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Les illusions musicales et la vérité sur l'expression

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L'effet de l'habitude exerce une grande influence sur les œuvres musicales elles-mêmes. Du moment où certaines formes mélodiques séduisent le public, les compositeurs s'en emparent avec empressement. Une mélodie plaît-elle, il faut la répéter, soit avec un second couplet, soit sans changement de paroles, d'abord parce qu'elle plaît, ensuite parce qu'un trop fréquent changement de motifs fatiguerait l'attention de l'auditeur et le dérouterait; il aime mieux savourer un plat et y revenir, avant de s'en faire servir un nouveau. Il aime aussi sentir bien la fin et les principales divisions d'un motif, afin de relâcher un peu son attention pendant les phrases secondaires ou formant remplissage. Certaines formules ou cadences mélodiques ou harmoniques sont fort utiles à cet effet; plus elles sont marquées, mieux elles remplissent leur destination. Les récitatifs aussi sont aptes à laisser reposer l'esprit; les ritournelles sont excellentes pour annoncer un air nouveau et le recommander à l'attention des auditeurs. Que les formes conventionnelles s'accordent ou non avec l'action dramatique; qu'elles l'arrêtent ou la contrecarrent, cela importe peu; elles sont nécessaires pour faciliter au public l'intelligence de la musique. Elles font très bien aussi l'affaire des compositeurs; passez-moi le mot: elles constituent un excellent oreiller de paresse, une ressource commode et lucrative. Rien n'est plus facile que d'arranger une mélodie d'après ces formes conventionnelles et d'y ajouter le remplissage nécessaire.

L'habitude et la convention ne s'étendent pas seulement à la mélodie et à la coupe des morceaux, mais aussi à l'harmonie et même à l'instrumentation. Quand les œuvres de Rossini commencèrent à se répandre en France, n'appelait-on pas l'auteur: Il Signor Vacarmini? Cela n'a pas empêché les compositeurs de lui emprunter ses formes mélodiques, son crescendo et sa cadence harmonique favorite, quoiqu'elle ne fût pas de son invention. Et quand parurent les opéras de Meyerbeer, les partisans de Rossini n'ont-ils pas traité sa musique comme pauvre de mélodie, lourde et trop bruyante? Et Berlioz? et R. Wagner?

Ces méprises se commettent d'autant plus facilement que beaucoup de gens ont l'habitude de ne s'occuper au théâtre que de la musique. Ne comprenant pas souvent les paroles chantées, ils prennent le parti de n'en tenir à peu près aucun compte; les compositeurs prennent la même voie et la trouvent fort commode. Il y a même des personnes qui en font autant pour la pièce d'un opéra. Combien de fois ne m'est-il pas arrivé de critiquer non seulement les paroles en détail, mais le texte d'un opéra dans son ensemble: «Que m'importe la pièce?» me répondait-on; «j'écoute la musique.» Assurément le succès de la Flûte enchantée à l'Opéra-Comique est dû uniquement à la musique de Mozart, pourvu qu'elle soit exécutée convenablement. La pièce allemande, quoi qu'on en puisse dire, a du moins un caractère et une raison d'être; l'arrangement, ou plutôt le dérangement français, n'a d'autre raison d'être que la musique de Mozart, l'action est absolument inepte. Les personnes mêmes qui, à l'Opéra, applaudissent Don Juan, ou plutôt certains morceaux de l'œuvre, ne se doutent pas de l'importance du texte italien sur lequel la musique a été écrite.

Les habitués de l'ancien Théâtre-Italien faisaient assurément peu de cas d'une pièce et aucun du texte; la musique et les chanteurs les occupaient à peu près exclusivement.

Et chaque fois qu'on chante dans une langue que le public ne comprend pas? N'a-t-on pas voulu nous faire entendre, il y a peu de temps, Lohengrin en allemand? Puis on y a renoncé pour nous le promettre en italien. Mieux encore vaut l'allemand.

Quand une éducation musicale a été mal faite, l'habitude peut avoir pour effet d'égarer, de dépraver le goût. Croit-on, par exemple, que les jeunes personnes qui, pendant des années, font leurs délices de musique de danse, de frivoles ou insipides morceaux de piano, de plates romances, soient en mesure de juger ou de goûter la musique sérieuse? Cela me rappelle un mot de Seghers, mort en 1881, et qui, après avoir été un des fondateurs de la Société des concerts du Conservatoire, avait organisé en 1849 la Société Sainte-Cécile, par laquelle il a fait connaître beaucoup d'ouvrages classiques et des œuvres de jeunes compositeurs. Ce ne fut pas sa faute si cette Société n'a duré que quelques années. Un soir, dans un concert, il me parlait de musique classique: «Voyez-vous,» me dit-il à demi-voix, en me montrant le public; «ce ne sont pas ces gens-là qui comprendront la musique; ce sont les blouses!» Il voulait évidemment dire qu'il vaut mieux n'avoir guère d'éducation musicale que d'en avoir une mal faite et frivole. Dans le premier cas, on écoute naïvement, avec la conviction de son ignorance, et l'on ne demande pas mieux que de comprendre les œuvres des maîtres de l'art; pourvu que l'on comprenne un peu, on cherche à comprendre davantage; on est même heureux de comprendre. C'est précisément ce qui est arrivé lors de la création des concerts Pasdeloup.

L'amour-propre joue dans les jugements un rôle beaucoup plus grand qu'on ne le croirait au premier abord. L'instruction insuffisante, l'habitude et l'amour-propre, voilà les trois causes principales d'erreur, en laissant toujours de côté la mauvaise foi, qui, d'ailleurs, repose aussi sur l'amour-propre. Du moment où l'on a pris l'habitude d'une certaine musique, on se croit bon juge, et l'on est porté à repousser celle qui en diffère beaucoup. Quand on a jugé, on ne veut pas se rétracter; il y a plus: dire à un homme que ce qu'il adore n'est que du clinquant, ou ne vaut pas ce qui lui déplaît, c'est presque comme si on lui disait qu'il a mauvais goût ou n'entend rien à ce qu'il prétend juger. Telle est du moins la manière dont la grande majorité des gens prend les choses.

C'est précisément la manière de faire d'une question d'art une question personnelle, qui produit les luttes passionnées où la courtoisie du langage et des actes est rarement respectée. Les exemples abondent dans la querelle des gluckistes et des piccinistes; je préfère en citer un plus ancien et un autre aussi récent.

Voici comment Maret, contemporain de Rameau et son collègue à l'Académie de Dijon, rend compte de la première représentation d'Hippolyte et Aricie:

«La toile fut à peine levée, qu'il se forma dans le parterre un bruit sourd qui, croissant de plus en plus, annonça bientôt à Rameau la chute la moins équivoque. Ce n'était pas cependant que tous les spectateurs contribuassent à former un jugement aussi injuste; mais ceux qui n'avaient d'autre intérêt que celui de la vérité ne pouvaient encore se rendre raison de ce qu'ils sentaient, et le silence que leur dicta la prudence livra le musicien à la fureur de ses ennemis», c'est-à-dire des partisans fanatiques de Lully. Plus loin, Maret dit: «Peu à peu les représentations d'Hippolyte furent plus suivies et moins tumultueuses; les applaudissements couvrirent les cris d'une cabale qui s'affaiblissait chaque jour, et le succès le plus décidé couronnant les travaux de l'auteur l'excita à de nouveaux efforts.» Naturellement, la presse s'en mêla; les satires, les pamphlets et les épigrammes pleuvaient; les ennemis les plus acharnés de Rameau ne voulurent même jamais convenir de leur tort. Hippolyte et Aricie fut suivi des Courses de Tempé, des Indes galantes, de Castor et Pollux, des Fêtes d'Hébé, puis de Dardanus. Jean-Baptiste Rousseau comptait parmi les partisans fanatiques de Lully, décriant sans relâche la musique de Rameau comme une pure cacophonie. A propos de Dardanus, il fit une ode lyri-comique dont une des strophes commence ainsi:

 
Distillateurs d'accords baroques,
Dont tant d'idiots sont férus,
Chez les Thraces et les Iroques
Portez vos opéras bourrus, etc.
 

A ce point de vue, il n'y a qu'un pas de Rameau à R. Wagner.

Avant qu'on montât Tannhœuser à l'Opéra de Paris, l'auteur donna plusieurs concerts au Théâtre-Italien, où il fit entendre des fragments de ses ouvrages, appartenant à sa première et à sa seconde manière, en y joignant le prélude de Tristan et Iseult, qui appartient à la troisième. Or, à ce moment, on n'avait pas encore les préjugés ni les causes de mécontentement qu'on a eus plus tard. Voici le tableau exact que fait Berlioz de ces concerts, sous réserve des préventions jalouses qu'il avait naturellement contre ce qu'il appelle le système de Wagner, quoique cette désignation ne puisse s'appliquer ici qu'aux œuvres de la seconde manière: le Vaisseau fantôme, Tannhœuser et Lohengrin. «Un certain nombre d'auditeurs, sans préventions ni préjugés, a bien vite reconnu les puissantes qualités de l'artiste et les fâcheuses tendances de son système; un plus grand n'a rien semblé reconnaître en Wagner qu'une volonté violente, et dans sa musique, qu'un bruit fastidieux et irritant.» Avant de continuer, remarquons bien qu'il s'agit des ouvertures de Rienzi, du Vaisseau fantôme et de Tannhœuser, du prélude de Lohengrin, de la marche avec chœur de Tannhœuser, du chœur nuptial de Lohengrin et d'autres morceaux aussi faciles à comprendre. Je reprends ma citation: «Le foyer du Théâtre-Italien était curieux à observer, le soir du premier concert: c'étaient des fureurs, des cris, des discussions, qui semblaient toujours sur le point de dégénérer en voies de fait..... Ce qui se débite alors de non-sens, d'absurdités et même de mensonges est vraiment prodigieux, et prouve avec évidence que, chez nous au moins, lorsqu'il s'agit d'apprécier une musique différente de celle qui court les rues, la passion, le parti pris prennent seuls la parole et empêchent le bon sens et le goût de parler.» La sortie finale contre la musique qui court les rues est faite dans un but visible, au profit non pas de Wagner, mais de Berlioz lui-même; lui aussi a vu, pendant toute sa vie, une foule de gens «reconnaître les puissantes qualités de l'artiste et les fâcheuses tendances de son système».

 

L'hostilité qu'ont rencontrée Rameau, Gluck, Berlioz et R. Wagner s'est produite pour bien d'autres compositeurs, sans excepter même Beethoven. Ne sait-on pas que lorsque Habeneck fonda la Société des concerts du Conservatoire pour faire connaître les symphonies de Beethoven, celles-ci furent critiquées et réprouvées par un bon nombre de compositeurs français, les plus célèbres en tête? Pendant bien longtemps, la grande majorité du public et des critiques a regardé la symphonie avec chœurs comme une aberration; on l'apprécie depuis peu d'années seulement; le finale a eu le plus de peine à être compris. Sur ce point encore, on peut consulter les souvenirs de Berlioz, confirmés par d'autres écrivains. Voici ce qu'il dit des premières auditions qui eurent lieu aux concerts spirituels de l'Opéra: «On ne croirait pas aujourd'hui de quelle réprobation fut frappée immédiatement cette admirable musique par la plupart des artistes. C'était bizarre, incohérent, diffus, hérissé de modulations dures, d'harmonies sauvages, dépourvu de mélodie, d'une expression outrée, trop bruyant et d'une difficulté horrible.» C'est absolument ce qu'en 1861 on disait de Tannhœuser, après en avoir dit autant des œuvres de Berlioz. Habeneck, pour faire passer la symphonie en majeur, fut obligé d'y faire des coupures et de remplacer le larghetto par l'allegretto (appelé ordinairement l'andante) de la symphonie en la majeur. Or, la symphonie en est la deuxième, et le larghetto se rapproche beaucoup du style de Mozart. «A la première audition des passages marqués au crayon rouge, Kreutzer s'enfuit, et son opinion était celle de la grande majorité des musiciens de Paris». Cette fois-ci, le public véritable fit comme plus tard aux concerts Pasdeloup; grâce à la persévérance d'Habeneck et de son orchestre, Beethoven eut gain de cause. Et remarquons-le bien, il ne pouvait exister de préventions personnelles pour ou contre la personne de Beethoven; qu'est-ce donc quand ces préventions s'en mêlent? D'une part on accepte un ouvrage médiocre, et on l'applaudit, parce qu'il est signé d'un nom respecté ou aimé; d'autre part on siffle, ou l'on refuse même d'écouter une œuvre, parce qu'on a une antipathie contre l'auteur et qu'il a été décrié à tort ou à raison. Ce n'est pas la peine d'insister ni de parler encore de Berlioz et de Wagner; mais n'est-ce pas une chose assez curieuse qu'un musicien d'un genre tout autre ait été traité, injurié, décrié comme ils l'ont été: je veux parler d'Offenbach? Décidément l'auteur des Deux Aveugles, tout comme Berlioz, a bien fait de mourir, ne fût-ce que dans l'intérêt de ses Contes d'Hoffmann.

Les préventions pour ou contre un compositeur ont parfois un côté plaisant. Au temps de la rivalité de Gluck et de Piccini, les partisans de l'un des maîtres quittèrent un jour brusquement une salle de concert, croyant qu'on allait chanter un air de l'autre, tandis que l'air était de Jomelli. Berlioz raconte comment il a fait entendre un fragment de son Enfance du Christ sous le nom imaginaire d'un ancien compositeur, Pierre Ducré. L'Irato de Méhul a d'abord été donné sous un pseudonyme italien; on raconte même que Méhul a voulu mystifier Napoléon Ier, mais le fait est controuvé. De nos jours, on maltraite souvent tel ou tel compositeur, sous prétexte qu'il est wagnérien, quand même c'est la dernière de ses pensées.

Une fois engagé dans cette voie, on trouve beau tout ce qui ressemble à la musique qu'on affectionne, et mauvais tout ce qui n'y ressemble pas. On ne tient compte ni de la différence des temps, ni de la différence des nations. On ne veut pas admettre, par exemple, que les Allemands puissent, sans avoir tort, accepter au théâtre des pièces qui ne sont pas conformes aux habitudes du public et des librettistes français. Les drames lyriques de Wagner ne sont pas seuls dans ce cas. D'ailleurs, il y a des sujets nationaux ou légendaires qui peuvent intéresser telle nation plus que telle autre; on ne s'en persuade pas moins qu'on a seul bon goût et que les autres se trompent.

Plus on met de fanatisme et d'intolérance à faire triompher une opinion, plus on prouve que cette opinion repose sur une impression purement personnelle. On en arrive à vouloir même empêcher les autres d'écouter une musique qu'on n'aime pas soi-même, oubliant le précepte: «Si vous n'en voulez pas, n'en dégoûtez pas les autres.» Considérée ainsi, la musique est bien le jouet de la mode, des goûts personnels, des impressions purement sensuelles, je pourrais ajouter: et du despotisme le plus sot et le plus ridicule qu'on puisse voir. Pourquoi chacun ne pourrait-il pas suivre son goût en musique, comme par exemple en peinture? On n'est pas plus forcé d'écouter une musique qu'on n'aime pas, que de regarder un tableau. Que chacun prenne son plaisir où il le trouve, à condition qu'il n'empêche pas les autres d'en faire autant.

DEUXIÈME PARTIE

III
LA MUSIQUE IMITATIVE

Jusqu'à présent, je me suis occupé des erreurs provenant de la situation, de l'ignorance, des préjugés, du mauvais goût, de l'égoïsme des auditeurs. Il existe des causes d'illusion d'un effet moins bruyant, moins violent, moins funeste, mais qui peuvent influer sur le caractère et la valeur d'une œuvre, sur la tendance générale de l'art, quoique toutes les aberrations finissent toujours par être jugées et qu'elles n'empêchent jamais l'art de reprendre sa direction rationnelle et légitime. S'il ne faut pas voir dans la musique un pur instrument de plaisir, il ne faut pas non plus, passez-moi le mot, y chercher midi à quatorze heures, en prétendant lui faire dire plus qu'elle ne peut dire. Je veux parler des aberrations qu'on appelle musique imitative, musique descriptive, couleur locale, musique mystique, etc. Examiner ce que la musique ne peut pas exprimer, sera le meilleur moyen d'arriver à déterminer ce qu'elle signifie en réalité.

Je commencerai par la musique imitative, question discutée souvent, qui semble assez simple, et dont, cependant, on n'a pas encore donné une solution satisfaisante. D'une part, la musique imitative est un genre très inférieur et même peu musical, mais, d'autre part, elle touche à l'expression musicale véritable; aussi, presque tous les compositeurs en ont-ils fait usage plus ou moins. Dans les discussions esthétiques sur ce sujet, on cite ordinairement beaucoup d'exemples; on n'en finirait pas si on voulait les citer tous; seulement, d'après un dicton vulgaire, à force de voir des arbres, on ne voit pas la forêt; on cite des exemples, on discute, et l'on ne conclut pas, ou l'on conclut mal.

La musique imitative n'est pas d'invention moderne. Un des plus anciens ballets sacrés des Grecs représentait le combat d'Apollon contre le serpent Python; le ballet était divisé en cinq actes, dont le premier montrait les préparatifs de la lutte, et le dernier, les réjouissances après la victoire. Des flûtes, des cithares et des trompettes accompagnaient l'action d'une musique appropriée, si bien qu'on cherchait à imiter par la trompette les grincements de dents du monstre blessé. L'imitation ne devait pas être fort exacte, mais on n'est pas plus exigeant aujourd'hui, quoique l'on ait beaucoup perfectionné la musique imitative. On a mis en musique des batailles: Dittersdorf, contemporain de Mozart, a fait douze symphonies sur les métamorphoses d'Ovide; Buxtehude a écrit des morceaux pour harpsicorde, destinés à peindre les diverses propriétés des sept planètes; le règne animal a été largement mis à contribution; bref, on a voulu imiter tout ce qui peut être vu ou entendu, et même davantage.

Au siècle dernier, l'imitation de la nature était regardée comme le principe fondamental de tous les beaux-arts. On connaît le traité de Batteux sur ce sujet; de telles dissertations n'ont guère d'utilité, d'autant plus que l'on confondait l'imitation avec l'expression. Il suffit de lire les lignes suivantes de J. J. Rousseau: «La musique peint tout, même les objets qui ne sont que visibles, et la plus grande merveille d'un art qui n'agit que par le mouvement est d'en pouvoir former jusqu'à l'image du repos. La nuit, le sommeil, la solitude et le silence entrent dans le nombre des grands tableaux de la musique, etc.» Réverony Saint-Cyr a poussé le système à ses dernières limites; il a soutenu qu'en musique, pour toute image parfaitement rendue, le trait visuel concorde avec le trait du chant, et que la forme de l'objet doit se trouver sur le papier dans la série même des notes, pourvu qu'on l'y cherche avec art. Il a vu ainsi, dans la musique finale d'Armide de Lully, le palais de la magicienne qui s'écroule; dans le prélude d'Iphigénie en Tauride de Gluck, il a découvert les ondulations des vagues de la mer; ailleurs, la musique, selon lui, dessine les mouvements d'un serpent, le lever du soleil, une âme qui monte au ciel, etc. Réverony Saint-Cyr donne des exemples en notes avec les dessins correspondants. Il lui a fallu, en effet, beaucoup «d'art» et d'imagination1.

L'imitation est si peu le but suprême des beaux-arts, qu'elle n'est rigoureusement possible que dans des cas très peu nombreux. Pour reproduire exactement, par exemple, une figure humaine, il manque à la sculpture deux choses essentielles: le coloris d'abord, l'expression des yeux ensuite. Au musée des antiques du Louvre, il y a un chien en marbre; on prétend qu'il est si bien imité que les chiens aboient en le voyant. Comme l'entrée du musée leur est interdite, je ne puis garantir le fait; d'ailleurs, la méprise d'un chien prouverait peu de chose.

Le trompe-l'œil en peinture a un domaine extrêmement restreint, parce que cet art ne peut pas rendre l'éclat de la lumière. Comparez le lever de soleil le mieux peint avec la nature, et vous verrez l'énorme distance qui sépare l'un de l'autre. Mais du moins le trompe-l'œil est possible en peinture; le trompe-l'oreille est-il possible en musique? J'en doute; toute imitation, si fidèle qu'elle puisse sembler, reste trop loin du modèle pour qu'on prenne le change. Un coup de grosse caisse peut représenter le son du canon lointain; mais c'est une pure exception, autrement tous les coups de grosse caisse représenteraient des coups de canon. Le son de la grosse caisse et celui du canon, même lointain, diffèrent trop, d'ailleurs, pour que l'on confonde réellement l'un avec l'autre. Beethoven a imité le chant du coucou au moyen de la clarinette; mais la voix de cet oiseau diffère sensiblement du son de la clarinette; et puis le coucou ne fait pas toujours un intervalle de tierce majeure. Quant à la caille, jamais elle ne se reconnaîtrait dans la symphonie pastorale; le hautbois peut, en bien des circonstances, répéter le aigu sur le petit dessin rythmique employé par Beethoven, sans que personne croie entendre une caille; il en est de même pour la clarinette jouant ré si bémol.

Un trille de flûte, accéléré graduellement, est une bien pauvre imitation du chant du rossignol. Les fabricants d'oiseaux mécaniques réussissent beaucoup mieux. Tout l'art de Beethoven ne saurait rivaliser avec les jolis petits automates qui, à la porte des magasins de joujoux, font la joie et l'amusement des passants. Le loriot ne se fait pas entendre dans l'amusette de la symphonie pastorale; cependant il n'a pas été oublié par Beethoven; mais personne ne s'en douterait, si Schindler ne nous avait pas avertis. Prenons donc une flûte pour une flûte et non pas pour un loriot.

Berlioz, dans la scène aux champs de la symphonie fantastique, imite le tonnerre par un roulement de timbale; il y a la même observation à faire que plus haut sur la grosse caisse. Au quatrième acte de Rigoletto, Verdi imite le sifflement du vent par le chœur vocalisant à bouche fermée dans la coulisse. C'est un effet de machinisme plutôt qu'un effet musical, et qui ne peut tromper personne, si tant est qu'on y fasse attention.

L'imitation du galop du cheval par une batterie en triolets, et de l'aboiement du chien par une note précédée d'une appogiature, sont des moyens trop enfantins et trop conventionnels. Il y a toujours lieu de répéter la remarque faite sur la grosse caisse. Meyerbeer aussi a imité le galop du cheval au deuxième acte du Prophète. Le machiniste ne pouvant faire galoper un cheval dans la coulisse pour annoncer l'arrivée d'Oberthal, le basson remplace économiquement la bête.

 

Une imitation plus réaliste est celle des coups de canon dans les batailles écrites pour le piano; on frappe les basses de l'instrument avec le plat des deux mains, ou encore avec tout l'avant-bras gauche.

Si l'on étudie les partitions du siècle dernier, on voit qu'en ce temps on n'était pas difficile sur les moyens d'imitation; avec une simple gamme, on disait une foule de choses. Mozart aussi se sert de la gamme ascendante dans le duel de Don Juan; la tempête, dans le prélude d'Iphigénie en Tauride de Gluck, est assez enfantine, et les gammes n'y manquent pas. Dans le Postillon de Longjumeau Biju imite le vol de Zéphyre, le roulement d'un torrent, le chant des bergers charmant les nymphes, les doux accents des habitants de l'Arcadie, en vocalisant toujours une gamme descendante. Le procédé de Biju est celui par lequel Lully, Rameau et leurs successeurs faisaient de la musique imitative.

Lorsque l'imitation concerne un effet purement visuel, il est évident que l'effet musical auditif y répond encore bien moins que dans l'imitation de bruits ou de sons quelconques. Les gammes représentant les deux adversaires qui se fendent dans le duel de Don Juan, peuvent compter comme une imitation d'un effet visuel. Rossini fait exécuter aux violons de l'orchestre une gamme ascendante de près de trois octaves, au moment où Guillaume Tell abat la pomme placée sur la tête de son fils. Rossini a-t-il voulu peindre le mouvement de la flèche? En ce cas l'imitation est fausse, car la flèche doit suivre une ligne presque horizontale. Ou bien a-t-il voulu rendre le sifflement du projectile? L'imitation est encore fausse, car le sifflement d'une flèche, comme celui d'une balle de fusil, doit baisser d'intonation à mesure que la flèche ralentit son vol, en s'éloignant de son point de départ. Pourquoi Rossini n'a-t-il pas fait siffler aussi la flèche avec laquelle Guillaume tue Gessler? Celle-là assurément devait être décochée avec une vigueur peu commune.

Voici la contre-partie de la gamme de Rossini: Dussek, qui cependant ne manquait pas de talent, a écrit un morceau pour piano intitulé: Les malheurs de Marie-Antoinette; à la fin, une glissade parcourant le clavier de haut en bas peint «la chute du couteau de la guillotine!»

Dans la Création d'Haydn, les exemples de musique imitative abondent, comme on sait. Ce n'est pas la peine de parler de l'ouverture, contenant une peinture du chaos; la meilleure représentation du chaos est celle que font les musiciens d'orchestre, quand ils accordent leurs instruments et que chacun prélude de son côté. Il y a ensuite le mugissement du vent, le vol des légers nuages, la foudre, l'éclair, la neige, la grêle, la rosée, un torrent, un ruisseau paisible, un lion qui rugit, un tigre qui bondit, un cerf léger, un cheval qui s'élance, un serpent qui rampe, etc. Dans l'ouverture des Saisons, Haydn a peint le passage de l'hiver au printemps. Mendelssohn a pris la même peinture pour sujet de l'ouverture de sa cantate: La première nuit de Walpurgis. Les Saisons sont naturellement écrites dans le même système que la Création.

Prenez n'importe quel passage imitatif d'Haydn et considérez-le, en faisant abstraction du texte; vous conviendrez que personne n'y verrait une intention imitative, s'il n'y était engagé par le titre ou les paroles chantées.

Vous direz encore que le même passage ou un passage analogue se trouve ailleurs dans les œuvres d'Haydn ou dans celles d'autres compositeurs, sans aucun effet imitatif. C'est encore et toujours le coup de grosse caisse qui représente, une fois par exception, un coup de canon. La musique de ce genre ressemble à ces vieilles peintures où les personnages par eux-mêmes n'ont pas d'expression ou bien en ont une quelconque; sur une bande qui sort de leur bouche sont écrites les paroles qu'ils sont censés dire, sans paraître en avoir l'air aucunement.

Avant d'aller plus loin, cherchons une règle pour apprécier en quelle manière l'imitation est praticable en musique. A cet effet, prenons des exemples de musique pittoresque, mais où il n'y a point de musique imitative; j'en emprunte deux à la partition écrite par Mendelssohn pour le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, et que tout le monde connaît. Dans l'intervalle entre le deuxième acte et le troisième, Hermia cherche Lysandre et s'égare dans la forêt. La musique rend d'une façon claire et caractéristique l'inquiétude et l'agitation d'une personne cherchant en vain; sa course haletante et vagabonde semble même rendue par le rythme et par l'expression de la mélodie, augmentée d'une heureuse orchestration. Le scherzo qui sert d'intermède entre le premier acte et le second n'a pas de titre; néanmoins on n'a pas besoin de consulter le mélodrame qui suit, pour savoir que ce scherzo représente une danse de lutins; c'est, aussi bien que l'autre intermède, dont je viens de parler, un chef-d'œuvre et un modèle de musique pittoresque. Je pourrais citer encore le menuet des follets dans la Damnation de Faust de Berlioz; seulement, rien dans la musique n'indique que c'est une danse de follets; tout au plus pourrait-on voir une trace de leurs mouvements capricieux et précipités dans le presto à deux temps; le reste est une danse d'une allure modérée, d'un caractère si bien marqué qu'on pourrait deviner quels mouvements des danseurs doivent y répondre. C'est qu'indépendamment de l'expression mélodique il existe un rapport direct entre le rythme et, jusqu'à un certain point, le dessin mélodique d'une part et la danse et la pantomime d'autre part. C'est sur ce rapport qu'est basé l'accompagnement musical de la danse et du jeu mimique, qu'il s'agisse d'une simple danse rustique ou d'un grand ballet de théâtre, ou même d'un opéra. «La musique, dit Noverre, est à la danse ce que les paroles sont à la musique; ce parallèle ne signifie autre chose, si ce n'est que la musique dansante est ou devrait être le poème écrit qui fixe et détermine les mouvements et l'action du danseur… C'est à la composition variée et harmonieuse de Rameau, c'est aux traits et aux conversations spirituelles qui règnent dans ses airs que la danse doit tous ses progrès2. Elle a été réveillée, elle est sortie de la léthargie où elle était plongée, dès l'instant que ce créateur d'une musique savante, mais toujours agréable et voluptueuse, a paru sur la scène. Que n'eût-il pas fait, si l'usage de se consulter mutuellement eût régné à l'Opéra, si le poète et le maître de ballets lui avaient communiqué leurs idées, si on avait eu le soin de lui esquisser l'action de la danse, les passions qu'elle doit peindre successivement dans un sujet raisonné et les tableaux qu'elle doit rendre dans telle ou telle situation! C'est pour lors que la musique aurait porté le caractère du poème, qu'elle aurait tracé les idées du poète, qu'elle aurait été parlante et expressive, et que le danseur aurait été forcé d'en saisir les traits, de se varier et de peindre à son tour.» Une des considérations d'après lesquelles R. Wagner, dans Opéra et Drame, détermine le rôle que doit jouer l'orchestre dans le drame musical, c'est la connexité entre l'expression instrumentale et l'expression mimique.

Je reviens à la musique imitative. Partout où le rapport entre la musique et la mimique est observé, la musique est plutôt expressive qu'imitative; mais il faut essentiellement que l'expression mélodique elle-même réponde à la scène à laquelle la musique se rapporte, autrement nous en reviendrions à peindre un mouvement ascendant par un trait ascendant, une grande profondeur par un grand intervalle musical descendant, bref à tous les enfantillages, à toutes les inepties de la musique imitative proprement dite. Il peut arriver au théâtre que l'orchestre réponde de son mieux à ce qui se passe sur la scène, sans vouloir pour cela en donner une peinture ou une imitation. Pour nous éclairer complètement, nous allons passer en revue un nombre choisi et suffisant d'exemples.

1Essai sur le perfectionnement des beaux-arts par les sciences exactes, ou calculs et hypothèses sur la poésie, la peinture et la musique. Paris, 1891; 2 vol. in-8o.
2Les lettres de Noverre sur la danse ont été publiées en 1760.