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Les illusions musicales et la vérité sur l'expression

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Je prends d'abord le Freischütz, et je m'arrête à la scène de la fonte des balles. A l'apparition des fantômes de la mère et de la fiancée de Max, la musique se conforme au caractère de l'action. La fonte de chaque balle est suivie d'apparitions qui deviennent de plus en plus effrayantes3. Je ne sais trop si l'on peut voir dans la musique les oiseaux sauvages qui viennent sautiller et voltiger autour du feu pendant la fonte de la seconde balle; la figure menaçante de la basse n'indique pas nécessairement, non plus, la course d'un sanglier. L'orage est rendu d'une façon plus explicite; mais la même musique pourrait mieux encore exprimer simplement une grande agitation. Il y a des triolets à l'approche de la chasse fantastique; pour rendre cette chasse elle-même, Weber s'est servi principalement d'un effet harmonique peu usité et qui, par sa persistance, prend un caractère de dureté et de sauvagerie. Dans la conclusion très mouvementée, après la fonte de la sixième balle, c'est le caractère général de la scène qui est rendu, sans aucune trace de musique imitative.

Dans la scène de jeu de Robert le Diable, Meyerbeer accompagne le roulement des dés d'une phrase instrumentale dans laquelle on peut voir une imitation de ce roulement; mais on peut mieux encore y trouver une traduction musicale de la mimique des joueurs; tel devait être aussi le véritable but de l'auteur; à mesure que le jeu devient plus passionné et que Robert perd davantage, la phrase instrumentale devient plus sombre, plus sinistre, ce qui serait un tort si elle n'exprimait que le roulement des dés. La musique de Meyerbeer est donc de la bonne musique scénique. Au contraire, quand au troisième acte du Pardon de Ploërmel, Meyerbeer rend, d'une façon agaçante pour l'oreille, le bruit de la faux aiguisée par le faucheur, il commet une absurdité. Puisque le faucheur aiguise sa faux sur la scène, il peut faire entendre au naturel le cri aigu et perçant de son outil. C'est absolument comme si, chaque fois qu'un acteur marche sur la scène, l'orchestre voulait imiter le bruit de ses pas. Où en viendrions-nous?

Schubert, dans sa mélodie: Marguerite, a-t-il voulu imiter le bruit du rouet? Je ne peux m'empêcher de le penser. Dans la Cloche des Agonisants, il a imité la cloche d'une façon persistante et puérile. Il s'est bien gardé, dans le Roi des Aulnes, d'imiter le galop du cheval; la partie de piano comprend une sorte de tremolo avec une phrase menaçante qui revient dans la basse.

Dans la Damnation de Faust de Berlioz, quand Faust est d'accord avec le diable, tous les deux partent sur un dessin de violon qui peut aussi bien peindre le vol qu'il peut peindre tout autre chose ou ne rien peindre du tout. Réverony Saint-Cyr n'aurait pas manqué d'y ajouter une représentation figurée où l'on aurait vu voltiger Méphistophélès emportant Faust. La course à l'abîme vaut mieux; si elle ne contenait que le galop des chevaux et quelques autres effets imitatifs, ce serait un enfantillage de plus; mais le dessin obstiné qui doit rendre le galop a une expression d'agitation et d'angoisse croissante; les sons plaintifs du hautbois et d'autres effets expressifs, d'autant plus remarquables qu'ils sont obtenus par des moyens très simples, donnent à ce morceau une puissante originalité et amènent admirablement bien l'explosion du pandæmonium, où les forces de l'orchestre et du chœur semblent doublées et triplées.

Il me reste à dire quelques mots des orages en musique. Tout le monde en a fait, tout le monde peut en faire, et rien n'est plus facile; il y a pour cela des moyens bien connus de tous les gens du métier et dont l'emploi ne demande que du métier. Un seul orage en musique est hors de pair, parce que seul, il contient beaucoup plus que du métier; est-il besoin de le nommer? C'est l'orage de la symphonie pastorale de Beethoven. Un roulement de timbales, un tremolo ou un dessin agité des violoncelles et des contre-basses peut passer pour une imitation du tonnerre; mais il en est encore comme d'un coup de grosse caisse qui ne représente que par exception un coup de canon. Un petit dessin des violons, soutenu par un accord donné fort et sec par les instruments à vent, peut figurer l'éclair, quoiqu'il faille y mettre beaucoup de bonne volonté; des gammes chromatiques peuvent rendre le sifflement du vent; on leur fait dire tout ce qu'on veut. Faut-il déterminer aussi le moment où la foudre tombe avec fracas? Quant aux passages où l'on croit entendre des cris de détresse, ou voir les hommes courir pleins d'agitation et de terreur, ils rentrent dans la musique expressive comme les deux entr'actes de Mendelssohn.

Ce qui impressionne l'auditeur beaucoup plus que tous les effets plus ou moins imitatifs, c'est le caractère grandiose et imposant de l'œuvre. Si Beethoven avait voulu peindre quelque immense catastrophe qui remplit les hommes de terreur, d'épouvante, de consternation, il n'aurait pas employé d'autres moyens que ceux par lesquels il a représenté un phénomène de météorologie. Sa musique est admirable, non pas parce qu'elle peint un orage, mais quoiqu'elle soit destinée à en peindre un. Je ne sais si, au commencement de la seconde partie de la symphonie pastorale, Beethoven a songé au balancement et au murmure des eaux d'une rivière; peu nous importe, l'essentiel est que l'accompagnement convient parfaitement à la mélodie et à l'expression calme, suave et ravissante du morceau.

Ce que j'ai dit de l'orage de Beethoven me dispense de parler d'autres orages en musique qui, à peu de chose près, se valent tous. Il y en a non seulement deux dans Guillaume Tell, mais il y en a un aussi dans le Barbier de Rossini et un autre dans la Cenerentola du même maître; ce sont de purs intermèdes, pour laisser reposer les chanteurs. Mendelssohn, qui avait un trop grand penchant pour la musique imitative ou descriptive, a placé un ouragan dans le premier morceau de la symphonie écossaise (en la mineur). On a même écrit bon nombre d'orages pour le piano. Tout le monde connaît celui de Steibelt; Hummel en a inséré un dans une fantaisie intitulée: le Cor enchanté d'Obéron, pour piano, avec accompagnement d'orchestre ou de quatuor; l'auteur imite de son mieux sur le piano l'effet matériel d'un orage; seulement, je le répète, tout le monde peut en faire autant, et dans la vérité, cela ne rend pas plus exactement un orage qu'une flûte petite ou grande ne peut peindre un éclair.

Si l'on veut une règle générale, elle ressort d'effet même. J'ai dit que la musique imitative est plus intelligible quand elle accompagne une action scénique. En ce cas, elle vient au secours du machiniste, ou le remplace. Mais pour avoir sa valeur vraie, il faut la juger, abstraction faite de l'intention imitative. Un exemple pour éclaircir la question.

Dans l'accompagnement du second morceau de la Symphonie pastorale de Beethoven on peut, si l'on veut, voir une imitation du balancement des flots, mais cet accompagnement contribue si admirablement au caractère de la mélodie qu'on ne songe pas à y voir autre chose; la petite imitation du chant d'oiseau est courte, est faite doucement; on a remarqué l'effet délicieux produit par la rentrée de la phrase des violons, et tout le morceau a une suavité, une fraîcheur remarquables qui en font une des plus belles productions de l'auteur.

L'ouverture de Guillaume Tell est formée de quatre morceaux, dont le premier et le troisième sont les plus beaux; le moins important est le deuxième, qui représente un orage, on ne sait pas pourquoi.

Dans la Création d'Haydn, toutes les imitations, non plus que la représentation du chaos, ne valent le final de la première partie, superbe de simplicité et de grandeur. De telles beautés font vivre le nom de l'auteur, qui serait oublié depuis longtemps s'il n'avait fait que des effets imitatifs.

IV
LA MUSIQUE DESCRIPTIVE

La musique descriptive est destinée soit à peindre une scène quelconque, soit à raconter de son mieux les péripéties d'une action dramatique. Les moyens qu'elle emploie sont empruntés, tantôt à la musique imitative et tantôt à la musique expressive; quand celles-ci ne lui en fournissent pas suffisamment, elle ne craint pas de devenir bizarre ou grotesque; il faut qu'elle fasse de la peinture sonore, coûte que coûte.

On ne classe dans la musique descriptive que les œuvres où l'intention du compositeur est visible; non pas celles où il se maintient dans les limites de la musique expressive et dans les formes régulières de la construction d'un morceau. Quelques exemples vont éclaircir immédiatement ce que cette définition peut avoir d'obscur. Dans l'ouverture de Coriolan de Beethoven, la lutte entre la mère et le fils est rendue par le caractère des motifs; la musique reste expressive, la forme du morceau n'a rien d'exceptionnel; l'œuvre serait parfaitement intelligible sans le titre, et l'on ne peut la ranger dans la musique descriptive proprement dite. Il en est de même de l'ouverture de Léonore (ouverture de Fidelio no 3), qui représente à elle seule un petit drame. A part les effets imitatifs que j'ai signalés dans la symphonie pastorale, la musique y reste purement expressive et répond, par son caractère général, aux titres des différents morceaux. Au contraire, dans la symphonie écossaise de Mendelssohn, le premier allegro appartient évidemment au genre descriptif; l'ouragan qui éclate vers la fin n'aurait aucune raison d'être, si le compositeur n'avait pas cherché à rendre autant que possible le caractère d'un paysage montagneux dans une contrée froide et venteuse. Dans la musique purement symphonique, cet ouragan aurait été absolument déplacé, et l'auteur n'aurait même pas songé à en faire un.

 

On peut trouver dans les opéras de Mozart quelques exemples de musique imitative, mais, pour le reste, il n'y pas de musique descriptive. L'ouverture du Freischütz n'a pas besoin d'explication; les divers motifs ont un caractère bien marqué; d'ailleurs, à l'exception du solo de cors du commencement, ils reviennent tous dans la suite. On y voit les péripéties d'une lutte, terminée par le triomphe du bon principe, ou si l'on aime mieux, de l'amour. Il y a moins encore de velléités descriptives dans les autres ouvertures de Weber. Celle du Freischütz a servi de modèle à beaucoup d'autres, quoique Weber, pour l'essentiel, ait eu pour modèle Beethoven. Dans l'allegro de l'ouverture de Don Juan, déjà on peut voir une opposition entre deux motifs de caractère différent, l'un léger et folâtre, l'autre sévère et presque menaçant. Ce qui appartient à Weber, c'est d'avoir construit toute l'ouverture du Freischütz avec des fragments empruntés à l'opéra même, à l'exception de la mélodie de cor; mais cette ouverture garde une unité irréprochable et ne saurait être assimilée aux ouvertures en pot-pourri à la façon d'Auber, par exemple. Aussi, ce qu'on a de mieux à faire aujourd'hui dans les opéras, c'est de ne leur donner qu'un prélude peu développé, au lieu d'une ouverture que le public n'écoute guère, et qui vaut rarement la peine d'être écoutée.

Parmi les ouvertures auxquelles celle du Freischütz a servi de type, se trouvent les premières ouvertures de R. Wagner: celles de Rienzi, du Vaisseau-Fantôme et de Tannhœuser; seulement, dans l'ouverture du Vaisseau-Fantôme, la musique descriptive a un rôle important par la tempête et les luttes du vaisseau maudit. Pour le reste, il est aisé de se rendre compte des intentions du compositeur par les motifs qu'il a empruntés à son opéra pour en écrire la préface.

L'ouverture de la Grotte de Fingal de Mendelssohn appartient au genre descriptif; mais, par la faute du sujet, on ne saurait dire exactement ce que l'auteur a voulu peindre; l'œuvre étant d'ailleurs attrayante et bien faite, les intentions descriptives sont indifférentes aux auditeurs. Elles sont bien claires dans les ouvertures de la Belle Mélusine et du Calme de la mer; cependant Mendelssohn ne s'éloigne guère de la construction régulière d'une œuvre musicale, et l'on ne peut dire que dans ces ouvertures il y ait un grand abus du genre descriptif. D'ailleurs, on ne saurait tracer une limite rigoureuse entre la musique purement expressive et la musique expressive et descriptive à la fois. Les ouvertures de Ruy-Blas et d'Athalie rentrent, à certains égards, dans le domaine de la musique descriptive; mais elles ont une trop grande valeur musicale pour que ce léger défaut leur porte préjudice.

L'ouverture de Struensée de Meyerbeer est de celles dont Weber a fourni le type, mais l'ouverture du Pardon de Ploërmel est une pure aberration descriptive, où l'auteur a voulu raconter ce qui s'est passé un an avant l'action de la pièce. Encore ce récit n'occupe-t-il que la seconde partie du morceau, qu'on pourrait appeler une ouverture à tiroirs. Si l'auditeur ne sait pas d'avance de quoi il s'agit, il trouvera nécessairement énigmatique l'amalgame formé d'une prière à la madone, d'une marche religieuse et d'un banal fracas d'orage.

J'ai gardé pour la fin le grand maître de la musique descriptive, celui qui s'est pour ainsi dire incarné en elle, qui l'a portée le plus haut, celui que d'autres, y compris Liszt, n'ont pu qu'imiter, sans le dépasser, à moins de tomber dans la caricature, ce qui, à la vérité, n'est pas rare. Quand on connaît la nature nerveuse, mobile et irritable à l'excès, de Berlioz, on ne peut s'étonner que la musique soit devenue entre ses mains l'organe de l'exagération de ses sensations et de ses sentiments. La symphonie fantastique est un des monuments de ce genre; elle fut exécutée pour la première fois en 1830. Le sujet est connu; quoi qu'en ait pu croire Berlioz, le programme est indispensable pour que l'œuvre ne soit pas une énigme. Les intentions descriptives y sont trop évidentes pour qu'on puisse y voir un ouvrage purement symphonique, sans demander: Symphonie, que me veux-tu? Ces intentions se font jour dès le premier morceau, surtout dans la seconde partie, car le morceau est divisé en deux compartiments, comme l'ouverture du Pardon de Ploërmel. Les trois morceaux suivants sont moins descriptifs; mais le final est un comble qui a servi et sert encore de modèle à bien des élucubrations grotesques. La plupart de mes lecteurs en connaissent sans doute le programme; je vais le remettre sous leurs yeux comme un exemple d'extravagances descriptives:

Songe d'une nuit de Sabbat.

Il se voit au sabbat, au milieu d'une troupe affreuse d'ombres, de sorcières, de monstres de toute espèce réunis pour ses funérailles. Bruits étranges, gémissements, éclats de rires, cris lointains auxquels d'autres cris semblent répondre. La mélodie aimée reparaît encore; mais elle a perdu son caractère de noblesse et de timidité; ce n'est plus qu'un air de danse ignoble, trivial et grotesque; c'est Elle qui vient au Sabbat… Rugissements de joie à son arrivée… Elle se mêle à l'orgie diabolique… Glas funèbre, parodie burlesque du Dies iræ.

Ronde du Sabbat. La ronde du sabbat et le Dies iræ ensemble.

Tout cela peut être terrifiant pour le pauvre halluciné; encore n'existait-il que dans l'imagination maladive de Berlioz. Le profane, je veux dire l'auditeur, n'y voit qu'une musique à effets curieux, bizarres et amusants par leur bizarrerie même. Mettez donc toute votre peine et votre talent à peindre un sombre et imposant tableau du jugement dernier, pour que les spectateurs ne voient dans les attitudes et les physionomies des personnages que d'amusantes grimaces de polichinelles! C'est à peu près l'effet que produit le sabbat de Berlioz; heureusement, dans les autres morceaux, la musique purement expressive a gardé un empire sinon exclusif, du moins prédominant.

Peu d'œuvres de musique instrumentale de Berlioz sont exemptes de musique descriptive, surtout quand elles ont de grandes proportions; on en trouve non seulement dans la symphonie d'Harold, dans la Damnation de Faust, mais aussi dans les ouvertures, même dans la meilleure, celle du Carnaval romain; ces ouvertures restent cependant bien loin du Songe d'une nuit de sabbat. L'œuvre la plus intéressante et la plus instructive pour la musique expressive en même temps que descriptive, c'est la symphonie: Roméo et Juliette.

Berlioz a mis en tête de la partition une préface dont quelques lignes nous intéressent spécialement. La raison qu'il donne de ce qu'il a employé les parties vocales dès le début, c'est, dit-il, «afin de préparer l'esprit de l'auditeur aux scènes dramatiques dont les sentiments et les passions doivent être exprimés par l'orchestre». Plus loin, il explique pourquoi, dans les scènes du jardin et du cimetière, le dialogue des deux amants, les a parte de Juliette et les élans passionnés de Roméo ne sont pas chantés; pourquoi, enfin, les duos d'amour et de désespoir sont confiés à l'orchestre; «les raisons, dit-il, en sont nombreuses et faciles à saisir». Il en donne trois; la première, c'est qu'il a écrit une symphonie et non pas un opéra; la seconde, c'est que les scènes d'amour ayant été traitées mille fois par les grands maîtres de la musique vocale, il était prudent, autant que curieux, de tenter un autre mode d'expression. Enfin, troisième et principale raison: «La sublimité de cet amour en rendait la peinture si dangereuse pour le musicien, qu'il a dû donner à sa fantaisie une latitude que le sens positif des paroles chantées ne lui eût pas laissée, et recourir à la langue instrumentale, langue plus riche, plus variée, moins arrêtée, et par son vague même, incomparablement plus puissante en pareil cas.» C'est dire clairement que l'orchestre peut rendre, beaucoup mieux que la musique vocale, la sublimité de l'amour de Roméo et de Juliette. Voilà précisément le point litigieux sur lequel Berlioz s'est fait illusion toute sa vie; R. Wagner est de mon avis, autrement il n'aurait pas mis tous ses efforts à réformer la musique théâtrale et à la porter à sa plus haute et plus noble puissance. On est libre de croire qu'il n'y a pas réussi; ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. En tout cas, la peinture symphonique de l'amour de Roméo et de Juliette, si connue qu'elle soit, n'a pas dû gagner à la thèse de Berlioz beaucoup de prosélytes.

J'ajouterai quelques observations sur certaines parties de la symphonie. Dans la première partie, le tumulte et le combat des deux groupes ennemis sont rendus par un motif agité qui est développé dans un travail fugué; le prince calme la dispute par un récitatif de trombones et d'ophicléide. Une représentation mimique serait un commentaire nécessaire à la musique; l'auditeur doit y suppléer par son imagination, ainsi qu'il en est averti par le titre du morceau. La scène de Roméo, seul dans le jardin de Capulet, est expressive pour la plus grande partie, parce que Berlioz avait à traduire des sentiments et non pas à raconter une histoire. Mais quand ensuite la mélodie de Roméo est répétée fortissimo par les trombones, pendant le bal, on n'y doit voir qu'un artifice de contrepoint, et non pas Roméo hurlant à pleine gorge son amour auquel il avait d'abord donné, pour organe discret, le hautbois.

Le duo d'amour resterait forcément une énigme pour la masse du public, si celui-ci ne se bornait pas au plaisir d'entendre la musique, sans se préoccuper de ce que le compositeur a voulu dire.

En analysant le morceau, on peut y distinguer la peinture du calme de la nuit, l'expression de l'amour de Roméo, les a parte timides de Juliette; la traduction de plus en plus passionnée des sentiments des deux amants, l'agitation et l'inquiétude, les regrets de se quitter, les derniers adieux; mais je prétends que tout cela n'existe que pour les musiciens experts, et non pas pour la masse du public; la faute en est au «vague» même de l'expression musicale, comme Berlioz en est convenu dans sa préface. Ce vague existe surtout quand l'art musical veut dépasser ses limites naturelles, comme il le fait dans la musique imitative et descriptive.

Dans la scène des tombeaux, un juge exercé peut distinguer fort bien les diverses phases de l'action, depuis l'arrivée de Roméo jusqu'à la mort des deux amants; mais cette scène aurait absolument besoin d'être accompagnée d'une représentation mimique. Dans un concert elle paraît énigmatique, bizarre, incohérente, précisément parce que l'imagination de la grande majorité des auditeurs ne peut suppléer à l'action théâtrale qui manque, et dont la corrélation avec la musique leur reste une énigme.

On a vu que telle musique descriptive peut devenir admissible, si elle est accompagnée de l'action théâtrale à laquelle elle est censée répondre; mais très souvent cette action est impossible, comme, par exemple, dans le Sabbat de la symphonie fantastique, la légende russe Sadko de M. Rimsky-Korsakof et une foule d'autres œuvres. Le compositeur a beau se faire illusion, il se heurte toujours au même écueil: l'incapacité du public, malgré le programme explicatif, de suppléer à l'action absente. Ce n'est pas le public qui a tort, c'est le compositeur; tant pis pour lui quand, non content d'être énigmatique, il devient grotesque.

Voici, comme curiosité, le programme de Sadko:

En pleine mer, un pouvoir magique arrête le navire où se trouve Sadko, riche marchand de Nowgorod et célèbre cithariste. Désigné par le sort comme victime expiatoire, Sadko est précipité par-dessus bord. Aussitôt un courant mystérieux l'entraîne au fond des abîmes et le porte à la cour du génie souverain des eaux, lequel célèbre les noces de sa fille. Sadko reçoit l'ordre de jouer de la goussla (cithare). Aux sons de plus en plus animés de l'instrument, tout s'agite à l'entour de proche en proche, et le navire finit par sombrer dans la danse tumultueuse des flots.

Alors Sadko brise les cordes de la goussla, et l'Océan redevient calme.

A part la danse de plus en plus tumultueuse, la musique a peu de prise sur ce programme; aussi la danse fournit-elle la partie principale du morceau.

Malheureusement, l'auteur s'est dit un beau jour qu'il imitait Berlioz, et il voulut faire autrement. Il se mit à écrire de la musique à programme, comme Antar, où il est impossible de voir un rapport entre le programme et la musique. Il refit, d'après les mêmes idées, Sadko; je ne l'ai pas reconnu. En cas pareil, le mieux est ennemi du bien.

 

Poussée à ses dernières limites, la musique imitative et descriptive non seulement manque son but, mais tombe dans un réalisme grossier, antipathique à l'art véritable.

Ce réalisme peut se présenter encore d'une autre façon. Dans le finale du premier acte de Don Juan, Mozart a placé sur le théâtre deux petits orchestres jouant des airs de danse différents de celui que joue l'orchestre dans la salle. L'idée de cette plaisanterie lui a été fournie par la disposition des danseurs aux bals masqués de la Cour, selon les différentes classes de la société. Renchérissant sur Mozart, Meyerbeer, dans le finale du second acte de l'Étoile du Nord, a employé quatre orchestres et le chœur, à savoir: l'orchestre de la salle; une musique de grenadiers composée de fifres, de petites clarinettes et de tambours, jouant un pas redoublé; puis, une fanfare de cavalerie composée de trompettes et de cornets à pistons; enfin une musique d'infanterie exécutant une marche populaire (Dessauer Marsch), et le chœur chantant le serment. Le tout est combiné de manière qu'à la fin les quatre orchestres et le chœur se font entendre à la fois. La mélodie populaire sert de motif principal; les trois autres motifs, exécutés sur la scène, ne peuvent manquer d'être ou fort simples ou quelque peu tourmentés. L'ensemble n'est que bruyant. Meyerbeer a-t-il voulu peindre le tumulte d'un camp? La marche populaire est assez banale; on ne comprendrait pas que Meyerbeer eût fait d'un pont-neuf allemand une marche sacrée russe, si l'on ne savait que le finale est emprunté au Camp de Silésie, opéra-comique allemand, dont plusieurs morceaux ont été conservés dans l'Étoile du Nord. Il est bien entendu que je ne critique pas l'emploi d'un orchestre sur le théâtre, quand il a une raison sérieuse d'être et ne constitue pas un bizarre tour de force, comme le finale avec quatre orchestres de Meyerbeer, digne pendant de l'ouverture du Pardon de Ploërmel.

Presque toujours les compositeurs de musique se font illusion dans les programmes qu'ils se tracent; ils croient sérieusement exprimer plus qu'ils ne peuvent dire. R. Wagner lui-même s'est fait illusion (il en est revenu), quand dans le prélude de Lohengrin, dont il nous a conservé le programme, il a voulu peindre la venue des anges, rapportant sur les hauteurs du Montsalvat la coupe du saint Graal, qu'avait touchée le sang du Christ et qui, retirée un jour aux hommes, est rendue à la terre par la miséricorde divine. Wagner aurait ainsi raconté ce qui s'est passé avant le commencement du drame, tout comme a voulu le faire Meyerbeer dans l'ouverture du Pardon de Ploërmel.

Le programme du Concertstück de Weber est trop intéressant et trop peu connu pour que je ne le donne pas ici.

C'est en 1821, le matin du jour où devait avoir lieu la première représentation du Freischütz, que Weber acheva le Concertstück4; puis il en apporta les feuillets encore humides à sa femme, près de laquelle se trouvait Benedict, son élève favori. Il se mit gaîment au piano et joua le morceau d'un bout à l'autre, en traçant lui-même le programme, que Benedict nota ensuite de souvenir, mais que Weber ne voulut jamais laisser imprimer en tête de l'œuvre.

Larghetto.—La châtelaine est à son balcon; elle interroge tristement l'horizon; son chevalier est parti depuis bien des années pour la Palestine. Le reverra-t-elle jamais? Des combats sanglants ont eu lieu, et aucun message de lui! En vain elle prie Dieu.

Allegro appassionato.—Soudain, un affreux tableau se présente à son esprit halluciné: il est étendu sur le champ de bataille, abandonné des siens; le sang coule à flots de sa blessure. Ah! que n'est-elle à ses côtés!… pour mourir du moins avec lui!…

Adagio et tempo di marcia.—Mais écoutez! quel bruit se fait entendre au loin! Des armures brillent au soleil, là-bas, sur la lisière de la forêt! Les arrivants s'approchent de plus en plus: ce sont des chevaliers et des varlets portant la croix; on voit flotter les bannières; on entend les cris du peuple, et là-bas, c'est lui!

Più mosso, presto assai. Elle vole au-devant de son bien-aimé; il se précipite dans ses bras. Quels élans d'amour! Quel bonheur indescriptible! Comme tout frissonne dans les bois et dans les blés, proclamant par mille voix le triomphe de l'amour fidèle!

Évidemment, il ne faut pas prendre ce programme au pied de la lettre, mais le sens général est incontestablement exact.

Le morceau entier pourrait même paraître une pure fantaisie, si la marche n'était pas un indice du contraire. En effet, si Weber n'avait pas suivi un programme, il ne se serait pas contenté de répéter deux fois le charmant motif de marche pour l'abandonner complètement ensuite. Un tel procédé serait inexplicable dans un morceau d'une forme parfaitement régulière.

Il serait facile de tracer le programme de l'Invitation à la valse; sans le titre et la reprise d'une partie de l'introduction à la fin du morceau, on ne se douterait certes pas que l'auteur a suivi un programme; l'allegro est d'ailleurs d'une forme très régulière. Au fond le titre de l'œuvre n'est pas exact, puisque le mot invitation ne s'applique évidemment qu'à l'introduction.

Avec un peu d'imagination on peut toujours et sans peine faire des programmes, soit avant, soit après la composition d'une œuvre. Je ne sais qui a tracé, pour la symphonie en la majeur de Beethoven, le programme d'une Noce de Village. M. Pasdeloup, après l'avoir accepté comme authentique, y a renoncé au bout de quelques années.

Voici un fragment d'une analyse de la marche funèbre de la symphonie héroïque; il concerne la seconde partie, en ut majeur;

On croit voir le ciel s'ouvrir; écoutez cette mélodie consolante qui alterne du premier hautbois à la première flûte! La poitrine se dilate, on respire plus librement, on espère… Cependant les cors, qui tout à l'heure nous versaient le baume des consolations, ont à cette heure changé de rôle; quelle harmonie déchirante, quelle inquiétude, quelle vague souffrance dans ces notes prolongées! Les premiers et les seconds violons accompagnent en triolets; ils sont encore neutres, mais la basse avec l'alto vient, par une figure en imitation, obscurcir l'éclair de joie par un scepticisme méfiant et ironique; aussi, déjà la somme du doute égale au moins les chances d'espoir!

Après un forte de tout l'orchestre, le chant simple vient aux violons; le premier hautbois exécute le même chant, mais figuré; maintenant la douleur est la plus forte; entendez-vous ces larmes? Le quatuor et les instruments à vent se répondent par des sanglots; on a vu luire, par intervalles, un rayon consolateur; il disparaît pour reparaître encore, mais cette fois, ce n'est plus une erreur: il s'accroît, il s'étend, il domine les larmes; devons-nous passer par de nouvelles émotions? Devons-nous croire que tout salut n'est pas encore fermé?

Avec quelle puissance chacun se rattache à cette pensée bienfaisante comme des naufragés aux agrès disjoints de leur navire! Tous les instruments rendent admirablement cette intention par un fortissimo… Mais, silence! tout se tait; non pas tout: le quatuor, qui tenait l'ut à l'unisson, le conserve, le prolonge, le jette comme un signal d'alarme… Insensés! Vous pensiez toucher au port; c'est pour mieux se jouer de vous, c'est pour mieux déchirer votre âme que l'auteur vous fait traverser toutes ces fluctuations de doute et d'espoir! Le quatuor, par une phrase solennelle qui descend comme dans les profondeurs d'un abîme, revient au terrible motif du commencement en ut mineur. Quelle admirable péripétie! Cette fois tout est fini… Plus rien; rien que cette voix glaciale qui paraît encore plus aride et cruellement railleuse; le cœur se serre, les yeux ne pleurent plus; c'est une douleur sans remède et sans soulagement; on n'a plus qu'à souffrir intérieurement les tortures de l'enfer!

Au fond, ce n'est pas là un programme, mais seulement une analyse dans un style trop imagé et assez usité au temps où elle fut écrite. Voici maintenant une analyse-programme de la Dernière Pensée de Weber, programme d'autant plus divertissant que la Dernière Pensée, comme on sait, est simplement extraite d'un cahier de six valses de Reissiger, grâce à une supercherie d'éditeur, tout comme le Désir de Beethoven doit être restitué à Schubert, et l'Adieu de Schubert à Weyrauch.

3Il s'agit, bien entendu, de la pièce telle qu'elle doit être jouée et non pas de la manière dont on l'a toujours dénaturée à Paris.
4Il ressort d'une lettre de Weber que le plan de l'œuvre était déjà tracé dans son esprit en 1815.