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Les illusions musicales et la vérité sur l'expression

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VI
LA FOLIE, L'EXTASE, LE MYSTICISME ET LA SATYRE EN MUSIQUE

On dit généralement que la musique exprime des sentiments; j'en conclus qu'elle ne peut pas rendre ce qui appartient purement à l'intelligence, et que, par conséquent, elle ne peut pas non plus en peindre les aberrations. Telles sont la folie, l'extase, le mysticisme. Je ne veux empêcher personne de croire à l'extase religieuse ou autre; je raisonne seulement au point de vue psychologique et musical.

Dans la Muette de Portici, Masaniello perd la raison un peu avant d'être assassiné. A part le retour intempestif de fragments de la barcarolle du second acte, le désordre est dans les paroles, mais non pas dans la musique. Le plus souvent, la folie n'est qu'un prétexte à airs de bravoure; mais comme on emploie continuellement des airs de ce genre sans qu'il y ait folie, la musique est la même, qu'un personnage ait son bon sens ou qu'il ne l'ait pas. La situation théâtrale sert simplement d'excuse; par exemple Lucie de Lamermoor, au troisième acte de l'opéra de Donizetti, ne songerait pas à chanter un air de bravoure, si elle avait conservé sa raison. A cela près, l'air qu'elle dit n'est pas plus fou que celui qu'elle a chanté auparavant. On appliquera les mêmes observations à la folie d'Ophélie, dans Hamlet de M. A. Thomas, à la folie de Catherine, dans l'Etoile du Nord de Meyerbeer et à celle de Dinorah, dans le Pardon de Ploërmel.

L'extase de Sélika, au cinquième acte de l'Africaine, est une folie causée par les émanations délétères attribuées par Scribe aux fleurs du mancenillier. L'extase de Marcel, dans les Huguenots, est moins maladive; pour la rendre musicalement, Meyerbeer a écrit une mélodie large, quelque peu italienne et qui n'est certes pas une des meilleures de l'ouvrage. Raoul et Valentine chantent absolument comme Marcel, quoiqu'ils ne soient pas visionnaires comme lui. Quant aux moyens d'instrumentation qu'on peut employer en pareil cas, la harpe, les violons avec sourdines, le tremolo à l'aigu, les effets doux de flûte, de hautbois, de clarinette, de cors et de bassons, on s'en sert également dans des scènes qui n'ont rien d'extatique.

Iseult aussi meurt dans une sorte d'extase; voici ses dernières paroles: «Dans les ondes de l'océan de délices, dans la sonore harmonie des vagues de parfums, dans l'haleine infinie de l'âme universelle, se perdre, s'abîmer sans conscience, suprême volupté!» R. Wagner, cependant, n'a prétendu mettre dans sa musique ni mysticisme, ni panthéisme: la partie instrumentale et, par endroits aussi, la partie vocale sont empruntées, pour l'essentiel, au duo d'amour du second acte de Tristan.

A-t-on fait de la musique mystique? Je n'ose trop l'affirmer; en tout cas, on n'a pu s'y prendre autrement que pour l'extase.

Schumann a mis en musique des scènes du Faust de Gœthe; il a développé particulièrement la scène finale, véritable débauche poétique, mystique et allégorique. On y voit Pater extaticus (probablement St-Antoine d'Egypte), planant en l'air, tantôt en haut et tantôt en bas, Pater seraphicus (St-François d'Assise) dans la région intermédiaire, Pater profondus (St-Bernard de Clairvaux) dans la région profonde, Doctor Marianus (Duns Scott) ravi en extase, Mater gloriosa (la Madone), la grande Pécheresse (Marie-Magdeleine), la Samaritaine (Évangile selon St-Jean, chap. IV), Marie l'Egyptienne (personnage de la légende), Marguerite, un chœur d'anachorètes, un chœur de pénitentes, un chœur d'enfants mâles bienheureux, le chœur des jeunes anges, le chœur des anges portant l'âme immortelle de Faust, enfin un chœur d'anges accomplis. Les enfants dont il est question, sont morts quelques instants après leur naissance; ils n'ont pas connu la misère de la terre; c'est pour cela que le poète les appelle les enfants de minuit, la croyance populaire attribuant une destinée heureuse aux enfants qui naissaient à cette heure. Pater seraphicus les prend et les loge dans son cerveau, pour leur faire voir par ses propres organes ce monde qu'ils n'ont pas eu le temps de connaître; puis il leur donne la volée: conception bizarre que Gœthe a empruntée aux visions de Swedenborg, comme Berlioz y a pris le charabia des démons. Le tout se termine par le Chorus mysticus célébrant l'Eternel-Féminin.

Rien dans la musique de Schumann n'indique qu'il y a des personnages surnaturels ou symboliques. Mater gloriosa dit quelques mots seulement, qu'elle psalmodie sur des notes répétées, comme fait ensuite aussi le Docteur Marianus. La progression harmonique qui soutient les parties vocales en cet endroit est d'un bel effet, mais sans rien de mystique. Bref, le style de Schumann est le même dans tout l'ouvrage, que les personnages appartiennent au ciel, à la terre, à l'enfer ou à la pure fantaisie du poète.

Si M. Massenet a voulu mettre du mysticisme musical dans les légendes de Marie-Magdeleine et de la Vierge, il a tout à fait manqué son but; car on lui a généralement attribué l'intention de traiter des sujets légendaires ou bibliques au point de vue purement humain; il en a fait autant dans Eve. Dans le finale de Marie-Magdeleine, le Christ ressuscité apparaît à Méryem, qui en est «extasiée» et saisie d'une «ivresse infinie.» La Vierge se termine par l'extase et l'Assomption de la mère du Sauveur. Il n'est pas difficile de voir que dans ces deux morceaux on pourrait, sans faire aucun tort à la musique, remplacer les paroles par d'autres, étrangères à la religion, au mysticisme et au surnaturalisme.

Je ne sais si, dans le chant de la Sulamite d'Hérodiade, M. Massenet a voulu faire du mysticisme; en tout cas, il n'a pas fait une véritable chanson d'amour; de quelque manière que j'envisage sa musique, elle me paraît absurde.

Je pourrais aussi trouver une trace de mysticisme dans les paroles du monologue de Jean-Baptiste, au dernier acte du même opéra, mais la musique de M. Massenet me ferait trop beau jeu.

Dans le manuscrit du Prophète, Meyerbeer avait mis l'indication «avec ironie» dans le finale du quatrième acte, à l'endroit où le chœur chante:

 
Tout est possible au roi prophète,
Tout est possible au fils de Dieu,
 

Je ne vois pas comment on s'y serait pris pour mettre l'ironie dans ces paroles; l'indication a été nulle et non avenue; je me suis abstenu de la faire reproduire dans la partition piano et chant et dans la partition d'orchestre.

Liszt a écrit pour le piano trois valses, intitulées Méphistophélès; il a suivi sa fantaisie; il a pu représenter très imparfaitement Faust et Marguerite, mais Méphistophélès est absolument impropre à une représentation musicale.

On regarde ordinairement le diable comme un ange déchu; l'idée est fort critiquable, et ce n'était point celle de Gœthe. Son Méphistophélès est simplement le contraire de Dieu; il est le fils des ténèbres, il ne connaît pas le bien, il est incapable de le voir; il ne voit et ne connaît que le mal, il trouve tout si misérable qu'il vaudrait mieux que rien ne fût créé. Il ne s'occupe pas d'ailleurs du gouvernement des étoiles, l'homme seul excite son attention.

 
Tout cloche et boite sur la terre;
L'homme est un si pauvre animal
Que je n'ai pas le cœur de lui faire du mal:
Il me donne un bon caractère.
 

Méphistophélès n'a un peu de satisfaction que lorsque tout se détruit; mais ce qui l'ennuie, c'est que tout renaît; lui-même n'a que les instincts les plus vils, les plus bas, et il les montre sans détour dans différentes circonstances. Il a fait en quelque sorte un pari avec Dieu, et il a conclu un pacte avec Faust. Il a perdu dans les deux cas, mais il ne le croit pas. Il perdrait tous les paris possibles, il croirait que c'est Dieu qui a abusé de sa puissance.

Après l'invention du contrepoint, on a poussé jusqu'à l'abus les transformations d'un motif. On a fait des imitations par mouvement semblable, par mouvement contraire, par mouvement rétrograde, par augmentation, par diminution, etc. On a changé l'harmonie d'un motif, on l'a varié, transformé, on l'a changé en valse, en galop. Les grands maîtres ont écrit des variations qui sont de véritables développements; il y a bien plus de compositions encore écrites pour l'amusement des grands et des petits enfants et où un motif est traité de toutes les façons possibles et librement transformé. On n'a jamais vu là une intention ironique ou satyrique. Dans un portrait, il suffit de quelques petites altérations pour en faire une caricature. Il n'en est pas de même en musique, quoiqu'on puisse facilement dénaturer un motif. Berlioz, cependant, dans le Sabbat de sa Symphonie fantastique, fait revenir la mélodie représentant l'idée fixe avec des changements qui doivent la rendre vulgaire et burlesque. On se trompe d'ailleurs quand on traite ses symphonies comme une œuvre de jeunesse. On ignore un fait capital; Berlioz retouchait ses compositions jusqu'à ce qu'il en fût parfaitement satisfait; alors seulement il y inscrivait un numéro d'œuvre et faisait graver la partition d'orchestre. C'est par suite de sa mort et de celle de son exécuteur testamentaire que la partition d'orchestre des Troyens est restée en manuscrit. Berlioz dit lui-même que la Symphonie fantastique n'est plus du tout ce qu'elle était au début; il la donne donc comme sienne, tout autant que Roméo et Juliette, Harold en Italie et les autres œuvres publiées en partition d'orchestre.

VII
LES CARACTÈRES DES GAMMES ET DES MODES

Une dernière absurdité que je ne saurais passer sous silence, quoiqu'elle paraisse aujourd'hui avoir perdu tout crédit, ce sont les caractères attribués aux différentes gammes. Les Grecs déjà avaient une théorie de ce genre; mais leurs savants ont dit bien d'autres erreurs; laissons donc les Grecs. J. J. Rousseau, dans son dictionnaire de musique, ne donne que des indications assez vagues; il trouve les gammes majeures avec dièses, gaies et brillantes; les majeures avec bémols, majestueuses et graves; les mineures avec bémols, touchantes et tendres. Grétry, selon son habitude, croyant dire des choses très profondes, n'est que ridicule; en voici quelques exemples:

 

«La gamme d'ut majeur est noble et franche; celle de sol majeur est guerrière, mais sans avoir la noblesse de celle d'ut; la gamme de si bémol majeur est noble, mais moins que celle d'ut majeur, et plus pathétique que celle de fa majeur; la gamme de si majeur est brillante et folâtre; celle de fa dièse majeur est dure parce qu'elle est surchargée d'accidents» (elle n'en a qu'un de plus que celle de si).

«En général, les gammes mineures portent une teinte mélancolique; elles conviennent à tous les sentiments abstraits, métaphysiques..... La gaîté d'un vieillard doit s'exprimer en ut majeur, celle d'une petite fille, en mi majeur. Si vous faites chanter un guerrier ou un amoureux triomphant, dans le ton de mi bémol majeur, je croirai que le récit de ses exploits se terminera par une catastrophe.»

En Allemagne, les théories de ce genre ont eu une certaine vogue; l'inventeur en est Schubart, que d'autres esthéticiens ont imité en renchérissant sur lui. Schubart voyait en mi mineur une jeune fille à la robe blanche; en mineur le spleen et les vapeurs, en si bémol mineur des idées de suicide; en fa dièse mineur, un chien hargneux, et dans les trois bémols de mi bémol majeur (qui terrifiaient Grétry) le symbole de la Sainte-Trinité. Un auteur a même prétendu que le ton de si mineur agit le plus puissamment sur le système nerveux, attendu qu'un violoncelliste se trouvait malade chaque fois qu'il avait joué en ce ton. J. J. Rousseau (dans son article: Musique) rapporte un effet plus curieux, produit par la cornemuse. Les ouvrages de médecine en racontent bien d'autres au chapitre des idio-syncrasies.

On a dit souvent que les gammes avec dièses sont d'autant plus brillantes que le nombre des dièses est plus grand et que les gammes avec bémols suivent la progression inverse. C'est encore faux, puisqu'au delà de quatre accidents les gammes avec dièses et celles avec bémols se confondent; il est impossible à un auditeur de distinguer si un pianiste ou même tout un orchestre joue en si ou en ut bémol, en fa dièse ou en sol bémol, etc. Sans y songer, on a attribué une sorte de valeur cabalistique à de simples signes d'écriture. Dans le fait, il n'y a qu'une gamme majeure et une gamme mineure, qu'on peut chanter ou jouer plus haut ou plus bas, mais qui restent toujours les mêmes, sous réserve de certaines circonstances spéciales que je vais indiquer.

Il est évident, d'abord, que sur un piano accordé au tempérament égal, c'est-à-dire où tous les demi-tons sont égaux, toutes les gammes possibles ne sont que des transpositions très exactes des deux gammes types. Le tempérament, d'ailleurs, ne peut donner que des gammes et des intervalles plus ou moins justes, plus ou moins faux ou discordants, sans les rendre pour cela plus aptes à l'expression de tel ou tel sentiment. Si, sur le piano, certaines gammes paraissent plus brillantes que d'autres, cela tient à des facilités de doigter; ainsi le ton de bémol majeur peut compter parmi les plus brillants; c'est dans ce ton que Weber a écrit son Invitation à la valse; Berlioz, en arrangeant le morceau pour orchestre, l'a transposé en majeur, parce que sur les instruments à archet les tons les plus brillants sont ceux où les cordes à vide sont employées le plus souvent. Glinka de son côté a transcrit l'Invitation pour orchestre, mais en conservant le ton de bémol. C'est Berlioz qui a eu raison. Sur tous les instruments, ce sont des détails de construction qui donnent plus ou moins d'éclat à la sonorité. Ainsi, sur le cor d'harmonie, le ton ou corps de rechange le plus avantageux est celui de fa, parce que la longueur du tube est dans la meilleure proportion avec son diamètre. L'accord des instruments employés dans la musique militaire, répond en général à des tons bémolisés au piano: petite flûte en bémol, clarinettes en mi bémol et si bémol, cornets à pistons en si bémol, trompettes en mi bémol, trombones en si bémol, saxhorns et saxophones en si bémol et en mi bémol.

Ce qu'il y a de plus plaisant, c'est le ton convaincu et majestueux avec lequel les pontifes des systèmes à la Schubart défendaient leur foi. On leur citait une quantité de morceaux de musique donnant un démenti à leur théorie; ils répondaient que les compositeurs avaient eu tort et que leur musique aurait encore été meilleure, si elle avait été écrite dans les tons répondant exactement aux sentiments qu'elle devait exprimer. On leur prouvait que la construction des instruments ne leur était pas plus favorable; ils répliquaient que leur système était indépendant du tempérament et de la facture instrumentale; que les caractères propres aux différentes gammes étaient inhérents à leur nature, quoique nous ne pussions pas nous en rendre raison. Bref, c'était un mystère insondable; on n'avait qu'à s'incliner et à dire comme Tertullien: Credo quia absurdum, j'y crois parce que c'est absurde7.

Ce qui est hors de doute, c'est le caractère différent du mode majeur et du mineur; mais ce n'est pas par la gaîté et la tristesse qu'on pourra les définir.

VIII
LA MUSIQUE RELIGIEUSE

Vous connaissez la fable de l'enfant à la dent d'or, sur laquelle on a disserté à perte de vue, oubliant une seule chose: de vérifier si la dent était bien d'or. Il en est de même de la musique religieuse; c'est, dira-t-on, l'expression du sentiment religieux. Et qu'est-ce que le sentiment religieux? C'est le sentiment de notre dépendance envers Dieu. Alors l'amour, c'est le sentiment de notre dépendance envers une personne de l'autre sexe; la colère est le sentiment de notre dépendance d'une personne ou d'un objet qui contrarie nos projets; ainsi de suite. Toutes ces dépendances ne nous apprennent rien; et remarquez que la définition du sentiment religieux doit convenir également bien aux chrétiens, aux juifs, aux mahométans, aux boudhistes, aux brahmanistes, aux panthéistes, aux polythéistes, et même aux sauvages adorateurs du grand Esprit.

Quand vous aurez trouvé une définition du sentiment religieux, il reste une autre question: comment la musique peut-elle exprimer ce sentiment? On pourra discuter sur ce sujet, comme sur la dent d'or; voyons donc si celle-ci est d'or, c'est-à-dire s'il existe une musique religieuse.

La première chose que nous remarquons, c'est que partout où s'est fondé une religion ou un parti religieux, on a pris la musique qu'on avait sous la main, et l'on ne pouvait faire autrement. Lors même que, par exemple, les Israélites posséderaient des mélodies fort anciennes, ces mélodies seraient surannées et ne pourraient leur servir. Les Hindous ont probablement des mélodies d'une haute antiquité, mais nous ne pouvons en faire usage.

Les premiers chrétiens empruntèrent la musique des Grecs; c'était une musique de la décadence, que nous connaissons encore mal, mais peu importe. Le fait d'un emprunt paraît incontestable; il fournit le plain-chant, qui, plus tard, fut traité comme obligatoire, et forme une partie essentielle du service dans les églises du culte catholique romain; car il ne faut pas oublier qu'il existe deux églises catholiques. Les défenseurs du plain-chant sont donc obligés de soutenir que c'est bien de la musique religieuse et même de la musique religieuse par excellence. Mais ils s'engagent dans une plaisante contradiction. Ils veulent en même temps nous persuader que c'est de la musique grecque très authentique. Or, si c'est de la musique grecque, c'est de la musique très païenne; par quel miracle du Saint-Esprit cette musique païenne est-elle devenue la musique chrétienne religieuse sans égale? Le système musical usité était simplement notre gamme diatonique à laquelle les Grecs étaient revenus. Comme on ne voyait pas de raison de commencer la gamme par telle note plutôt que par telle autre, on en déduisit sept échelles, mais on ne tarda pas à s'apercevoir que l'équivalence des degrés, que l'on avait supposée, n'existait pas. On appela finale la note sur laquelle devait terminer un chant, et dominante la note qui revenait souvent et sur laquelle s'établissait la psalmodie. La première pierre d'achoppement, ce fut si; il servait mal à la psalmodie et on le remplaça, à cet effet, par ut. De plus, si formait avec fa une fausse relation (diabolus in musica); on conjura ce diable en mettant un bémol devant le si, chaque fois qu'il en était besoin; on réduisit les sept gammes à quatre, ayant pour finale ré mi fa sol. Pourquoi ces quatre? On ne l'a jamais dit. Puis on ajouta à ces quatre échelles quatre autres ayant la même finale, mais une autre dominante, et placées un peu plus bas. L'échelle commençant par ut, put ainsi reparaître comme dérivé (plagale) de celle de fa (authentique) ayant pour finale fa avec si naturel, mais pour dominante la, tandis que la dominante de la gamme authentique était ut.

Ce système, parfaitement arbitraire et faux, est ce qu'on appelle les huit tons du plain-chant. Il régnait dans l'église; mais le peuple? Quand, sous Charlemagne, on voulut introduire le plain-chant romain en France, on trouva de grandes difficultés. M. de Coussemaker, qui a fait une étude spéciale de l'harmonie au moyen âge, dit que ces difficultés provenaient de ce que le peuple employait une tonalité se rapprochant de la tonalité moderne.

L'invention de l'harmonie fut une nouvelle inconséquence, mais il la fallait bien. L'harmonie créa des relations nouvelles plus ou moins précises; les accords dissonants marquaient des tendances manifestes; puis la musique de danse devait être rythmée, ce qui supposait une construction assez régulière des phrases. On connaît la Romanesca, air de danse du XVIe siècle complètement écrit dans la tonalité moderne, c'est-à-dire en majeure et en mineure.

Jamais le principe natura non facit saltum (la nature ne fait pas de saut) ne fut plus vrai. Fétis, imitant Choron, attribua les nouveautés harmoniques qui décidèrent de la victoire du système moderne, à Monteverde, dont le vrai nom est Monteverdi; M. Gévaërt les a trouvées dans les œuvres de Caccini. Je pense que le coup de grâce fut donné à l'ancien système par la création de l'opéra devant ressusciter l'ancienne tragédie, et qui date de la même époque. L'expression passionnée n'est possible qu'avec la tonalité moderne.

Berlioz fit observer avec raison que la tonalité moderne peut produire tous les effets de la tonalité ancienne, puisqu'elle la comprend. Si certains effets usités autrefois sont plus rares maintenant, c'est parce que nous avons des ressources beaucoup plus riches et plus efficaces.

Cependant, obligés de défendre les commandements de l'église, les champions du plain-chant soutiennent que la musique actuelle nous a rendus moins aptes d'apprécier ces chants d'un autre âge. La peinture actuelle nous empêche-t-elle de juger les mérites des maîtres primitifs, la peinture chinoise ou japonaise? Les physiciens, depuis deux cents ans et plus, nous ressassent une gamme que les musiciens déclarent inexacte. Les physiciens répondent que la musique actuelle a perverti l'oreille des musiciens. Prenez un sourd de naissance, mais sourd comme un pot; demandez à la Providence de faire un miracle,—elle en fait encore quelquefois,—et de donner subitement l'ouïe à ce sourd. Ce sera le vrai juge en musique, au gré des physiciens et des plains-chantistes.

Il n'y a pas, d'ailleurs, une seule sorte de plain-chant, et l'on en entend de plus varié ou plus orné que le plain-chant romain. On soutient aussi que le plain-chant doit être rythmé; on est libre de discuter sur ce sujet. Puis il y a des paroles; puisque le plain-chant est emprunté à la musique grecque, il est probable que les paroles étaient d'abord du grec. On y appliqua ensuite des paroles latines, et le latin du moyen âge n'était pas le latin ancien. Il y a une accentuation acceptée et généralement pratiquée aujourd'hui. Elle consiste à placer l'accent sur l'avant-dernière syllabe ou sur l'antépénultième. Cette prosodie est-elle observée dans le plain-chant?

 

Les protestants firent comme les premiers chrétiens; il leur fallait des mélodies simples qui pussent être chantées par toute une réunion de fidèles; et puis, ils prirent des chorals, d'autant plus que le spirituel et le temporel n'étaient pas séparés; il y a des chorals usités encore aujourd'hui et qui, primitivement, avaient des paroles nullement religieuses; il y a des chorals qui sont des mélodies arrangées ou simplifiées. Puis, presque généralement, on ajoute une note de liaison quand, dans une phrase de chant, il y a un intervalle de tierce. On ne croit nullement faire mal en arrangeant les chants, au besoin. Dans un livre de chorals, que j'ai eu en mains autrefois, on avait transposé en le choral: ein' feste Burg, attribué à Luther, mais qui n'est pas de lui; l'arrangeur voulut rendre le début moins fatigant, et faisait usage en même temps des notes de liaison. Le début, au lieu d'être do, do, do sol si do la sol, était devenu , do (dièze) si la si do (dièze) ré do (dièze) si la. Je gage que l'arrangeur trouve sa version plus mélodieuse que l'original.

Pour les paroles, on ne fait attention qu'au nombre des vers d'une strophe et au nombre des mots de chaque vers. On chante ainsi sur la même mélodie un nombre indéterminé de strophes et des cantiques de différents caractères. En d'autres mots, les chorals sont employés comme les timbres des vaudevilles.

Ce que j'ai dit des chorals, s'applique également aux mélodies des psaumes.

On emploie comme synonymes les termes de musique religieuse, musique d'église et musique sacrée; cependant ils ne le sont pas. Chaque parti religieux a le droit de prendre la musique qui lui plaît; et quand elle est adoptée, on la conserve par respect pour la tradition.

Quand on parle du sentiment de l'amour, de la tristesse, de la colère, il n'y a point d'équivoque; ces sentiments sont les mêmes pour tous les hommes; mais quand il s'agit du sentiment religieux, il en est autrement. On n'est d'accord que sous le sens général de l'expression; pour tout le reste on peut différer.

Il n'est pas rare d'entendre, dans les églises catholiques, protestantes ou dans les synagogues, de la musique qu'on ne trouve pas religieuse. Je faisais, un jour, une observation à un ecclésiastique sur le jeu de l'organiste: «Cela va bien avec tout», répliqua-t-il. D'autres répondent qu'il n'y a rien de trop beau pour Dieu. On ne peut pas exiger d'un ecclésiastique des connaissances étendues en musique, et il peut très facilement se tromper de bonne foi. On commet tous les jours l'erreur, au théâtre, de prendre pour dramatique la musique qui ne l'est pas, ou qui s'applique mal à la scène pour laquelle elle est faite. Peu importe: on va au théâtre pour s'amuser; pourvu qu'on s'amuse, c'est l'essentiel. On ne va pas à l'église pour la même raison, quoiqu'on n'y dédaigne nullement le charme de l'oreille.

J'ai parlé du plain-chant; je ne dis rien de la psalmodie, qui ne peut compter pour de la musique, mais je dois m'arrêter sur ce qu'on appelle les messes en musique pour soli, chœurs et souvent l'orchestre. Ces compositions sont faites sur un texte latin, liturgique et obligatoire. Pour donner à l'œuvre un certain développement, on est obligé de répéter les paroles un nombre indéfini de fois. Il y a des paroles qui sont peu musicales, mais on ne peut les changer; pour donner plus de variété et d'effet, l'usage est d'écrire des messes dramatisées, c'est-à-dire, on donne à la musique une expression capable d'impressionner l'auditoire, selon que les paroles sont douces et consolantes, terribles et menaçantes, humbles ou majestueuses.

Le Gloria est solennel et imposant, le Credo est énergique, la mise au tombeau du Christ est un peu triste et sa résurrection brillante et solennelle. Je ne crois cependant pas que les cinq orchestres de Berlioz donnent à son Tuba mirum une puissance et un éclat qui laissent prévoir son jugement dernier. Au reste, on n'est point d'accord; d'une part, la fugue et les formes scolastiques en général peuvent n'être pas d'un grand effet sur la foule; d'autre part, on a introduit dans les messes des effets appartenant purement à l'opéra. Je citerai, comme modèle, les messes de Cherubini.

Quelques mots sur l'Oratorio. Né dans l'Église, il a fini par s'en détacher et prendre un grand développement. L'Allemagne a un répertoire spécial, en tête duquel brillent les noms de J. S. Bach et de Hændel, quoique ce dernier ait écrit ses oratorios sur un texte anglais. Ces maîtres traitaient avec un talent exceptionnel les formes scientifiques de la musique. Mendelssohn et d'autres sont venus ensuite produire des œuvres de très grand mérite. Seulement, du temps de Hændel, la séparation entre les œuvres théâtrales et d'autres compositions était encore mal établie. Plusieurs morceaux du Messie de Hændel sont tirés d'une collection de duos très profanes et même érotiques, composés par Hændel, en 1711 et 1712, pour la princesse électrice Caroline de Hanovre. La musique du deuxième duo:

 
Nò, di voi non vò fidarmi,
Cieco Amor, crudel Beltà;
Troppo siete menzogneri,
Lusinghiere Deità!
 

a passé sans la moindre modification dans le chœur célèbre du Messie: «Ah! parmi nous l'enfant est né» (No 10). Le motif de la troisième phrase du même duo:

 
So per prova i vostri inganni
 

est le même que celui du chœur: «Comme un troupeau» (No 20). Il y a peu de différence aussi entre la musique du madrigal:

 
Se tu non lasci amore,
Mio cor, ti pentirai,
Lo so ben io!
 

et celle du duo: «O mort, ton glaive nous est caché!» (No 37).

Aux oratorios se rattachent les cantates; mais en France, il faut l'avouer, l'oratorio ne jouit pas d'une très grande faveur. On a fait entendre des œuvres de ce genre, presque toujours mutilées sans façon; les chœurs produisent de l'effet, les soli paraissent surannés, et personne ne sait les chanter.

La cantate est discréditée plus que la guitare; on laisse du moins celle-ci aux mendiants, ce qui ne l'empêche pas de faire très bonne figure dans les autres pays; on ne veut même plus du mot de cantate. Les compositions pour les concours du prix de Rome sont de vraies cantates; on les désigne par le mot de scène. Comme cette «scène» est toujours divisée en plusieurs «scènes», et qu'en mathématique, le tout est plus grand que chacune de ses parties, on se demande si, à l'Institut, section des Beaux-arts, on sait parler français. On peut remarquer, d'ailleurs, chez les compositeurs d'aujourd'hui, la manie du néologisme, au point d'éviter de plus en plus de se servir du mot d'opéra. Leurs œuvres en valent-elles mieux? Le public ne paraît pas le croire.

Le lecteur demandera peut-être: en définitive, y a-t-il ou non une musique religieuse? Il n'y a pas de musique exprimant le sentiment religieux, parce que ce sentiment, comme je l'ai montré, est d'une forme trop peu précise, trop peu arrêtée. D'ailleurs, il ne faut pas presser les termes; il y a là une question de mots dont je parlerai dans mon dernier chapitre. En tout cas, il doit y avoir une musique convenant au culte religieux, et favorisant les sentiments pieux par son caractère de calme, d'onction, de gravité ou de grandeur et de majesté; elle ne doit avoir rien des ornements, de la légèreté, de la frivolité, ni des effets passionnés du théâtre, quoique, j'en conviens, la limite ne soit pas facile à établir; les idées personnelles des compositeurs, des organistes et des prêtres interviennent ici inévitablement.

Considéré de cette façon, le plain-chant peut être religieux, mais non pas dans la forme dans laquelle on l'entend le plus souvent. Il ne faut, d'ailleurs, pas oublier qu'on n'est pas d'accord sur ce point, et qu'on n'emploie pas une forme unique de plain-chant.

Je n'ai parlé que de l'Église romaine et du chant protestant; mais il y a d'autres confessions religieuses, chrétiennes ou non, qui ont les mêmes droits à l'existence et les mêmes droits à choisir leur musique. Ce sont ces droits que j'ai tenu à sauvegarder.

Il résulte de là que musique d'église et musique religieuse ne sont nullement synonymes; si l'on voulait un exemple d'un morceau ayant le caractère religieux, je citerais la mélodie bien connue Pietà Signore, attribuée à Stradella par une plaisanterie de Fétis, car cette composition est trop moderne pour remonter aussi loin. Fétis aimait à prendre un ton de Pythonisse; mais les erreurs qu'il a voulu faire accréditer ainsi, n'ont pu durer.

7J'ai discuté ce sujet plus longuement dans un chapitre de mon Traité analytique et complet de l'art de moduler, où l'on trouvera les citations qu'on pourra désirer.