula, et les symptômes favorables continuèrent; d'autres même s'y joignirent et les confirmèrent. Voyez, voyez, chère amie, disait-elle à madame Jennings, sa peau est moins sèche, sa respiration moins gênée, ses lèvres moins serrées; oh, Maria! ma sœur, mon amie, tu nous seras rendue! maman ne sera pas plongée dans le désespoir. O mon Dieu! confirmez cette lueur d'espérance, recevez mes actions de grâces. Elle était à genoux à côté du lit; sa bouche posa sur la main de Maria; elle crut sentir qu'une légère pression de cette main contre ses lèvres répondait à son baiser. Oh, mon Dieu! dit-elle à demi-voix, elle m'entend, elle me reconnaît! Au moment même, le regard de Maria, languissant, mais plein de tendresse et sans la moindre expression d'égarement, s'attache sur elle; elle l'entendit même prononcer faiblement: Chère Elinor! Alors elle eut peine à contenir sa joie; et quand M. Harris arriva, elle courut au-devant de lui, et le prenant par la main: Venez, monsieur, lui dit-elle, regardez ma sœur; je ne me trompe point, n'est-ce pas, elle est un peu mieux? et elle attendait en tremblant ce qu'il allait dire.

Non seulement elle est mieux, dit-il avec assurance, mais si la nuit est telle que je l'ose espérer, je réponds de sa vie. Oh, mon Dieu! dit Elinor en joignant les mains et fondant en larmes, tandis que pendant les heures de tourmens qu'elle venait de passer, elle n'en avait pas versé une seule. Son cœur alors était serré trop douloureusement pour qu'elle pût pleurer; à présent elles coulent sans effort et lui font du bien. Maria rendue à la vie, à la santé, à ses amis, à sa tendre mère, était une idée si douce, si consolante, qu'il lui semblait que jamais encore elle n'avait été si heureuse. Mais son bonheur n'était pas encore de la joie; c'était une reconnaissance profonde envers l'Etre suprême, trop forte pour l'exprimer par des paroles; elle en avait aussi pour M. Harris, qui, sans être un médecin fameux, n'ayant pas même le bonnet de docteur en titre, avait déployé, dans cette occasion, un zèle et une habileté qui lui faisaient honneur. Il avait une fille de cinq à six ans qu'il aimait beaucoup et dont il parlait souvent. Elinor détacha une chaîne d'or de plusieurs tours, qui suspendait à son cou une très jolie petite montre entourée de brillans, qui était son bijou favori, et dit: M. Harris, j'ai encore une grâce à vous demander. Je crois à l'efficacité des vœux de l'innocence; dites à votre petite Jenny de prier pour le rétablissement de ma sœur à la même heure où vous m'avez dit qu'elle était hors de danger; et pour qu'elle ne l'oublie pas, je la prie de porter cette petite montre en souvenir de ce moment. M. Harris fut très-content de ce joli présent, et du plaisir qu'il ferait à son enfant; il recommanda ce qu'il y avait à faire, et c'était peu de chose, mais surtout d'éviter ce qui pourrait le moins du monde agiter péniblement la malade. J'attends ma mère cette nuit, dit Elinor, pensez-vous que l'émotion de la voir puisse lui être nuisible? – Au contraire, mademoiselle, elle en était sans cesse occupée dans ses rêveries, et en la préparant à voir madame Dashwood, elle n'en éprouvera qu'un bon effet. Mais ce sont les émotions bruyantes ou pénibles qu'il faut éviter avec soin. Cela n'était pas difficile dans une maison où il n'y avait qu'elles et leur bonne mad. Jennings: celle-ci était aussi fort contente de penser que Maria se rétablirait; et il est juste de lui en savoir un peu gré, car elle tenait aussi beaucoup à ses pressentimens et à ses prédictions, et il fallait les abandonner! Elle le fit sans peine, montra une véritable joie, et se promit de faire aussi un présent à ce bon M. Harris, qu'elle appela plusieurs fois: mon cher docteur, ce qui était le plus grand plaisir qu'on pût lui faire.

Elinor passa l'après midi entière à côté du lit de sa sœur, lui parlant fort peu, mais de ce qui pouvait lui faire plaisir, veillant à ce qu'elle fût bien couchée, écoutant chaque respiration. La possibilité du retour de la fièvre dans la soirée l'alarmait encore; mais elle ne revint pas, tous les bons symptômes continuèrent. A six heures du soir elle s'endormit du sommeil le plus doux et le plus tranquille. L'heureuse Elinor n'eut plus de doute qu'elle ne fût hors de danger; et l'arrivée de sa mère et du colonel, qu'elle avait si fort redoutée, ne fut pour elle qu'un nouveau bonheur. Elle comptait les heures et les minutes jusqu'au moment où elle pourrait leur dire: Elle nous est rendue! et les tirer de l'horrible incertitude avec laquelle ils voyageaient. Elle plaignait le colonel peut-être plus que sa mère, qu'il avait sûrement bien ménagée, tandis que lui savait tout. Sûre qu'il aurait mis toute la diligence possible, elle les attendait au plus tard à dix heures.

A sept, laissant Maria doucement endormie, elle joignit madame Jennings dans le salon pour prendre le thé avec elle; ses craintes l'avaient empêchée de déjeuner, et sa joie, de dîner. Elle avait donc grand besoin de prendre quelque rafraichîssement, et ce petit repas lui fut très-nécessaire. Comme elle ne s'était point couchée les deux dernières nuits, madame Jennings voulut lui persuader d'aller prendre un peu de repos en attendant l'arrivée de sa mère, lui promettant de la remplacer auprès de Maria; mais Elinor n'avait aucun sentiment de fatigue, ni de possibilité de dormir, et ne pouvait être tranquille qu'auprès de sa sœur; elle y remonta donc immédiatement après le thé. Madame Jennings la suivit pour s'assurer encore que le mieux se soutenait, puis elle les laissa pour aller l'écrire à ses filles et se coucher de bonne heure.

La nuit était froide et orageuse; le vent se faisait entendre dans les corridors; la pluie battait contre les fenêtres. Elinor pensait à ses chers voyageurs, et les plaignait d'être en chemin par ce mauvais temps; mais cela n'empêchait pas Maria de dormir paisiblement, et elle avait de quoi faire oublier à sa mère tous les petits inconvéniens du voyage.

L'horloge sonna huit heures; si c'en eût été dix, Elinor aurait été bien heureuse, car en même temps il lui semblait entendre le roulement d'un carrosse devant la maison. Mais sûrement c'était une erreur; il était presque impossible qu'ils fussent déjà là. Cependant elle était si sûre d'avoir entendu quelque chose, que, malgré la difficulté qu'elle avait à le croire, elle ne put s'empêcher de passer dans un cabinet à côté, et d'ouvrir la fenêtre pour s'en assurer. Elle vit au même instant que ses oreilles ne l'avaient pas trompée. Les deux lanternes d'un coupé l'éclairèrent suffisamment pour voir qu'il était attelé de quatre chevaux, ce qui lui prouva l'excès des alarmes de sa mère, et lui expliqua la rapidité du voyage.

Jamais encore Elinor, si accoutumée à se commander à elle-même, n'en avait été moins capable qu'à ce moment. L'idée de revoir sa mère, celle de ses doutes, de ses craintes, peut-être de son désespoir; tout la bouleversait. Et comment lui dire… La joie de savoir son enfant chéri hors de danger, lui serait peut-être aussi fatale; elle la connaissait si vive, si sensible et si nerveuse. Mais il n'y avait pas de temps à perdre en réflexions, et disant à Betty de ne pas quitter sa sœur, elle descendit promptement. Elle entendait aller et venir dans le vestibule, on ouvrait les portes; elle en conclut qu'ils étaient déjà entrés dans la maison. Aussi émue qu'on peut l'être quand on va revoir une mère chérie, après une longue absence, et dans une telle circonstance, elle entre au salon pour se jeter dans ses bras, et se trouve… en présence de Willoughby.

CHAPITRE XLVI

Elinor recula avec un sentiment d'horreur à cette vue, et son premier mouvement fut de quitter à l'instant le salon. Sa main était déjà sur le pêne, quand Willoughby s'avança vivement et la retint, en disant d'un ton plus décidé que suppliant: Mademoiselle Dashwood, une demi-heure seulement, un quart d'heure, dix minutes; je vous conjure de rester. – Non, monsieur, lui répliqua-t-elle avec fermeté, je ne resterai pas une minute; vous ne pouvez avoir aucune affaire avec moi. Les gens ont, je suppose, oublié de vous dire que M. Palmer n'est pas chez lui.

– Quand ils m'auraient dit, reprit-il avec véhémence, que tous les Palmer étaient au diable, je serais entré également; c'est à vous et à vous seule que j'ai à parler.

– A moi! monsieur; vous me surprenez beaucoup, en vérité. Parlez donc, mais soyez bref, et si vous le pouvez, moins violent.

– Asseyez-vous, et je vous promets tous les deux.

Elle hésita, et ne savait ce qu'elle devait faire. La possibilité de l'arrivée du colonel Brandon qui trouverait là M. Willoughby, et sûrement avec beaucoup de peine, traversa sa pensée; mais elle avait consenti à l'entendre, et sa curiosité était excitée. Après un moment de réflexion, elle conclut qu'il valait mieux céder et lui accorder un moment, que de prolonger le temps par des refus et des prières. Elle revint donc en silence au bout de la table, et s'assit. Il prit une chaise vis-à-vis d'elle; et pendant une demi-minute, il n'y eut pas un mot de prononcé de part ni d'autre.

– Je vous en prie encore, monsieur, soyez très-bref; je n'ai pas de temps à perdre, dit enfin Elinor; parlez, ou je sors à l'instant.

Il était dans une attitude de profonde méditation, appuyé de côté sur le dossier de sa chaise, et ne paraissait pas l'entendre. Elinor se leva; ce mouvement parut le réveiller. – Votre sœur, dit-il vivement, est hors de danger; le domestique qui m'a introduit me l'a dit. Que le ciel en soit béni! Mais est-ce vrai, bien réellement vrai? que je l'entende de votre bouche.

Elinor le regardait avec étonnement; elle croyait voir et entendre le Willoughby de Barton-Park, et ne savait si elle ne faisait pas un rêve. Il répéta sa question avec un mouvement très-vif d'impatience. Pour l'amour de Dieu, dites-moi si elle est hors de danger ou si elle ne l'est pas?

– J'espère qu'elle l'est.

Il se leva et se promena vivement. Elinor voulut encore le quitter; mais l'intérêt qu'il venait de montrer pour Maria l'avait déjà un peu adoucie; elle céda à un geste suppliant et resta. Il revint à son siége, s'approcha un peu plus près d'elle, en disant avec une vivacité un peu forcée: Si j'avais été sûr, parfaitement sûr qu'elle était hors de danger, peut-être ne serai-je pas entré, mais puisque je suis ici, puisque j'ai le bonheur de vous revoir, oh! bonne Elinor, vous qui m'aimiez autrefois comme un frère, parlez-moi encore avec amitié; peut-être sera-ce la dernière fois. Parlez-moi franchement, amicalement; me croyez-vous un scélérat? Et la rougeur la plus vive couvrit son visage.

Elinor était toujours plus surprise; elle commença vraiment à croire qu'il était hors de sens et dans l'ivresse. La singularité de cette visite, à une heure aussi tardive, et toute sa manière ne pouvait guère s'expliquer autrement. Dès que cette idée eut frappé son esprit, elle se leva et lui dit froidement: M. Willoughby, je vous conseille de retourner à Haute-Combe, que vous habitez sans doute; je suis garde-malade, et je ne puis rester avec vous plus long-temps, quelque affaire que vous puissiez avoir à me communiquer; vous vous la rappellerez sûrement mieux demain.

– Je vous entends, dit-il avec un sourire expressif et une voix parfaitement calme: peut-être ai-je en effet perdu la raison, mais non pas comme vous le pensez. Depuis ce matin à huit heures que j'ai quitté Londres, je ne me suis arrêté que dix minutes au plus à Maulboroug pour faire manger mes chevaux qui n'en pouvaient plus; j'ai pris moi-même un verre de porter et un morceau de bœuf froid: voilà tout ce que j'ai pris dans la journée. Et son regard et le son de sa voix convainquirent Elinor que, si quelque impardonnable folie l'avaient amené à Cleveland, ce n'était pas du moins celle de l'ivresse. Sûre alors qu'il pourrait l'entendre, elle lui dit avec dignité: Excusez-moi, M. Willoughby, cette fois-ci je vous ai fait tort; je ne sais pas cependant si, après tout ce qui s'est passé, vous ne seriez pas plus excusable en attribuant votre arrivée ici à une cause étrangère, qu'à votre propre volonté. Certainement si vous aviez l'ombre de délicatesse, vous auriez senti ce que votre seule présence me fait souffrir, et dans quel moment! Il m'est impossible de comprendre le but de cette visite. Que prétendez vous? que demandez-vous?

– Je prétends, dit-il avec un sérieux énergique, me faire haïr de vous de quelques degrés de moins que vous ne me haïssez sûrement; je demande qu'il me soit permis d'alléguer quelque espèce d'excuse pour le passé, de vous ouvrir entièrement mon cœur, de vous prouver que si j'ai la tête mauvaise, ce cœur mérite quelque indulgence, d'obtenir enfin quelque chose qui ressemble à un pardon, de Mar… de votre sœur.

– Est-ce là, monsieur, la vraie raison de cette visite?

– Sur mon ame! dit-il en posant la main sur la poitrine, avec ce geste noble, cette physionomie franche, ouverte, ce regard animé et sensible, qui lui avaient gagné le cœur de toute la famille de la chaumière, et qui, en dépit d'elle-même, gagnèrent encore la confiance d'Elinor.

– Si c'est là tout, monsieur, lui dit-elle, vous pouvez être satisfait, car Maria vous a pardonné depuis long-temps.

– Elle m'a pardonné! s'écria-t-il avec une extrême vivacité; elle ne devait pas me pardonner, non jamais, avant de savoir ce qui peut-être est une excuse. Mais actuellement je demande d'elle et de vous un pardon mieux motivé. A présent voulez-vous m'entendre?

Elinor fit sonner sa montre; il n'était que huit heures et un quart; il était impossible que sa mère et le colonel fussent là avant dix heures. Elle dit à Willoughby qu'elle les attendait; qu'avant tout elle voulait aller revoir sa sœur, et que si elle la trouvait tranquille elle reviendrait au salon pour un quart d'heure.

– Vous reviendrez, mademoiselle Dashwood, s'écria-t-il avec impétuosité, vous reviendrez; ou, j'en fais le serment, j'irai vous chercher auprès du lit de Maria, et c'est à elle que je demanderai de m'entendre.

– M. Willoughby! dit Elinor d'un ton qui le fit rentrer en lui-même.

– Pardon, dit-il en baissant les yeux, ne sais-je pas que mademoiselle Dashwood est incapable de tromper? Je vous attendrai ici, je vous le promets; mais aussi je n'en sortirai pas que je ne vous aie revue. Si vous ne revenez pas, j'attendrai votre mère, et c'est à elle que j'ouvrirai mon cœur; elle m'écoutera, je le sais. Excellente femme! combien elle m'aimait! Des larmes remplirent ses yeux; elles achevèrent de subjuguer Elinor. Je reviendrai bientôt, lui dit-elle en sortant.

Elle courut auprès de sa sœur; elle dormait tranquillement. Betty était assise à côté d'elle, et lui promit de la demander à l'instant où la malade se réveillerait. En repos alors sur elle, elle se pressa de rejoindre Willoughby pour hâter le moment de son départ. Il se promenait vivement et les bras croisés quand elle rentra; Comment est-elle? dit-il à demi-voix.

– Elle repose, et me voici prête à vous entendre; mais d'un instant à l'autre je puis être appelée auprès d'elle, ou ma mère peut arriver; je vous conjure encore d'être bref.

– Bref! et j'ai tant de choses à dire… Il s'arrêta.

– Eh bien, commencez donc, dit Elinor impatientée.

– Je ne sais, dit-il, quelle a été complétement votre opinion sur ma conduite avec votre sœur, et quel diabolique motif vous avez pu me supposer. Peut-être allez-vous me juger plus mal encore; mais enfin vous devez tout entendre, et je veux être vrai. Quand je m'introduisis chez vous, et j'en cherchais l'occasion qui se présenta d'elle-même, je n'avais d'autre vue et d'autre intention que de passer mon temps en Devonshire d'une manière plus agréable que dans mes précédentes visites à ma vieille tante. L'aimable extérieur de votre sœur, la séduction de son esprit, ses talens enchanteurs attirèrent sans doute mon admiration particulière; et dès les premiers jours sa conduite avec moi, si tendre, si confiante… Non, je ne conçois pas à présent comment mon cœur y fut insensible; mais il faut que je le confesse, ma vanité seule était flattée d'une conquête si brillante, si fort au-dessus, à tous égards, de celles dont je m'étais occupé jusqu'alors. Ne songeant point à son bonheur, ne pensant qu'à mon triomphe et à mes plaisirs du moment, animé par son entretien plein de feu, je lui parlai le langage dont j'avais l'habitude avec les femmes; je témoignai des sentimens que je n'éprouvai pas; je tâchai par tous les moyens possibles de me faire aimer sans avoir le dessein de lui rendre son affection.

Elinor, indignée, lui jeta un regard plein de mépris, et l'interrompit en lui disant: Il est inutile, M. Willoughby, que vous parliez plus long-temps et que je vous écoute. Un tel commencement dit tout; il ne peut être suivi de rien que je veuille entendre; je vous prie de me dispenser d'un plus long entretien.

– J'insiste sur ce que vous entendiez tout, répliqua-t-il; vous savez mon tort, écoutez ma punition. Ma fortune était réduite à moins que rien; elle n'avait jamais été considérable. J'ai toujours été très-dépensier, et j'étais lié avec des gens riches que je voulais égaler. Chaque année avait ajouté à mes dettes, et je n'avais d'autre espoir de m'acquitter, que la mort de ma vieille cousine, dont le moment était très-incertain, ou bien un mariage avec une femme riche. Dans cette intention, et poussé par les conseils de quelques amis, j'avais déjà fait ma cour dans ce but, l'hiver précédent, à Mlle Grey, qui devait posséder 50,000 livres sterling le jour de ses noces, et m'avait assez bien reçu pour me laisser croire que je pouvais me présenter avec succès. Je ne pouvais donc dans de telles circonstances penser à associer à mon sort une jeune personne sans fortune; mais avec un égoïsme, une cruauté, qui ne peut jamais m'être trop reprochée, je me conduisais de manière à engager ses affections, sans avoir seulement la pensée de pouvoir jamais l'épouser. Oui, mademoiselle, oui, je mérite ce regard indigné; je mériterais tout au monde, si je n'avais pas deux choses à dire en ma faveur, qui peuvent un peu, sinon excuser, mais pallier au moins cette indigne conduite. L'une est que je ne savais pas encore ce que c'était que l'amour; des galanteries banales, des conquêtes faciles et bientôt oubliées avaient jusqu'alors rempli ma vie. L'autre est le serment que je puis vous faire, et dont Maria peut vous confirmer la vérité, est de n'avoir pas eu un instant la coupable pensée de profiter de son attachement, de son inexpérience, de sa jeunesse pour la séduire. Quand elle aurait été entourée d'anges, elle n'aurait pas été plus en sûreté. Son extrême sensibilité, sa franchise sans bornes l'entraînaient quelquefois à des imprudences; mais son sentiment était en même temps si pur; elle avait sur la vertu des idées si exaltées, tant de vraie dignité, tant de réelle innocence, qu'il aurait fallu être un monstre pour ne pas la respecter. Ah! c'était l'être assez que de sacrifier à la vanité, à l'avarice, le bonheur d'une créature si parfaite! Mais ce n'est pas elle seule que j'ai sacrifiée, pour éviter une situation bornée qui me semblait être la pauvreté, et qui, avec elle, aurait été le bonheur parfait. J'ai trouvé avec la richesse tous les malheurs que j'ai mérités sans doute, mais qui n'en sont pas moins cruels, et j'ai perdu, perdu pour jamais, tout espoir d'être heureux avec la seule femme que j'aie aimée.

– Vous l'avez donc aimée? dit Elinor un peu radoucie; il y a donc eu un temps où vous lui avez été attaché? Vous voulez m'ouvrir votre cœur, dites-vous; parlez donc: avez-vous aimé Maria?

– Si je l'ai aimée? ah, dieu! Résister à tant d'attraits, repousser une telle tendresse! existe-t-il un homme au monde à qui cela fût possible? Oui, par degrés insensibles, je me trouvai passionné d'elle, et décidé alors à renoncer à tout pour elle, à lui offrir mon cœur et ma main. Je la connaissais trop bien pour craindre que la médiocrité de ma fortune fût un motif de refus, même pour madame Dashwood, qui ne voyait que par les yeux de Maria, et qui me témoignait une amitié de mère. Résolu de changer de vie, de trouver le bonheur dans l'amour et la simplicité, je voulais lui proposer de nous garder auprès d'elle à la chaumière, jusqu'à ce que la mort et l'héritage de madame Smith me missent à même de conduire ma compagne à Altenham, dont Maria aimait la situation, et qui la laissait dans le voisinage de sa famille. Oh! combien j'étais heureux en formant ce plan, en pensant que mon existence entière serait ce qu'elle était depuis deux mois, un enchantement continuel au milieu des quatre femmes les plus aimables en différens genres que j'eusse rencontrées dans cette délicieuse habitation! Vous rappelez-vous, miss Dashwood, la dernière soirée que j'ai passée à la chaumière, quand je conjurai votre mère, que je regardais déjà comme la mienne, de n'y rien changer? Ah! le souvenir de cette seule journée suffirait pour empoisonner le reste de ma vie… Et je croyais alors que toutes mes journées seraient semblables à celle-là! Madame Dashwood m'invita à dîner pour le lendemain, et je me décidai à lui ouvrir entièrement mon cœur, à ne parler de rien à Maria; j'étais si sûr de son affection! C'est devant elle que je voulais dire à sa mère: Unissez vos enfans. Je vous quittai plein de cette ravissante idée; je voulais en parler le soir même à madame Smith, et lui demander son aveu, que j'étais sûr d'obtenir. Cette digne femme vous estimait sans vous connaître, et attachait bien plus de prix aux mœurs, à une bonne éducation, qu'à une brillante fortune. Souvent, lorsque je lui parlais de votre famille, son regard attendri m'avait dit: Voilà où vous devriez prendre une femme. Je rentrai donc chez elle résolu à lui en parler le soir même. Ah, bon dieu! quel entretien différent eus-je avec elle! Elle avait reçu des lettres sans doute de quelque parent éloigné qui voulait me priver de sa faveur et des preuves qu'elle m'en destinait. On lui apprenait… une affaire… une liaison… que j'avais presque oubliée moi-même. Mais qu'est-il besoin de m'expliquer davantage? dit-il en s'interrompant et rougissant beaucoup; votre intime ami vous a sans doute depuis long-temps raconté cette histoire?

Elinor rougit aussi et endurcit de nouveau son cœur contre le séducteur de la pauvre Caroline. Oui, monsieur, lui dit-elle avec fermeté, je sais tout. Mais comment pourrez-vous vous justifier dans une telle circonstance? Cela me paraît impossible.

– Me justifier! s'écria-t-il vivement, je n'y songe pas même. Je vous ai dit quels avaient été mes principes, mes habitudes, mes liaisons avant que j'eusse rencontré votre sœur, et cela dit tout; j'ajouterai seulement que celui de qui vous tenez cette histoire, ne pouvait être impartial. J'ai sans doute eu beaucoup de torts avec Caroline; mais il n'est pas dit cependant que parce qu'elle a été offensée elle soit irréprochable, et que parce que j'étais un libertin elle soit une sainte. La violence de ses passions et la faiblesse de son jugement seraient peut-être une excuse… Mais, non, non, je n'en ai point que je puisse alléguer; son amour pour moi méritait un meilleur traitement. Je me suis bien souvent reproché de lui avoir témoigné celui que je n'ai jamais senti, ou du moins si peu de temps, que je ne puis appeler cela de l'amour, surtout après l'avoir éprouvé dans toute sa force pour une femme qui lui est, à tout égard, si supérieure.

– Votre indifférence pour cette fille infortunée, quelque étrange qu'elle me paraisse, est un tort involontaire, reprit Elinor; mais votre négligence est bien plus impardonnable. Quoiqu'il me soit désagréable d'entrer dans une discussion sur cet objet, permettez-moi de vous dire que si je vois de la faiblesse et de la crédulité de son côté, je vois du vôtre une cruauté, une inhumanité bien moins excusables. Pendant que vous étiez en Devonshire, poursuivant de nouveaux plans, de nouvelles amours, toujours gai, toujours heureux, votre victime était réduite à la plus extrême indigence, à la honte, au désespoir, à l'abandon.

Türler ve etiketler

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
26 haziran 2017
Hacim:
130 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 4,5, 4 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,6, 9 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,6, 64 oylamaya göre
Metin, ses formatı mevcut
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin, ses formatı mevcut
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre