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Kitabı oku: «La chanson de Roland», sayfa 9

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CCLXV

LES païens sont morts… Et Charles a gagné la bataille. Il a abattu la porte de Saragosse : il sait qu’elle ne sera pas défendue. Il se saisit de la cité ; ses troupes y pénètrent : par droit de conquête, elles y couchèrent cette nuit-là. Le roi à la barbe chenue en est rempli de fierté. Et Bramidoine lui a rendu les tours, les dix grandes, les cinquante petites. Qui obtient l’aide de Dieu achève bien ses tâches.

CCLXVI

LE jour passe, la nuit est tombée. La lune est claire, les étoiles brillent. L’empereur a pris Saragosse : par mille Français on fait fouiller à fond la ville, les synagogues et les mahommeries. A coups de mails de fer et de cognées ils brisent les images et toutes les idoles : il n’y demeurera maléfice ni sortilège. Le roi croit en Dieu, il veut faire son service ; et ses évêques bénissent les eaux. On mène les païens jusqu’au baptistère ; s’il en est un qui résiste à Charles, le roi le fait pendre, ou brûler ou tuer par le fer. Bien plus de cent mille sont baptisés vrais chrétiens, mais non la reine. Elle sera menée en douce France, captive : le roi veut qu’elle se convertisse par amour.

CCLXVII

LA nuit passe, le jour se lève clair. Dans les tours de Saragosse Charles met une garnison. Il y laissa mille chevaliers bien éprouvés : ils gardent la ville au nom de l’empereur. Le roi monte à cheval ; ainsi font tous ses hommes et Bramidoine, qu’il emmène captive ; mais il ne veut rien lui faire, que du bien. Ils s’en retournent, pleins de joie et de fierté. Ils occupent Nerbone de vive force et passent. Charles parvient à Bordeaux, la cité […] : sur l’autel du baron saint Seurin, il dépose l’olifant, rempli d’or et de mangons ; les pèlerins qui vont là l’y voient encore. Il passe la Gironde sur les grandes nefs qu’il y trouve. jusqu’à Blaye il a conduit son neveu, et Olivier, son noble compagnon, et l’archevêque, qui fut sage et preux. En de blancs cercueils il fait mettre les trois seigneurs : c’est à Saint-Romain qu’ils gisent, les vaillants. Les Français les remettent à Dieu et à ses Noms. Par les vaux, par les monts, Charles chevauche : jusqu’à Aix, il ne veut pas séjourner aux étapes. Tant chevauche-t-il qu’il descend au perron. Quand il est arrivé dans son palais souverain, il mande par messagers ses jugeurs, Bavarois et Saxons, Lorrains et Frisons ; il mande les Allemands, il mande les Bourguignons, et les Poitevins et les Normands et les Bretons, et ceux de France, qui entre tous sont sages. Alors commence le plaid de Ganelon.

CCLXVIII

L’EMPEREUR est revenu d’Espagne. Il vient à Aix, le meilleur siège de France. Il monte au palais, il est entré dans la salle. Voici que vient à lui Aude, une belle damoiselle. Elle dit au roi : « Où est-il, Roland le capitaine, qui me jura de me prendre pour sa femme ? » Charles en a douleur et peine. Il pleure, tire sa barbe blanche : « Sœur, chère amie, de qui t’enquiers- tu ? D’un mort. Je te ferai le meilleur échange : ce sera Louis, je ne sais pas mieux te dire. Il est mon fils, c’est lui qui tiendra mes marches. » Aude répond : « Cette parole m’est étrange. A Dieu ne plaise, à ses saints, à ses anges, après Roland, que je reste vivante ! » Elle perd sa couleur, choit aux pieds de Charlemagne. Elle est morte aussitôt : que Dieu ait pitié de son âme ! Les barons français en pleurent et la plaignent.

CCLXIX

AUDE la Belle est allée à sa fin. Le roi croit qu’elle est évanouie, il a pitié d’elle, il pleure. Il la prend par les mains, la relève ; sur les épaules, la tête retombe. Quand Charles voit qu’elle est morte, il mande aussitôt quatre comtesses. A un moutier de nonnes on la porte ; toute la nuit, jusqu’à l’aube, on la veille ; au long d’un autel bellement on l’enterre. Le roi l’a hautement honorée.

CCLXX

L’EMPEREUR est rentré à Aix. Ganelon le félon, en des chaînes de fer, est dans la cité, devant le palais. Des serfs l’ont attaché à un poteau ; ils entravent ses mains par des courroies de cuir de cerf, ils le battent fortement à coups de triques et de bâtons. Il n’a point mérité d’autres bienfaits. A grande douleur il attend là son jugement.

CCLXXI

IL est écrit dans la Geste ancienne que de maints pays Charles manda ses vassaux. Ils sont assemblés à Aix, à la chapelle. C’est le haut jour d’une fête solennelle, celle, disent plusieurs, du baron saint Sylvestre. Alors commence le plaid, et voici ce qu’il advint de Ganelon, qui a trahi. L’empereur devant lui l’a fait traîner.

CCLXXII

«SEIGNEURS barons », dit Charlemagne, le roi, « Jugez-moi Ganelon selon le droit. Il vint dans l’armée jusqu’en Espagne avec moi : il m’a ravi vingt mille de mes Français, et mon neveu, que vous ne reverrez plus, et Olivier, le preux et le courtois : les douze pairs, il les a trahis pour de l’argent. » Ganelon dit : « Honte sur moi, si j’en fais mystère ! Roland m’avait fait tort dans mon or, dans mes biens, et c’est pourquoi j’ai cherché sa mort et sa ruine. Mais qu’il y ait là la moindre trahison, je ne l’accorde pas. » Les Francs répondent : « Nous en tiendrons conseil. »

CCLXXIII

DEVANT le roi, Ganelon se tient debout. Il a le corps gaillard, le visage bien coloré : s’il était loyal, on croirait voir un preux. Il regarde ceux de France, et tous les jugeurs, et trente de ses parents qui tiennent pour lui, puis il s’écrie à voix haute et forte : « Pour l’amour de Dieu, barons, entendez-moi ! Seigneurs, je fus à l’armée avec l’empereur. Je le servais en toute foi, en tout amour. Roland, son neveu, me prit en haine et me condamna à la mort et à la douleur. Je fus envoyé comme messager au roi Marsile : par mon adresse, je parvins à me sauver. Je défiai le preux Roland et Olivier, et tous leurs compagnons : Charles et ses nobles barons entendirent mon défi. Je me suis vengé, mais ce ne fut pas trahison. » Les Francs répondent : « Nous irons en tenir conseil. »

CCLXXIV

GANELON voit que commence son grand plaid. Trente de ses parents sont là, avec lui. Il en est un à qui s’en remettent les autres, c’est Pinabel, du château de Sorence. Il sait bien parler et dire ses raisons comme il convient. Il est vaillant, quand il s’agit de défendre ses armes. Ganelon lui dit : « Am… reprenez-moi à la mort ! retirez-moi de ce plaid ! » Pinabel dit : « Bientôt vous serez sauvé. S’il se trouve un Français pour juger que vous devez être pendu, que l’empereur nous mette aux prises tous deux, corps contre corps : mon épée d’acier lui donnera le démenti. » Ganelon le comte s’incline à ses pieds.

CCLXXV

BAVAROIS et Saxons sont entrés en conseil, et les Poitevins, les Normands, les Français, Allemands et Thiois sont là en nombre ; ceux d’Auvergne y sont les plus courtois. Ils baissent le ton à cause de Pinabel. L’un dit à l’autre : « Il convient d’en rester là. Laissons le plaid, et prions le roi qu’il proclame Ganelon quitte pour cette fois ; que Ganelon le serve désormais en toute foi, en tout amour. Roland est mort, vous ne le reverrez plus ; ni or ni argent ne le rendrait. Bien fou qui combattrait […] ! » Il n’en est pas un qui n’approuve, hormis Thierry, le frère de monseigneur Geoffroy.

CCLXXVI

VERS Charlemagne ses barons s’en reviennent. Ils disent au roi : « Sire, nous vous en prions, proclamez quitte le comte Ganelon ; puis, qu’il vous serve en tout amour et toute foi ! Laissez-le vivre, car il est très haut seigneur […] Ni or ni argent ne vous rendrait Roland. » Le roi dit : « Vous êtes des félons. »

CCLXXVII

QUAND Charles voit que tous lui ont failli, il baisse la tête douloureusement. « Malheureux que je suis ! » dit-il. Or voici venir devant lui un chevalier, Thierry, frère de Geoffroy, un duc angevin. Il a le corps maigre, grêle, élancé, les cheveux noirs, le visage assez brun. Il n’est pas très grand, mais non plus trop petit. Il dit à l’empereur, courtoisement : « Beau sire roi, ne vous désolez pas ainsi. Je vous ai longtemps servi, vous le savez. Fidèle à l’exemple de mes ancêtres, je dois, dans un tel plaid, soutenir l’accusation. Si même Roland eut des torts envers Ganelon, Roland était à votre service : c’en devait être assez pour le garantir. Ganelon est félon, en tant qu’il a trahi : c’est envers vous qu’il s’est parjuré et qu’il a forfait. C’est pourquoi je juge qu’il soit pendu et qu’il meure, et que son corps… soit traité comme celui d’un félon qui fit une félonie. S’il a un parent qui veuille m’en donner le démenti, je veux, de cette épée que j’ai ceinte, soutenir sur l’heure mon jugement. » Les Francs répondent : « Vous avez bien dit. »

CCLXXVIII

DEVANT le roi, Pinabel s’est avancé. Il est grand et fort, vaillant et agile ; celui qu’un de ses coups atteint a fini son temps. Il dit au roi : « Sire, c’est ici votre plaid : commandez donc qu’on n’y fasse pas tant de bruit ! Je vois céans Thierry, qui a jugé. Je fausse son jugement et je combattrai contre lui. » Il remet au roi, en son poing, un gant de peau de cerf, le gant de sa main droite. L’empereur dit : « Je demande de bons garants. » Trente parents s’offrent en loyaux otages. Le roi dit : « Et je vous le mettrai donc en liberté sous caution. » Il les place sous bonne garde, jusqu’à ce qu’il soit fait droit.

CCLXXIX

QUAND Thierry voit qu’il y aura bataille, il présente à Charles son gant droit. L’empereur le met en liberté sous caution, puis il fait porter quatre bancs sur la place. Là ceux qui doivent combattre vont s’asseoir. Au jugement de tous, ils se sont provoqués selon les règles. C’est Ogier de Danemark qui a porté le double défi. Puis ils demandent leurs chevaux et leurs armes.

CCLXXX

PUISQU’ILS sont prêts à s’affronter en bataille, ils se confessent ; ils sont absous et bénis. Ils entendent leurs messes et reçoivent la communion. Ils laissent aux églises de très grandes offrandes. Puis, tous deux reviennent devant Charles. Ils ont chaussé leurs éperons, ils revêtent des hauberts blancs, forts et légers, lacent sur leurs têtes leurs heaumes clairs, ceignent des épées dont la garde est d’or pur, suspendent à leurs cous leurs écus à quartiers, saisissent de leurs poings droits leurs épieux tranchants, puis se mettent en selle sur leurs destriers rapides. Alors pleurèrent cent mille chevaliers, qui, pour l’amour de Roland, ont pitié de Thierry. Quelle sera la fin, Dieu le sait bien.

CCLXXXI

SOUS Aix la prairie est très large : là sont mis aux prises les deux barons. Ils sont preux et de grande vaillance, et leurs chevaux sont rapides et ardents. Ils les éperonnent bien, lâchent à fond les rênes. De toute leur vigueur, ils vont s’attaquer l’un l’autre. Les écus se brisent, volent en pièces, les hauberts se déchirent, les sangles éclatent, les troussequins versent, les selles tombent à terre. Cent mille hommes pleurent, qui les regardent.

CCLXXXII

LES deux chevaliers sont tombés contre terre. Rapidement, ils se redressent debout. Pinabel est fort, agile et léger. Ils se requièrent l’un l’autre ; ils n’ont plus leurs destriers. De leurs épées aux gardes d’or pur, ils frappent et refrappent sur leurs heaumes d’acier : les coups sont forts, jusqu’à fendre les heaumes. Grande est l’angoisse des chevaliers français : « Ah ! Dieu », dit Charles, « faites resplendir le droit ! »

CCLXXXIII

PINABEL dit : « Thierry, reconnais-toi vaincu ! Je serai ton vassal en toute foi, en tout amour ; à ton plaisir je te donnerai de mes richesses ; mais trouve pour Ganelon un accord avec le roi ! » Thierry répond : « Je ne tiendrai pas long conseil. Honte sur moi si j’y consens en rien ! Qu’entre nous deux, en ce jour, Dieu montre le droit ! »

CCLXXXIV

THIERRY dit : « Pinabel, tu es très preux, tu es grand et fort, tes membres sont bien moulés, et tes pairs te connaissent pour ta vaillance : renonce donc à cette bataille ! Je te trouverai un accord avec Charlemagne. Quant à Ganelon, justice sera faite de lui, et telle qu’à jamais, chaque jour, il en sera parlé. » Pinabel dit : « Ne plaise au Seigneur Dieu ! Je veux soutenir toute ma parenté. Je ne me rendrai pour nul homme qui vive. J’aime mieux mourir qu’en subir le reproche. » Ils recommencent à frapper des épées sur leurs heaumes, qui sont incrustés d’or. Contre le ciel volent, claires, les étincelles. Les séparer, nul ne pourrait. Ce combat ne peut finir sans qu’un homme meure.

CCLXXXV

PINABEL de Sorence est de très grande prouesse. Sur le heaume de Provence, il frappe Thierry : le feu jaillit, l’herbe s’enflamme. Il lui présente la pointe de sa lame d’acier. Elle descend sur son front […] Il en a la joue droite toute sanglante. Il lui fend son haubert jusqu’au-dessus du ventre. Dieu le protège, Pinabel ne l’a pas renversé mort.

CCLXXXVI

THIERRY voit qu’il est blessé au visage. Son sang tombe clair sur l’herbe du pré. Il frappe Pinabel sur son heaume d’acier brun, le brise et le fend jusqu’au nasal, fait couler du crâne la cervelle ; il secoue sa lame dans la plaie et l’abat mort. Par ce coup sa bataille est gagnée. Les Francs s’écrient : « Dieu y a fait miracle ! Il est bien droit que Ganelon soit pendu, et ses parents qui ont répondu pour lui. »

CCLXXXVII

QUAND Thierry eut gagné sa bataille, l’empereur Charles vint à lui. Quatre de ses barons l’accompagnent, le duc Naimes, Ogier de Danemark, Geoffroi d’Anjou et Guillaume de Blaye. Le roi a pris Thierry dans ses bras ; des grandes peaux de son manteau de martre, il lui essuie la face, puis rejette le manteau : on lui en met un autre. Très tendrement on désarme le chevalier, on le monte sur une mule arabe ; on le ramène avec joie et en bel arroi. Les barons rentrent dans Aix, mettent pied à terre sur la place. Alors commence mise à mort des autres.

CCLXXXVIII

CHARLES appelle ses ducs et ses comtes : « Que me conseillez-vous à l’égard de ceux que j’ai retenus ? Ils étaient venus au plaid pour Ganelon ; ils se sont rendus à moi comme otages de Pinabel. » Les Francs répondent : « Pas un n’a le droit de vivre. » Le roi appelle Basbrun un sien voyer : « Va, et pends-les tous à l’arbre au bois maudit. Par cette barbe dont les poils sont chenus, s’il en échappe un seul, tu es mort et venu à ta perte. » Il répond : « Que puis-je faire d’autre ? » Avec cent sergents il les emmène de vive force : ils sont trente, qui furent tous pendus. Qui trahit perd les autres avec soi.

CCLXXXIX

ALORS s’en furent Bavarois et Allemands et Poitevins et Bretons et Normands. Tous sont tombés d’accord, et les Français les premiers, que Ganelon doit mourir en merveilleuse angoisse. On amène quatre destriers, puis on lui attache les pieds et les mains. Les chevaux sont ardents et rapides : devant eux, quatre sergents les poussent vers un cours d’eau qui traverse un champ, prêts à les saisir. Ganelon est venu à sa perdition. Tous ses nerfs se distendent, tous les membres de son corps se brisent ; sur l’herbe verte son sang se répand clair. Ganelon est mort de la mort qui sied à un félon prouvé. Quand un homme en trahit un autre, il n’est pas juste qu’il s’en puisse vanter.

CCXC

QUAND l’empereur eut prit sa vengeance, il appela ses évêques de France, ceux de Bavière et ceux d’Allemagne : « En ma maison j’ai une noble prisonnière. Elle a entendu tant de sermons et de paraboles qu’elle veut croire en Dieu et demande à se faire chrétienne. Baptisez-la, pour que Dieu ait son âme. » Ils répondent : « Qu’on lui donne des marraines ! » […] Aux bains d’Aix… ils baptisèrent la reine d’Espagne ; ils lui ont trouvé pour nom Julienne. Elle s’est faite chrétienne par vraie connaissance de la sainte loi.

CCXCI

QUAND l’empereur eut fait justice et apaisé son grand courroux, il a fait chrétienne Bramidoine. Le jour s’en va, la nuit s’est faite noire. Le roi s’est couché dans sa chambre voûtée. De par Dieu, saint Gabriel vient lui dire : « Charles, par tout ton empire, lève tes armées ! Par vive force tu iras en la terre de Bire, tu secourras le roi Vivien dans sa cité d’Imphe, où les païens ont mis le siège. Là les chrétiens t’appellent et te réclament ! » L’empereur voudrait ne pas y aller : « Dieu ! » dit-il, « que de peines en ma vie ! » Ses yeux versent des larmes, il tire sa barbe blanche.